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culture - Page 294

  • Rouge de plaisir

    S’il est toujours gai pour une passionnée de lecture de recevoir un livre, quand il s’agit d’un album très attendu comme Rouge de Michel Pastoureau, le plaisir est décuplé ! Rouge. Histoire d’une couleur est le quatrième essai de la série, après Bleu, Noir et Vert ; le prochain sera consacré au jaune. Pastoureau étudie les couleurs en historien et s’intéresse en priorité au lexique, au vêtement, à l’art, aux savoirs et aux symboles. Feuilleter ce beau livre abondamment illustré et à la maquette soignée est un régal.

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    Soulevons donc le rideau de scène. Pastoureau présente le rouge comme « la couleur archétypale, la première que l’homme a maîtrisée, fabriquée, reproduite, déclinée en différentes nuances, d’abord en peinture, plus tard en teinture. » Même détrôné à présent par le bleu, la couleur préférée des Occidentaux, le rouge reste la couleur « la plus forte, la plus remarquable, la plus riche d’horizons poétiques, oniriques et symboliques. »

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    Rideau de scène, 1928, BNF, Bibliothèque-musée de l'Opéra, ESQ 19 [86

    L’auteur rappelle les difficultés rencontrées pour écrire l’histoire des couleurs, et leur caractère culturel lié à une société donnée. Si vous les avez lus, vous trouverez forcément ici des éléments déjà abordés dans ses ouvrages précédents. Son histoire du rouge se décline en quatre volets : « la couleur première », « la couleur préférée », « une couleur contestée », « une couleur dangereuse ? »

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    Isis accueillant Thoutmosis IV (5e et 6e en partant de la gauche), vers 1380 avant J.-C., Louxor
    © Osirisnet 2006

    Dans la peinture funéraire de l’Egypte antique, les couleurs « toujours franches et brillantes » diffèrent pour les personnages masculins – « carnation rouge ou brun-rouge » – et féminins – « le corps est plus clair, beige ou jaunâtre ». Quant à celui des divinités, il est « d’un jaune plus vif ». Au Proche-Orient, le rouge est positif, « lié à la création, à la prospérité et au pouvoir » et aussi à la fertilité.

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    Le plongeur du Paestum, vers 480-470 avant J.-C., Paestum (Italie), Musée archéologique national

    Il est difficile de savoir pourquoi le rouge a cette « primauté symbolique » dans les sociétés anciennes. Beaucoup d’explications ont été avancées. Pastoureau rappelle les « deux principaux « référents » de cette couleur : le feu et le sang », qui amènent à percevoir le rouge « comme un être vivant ». De belles reproductions en pleine page illustrent sa présence dans le décor des riches villas romaines ou dans la céramique grecque.

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    Joueuse de cithare (Villa de Boscoreale), vers 40 avant J.-C., New York, Metropolitan Museum of Art

    Les teinturiers ont été performants « dans la gamme des rouges » d’abord. Les principaux colorants qu’ils utilisent sont la garance et le kermès (cf. rouge carmin), parfois la pourpre, le carthame et le henné. Les artisans romains se spécialisaient non seulement par couleur, mais aussi par matière colorante ; six noms distinguent ceux qui teignent en rouge ou dans un ton avoisinant. La pourpre, produite par le suc de certains coquillages (purpura, murex) est la plus prestigieuse.

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    Essai de reconstitution de la polychromie sculptée :
    moulage de l’Auguste de Prima Porta (vers 20 avant J.-C.), exposé en 2004, Rome, musée du Vatican

    Le rouge est présent dans la vie quotidienne des Romains : étoffes, polychromie des sculptures et des bâtiments – « l’image d’une Grèce et d’une Rome blanches » est fausse. La plupart sont peints, à l’intérieur comme à l’extérieur, avec une dominante rouge. C’est depuis toujours la couleur des fards que les femmes mettent sur les pommettes et les lèvres, à côté du blanc pour le front, les joues, les bras et du noir pour les cils et le tour des yeux.

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    Fermail circulaire (or et grenat) trouvé à Saint-Denis, VIe siècle, Bruxelles, Musées royaux d'Art et d'Histoire

    Les pierres rouges sont recherchées pour la parure : pierres fines (rubis, grenat, jaspe, cornaline), pâtes de verre. On leur attribue des vertus protectrices, le rubis « passe pour réchauffer le corps, stimuler l’ardeur sexuelle, fortifier l’esprit, éloigner les serpents et les scorpions ». Grâce à leur crête rouge vif, « les coqs sont les rois du monde » (Pline). En revanche, « les cheveux roux ont mauvaise réputation » ; « rufus » (roux) est une insulte courante dans le monde romain et encore au moyen âge en milieu clérical.

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    Calendrier (vers 1260), Paris, cathédrale Notre-Dame, rosace occidentale

    Si pour les Grecs et les Romains, le rouge est la couleur « par excellence », il faut attendre le haut Moyen Age pour qu’on puisse parler de « couleur préférée ». Les textes de Pères de l’Eglise organisent la symbolique chrétienne autour de quatre pôles, le feu et le sang dans leurs bons et mauvais aspects : rouge feu de l’enfer opposé à celui de la Pentecôte, rouge sang de la violence et de l’impureté mais aussi symbole de vie.

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    Le Pressoir mystique, miniature extraite de la Bible moralisée dite de Philippe le Hardi, XIVe-XVe s., Paris, BnF.

    L’analyse de Pastoureau à propos du sang du Christ est illustrée par un étonnant « pressoir mystique » où celui-ci est assimilé à une grappe de raisin et son sang recueilli dans une cuve, comme le vin. Aux XIIe et XIIIe siècles, la dévotion envers le sang du Christ devient telle qu’on ne communie plus sous les deux espèces mais seulement sous une seule (le pain), le vin de messe étant réservé aux officiants. En contradiction avec les paroles de Jésus lors de la dernière Cène, cette limitation entérinée par le concile de Constance en 1418 suscite de nombreuses oppositions.

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    Le pape Clément IV, vers 1270-1275, Pernes-les-Fontaines (Vaucluse), tour Ferrande, 3e étage

    En plus d’être la couleur préférée du pouvoir en Occident, le rouge est aussi pour cette raison celle des vêtements du pape et des cardinaux, avec le blanc ; le blanc papal prendra peu à peu le dessus, sauf pour le manteau et les mules (le pape François a surpris en portant des chaussures noires). Dans le domaine du blason, dont Pastoureau est un spécialiste, le rouge est présent sur plus de 60% des armoiries aristocratiques.

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    L'atelier d'un tailleur, Manuscrit rhénan d'un Tacuinum sanitatis, vers 1445-1450, Paris, BnF

    Au XIIe siècle, cette couleur jusqu’alors sans rivale en trouve une : le bleu devient à la mode – progrès dans les techniques ? mutations idéologiques ? Pastoureau examine ces questions brièvement – Bleu y est déjà consacré. Par exemple, sur le vêtement de la Vierge Marie, d’abord de couleur sombre pour le deuil de son fils crucifié, le bleu prend place, de plus en plus clair, couleur du ciel. Le goût des belles étoffes rouges ne disparaît pas pour autant. Les jeunes dames de Florence au XIVe s’habillent de la couleur de l’amour et de la beauté, couleur de fête. Les paysannes se marient en rouge, la plus belle couleur obtenue par les teinturiers (en blanc seulement à la fin du XIXe).

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    Titien, Le miracle du nouveau-né (détails, 1511)

    Puis vient la montée du noir : les protestants, en particulier, rejettent le rouge trop voyant, voire dépravé, qui rejoint la rousseur dans l’exclusion symbolique. Les prostituées doivent porter quelque chose de rouge que ne portent pas les honnêtes femmes. Idem pour le boucher, le bourreau, le lépreux, l’ivrogne etc. Contre le rouge de la liturgie catholique, la Réforme rejette le luxe, le théâtre, les ornements. Le vêtement doit être « simple, sobre, discret ».

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    Anonyme, d'après Abraham Bosse, La Vue, vers 1635-1637, Tours, musée des Beaux-Arts

    Dans Rouge. Histoire d’une couleur, Michel Pastoureau nous parle de l’amour des peintres pour le rouge, du Paléolithique jusqu’à aujourd’hui ; du rouge, « couleur primaire » dans le spectre de Newton ; des talons rouges des aristocrates au XVIIe siècle et du rouge (drapeau et bonnet) des révolutionnaires… Il fait un petit détour par le rose avant de revenir au rouge « couleur politique » et de suivre sa trace dans le temps présent. S’il n’est plus la couleur préférée, s’il se fait plus discret, le rouge, en de nombreux domaines, garde intacte sa force symbolique.

  • Un à un

    woolf,virginia,la promenade au phare,roman,littérature anglaise,culture,extrait« Dès qu’elle [Lily] levait les yeux et les apercevait [les Ramsay] elle était envahie par ce qu’elle appelait « l’état d’amour ». Ils appartenaient aussitôt à cet univers irréel qui vous pénètre et vous transporte et qui est le monde vu à travers les yeux de l’amour. Le ciel s’attachait à eux ; les oiseaux chantaient à travers eux. Et, chose plus passionnante encore, elle sentait en outre, en voyant Mr. Ramsay s’avancer puis battre en retraite, et Mrs. Ramsay s’asseoir avec James à la fenêtre, et le nuage se mouvoir, et l’arbre s’incliner, que la vie, à force d’être faite de ces petits incidents distincts que l’on vit un à un, finit par faire un tout qui s’incurve comme une vague, vous emporte et, retombant, vous jette violemment sur la grève. »

    Virginia Woolf, La promenade au phare

  • Chacun tout seul

    Le phare occupe peu de place sur la couverture de mon vieux livre de poche, la brume y efface la ligne d’horizon, sous un soleil jaune : La promenade au phare (To the Lighthouse, 1927) de Virginia Woolf est un roman de mer et de terre, et, osons l’écrire, surtout de mère et de père. Mrs. Ramsay répond « oui » à son fils James, six ans – « s’il fait beau demain » – et le voilà rempli d’« une joie extraordinaire » à l’idée de s’approcher enfin du phare, « la merveille contemplée depuis des années et des années ». L’expansion de cette joie d’enfant se termine brutalement à la page suivante : « Mais, dit son père en s’arrêtant devant la fenêtre du salon, il ne fera pas beau. »

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    « La fenêtre », première partie de La promenade au phare et la plus longue, insiste d’emblée sur la personnalité de Mr. Ramsay, « maigre comme un couteau, étroit comme une lame, avec le sourire sarcastique que provoquaient en lui non seulement le plaisir de désillusionner son fils et de ridiculiser sa femme, pourtant dix mille fois supérieure à lui en tous points (aux yeux de James), mais encore la vanité secrète tirée de la rectitude de son propre jugement. Ce qu’il disait était la vérité. C’était toujours la vérité. »

    Virginia Woolf a déjà une vision très claire du roman en 1925 : « Mais le thème est peut-être sentimental, en effet : le père, la mère, l’enfant dans le jardin : la mort ; la promenade en bateau jusqu’au phare. Je crois cependant qu’une fois lancée je l’enrichirai de mille et une façons ; je l’épaissirai, je lui donnerai des branches et des racines que pour l’instant je ne perçois pas encore. Cela pourrait être un concentré de tous les personnages ; et de l’enfance, avec aussi cette chose impersonnelle que mes amis me défient d’y mettre : la fuite du temps et ce qui en découle : une rupture d’unité dans mon dessein. Ce passage-là (je conçois le livre en trois parties : 1. à la fenêtre du salon ; 2. sept ans plus tard ; 3. la promenade) m’intéresse beaucoup. » (Journal, Lundi 20 juillet)

    J’ai pensé à Proust en retrouvant ici les émotions d’un petit garçon choqué par ce qui vient contrarier la bienveillance maternelle à son égard, et tout au long de ce roman. Dans leur maison près de la mer où ils passent l’été, les Ramsay et leurs huit enfants accueillent des invités parmi lesquels Lily Briscoe, 33 ans. La jeune femme peint ; elle incarne, malgré ses échecs, l’aspiration à créer, à représenter l’instant, l’espace, la vie. S’il est « impossible de prendre sa peinture très au sérieux », « c’était là une petite créature indépendante et Mrs. Ramsay l’aimait à cause de cela. »

    En se regardant dans la glace, celle-ci voit « à cinquante ans, ses cheveux gris et sa joue creuse », alors que les autres perçoivent son extraordinaire rayonnement en tant que mère et maîtresse de maison. La sœur de Virginia Woolf, en lisant La promenade au phare, est bouleversée d’y retrouver leur mère si présente : « Elle a vécu le livre : a trouvé presque pénible cette résurrection des morts » (Journal, Lundi 16 mai 1927). Celle-ci, ou du moins Mrs. Ramsay, admire son mari philosophe, malgré son caractère tranchant, et quand elle s’émerveille de « la grande assiettée d’eau bleue » posée devant elle et du « Phare austère et blanc de vieillesse » au loin, c’est encore à lui qu’elle pense : « C’était là la vue qu’aimait son mari, dit-elle en s’arrêtant, tandis que ses yeux prenaient une couleur plus grise. »

    En relisant ce roman, à la trame si simple et à la vision si complexe qu’on se demande comment en parler, j’ai été frappée, sans doute plus qu’à la première lecture, par les répétitions qui rendent cet étirement de la vie au fil des jours, des leitmotivs comme « Erreur, erreur fatale ! » (Mr. Ramsay hurle des mots, des vers quand il se promène) ou « la beauté » de sa femme, incomparable, qui fascine tous les autres : « Elle était femme, et en conséquence, on venait naturellement la trouver, toute la journée, tantôt pour une chose et tantôt pour une autre (…) ; elle avait souvent l’impression de n’être qu’une éponge imbibée d’émotions humaines. »

    L’observation de ce qui se passe entre les êtres, entre les hommes et les femmes, occupe une grande place dans ce tableau vivant qu’est La promenade au phare. Du point de vue de Mrs. Ramsay, le plus souvent, dans la première partie : « Il y avait dans Lily une veine de quelque chose ; une flamme de quelque chose ; de quelque chose bien à elle que Mrs. Ramsay aimait en vérité beaucoup, mais qui, elle le craignait, ne plairait à aucun homme. »

    Virginia Woolf montre son héroïne toute en sensibilité, attentive à ce qui accorde ou désaccorde, accueillant les mille éclats d’une journée ordinaire comme un prisme. Chacun, même au milieu des autres, est seul dans ses pensées, ses émotions. Pourquoi et comment fait-on tel geste, dit-on telle ou telle chose, et quelles en sont les répercussions autour de soi ? Comment percevons-nous le monde, la vie ?

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    https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d9/LighthouseMap.pdf

    Quand Mrs. Ramsay ne sera plus là, elle y sera encore, dans cette maison un temps à l’abandon puis réveillée, dans ce jardin, ces nuits, ces jours, ces tempêtes… La promenade tant rêvée par James est à jamais perdue, même quand Mr. Ramsay l’organise dix ans plus tard pour deux de ses enfants qui n’en veulent plus. La jeune Cam, regardant la mer et l’île, fidèle au pacte passé avec son frère James, se tait et répète en elle-même le vers souvent cité par son père : « nous pérîmes, chacun tout seul ». Quant à Lily Briscoe, restée dans le jardin des Ramsay, elle aura sa « vision » et mettra la dernière touche à sa toile.

    Une lecture commune à l'invitation de Claudialucia (Ma Librairie)

  • L'Espérance

    bxl art déco l'espérance.jpg« Une halte dans cette brasserie, une des ultimes réalisations de l’architecte, est indispensable ! Elle conserve sa devanture revêtue de marbre et dont l’imposte est garnie d’une composition géométrique de vitrages imprimés. L’intérieur a conservé la plus grande partie de son mobilier d’origine : lambris, banquettes, poufs, tables basses, bar-comptoir, vitraux, jardinières...

    L’établissement se double d’un hôtel dont les chambres étaient autrefois décorées dans le même style. Pendant longtemps, le lieu, caché entre l’église du Finistère et les boulevards, avec son atmosphère feutrée, a accueilli des couples désireux d’un peu de discrétion... »

    Cécile Dubois, Bruxelles Art Déco

    L’Espérance, Léon Jean Joseph Govaerts, 1930 (Photo Café L’Espérance, 2014 © Jean-Charles)

     

  • Bruxelles Art Déco

    A la lecture de leur Bruxelles Art nouveau, j’ai eu envie de découvrir aussi le premier guide de Cécile Dubois et Sophie Voituron : Bruxelles Art Déco. Même format et même présentation pratique pour ces promenades à travers différents quartiers, « un aperçu de l’architecture des années 20 et 30 ». L’Art nouveau, éphémère, ne survit pas à la première guerre mondiale. L’Art Déco et le Modernisme prennent le relais, de manière plus durable. Aujourd’hui encore, l’Art Déco inspire les architectes et les décorateurs.

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    (Vue arrière de la Villa Empain / Entrée du musée Van Buuren)

    Malgré les nombreux problèmes économiques et sociaux de l’entre-deux-guerres, rappelle Cécile Dubois dans l’introduction, la population bruxelloise voit son niveau de vie s’améliorer globalement, les loisirs se font plus accessibles et plus nombreux : jazz et musiques populaires, nouvelles salles de cinéma, constructions sportives… Les habitations deviennent plus confortables, pas seulement pour les privilégiés qui font appel à des « ensembliers pour la décoration de leur intérieur », mais aussi dans les logements ouvriers.

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    Villa Dirickz, Marcel Leborgne, 1933

    La construction du Palais Stoclet (1905-1911), par laquelle Josef Hoffmann révèle à Bruxelles la Sécession viennoise, « variation autrichienne de l’Art nouveau », a marqué les architectes belges et annoncé l’Art Déco. Celui-ci prolonge la veine décorative de l’Art nouveau géométrique : lignes épurées, motifs répétés et stylisés, mise en œuvre de matériaux traditionnels et modernes. « Le Modernisme, par contre, cherchait à bannir le recours à l’ornement et toute référence à des styles plus anciens. » Les deux styles se mélangent parfois. L’influence vient aussi des Pays-Bas avec l’Ecole d’Amsterdam et De Stijl. 

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    Ancien INR, place Flagey, Joseph Diongre, 1935-1938

    De nombreux bâtiments phares ont leur place dans ce guide bruxellois. Par exemple, au cours de la première promenade – « Les étangs d’Ixelles et l’avenue Roosevelt, de La Loge à la Villa Empain » – le Flagey, comme on appelle aujourd’hui l’Institut national de la Radiodiffusion (INR). Joseph Diongre, l’architecte gagnant du concours, construit de 1935 à 1938 ce bâtiment immense de style paquebot sur la place Flagey : brique de parement jaune, « fenestrages en bandeau », tourelle d’angle, aménagement intérieur très soigné. La RTB quitte les lieux en 1974, le bâtiment vivote et décline pendant une vingtaine d’années jusqu’à ce qu’un groupe de personnalités décide de le sauver et de le restaurer. Flagey a rouvert ses portes en 2002, ses studios accueillent à présent des activités culturelles et le café Belga un public nombreux.

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    Palais de la Folle Chanson, Antoine Courtens, 1928 © MRBC-DMS 

    La loi du 8 juillet 1924 a rendu légal le principe de copropriété, d’où l’essor de la construction d’immeubles à appartements destinés à la bourgeoisie. D’abord de style Beaux-Arts, pour rassurer la clientèle traditionaliste, ils se font de plus en plus modernes, avec une structure et des fondations en béton armé, et proposent sur un seul niveau toutes les commodités réservées avant cela aux hôtels de maître : « ascenseurs, cuisines équipées, salles de bain, concierge, garages, vide-ordures, chauffage central, buanderie, placards, téléphone… »

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    Habitation personnelle et appartements, Adrien Blomme, 1928 © MRBC-DMS

    Adrien Blomme construit à l’angle de la prestigieuse avenue Franklin Roosevelt et de l’avenue Antoine Depage, en 1928, une habitation personnelle pour sa famille de six enfants et intègre dans son projet « trois petits appartements et deux plus spacieux réservés à des locataires et tout à fait indépendants de son habitation à lui et de ses bureaux », par souci d’économie. La Ville le rejette d’abord pour des motifs d’esthétique et de gabarit, puis l’accepte à la suite de l’abondant courrier de ses confrères, dont Victor Horta, pour le soutenir – « un plaidoyer pour l’architecture moderne » – et critiquer la pratique du pastiche pour le bâtiment A de l’ULB (Université Libre de Bruxelles) de style néo-Renaissance flamande (1924-1928).

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    Etablissements Citroën, Alexis Dumont et Marcel Van Goethem, 1933-1934

    Bruxelles Art Déco propose aussi de se promener du côté du canal, « du Saillant de l’Yser à l’Archiduc » (piano-bar), en passant par les Etablissements Citroën dont on a beaucoup parlé ces dernières années à Bruxelles : l’ancienne concession automobile a été rachetée par la Ville de Bruxelles en vue d’y créer un musée d’art moderne et contemporain. Depuis la fermeture du Musée d’Art moderne, les collections nationales belges du XXe d’après 1918 n’ont plus de musée ad hoc (musée sans musée) et on a appris récemment un accord passé entre la Ville et le Centre Pompidou pour y présenter d’autres collections que celles des MRBAB*.

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    L'Archiduc, Franz Van Ruyskensvelde, 1937

    L’Art Déco n’est pas réservé aux maisons, villas et immeubles, il caractérise aussi des habitations sociales, des entrepôts, des bâtiments industriels, des commerces, des bureaux, des écoles et même des hôpitaux comme Saint-Pierre ou Bordet (promenade dans le centre-ville). Quant au Palais des Beaux-Arts (photo ci-dessous) où je vous invite régulièrement, rue Ravenstein et rue Royale, certains ignorent peut-être qu’il a été conçu par Victor Horta, le maître belge de l’Art nouveau, qui a su évoluer avec le temps. Art Déco « d’une veine sobre d’inspiration classique », ce magnifique complexe rebaptisé Bozar a été récemment restauré, pour le bonheur des visiteurs de ses expositions et du public mélomane (la salle Henry Le Bœuf est réputée pour son acoustique excellente).

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    Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar)

    Le quartier Coghen « de l’Altitude Cent à l’Hôtel Haerens » abrite de nombreuses maisons particulières intéressantes pour cette période de l’architecture du XXe siècle et aussi l’église Saint-Augustin (béton armé). Les lecteurs de Bruxelles Art Déco pourront découvrir les quartiers Molière et Brugmann à Uccle, Ixelles et Forest, et enfin l’ouest de Bruxelles, « de l’église Saint-Jean-Baptiste à Tour et Taxis ».

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    Basilique nationale du Sacré-Coeur, Albert Van Huffel, Paul Rome, 1926-1971

    Sur ce dernier parcours se dresse une silhouette incontournable dans le paysage urbain bruxellois : la Basilique nationale du Sacré-Cœur (1926-1971), plus communément appelée Basilique de Koekelberg, une rivale du Sacré-Cœur de Paris et, à l’époque de sa construction, « le deuxième plus grand édifice religieux au monde. »

    * 2/11/2016 : Lire à ce sujet l’article de Muriel de Crayencour, Pompidou aurait adoré (Mu in the City)