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Désir de silence

Parfois des fils imprévus lient des lectures l’une à l’autre. De Nathalie Skowronek à Lola Lafon, par exemple. Et même de l’album de Pastoureau, Blanc, à Un si grand désir de silence d’Anne Le Maître. Pas seulement pour l’éventail et le bol figurant sur la nature morte de la couverture, ou pour le blanc monacal qui s’invite ici et là. On parle de « blanc » lorsqu’un silence soudain se produit à la radio ou dans une conversation. Le blanc serait-il la couleur du silence ?

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« Car faire silence, et c’est peut-être là le point de départ de ma réflexion, ce n’est pas la même chose que se taire, ou du moins on ne saurait l’y réduire. » Le silence n’est pas que le contraire du bruit. « Le silence porte accueil et disponibilité, ascèse, écoute et ouverture. »  L’introduction d’Anne Le Maître donne déjà des clés : « pour moi le silence est une source. Et pour moi le silence est un combat. »

Un petit matin dans sa maison « emmitouflée de nuit et de brouillard », quasi silencieuse, ne lui fait que mieux entendre « gronder » la rumeur du monde : toutes les choses à faire, les soucis, les « mouches noires » qui tournent dans la tête – « Malgré le silence de l’aube, dans le parfum doux du thé qui fume, je ne suis que bruit. »

« Cette heure d’avant le jour » est son défi quotidien : se laisser inviter par le silence, se taire, se mettre à l’écoute. Avec l’entraînement, s’en faire « un îlot de paix ». Et voilà une distinction importante, entre vie active et vie contemplative, lié chez elle à un « rêve d’abbaye » ; elle fréquente volontiers l’abbaye de Landévennec, trouve un havre dans les lieux de silence, à l’écart de notre « civilisation du vacarme ».

L’homme moderne « se doit d’être agissant, positif et plein de vie », reléguant le silence en compagnie de « ces trois repoussoirs du monde moderne que sont l’inactivité, la religiosité et la mort ». En 2020, quand du confinement contre la pandémie a surgi un calme inattendu dans le ciel, les rues, les jardins où on réentendait le chant des oiseaux, la tranquillité a vite été troublée par l’agitation médiatique, les débats, les protestations, un trop-plein de chiffres et d’images.

« La quête de sens, le silence, la lenteur n’ont aucune valeur sur le marché du tohu-bohu ambiant. En revanche, notre attention – notre « temps de cerveau disponible » – est devenue un bien marchand sur lequel des cohortes de négociants ont des vues très précises. » Si Anne Le Maître dénonce les travers de notre époque « bavarde », ce n’est pas par conservatisme ou nostalgie. Elle réhabilite la place du vide et de l’ennui dans nos existences, montre l’importance de se « désencombrer » : « Il est possible de jeûner de bruit comme on jeûne de nourriture. » On y retrouve de l’énergie.

Le silence ouvre la porte à la vie intérieure – il y a sans doute aussi un fil entre ce livre et L’Esprit de solitude de Jacqueline Kelen ou, dans une approche très différente, Histoire du silence d’Alain Corbin – mais ce travail ou disons cet exercice sur soi-même n’exclut pas l’autre, au contraire. « Prendre le temps d’une retraite, d’un retrait du monde : vivre un temps fécond plutôt qu’utile. » Se taire, c’est aussi se mettre à l’écoute. De soi, de « plus grand que soi », des autres, du vivant.

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Anne Le Maître de retour d'Ouessant (Bleu de Prusse)

Un si grand désir de silence n’est ni un essai philosophique, ni un ouvrage d’érudition. Cette réflexion me parle beaucoup parce qu’elle est irriguée d’expérience personnelle, de peurs et de douleurs, de marche et de contemplation, de lectures et d’aquarelles. « Le silence accorde intérieur et extérieur : je suis dans le flot du réel comme un nageur heureux dans le courant, baigné, porté, serein. Je suis la rivière des heures. » Magnifique métaphore. Sagesse de l’herbe nous invitait à cheminer, ce nouveau texte d’Anne Le Maître, beau et nourrissant, propose toutes sortes de manières de faire silence, d’être pleinement vivant.

Commentaires

  • Quel beau billet pour un livre qui l'est tout autant !
    Arriver à faire du blanc, du vide dans sa tète n'est pas aisé et , à travers ses pages, Anne le montre si bien.
    Certaines passages, que j'ai soulignés, me resteront en mémoire, aucun doute.

  • Merci, Colo. Faire le silence dans la tête, c'est au yoga que j'ai appris à "laisser passer" les pensées en me concentrant sur la respiration et cela me sert dans toutes sortes de situations.

  • Une lecture qui me conviendrait tout-à-fait. En vacances cette année, j'ai savouré le silence du matin, seule levée dans un environnement sans le moindre bruit et sans rien faire. Je n'ai pas ce luxe en ville où la rue est déjà en mouvement.

  • Nous faisons la même expérience chaque fois que nous allons en Drôme : ni sirènes, ni avions, ni circulation à proximité... C'est très relaxant.

  • Je t'en souhaite déjà bonne lecture, Dominique.

  • Je l'ai commencé hier soir, dans ma maison silencieuse. J'aime beaucoup la photo d'Anne que tu as choisie car on a l'impression que le ciel et le paysage derrières, elle vient de les peindre à l'aquarelle.
    Bon mardi.

  • Cette photo est superbe, oui. Bonne journée en compagnie de ce livre, Marie.

  • Anne, merci à toi d'avoir partagé ce "désir de silence".

  • Très beau billet, merci beaucoup. Je ne peux que me procurer cet ouvrage maintenant que je vous ai lue.
    Cela fait un moment que je « lorgne » l’univers d’Anne Le Maître d’ailleurs, c’est le moment d’aller un peu plus loin.

  • Bonne lecture si vous vous laissez tenter & bonne journée.

  • Magnifique présentation Tania ! Je viens cet après midi de récupérer le livre d'Anne chez le libraire, j'ai hâte de le commencer ! Bon week-end !

  • Te voilà en bonne compagnie. Bon dimanche, Claudie.

  • "jeûner de bruit comme on jeûne de nourriture"., quelle belle image, car nous sommes dans le trop plein en permanence. J'ai le privilège de vivre à la campagne où j'échappe au bruit et à la fureur des villes. Merci pour ce livre, je vais le commander chez mon libraire .

  • Bonjour, Zoë. J'espère que vous en ferez aussi votre miel.

  • Merci Tania ; votre billet comme la lecture du livre d'Anne me touchent tout particulièrement, et fait émerger l'envie des lectures à laquelle vous faites référence.

  • Bienvenue, Denise et merci à vous. Cela me réjouit de donner envie de lire les livres que j'aime, l'objectif principal de ce blog. Bonne journée.

  • Entre J kelen et A Corbin (bien différents) que vous évoquez, le livre d'A. Le Maître trouverait une belle place dans mes lectures de fin d'année.
    Le silence ! S'y ressourcer et s'irriter tant de ce qui le trouble : une source et un combat, en effet.

  • Bonjour, Christw. C'est un livre à s'offrir et à offrir, certainement.

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