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spiritualité - Page 4

  • Déchiffrer

    kelen,une robe de la couleur du temps,le sens spirituel des contes de fées,essai,littérature française,contes,perrault,grimm,andersen,âme,spiritualité,culture« Déchiffrer un conte, c’est un peu s’avancer seul dans les bois touffus en direction du château merveilleux dont on aperçoit de loin le haut des tours. Peu à peu, les arbres s’écartent sur votre passage, découvrant d’autres perspectives, une vision plus nette, et les buissons impénétrables se parent de fleurs qui éclosent comme autant de significations nouvelles. Mais parvient-on jamais au cœur du château, dans la chambre de l’invisible, là où dort, éternellement jeune, la Présence ineffable ? Le déchiffrement est un long dépouillement de soi, et à la fin c’est le corps qu’il faut quitter, vêtement importun, au pied du lit du mystère. » 

    Jacqueline Kelen, Une robe de la couleur du temps (Chapitre 15, Une si longue patience : La Belle au bois dormant, Perrault-Grimm)

  • Kelen et les contes

    Après L’Esprit de solitude, j’avais envie de lire autre chose de Jacqueline Kelen. Une robe de la couleur du temps (2014) est un essai sur « le sens spirituel des contes de fées ». Bruno Bettelheim, dans Psychanalyse des contes de fées, avait défendu leur valeur thérapeutique pour les enfants. Ici, le prologue en fait aussi l’éloge pour les lecteurs adultes, « car il est bien mort, celui qui ne souhaite entendre conter merveilles, celui qui n’a pas soif d’amour et de beauté, celui qui ne sait plus frissonner de joie. »

    Kelen Une robe.jpg

    Jacqueline Kelen revisite les contes traditionnels – de Perrault, Grimm et Andersen – qu’elle considère comme « des messagers et des médiateurs » qui « restaurent les fils qui relient la Terre au Ciel, l’humanité aux dieux, l’âme à sa patrie d’origine. » Ce n’est donc pas pour la morale ou l’effet thérapeutique qu’ils importent, mais pour leur « portée initiatique : ils appellent à une autre conscience, à une seconde naissance, à une vie supérieure. »

    Elle explore cette sagesse tournée vers l’invisible et à rebours d’une vision moderne réduisant l’existence terrestre au socio-économique et au physique en nous invitant à « écouter à la porte du mystère ». Elle distingue l’âme – si bien approchée par François Cheng – du psychisme. Même si « l’âme ne va pas nue », puisque dotée d’une enveloppe charnelle, les contes « montrent aussi les multiples liens, visibles et invisibles, qui tissent une vie humaine et, devant les yeux émerveillés, ils déplient avec délicatesse la robe d’apparat qui seule convient à l’âme. »

    Le premier chapitre dit l’importance des contes : ils rappellent « aux petits humains » qu’ils ont « à apprendre et à grandir ». Jacqueline Kelen les relit pour y déceler les correspondances « entre le monde extérieur des phénomènes et des choses concrètes et l’univers impalpable des réalités spirituelles ». Les contes s’adressent « au plus intime » de notre être, quel que soit notre âge.

    Dans un ordre de « progression sur la voie spirituelle », Une robe de la couleur du temps aborde dix-sept contes, du Vilain Petit Canard à Peau d’âne qui donne son titre à l’essai. Rappelant chaque fois leur histoire, l’essayiste interroge les personnages, les faits, le texte, afin de dégager leur signification bien au-delà du visible, voire leur sens métaphysique.

    « Vivre avec les autres, sous le regard des autres, est sans doute rassurant, mais cela empêche de se connaître soi-même, d’explorer ses ressources intérieures. En quittant le lieu où il est né, le milieu où il a été éduqué, le Petit Canard laisse derrière lui les habitudes et conventions familiales, les certitudes et les préjugés transmis, tous ces conditionnements qui façonnent l’individualité extérieure et qui la rendent conforme aux autres. En partant seul sur les chemins, il va découvrir sa singularité précieuse en même temps que sa solitude, se dépouiller des mauvaises images qu’on lui infligeait et rencontrer sa vraie nature de cygne. » (Chapitre 2, De l’exil à l’envol, Le Vilain Petit Canard, Andersen)

    Lisant Le Roi-Grenouille de Grimm, Jacqueline Kelen insiste sur la diversité de points de vue possibles sur le récit. On peut s’identifier à un ou à plusieurs personnages, à un animal, y distinguer « plusieurs strates », de l’apparent au caché. « Adopter des points de vue différents est un exercice qui ouvre le cœur autant que l’intelligence. » Tous les détails, et même les personnages secondaires, ont quelque chose à dire : si l’on y est attentif, tout « s’ouvre et se déploie. »

    Ainsi, le petit poids du petit pois déposé sous les matelas de La princesse au petit pois d’Andersen amène à l’essentiel : « Que pèse l’âme en effet ? A quelle aune la mesurer ? Existe-t-il une pierre de touche pour s’assurer de sa valeur ? […] L’amour, la beauté, le silence, la joie ont une valeur inestimable : ils ne pèsent rien du tout dans la balance ni sur le trébuchet […] Le petit pois, apparemment sans intérêt, représente bien ce rien du tout qui est tout. »

    Parfois, comme à propos des Habits neufs de l’empereur d’Andersen, Jacqueline Kelen déconcerte en réhabilitant les vêtements hors de prix et invisibles de tous. Quand l’empereur se regarde dans le miroir sans y voir sa nudité, serait-ce qu’il « contemple une beauté céleste qu’il a cherchée passionnément durant son existence entière » ? En revanche, sa lecture de Cendrillon est pleine de trouvailles et aussi celle de Peau d’âne, qu’elle conclut ainsi : « Les contes de fées ne cessent de parler de l’au-delà et de l’outre-temps, de nous y préparer aussi. »

    J’ai pris plaisir à redécouvrir certains contes dans cet essai, même si je l’ai trouvé parfois répétitif ou systématique. La parole « enchantée » des contes, leur riche mystère, on n’a jamais fini d’en tirer les fils, conclut Kelen, et il est bon de continuer à les transmettre.

  • Bobin à Conques

    Plumes d’Anges en avait offert quelques extraits, aussi ai-je mis la main tout de suite sur La nuit du cœur de Christian Bobin quand je l’ai vu sur la table de la bibliothèque. « La chambre numéro 14 de l’hôtel Sainte Foy à Conques est percée de deux fenêtres dont l’une donne sur un flanc de l’abbatiale. C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir. »

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    Abbatiale Sainte-Foy de Conques, Conques, Aveyron, France (Photo Christophe Finot)

    Une affaire d’anges, donc. Ces anges qui dérangeaient un peu je ne sais plus qui, à La grande Librairie que François Busnel a consacrée à Bobin il y a peu. C’est le premier paragraphe, suivi d’un blanc, de ce livre grand format où l’on respire. Ce sont des moments, avec entre eux des silences. Une phrase, voire un mot. Un blanc, un silence. Bobin : « Ma proie, c’est la phrase pure. »

    Je ne connais l’abbatiale Sainte Foy de Conques que par des photos ; je me souviens d’une émission sur Soulages montrant les vitraux qu’il y a installés et dont l’absence de couleur m’intriguera jusqu’à ce que je la visite. La nuit du cœur m’a permis de m’en approcher avec cet écrivain qui les trouve « doux comme le papier cristal qui protège les livres anciens ». 104 vitraux, 104 chapitres.

    « Est-ce qu’un nuage travaille ? Est-ce que le rouge-gorge, quand il bombe son petit gilet rouge, travaille ? Est-ce que le chat, quand il dort enroulé en mandala sur lui-même, travaille ? Peut-être. Ecrire est un travail de ce genre-là. » Bobin est un guide sur le chemin de la contemplation. « Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore. »

    Conques est aussi « un village-oreille » où lui viennent par la fenêtre entrouverte les bruits familiers : voix, « cliquetis d’assiettes dans une cuisine : le parfait accompagnement pour la vie éternelle. » Ou encore : « Quelques cubes de pierre du onzième siècle montés comme un jeu d’enfant, avec des vitraux crayonnés de gris. Les pèlerins agglutinés aux pierres chaudes comme des abeilles à une plaque. Un peu de naïveté mais rien de cette modernité dont nous feignons de ne pas savoir qu’elle est la haine de l’intériorité. »

    Difficile de parler de ce livre sans avoir envie de citer (comme je l’écrivais déjà à propos de son Autoportrait au radiateur). Christian Bobin écrit comme un poète, il ne décrit ni n’explique, il dit par exemple « la neige ininterrompue d’un silence ». On se tait, on écoute, on se réveille « au bruit d’une goutte de lumière tombant sur une dalle du onzième siècle ». A Conques, la quête spirituelle de l’écrivain est intimement liée à l’élaboration du verbe, à la recherche de la ligne juste : « Il faut qu’une phrase apparaisse comme un mégalithe dans un champ. »

    Sur mes deux fiches 10 x 15 recto verso, il y en a beaucoup, de ces concentrés de Bobin à l’affût de la quintessence. Oui, des anges passent dans La nuit du cœur ; ce sont des moines avec un balai, des visages tantôt de pierre, tantôt de chair, des oiseaux ; ce sont des phrases et des silences. « Nous sommes responsables de ce que nous voyons. Voir, c’est aimer. »

  • Révélation

    Atlan Miroku-Bosatsu 2.jpg« Mais, curieusement, je ne me rappelle ni les traits de son visage, ni les circonstances dans lesquelles nous avions fait connaissance, alors que je me remémore avec une extrême précision cette première rencontre avec Miroku-bosatsu, l’une des trois statues bouddhiques les plus anciennes et les plus précieuses du Japon. Ce fut pour moi ni plus ni moins que la révélation de la Beauté. Plus encore que la statue réelle, peut-être est-ce aujourd’hui sa représentation mentale, le souvenir sublimé de sa stupéfiante beauté et de l’émotion intense que j’ai ressentie en la découvrant qui en font pour moi une sorte de « chef-d’œuvre absolu ». »

    Corinne Atlan, Un automne à Kyoto

    Miroku Bosatsu, Koryu-ji Temple, Nara (source)

     

    Au plaisir de lire vos commentaires à mon retour.
    Bonnes lectures & activités printanières.
    Bonne fête de Pâques !

    Tania