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spiritualité

  • De l'être

    anne le maître,un si grand désir de silence,essai,littérature française,silence,retrait,sens,lenteur,être,spiritualité,abbaye,culture« J’ai appris que le silence n’est pas une modalité de vie mais un état de l’être. Qu’on peut être en paix au milieu d’une foule et en effervescence au sommet d’une colline déserte. Et qu’il dépend de chacun d’être à lui-même ou non son bruit ou son silence. »

    Anne Le Maître, Un si grand désir de silence

     

    Fernand Khnopff, Le silence de la neige (détail), 1916

  • Désir de silence

    Parfois des fils imprévus lient des lectures l’une à l’autre. De Nathalie Skowronek à Lola Lafon, par exemple. Et même de l’album de Pastoureau, Blanc, à Un si grand désir de silence d’Anne Le Maître. Pas seulement pour l’éventail et le bol figurant sur la nature morte de la couverture, ou pour le blanc monacal qui s’invite ici et là. On parle de « blanc » lorsqu’un silence soudain se produit à la radio ou dans une conversation. Le blanc serait-il la couleur du silence ?

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    « Car faire silence, et c’est peut-être là le point de départ de ma réflexion, ce n’est pas la même chose que se taire, ou du moins on ne saurait l’y réduire. » Le silence n’est pas que le contraire du bruit. « Le silence porte accueil et disponibilité, ascèse, écoute et ouverture. »  L’introduction d’Anne Le Maître donne déjà des clés : « pour moi le silence est une source. Et pour moi le silence est un combat. »

    Un petit matin dans sa maison « emmitouflée de nuit et de brouillard », quasi silencieuse, ne lui fait que mieux entendre « gronder » la rumeur du monde : toutes les choses à faire, les soucis, les « mouches noires » qui tournent dans la tête – « Malgré le silence de l’aube, dans le parfum doux du thé qui fume, je ne suis que bruit. »

    « Cette heure d’avant le jour » est son défi quotidien : se laisser inviter par le silence, se taire, se mettre à l’écoute. Avec l’entraînement, s’en faire « un îlot de paix ». Et voilà une distinction importante, entre vie active et vie contemplative, lié chez elle à un « rêve d’abbaye » ; elle fréquente volontiers l’abbaye de Landévennec, trouve un havre dans les lieux de silence, à l’écart de notre « civilisation du vacarme ».

    L’homme moderne « se doit d’être agissant, positif et plein de vie », reléguant le silence en compagnie de « ces trois repoussoirs du monde moderne que sont l’inactivité, la religiosité et la mort ». En 2020, quand du confinement contre la pandémie a surgi un calme inattendu dans le ciel, les rues, les jardins où on réentendait le chant des oiseaux, la tranquillité a vite été troublée par l’agitation médiatique, les débats, les protestations, un trop-plein de chiffres et d’images.

    « La quête de sens, le silence, la lenteur n’ont aucune valeur sur le marché du tohu-bohu ambiant. En revanche, notre attention – notre « temps de cerveau disponible » – est devenue un bien marchand sur lequel des cohortes de négociants ont des vues très précises. » Si Anne Le Maître dénonce les travers de notre époque « bavarde », ce n’est pas par conservatisme ou nostalgie. Elle réhabilite la place du vide et de l’ennui dans nos existences, montre l’importance de se « désencombrer » : « Il est possible de jeûner de bruit comme on jeûne de nourriture. » On y retrouve de l’énergie.

    Le silence ouvre la porte à la vie intérieure – il y a sans doute aussi un fil entre ce livre et L’Esprit de solitude de Jacqueline Kelen ou, dans une approche très différente, Histoire du silence d’Alain Corbin – mais ce travail ou disons cet exercice sur soi-même n’exclut pas l’autre, au contraire. « Prendre le temps d’une retraite, d’un retrait du monde : vivre un temps fécond plutôt qu’utile. » Se taire, c’est aussi se mettre à l’écoute. De soi, de « plus grand que soi », des autres, du vivant.

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    Anne Le Maître de retour d'Ouessant (Bleu de Prusse)

    Un si grand désir de silence n’est ni un essai philosophique, ni un ouvrage d’érudition. Cette réflexion me parle beaucoup parce qu’elle est irriguée d’expérience personnelle, de peurs et de douleurs, de marche et de contemplation, de lectures et d’aquarelles. « Le silence accorde intérieur et extérieur : je suis dans le flot du réel comme un nageur heureux dans le courant, baigné, porté, serein. Je suis la rivière des heures. » Magnifique métaphore. Sagesse de l’herbe nous invitait à cheminer, ce nouveau texte d’Anne Le Maître, beau et nourrissant, propose toutes sortes de manières de faire silence, d’être pleinement vivant.

  • Credo

    tesson,la panthère des neiges,récit,littérature française,tibet,munier,photographie animalière,nature,culture,spiritualité,vie sauvage« Nous étions nombreux, dans les grottes et dans les villes, à ne pas désirer un monde augmenté, mais un monde célébré dans son juste partage, patrie de sa seule gloire. Une montagne, un ciel affolé de lumière, des chasses de nuages et un yack sur l’arête : tout était disposé, suffisant. Ce qui ne se voyait pas était susceptible de surgir. Ce qui ne surgissait pas avait su se cacher.
    C’était là le consentement païen, chanson antique.
    – Léo, je te résume le Credo, dis-je.
    – J’écoute, dit-il poliment.
    – Vénérer ce qui se tient devant nous. Ne rien attendre. Se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au-dessus des ruines. Jouir de ce qui s’offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu’il demeure. 
    Léo fouillait la montagne au télescope. Il était trop concentré pour m’écouter vraiment, ce qui me donnait l’avantage de pouvoir continuer mes démonstrations.
    – Les champions de l’espérance appellent « résignation » notre consentement. Ils se trompent. C’est l’amour. »

    Sylvain Tesson, La panthère des neiges

  • A l'affût avec Munier

    La panthère des neiges de Sylvain Tesson connaît un tel succès que j’ai préféré nommer en premier celui grâce à qui l’écrivain a rencontré cette « reine » : Vincent Munier, « amoureux du vivant », récompensé par un César cette année pour son documentaire sur le fabuleux félin. Lors de leur premier affût pour « voir des blaireaux dans la forêt », Munier l’avait invité à l’accompagner au Tibet pour apercevoir une bête qu’il poursuivait depuis six ans, « l’esprit de la montagne descendu en visite sur la Terre, une vieille occupante que la rage humaine avait fait refluer dans les périphéries. »

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    © Vincent Munier, La panthère des neiges

    Au début de février, Munier, Marie, sa fiancée et cinéaste animalière, Léo, un philosophe devenu « aide de camp de Munier » et Sylvain Tesson, dont la colonne vertébrale ne supporte plus les charges, partent à la rencontre de la panthère. – « La « bande des quatre », c’est nous, dis-je comme l’avion se posait en Chine. » Il fournira les calembours. L’écrivain pense aussi à quelqu’un qui n’ira plus nulle part avec lui, « une fille des bois, reine des sources, amie des bêtes », aimée et perdue.

    De Yushu, il leur faut trois jours en automobile pour se rendre au sud des monts Kunlun d’où ils iront jusqu’à la « vallée des yacks » – Tesson a promis de taire les noms exacts des lieux pour les protéger des chasseurs. A -20°C au Tibet sous le soleil, Munier les emmène d’abord à la rencontre des yacks, « totems de la vie sauvage », entre 4600 et 4800 mètres d’altitude. Vers le soir, les loups « chantent » : Munier hurle à son tour, un loup répond, « une des plus belles conversations tenues par deux êtres vivants certains de ne jamais fraterniser ». 

    Quitter le sac de couchage est une souffrance, sortir de la cabane pour se mettre en marche une jouissance. « Un quart d’heure d’effort suffit toujours à ranimer un corps dans une chambre froide. » Ils sont trois à suivre Munier qui suit les bêtes. Quand elles apparaissent, ils cessent de penser au froid. Par ses photos, Munier « rendait ses devoirs à la splendeur et à elle seule. Il célébrait la grâce du loup, l’élégance de la grue, la perfection de l’ours. » Regard d’artiste, loin des « obsédés de la calculette » qui cherchent à mettre le réel en équation, loin de la chasse destructrice.

    Avant la panthère invisible, Munier leur présente les « habitants des lieux » : ânes sauvages, antilopes du Tibet. « Son œil décelait tout, je ne soupçonnais rien. » Les autres sont déjà plus entraînés à « voir l’invisible ». Tesson reconnaît avoir exploré le monde en passant « à côté du vivant » et découvre qu’il déambule « parmi des yeux ouverts dans des visages invisibles » (comme en peignait Séraphine dans les arbres.

    La nuit, les prédateurs chassent, par nécessité. « La vie me semblait une succession d’attaques et le paysage, stable d’apparence, le décor de meurtres perpétrés à tous les échelons biologiques, de la paramécie à l’aigle royal. » Les heures d’affût sont propices à l’interrogation philosophique – « L’affût était une prière. En regardant l’animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. L’art aussi servait à cela : recoller les débris de l’absolu. »

    Le dixième jour, ils partent en Jeep vers le lac Yaniugol, à cent kilomètres, « suspendu en pleine steppe » ; ils escaladent une « pyramide surnageant du massif » pour disposer d’un « balcon sur l’étendue ». Le soir, les yacks apparaissent, « lourds, puissants, silencieux, immobiles : si peu modernes ! » Au réveil, à quatre heures du matin, il fait -35°C. S’habiller sans prendre froid demande toute une organisation, des gestes précis. Ils montent à 5200 mètres. Ils ne voient rien ce jour-là. Le temps de confronter Tao et bouddhisme.

    Après « L’approche » et « Le parvis », « L’apparition », troisième et plus longue partie du récit, est centrée sur la panthère que Munier a déjà observée sur la rive droite du Mékong. « Les noms résonnent et nous allons vers eux, aimantés. » Sur la route de Zadoï, Munier marmonne des noms de bêtes, Tesson questionne le sentiment d’amitié qu’il ressent toujours dans les steppes – un ancêtre mongol ?

    En route vers la bergerie où Munier veut installer leur camp de base, voici un chat de Pallas, « sa tête hirsute, ses canines-seringues et ses yeux jaunes corrigeant d’un éclat démoniaque sa gentillesse de peluche ». Munier photographie, Marie filme, Tesson admire ces « deux jeunes dieux grecs » si complices.  Les apparitions de la panthère des neiges sont d’une intensité rare et merveilleusement racontées. Croiser le regard de la panthère lui rappellera la femme qu’il aimait et sa mère disparue aussi. Tesson a l’art de poser des mots sur sa traversée du monde, ici à l’école de l’immobilité et du silence.

  • Bleu divin

    arditi,l'homme qui peignait les âmes,roman,littérature française,iconographie,religion,peinture,sensualité,spiritualité,xie siècle,proche-orient,culture« De toutes les icônes exposées, la sienne était la seule à ne pas être recouverte d’or, à l’exception de l’auréole du Christ, marquée par un fin cercle. Le reste du fond était un bleu ciel exceptionnel d’éclat et de profondeur, qu’il avait obtenu grâce à une pierre trouvée sur les hauteurs de Mar Saba, et qu’il avait appelé Bleu divin.
    Sa découverte était due au hasard. Un jour qu’il remontait en direction de Bethléem, un reflet jaillit d’un rocher, qui le frappa par sa brillance. Il s’approcha de la pierre et constata qu’elle contenait des cristaux bleutés. Il en détacha quelques fragments et, à son retour à l’atelier, pulvérisa l’un d’eux avant de le mélanger à de l’huile de lin. La teinte obtenue sur une couche de levkas l’avait laissé sans voix. »

    Metin Arditi, L’homme qui peignait les âmes