« La route défilait et j’étais heureuse. Serrée contre toi, à côté du chauffeur. Le soleil faible de septembre frappait ton visage à travers la vitre, dessinant sur tes joues d’étranges ombres. Tu étais excité ! Après tant d’années, tu allais enfin rouvrir ta pharmacie ! Pourtant Lalé n’était plus là. Sans ma mère, tout restait inachevé. Mais la vie continuait, et tu avais voulu me faire une surprise, tout arranger avant mon arrivée dans notre nouvelle maison.
Je me souviens de ton sourire malicieux. Une bienveillante clarté illuminait ton visage. Je ne savais pas encore que la pharmacie se trouvait en face de chez nous. Ni que tu avais déjà accompli les démarches, tout installé, et qu’elle ouvrirait le lendemain.
Tu m’as serrée tout contre toi. Puis tu as déclamé ce vers. J’ai compris des années plus tard ce que tu voulais dire.
Il nous reste un demi-espoir.
Kemal hésitait.
« Répète un peu, Djemal.
– Il nous reste un demi-espoir. C’est un vers tiré d’un poème de Metin Altiok.
– Je n’y connais rien en poésie.
– Tu t’habitueras, intervins-je. Mon père connaît toutes les poésies du monde et les partage. Attends-toi à ce qu’il te récite un poème à tout instant.
– C’est beau, répondit Kemal avant de se taire.
Dès le lendemain, nous avons vu ce vers accroché à l’arrière de sa camionnette. Il doit toujours y être. »
Pinar Selek, La maison du Bosphore
Commentaires
Tu choisis souvent des extraits qui ouvrent l'intérêt...
Tant mieux ! Je l'ai aussi choisi pour ce vers.
Très bel extrait, je confirme ! Merci.
Avec plaisir, K.
Oui, ton extrait donne envie d'en savoir plus ! J'aime cette écriture aux phrases courtes, assez percutantes. Merci Tania pour ce sympathique moment de lecture matinale ! Bises.
C'est aussi mon but, à travers ces extraits : laisser parler le texte, donner une idée du style. Merci pour ta réaction, bises.