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Littérature - Page 97

  • Formule secrète

    ito ogawa,la papeterie tsubaki,roman,littérature japonaise,écrivain public,écriture,lettres,cuisine,japon,cuture« – C’est la formule secrète du bonheur, que j’ai appliquée toute ma vie, a-t-elle dit en riant.

    – Apprenez-la moi !

    – Eh bien, il faut se dire à l’intérieur : « Brille, brille. » Tu fermes les yeux et tu répètes « Brille, brille », c’est tout. Et alors, des étoiles se mettent à briller les unes après les autres dans les ténèbres qui t’habitent, et un beau ciel étoilé se déploie. »

    Ito Ogawa, La papeterie Tsubaki

  • La papeterie d'Ogawa

    Cadeau de Noël bien choisi, La papeterie Tsubaki de Ito Ogawa (traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako) a clôturé cette année de lecture en douceur. Munie du plan de Kamakura dessiné au début du livre, j’y ai suivi les allées et venues aux quatre saisons de la narratrice Hatoko (Poppo), qui a repris la papeterie de sa grand-mère (l’Aînée), disparue trois ans plus tôt, dans le respect des traditions de la famille Amemiya, « une lignée d’écrivains calligraphes qui remonte, paraît-il, au XVIIe siècle », des « femmes à tout faire du pinceau ».

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    Couverture originale de La papeterie Tsubaki (Tsubaki bunguten)

    Chacune de ses journées commence avec un thé bien chaud – boissons et mets japonais défilent tout au long du roman, consommés en solo ou, le plus souvent, avec d’autres. Chaque visiteur de la papeterie reçoit quelque chose à boire avant toute chose. Hatoko, qui avait fui cette maison et rejeté l’éducation stricte de sa grand-mère, pense souvent à elle. L’Aînée, qui l’a élevée sans jamais lui parler de sa mère qu’elle n’a pas connue, a laissé des traces partout, comme cette devise calligraphiée de sa main : « Mange amer au printemps, vinaigré l’été, piquant l’automne et gras l’hiver ».

    La vie quotidienne de la jeune papetière, vingt-cinq ans, est rythmée par les tâches domestiques, les relations de quartier (sa voisine Mme Barbara, la plus proche, le Baron, une fillette) et surtout le passage des clients pour des demandes en tous genres à l’écrivain public : cartes de vœux, condoléances, lettres manuscrites attentionnées (devenues plus rares que les mails), messages très particuliers…

    Chaque demande doit être traitée avec soin, non seulement dans l’expression du contenu, mais dans le choix d’un papier, d’une encre, d’un outil d’écriture en harmonie avec le ton de l’expéditeur et la qualité du destinataire, y compris pour l’enveloppe. L’écriture avec ses accessoires et l’art de la calligraphie sont une composante essentielle de la vie d’Hatoko. Elle a tenu son premier pinceau personnel à six ans, « fabriqué avec des mèches de [sa] chevelure de bébé ». Ses écrits et une reproduction de leur calligraphie s’insèrent tout au long du roman.

    A chaque saison, des rituels sont à accomplir, rites de purification, visites aux sanctuaires. Le soir, elle mange le plus souvent dehors ; les restaurants ne manquent pas à Kamakura où les touristes sont nombreux. Quand une de ses connaissances lui propose d’aller quelque part, Hatoko est presque toujours disponible. Les plats japonais sont appelés par leur nom, parfois décrits, parfois évoqués seulement par les sensations, l’odorat, le goût, l’appréciation.

    Hatoko se doit d’être à la fois discrète et attentive – la description de chaque visite à l’écrivain public montre sa grande délicatesse quand elle écoute et s’assure de bien comprendre ce qu’on attend d’elle. Elle a été à bonne école avec sa grand-mère, elle s’en rend compte. Adolescente rebelle, elle avait le sentiment qu’on lui volait sa jeunesse. Après le bac, elle a suivi des études de design. A présent, elle s’intéresse plus aux autres qu’à elle-même.

    D’une rencontre à l’autre, la personnalité de la narratrice se dessine en creux, à travers l’estime suscitée par son travail soigné et par sa gentillesse envers tous. A travers quatre saisons de la papeterie Tsubaki, Ito Ogawa révèle sa passion pour la calligraphie comme pour la cuisine. Tout le récit est imprégné de la culture japonaise, dont elle cite aussi des paroles de sagesse. Par exemple, la maxime zen « Je connais seulement la satisfaction », une invitation « à trouver la plénitude dans ce que l’on possède ». Ou encore : « Plutôt que de rechercher ce qu’on a perdu, mieux vaut prendre soin de ce qui nous reste. »

    La nature est présente ici, avec moins de lyrisme que dans Un automne à Kyoto, le récit de Corinne Atlan auquel j’ai souvent pensé en lisant La papeterie Tsubaki. Bien qu’écrit plus simplement, ce roman est truffé de belles choses, comme ce rituel sacré dans la famille Amemiya, « l’adieu aux lettres ». Il est difficile de conserver toutes les lettres et cartes reçues, aussi peut-on les envoyer à la papeterie qui se charge, une fois par an, en toute discrétion, de réduire ces lettres en cendres à la place de leur destinataire.

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    Affiche de l'adaptation télévisée

    L’écriture manuscrite et son « supplément d’âme », l’enveloppe « visage de la lettre », l’écriture « en miroir » qui fait prendre conscience de la très imparfaite vision de nous-même que renvoie notre reflet, Ito Ogawa magnifie toutes les composantes des échanges épistolaires dans ce récit plein d’empathie et de sympathie – pas seulement pour les mots, mais aussi voire surtout pour les êtres.

  • Compagnie

    « Et une œuvre d’art a beau être belle, poétique, riche d’effets et intéressante, ce n’est pas une œuvre d’art si elle n’éveille pas en nous cette émotion toute particulière, la joie de nous sentir en communion d’art avec l’auteur et avec les autres hommes en compagnie de qui nous lisons, voyons, entendons l’œuvre en question. »

    Tolstoï, Qu’est-ce que l’art ?

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    La Nativité, 1400–1500, Pays-Bas Utrecht © 2007 Musée du Louvre / Pierre Philibert

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    Bonne fête de Noël à toutes & à tous !

    Je vous souhaite une fin d'année en douceur
    et vous donne rendez-vous sur T&P l'an prochain.

    Tania

  • L'art selon Tolstoï

    Qu’est-ce que l’art ? A 70 ans, Tolstoï (1828-1910) publie sa réponse à cette question qu’il se pose depuis des années. Dans l’édition « Quadrige » (4e tirage, PUF, 2020), Michel Meyer intitule sa préface « Tolstoï : un précurseur de l’esthétique moderne » – étonnant quand on pense au critère tolstoïen de la « conscience religieuse » qui fonde l’art véritable selon lui.

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    Mais sa façon d’aborder l’histoire de l’esthétique ne manque pas de pertinence : le grand écrivain russe questionne les rapports entre l’art, le beau, le plaisir, la vérité, le divertissement. « Et là, Tolstoï se révèle étrangement disciple de Bourdieu avant la lettre. Il définit l’œuvre d’art comme ce qui est reconnu ou affirmé tel par un cercle de gens, issus des classes supérieures. » (M. Meyer)

    Tolstoï s’insurge contre les sommes énormes dépensées pour « l’entretien de l’art en Russie » au détriment de l’éducation du peuple. En assistant à la répétition d’« un de ces opéras nouveaux, grossiers et banals, que tous les théâtres d’Europe et d’Amérique s’empressent de monter », il a découvert dans les coulisses des ouvriers qui travaillent « dans les ténèbres et la poussière », entendu les insultes lancées aux figurants, choristes, danseurs, musiciens par le chef d’orchestre ou le régisseur et trouvé dégradante la façon dont on les traitait.

    « Mais est-il vrai que l’art soit assez important pour valoir qu’on lui fasse de tels sacrifices ? » Est-il si précieux ? si indispensable pour l’humanité ? Pour répondre, Tolstoï cherche « où donc réside le signe caractéristique d’une œuvre d’art ». Chez divers théoriciens, il s’enquiert d’une définition de la beauté qui formerait « la matière de l’art » et n’en trouve que des notions confuses.

    Le chapitre II, « La Beauté », reprend les réponses lues dans divers ouvrages européens. Kant la décrit comme « ce qui plaît (…), sans concept et sans utilité pratique ». Les opinions sont diverses et partout « se retrouvent, invariablement, le même vague et la même contradiction. » Aussi Tolstoï distingue l’art de la beauté. Celle-ci n’ayant pas de définition objective, il faut faire abstraction de la beauté pour comprendre l’art, chercher son rôle profond.

    « Toute œuvre d’art a pour effet de mettre l’homme à qui elle s’adresse en relation, d’une certaine façon, à la fois avec celui qui l’a produite et avec tous ceux qui, simultanément, antérieurement, ou postérieurement, en reçoivent l’impression, (…) par la parole, l’homme transmet à autrui ses pensées, tandis que par l’art il lui transmet ses sentiments et ses émotions. »

    C’est pourquoi l’art est aussi important que le langage lui-même. Littérature, concert, expositions ne constituent « qu’une partie infime de l’art véritable », selon Tolstoï, celui-ci intègre aussi les berceuses, les danses, les contes, le mime, les offices religieux… « A toute époque, et dans toute société humaine, il y a un sens religieux de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, commun à la société entière ; et c’est ce sens religieux qui décide de la valeur des sentiments exprimés par l’art. »

    Cette conception est liée à l’évolution personnelle de Tolstoï, pour qui le christianisme indique le chemin vers les humbles ; elle varie selon les sociétés, les époques. Il pourfend le « faux art » qui se répand en Europe, les théories esthétiques modernes justifiant « la fausse position dans laquelle vit une certaine partie d’une société ». Il en résulte une scission entre l’art du peuple et celui des « délicats. » Or « l’oppression des masses » est une condition nécessaire à cet art inintelligible pour le peuple.

    L’art qui s’éloigne des « plus hauts sentiments de l’humanité, c’est-à-dire ceux qui découlent d’une conception religieuse de la vie » est un leitmotiv de Qu’est-ce que l’art ? Tolstoï ne cesse d’y reprocher leur oisiveté aux privilégiés, coupables de la « perversion » de l’art. Ses conséquences sont l’appauvrissement artistique, la recherche de l’obscurité – qu’il illustre en citant Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Maeterlinck ! – et la « contrefaçon de l’art ». Pour satisfaire leur public, les créateurs recourent aux emprunts, aux ornements, aux effets « de saisissement » et à « l’excitation de la curiosité ».

    Aux symbolistes, il reproche d’être inaccessibles à la compréhension de tous. L’œuvre de Wagner est pour lui le « modèle parfait de la contrefaçon de l’art » : le récit du spectacle auquel il a assisté à Moscou, la seconde journée de L’Anneau du Nibelung, est une satire très drôle – « C’est comme si on ressentait, indéfiniment, un espoir de musique, aussitôt suivi d’une déception. »  Les critiques de Tolstoï, si elles surprennent quand il évoque ses contemporains les plus fameux, semblent bien s’ajuster aux productions de certains faiseurs de l’art actuel. « Prenant dans la société le rôle d’amuseurs des riches, ils perdent tout sentiment de la dignité humaine. » L’art comme divertissement, il le pressentait, avait de beaux jours devant lui.

    J’ai souvent sursauté aux propos excessifs. Pour Dominique Fernandez (Avec Tolstoï) qui m’a encouragée à lire cet essai où, « âne bâté ou prophète », Tolstoï « s’acharne à défendre des points de vue choquants pour la majorité de ses lecteurs et admirateurs. » Mais Qu’est-ce que l’art ? témoigne d’une volonté réelle de comprendre le sens de l’art et de démasquer les procédés trompeurs. Tolstoï garde espoir dans l’art véritable, vital, et aussi dans la science qui montrerait « comment nous pouvons profiter des biens de la terre sans écraser pour cela d’autres vies humaines, et quelle doit être notre conduite à l’égard des animaux » – son humanisme est sincère et profond.

  • Regardons

    Pastoureau le-petit-livre-des-couleurs 2017.jpg« Nos couleurs sont des catégories abstraites sur lesquelles la technique n’a pas de prise. Je crois qu’il est bon de connaître leurs significations, car elles conditionnent nos comportements et notre manière de penser. Mais, une fois que l’on est conscient de tout ce dont elles sont chargées, on peut l’oublier. Regardons les couleurs en connaisseur, mais sachons aussi les vivre avec spontanéité et une certaine innocence. »

     

    Michel Pastoureau, Dominique Simonnet, Le petit livre des couleurs

    Couverture 2017