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L'Esprit de solitude

Jacqueline Kelen a conquis un large public, en 2001, avec L’Esprit de solitude – une nourriture saine par ces temps qui nous confinent. Il ne faut pas nécessairement vivre seul pour entrer dans la voie qu’elle défend. L’essai s’ouvre sur une déclaration : « La solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu’en cet état nous nous découvrons infiniment libres et que la liberté est ce à quoi nous sommes le moins prêts. »

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Jean van Eyck, Le mariage des époux Arnolfini (détail)

Magnifique prologue sur la solitude qui fait « tenir debout, avancer, créer ». Solitaire, Jacqueline Kelen l’est, « pour honorer la précarité humaine et ne pas démériter de l’Esprit ». Contre la société entêtée « à vouloir nier ou combattre la solitude – ce fléau, ce malheur – afin d’entretenir l’illusion d’un partage total et transparent entre humains, d’une communication étendue à la planète entière, allant de pair avec une solidarité sans faille. »

C’est confondre la solitude avec l’isolement, c’est parler trop peu « de cette conduite de vie solitaire qui favorise la réflexion et affermit l’indépendance, de cette solitude belle et courageuse, riche et rayonnante, que pratiquèrent tant de sages, d’artistes, de saints et de philosophes. » On peut choisir la solitude : « Lorsqu’on vit seul, ce n’est pas manque de chance ni absence d’amour : c’est que justement jamais on ne se sent seul, que chaque instant déborde de possibles floraisons. »

Relire, je l’observe à chaque fois, c’est redécouvrir les vibrations de la première lecture, s’arrêter aux passages cochés, en souligner d’autres auxquels on est plus sensible à présent. L’Esprit de solitude ne considère pas les situations douloureuses de l’isolement social, c’est une défense de « la vraie solitude – celle qui est à la fois remplie et légère, celle qui ouvre, rend disponible et relie ». « Habitare secum », habiter avec soi, « c’est le commencement de tout ». Ce peut être une épreuve, « invitation à se connaître, à surmonter le difficile […], dégager les couches qui obscurcissent notre véritable Moi. »

Pour éclairer ce chemin de solitude, l’essayiste recourt aux mythes, distingue le « je » de l’égo et du moi. Elle constate avec justesse que « personne ne nous apprend à être seul » et que la famille ou l’école laissent trop peu de place au silence où l’enfant peut faire face à lui-même. « Or le solitaire n’est pas celui qui n’aime pas les autres mais celui qui apprécie certains autres, celui qui en tout fait preuve d’élection et cultive les affinités. […] Il préfère toujours la rencontre particulière à la dilution dans une collectivité. »

« Le pacte de Mélusine » est un très beau récit pour illustrer le besoin de solitude dans la vie de couple. La jeune fille gracieuse que Raymondin rencontre à la Fontaine de Soif est une fée, il l’ignore. Mais il l’épouse en acceptant les conditions de Mélusine : ne pas s’enquérir de ses origines, lui laisser la journée du samedi pour elle seule. Le respectera-t-il ? En couple, il est essentiel « de se réserver de grands moments de solitude ou un lieu à part, afin de regarder l’autre différemment et le monde aussi. »

La solitude est un chemin où l’on avance avec les années, une quête que racontent de nombreux textes fondateurs : l’Epopée de Gilgamesh, l’Odyssée, des récits bibliques, des mythes à travers lesquels Jacqueline Kelen nous conduit sur la voie de l’intériorité : « c’est le silence de soi, c’est une attention au monde, une gratitude aussi. » Le solitaire ne demande pas aux autres de le rendre heureux ni ne les accuse de ses propres insuffisances. Commentant l’histoire de Perceval, elle écrit : « moi seul puis poser la juste question ; moi seul puis m’étonner, m’émerveiller, chercher le sens ; nul ne peut le faire à ma place. »

Penseurs, artistes, ermites, écrivains… On rencontre beaucoup de beaux exemples et d’explorations personnelles de la vie solitaire dans L’Esprit de solitude, des hommes et des femmes. Solitude érudite et fertile de Jacqueline Kelen : elle a écrit plus de septante ouvrages depuis 1987. Le dernier s’intitule Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien, sur la parabole du fils prodigue. Si vous avez un de ses autres titres à me recommander, je serai heureuse d’en prendre note.

Commentaires

  • C'et dingue ou t'avais -je parlé d'elle récemment?
    Je lis en ce moment Impatience de l'absolu que j'ai acheté en 4 exemplaires et qui restera sur ma table de nuit; pourtant pas facile du tout à lire en ce moment de ma vie personnelle. Elle m'a écrit, il y a des années de ça. J'ai tout lu ou presque (car j'en ai en réserve). D'elle, j'ai BEAUCOUP aimé Une robe couleur du temps et Le passage de la fée, magistral et que j'offre aux jeunes couples.
    J'ai moins aimé L'esprit de solitude, Hadewijck D'Anvers. Mais tu sais comme tout livre rentre en écho avec nos propres expériences, culture, etc.………...Ce monde si on y prête attention est plein de rencontres; je suis étonnée que tu parles d'elle aujourd'hui!

  • Oui, Anne, tu avais cité Jacqueline Kelen récemment, à propos des "livres qui prennent soin de nous". Elle est une référence pour nombre d'entre nous. Je note les deux titres que tu as beaucoup aimés, merci & bonne semaine.

  • j'ai toujours eu besoin de mes moments de solitude et ça a toujours été très mal accepté...

  • C'est pourtant un besoin essentiel, que chacun devrait respecter.

  • C'est un livre écrit par une solitaire et, je trouve, pour ceux qui le sont aussi. On s'y retrouve, on est conforté par ce plaisir de la solitude.
    Je n'ai jamais rien lu d'autre d'elle, je note les titres. Merci!
    Bonne journée Tania.

  • Une belle défense et illustration de la solitude. Ceux qui ne l'aiment pas la liront-ils ? Peut-être pas, en effet.
    Bonne journée, Colo.

  • Je n'apprécie pas tout ce que fait Jacqueline Kelen, que je trouve parfois un poil surfaite (ayant eu l'occasion de la croiser plusieurs fois, je trouve qu'il y a chez elle un côté mondain qui ne s'accorde pas avec ce qu'elle professe, mais ce peut aussi être une manière de se protéger...). En revanche je suis une inconditionnelle de son très beau livre "L'Eternel Masculin". Je te recommande...
    Bonne journée, Tania, je t'embrasse.

  • La quantité de titres publiés entraîne probablement une qualité inégale. Merci, Anne, pour ce titre sur le masculin, un sujet que je retiens pour ma prochaine visite à la bibliothèque, Dieu sait quand. Un baiser en retour, Anne.

  • Excellente idée. En plus, je crois que je l'ai quelque part chez moi, je vais chercher. Je suis nostalgique de l'époque où elle était productrice sur France Culture.

  • Une époque dont tu sembles garder de bons souvenirs. Bonne après-midi, Aifelle.

  • Que j'ai aimé l'Esprit de solitude et les peintres ! Texte presque révolutionnaire , qui dérange en tout cas !
    Illustré de spledides reproductions parfaitement choisies !Un petit chef- d'oeuvre à la gloire de la solitude contre laquelle la société s'ingénie à lutter !
    Mais il s'agit ici de solitude délibérement choisie ...

  • Je ne connais pas cette version illustrée, mais je peux imaginer qu'elle amplifie la portée du texte, si c'est bien le même texte (comme c'est le cas pour les histoires des couleurs de Pastoureau). Oui, une solitude choisie et revendiquée, d'une grande richesse.

  • Je l'ai beaucoup lue à un certain moment et ces lectures m'ont beaucoup apporté. Je vais aller fureter dans ma bibliothèque pour me rappeler les livres d'elles que j'ai conservés.
    Je crois bien qu'on ne perd jamais son temps à la lire, et à la relire.
    Bonne journée !

  • J'avais noté chez toi "Bréviaire du colimaçon", mais il est resté dans la liste jusqu'à présent. Bonne journée, Marie. La pluie est de retour ici, bienvenue pour les jardins, le soleil sans doute chez toi ?

  • Totale découverte pour moi! Je viens de le noter, puisque ce livre est à la bibli.
    J'avoue avoir besoin de temps en temps de solitude et de silence (de temsp en temps, j'ai dit ^_^)
    On peut compléter par l'écoute de O solitude de Purcell, non?

  • Merci pour cette illustration musicale, Keisha - certainement, un air de toute beauté.

  • j'aime et j'ai besoin aussi de mes moments de solitude. Je n'hésite pas à partir à Orval pour la vivre, à la fois dans la belle nature et les moines, devenus pour certains des amis

  • Hurtebise, Orval, ce sont de beaux endroits pour se mettre en retrait. Bonne journée, Coumarine.

  • D'abord, je voudrais parler de cette main de Van Eyck, elle est magnifique, la finesse de ces doigts, le geste, ce fond sombre... elle m'émeut terriblement.
    J'apprécie énormément Jacqueline Kelen, elle est singulière. Elle arpente de riches jardins, sa culture est grande il me semble et elle sait la partager. Je comprends très bien ce qu'elle dit à propos de la solitude qui est à mon goût un doux pays lumineux dans lequel éclosent des pensées, des sentiments, des illuminations que l'on peut ensuite partager avec l'autre. Merci Tania pour ce cadeau, belle journée à toi. brigitte

  • Oui, ce détail de la main en couverture est sublime, Brigitte. J'ai beaucoup rêvé sur le sens de ce geste dans le tableau où les mains en disent long : réponse à la main de l'épouse sur son ventre, protection, "geste tranquille d'accueil et de bénédiction", écrit Jacqueline Kelen.
    Belle après-midi, Brigitte. Nous rentrons du parc où il y a un peu trop de monde à croiser, malgré les nuages, mais où les arbres sont magnifiés par leurs jeunes parures.

  • Un livre où puiser des forces, aussi. Bonne soirée, Claudie.

  • Lorsque j'ai lu ce livre, j'étais dans une situation psychologique différente d'aujourd'hui et il m'avait séduit.
    J'y retrouve un papier rempli recto/verso de renvois à des passages (je n'annotais pas les livres alors). Je les revisiterai et peut-être serais-je surpris de ce qui m'avait tenu ?
    Aujourd'hui mon chemin n'est pas celui de la solitude mais de l'harmonie en couple, autre voie qui n'exclut pas de se retrouver seul avec soi “pour y puiser force, inspiration et un silence fécond”.
    J. Kelen écrit : "... qu'est-ce qui importe dans cette vie ? Est-ce d'aimer ou bien de faire couple à tout prix ?" Juste question qui n'exclut pas la fortune de s'aimer à deux, durablement.

  • Cela aide de ne pas vivre ce confinement seul, cela suppose une grande écoute, attention, patience l'un envers l'autre pour veiller à cette harmonie - qui n'est pas "faire couple à tout prix", comme vous le citez à bon escient.
    Bon week-end entre averses et éclaircies.

  • Bonjour, ma lecture actuelle me mène à votre blog et votre très beau billet sur L'esprit solitude. Savez - vous pourquoi la lain masculine du tableau Les époux Arnlofini est- elle en couverture ? Merci

  • Bonjour, Agnès. Au chapitre VII, "Un art d'aimer", Jacqueline Kelen évoque ce tableau de Van Eyck et "Le repas de noces" de Brueghel l'Ancien.

  • Oui, quelques heures après mon post, je suis arrivée au dit chapitre. Mille excuses pour mon empressement.

    J'aime beaucoup ce texte qui déculpabilise les solitaires, donne du sens à certaines existences réservées et éloigne la crainte de la solitude. Par contre, il est parfois un peu élevé en matière d'analyse. Mais assurément, on a besoin de livres comme ça aussi.

  • Merci pour votre ressenti, Agnès. Oui, cet éloge de la solitude va à rebours de ce qu'on entend souvent et je le trouve aussi très porteur. Dans un autre genre, moins austère, je vous recommande "Chez soi" de Mona Chollet, que j'ai présenté par ailleurs. Bonne soirée.

  • Merci beaucoup pour cette indication de lecture. Je suis heureuse que L'esprit de solitude m'est mené jusqu'à votre blog.

  • Vous y êtes la bienvenue, merci.

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