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Bobin à Conques

Plumes d’Anges en avait offert quelques extraits, aussi ai-je mis la main tout de suite sur La nuit du cœur de Christian Bobin quand je l’ai vu sur la table de la bibliothèque. « La chambre numéro 14 de l’hôtel Sainte Foy à Conques est percée de deux fenêtres dont l’une donne sur un flanc de l’abbatiale. C’est dans cette chambre, se glissant par la fenêtre la plus proche du grand lit, que dans la nuit du mercredi 26 juillet 2017 un ange est venu me fermer les yeux pour me donner à voir. »

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Abbatiale Sainte-Foy de Conques, Conques, Aveyron, France (Photo Christophe Finot)

Une affaire d’anges, donc. Ces anges qui dérangeaient un peu je ne sais plus qui, à La grande Librairie que François Busnel a consacrée à Bobin il y a peu. C’est le premier paragraphe, suivi d’un blanc, de ce livre grand format où l’on respire. Ce sont des moments, avec entre eux des silences. Une phrase, voire un mot. Un blanc, un silence. Bobin : « Ma proie, c’est la phrase pure. »

Je ne connais l’abbatiale Sainte Foy de Conques que par des photos ; je me souviens d’une émission sur Soulages montrant les vitraux qu’il y a installés et dont l’absence de couleur m’intriguera jusqu’à ce que je la visite. La nuit du cœur m’a permis de m’en approcher avec cet écrivain qui les trouve « doux comme le papier cristal qui protège les livres anciens ». 104 vitraux, 104 chapitres.

« Est-ce qu’un nuage travaille ? Est-ce que le rouge-gorge, quand il bombe son petit gilet rouge, travaille ? Est-ce que le chat, quand il dort enroulé en mandala sur lui-même, travaille ? Peut-être. Ecrire est un travail de ce genre-là. » Bobin est un guide sur le chemin de la contemplation. « Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore. »

Conques est aussi « un village-oreille » où lui viennent par la fenêtre entrouverte les bruits familiers : voix, « cliquetis d’assiettes dans une cuisine : le parfait accompagnement pour la vie éternelle. » Ou encore : « Quelques cubes de pierre du onzième siècle montés comme un jeu d’enfant, avec des vitraux crayonnés de gris. Les pèlerins agglutinés aux pierres chaudes comme des abeilles à une plaque. Un peu de naïveté mais rien de cette modernité dont nous feignons de ne pas savoir qu’elle est la haine de l’intériorité. »

Difficile de parler de ce livre sans avoir envie de citer (comme je l’écrivais déjà à propos de son Autoportrait au radiateur). Christian Bobin écrit comme un poète, il ne décrit ni n’explique, il dit par exemple « la neige ininterrompue d’un silence ». On se tait, on écoute, on se réveille « au bruit d’une goutte de lumière tombant sur une dalle du onzième siècle ». A Conques, la quête spirituelle de l’écrivain est intimement liée à l’élaboration du verbe, à la recherche de la ligne juste : « Il faut qu’une phrase apparaisse comme un mégalithe dans un champ. »

Sur mes deux fiches 10 x 15 recto verso, il y en a beaucoup, de ces concentrés de Bobin à l’affût de la quintessence. Oui, des anges passent dans La nuit du cœur ; ce sont des moines avec un balai, des visages tantôt de pierre, tantôt de chair, des oiseaux ; ce sont des phrases et des silences. « Nous sommes responsables de ce que nous voyons. Voir, c’est aimer. »

Commentaires

  • Ta lecture fait écho à celle que je viens d'achever, "Pierre,", du même Bobin, longue et curieuse lettre adressée à Pierre Soulages. A lire, peut-être, pour prolonger la réflexion. C'est un texte étrange...

    J'ai le souvenir d'une nuit d'août passée dans l'abbatiale à regarder tourner la lumière et l'ombre sur les vitraux : sans doute un des trésors de ma boite à souvenirs... Va voir !

  • J'attendrai probablement d'avoir vu le musée Soulages (j'ai ajouté un lien vers un billet de Nikole qui l'a visité) pour lire ce dernier titre. Et j'irai à Conques, ce n'est pas loin de Rodez.

  • chaque fois qu'il est question de Bobin, ici ou chez Plumes d'Ange, je m'abstiens de commenter... mais bon, je vais te l'avouer au risque de te faire de la peine, ne pas commenter te fait sûrement de la peine aussi... je n'ai encore jamais réussi à trouver intéressant ce qu'il écrit
    (je sais que ça ne tient qu'à moi et j'en demande pardon à ses fans)

  • Il n'y a pas matière à t'excuser, Adrienne, les affinités électives importent en littérature et nous faisons tous et toutes cette expérience même avec certains écrivains encensés par ailleurs, d'hier ou d'aujourd'hui. Je te remercie pour ta franchise. Il me semble que si l'on s'interdit de penser différemment dans un commentaire, cela les réduirait à de la matière molle sans intérêt. "Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur."
    Comme toi, je m'abstiens parfois de commenter pour ne pas polémiquer, mais seulement quand le sujet me semble de peu d'importance au fond. Tu as pris la peine de lancer la discussion, et c'est très bien.

  • Bobin, je pourrais en dire beaucoup, je lui ai écrit (et il m'a répondu!). C'était il y a plusieurs années. Je lisais tout de lui, j'adorais. Jusqu'au jour où je me suis rendu compte qu'il tournait en rond, se répétait. On me parlait d'un de ses livres et j'ai pensé que je l'avais lu; le feuilletant, je me suis rendu compte que non……...Puis on m'a prêté un livre formidablement destructeur (il s'attaque aux prétendues valeurs) de Pierre Jourde: La littérature sans estomac; il y a un chapitre sur Bobin; c'est polémique; mais ce chapitre est juste...…Bref, il y a en moi un peu- beaucoup de Brigitte et Plumes d'ange, mais aussi un peu d'Adrienne…………...Pardon à ses fans dont je fus également…………..

  • Je suis loin d'avoir tout lu de Christian Bobin et j'ai déjà entendu cette critique chez ceux qui le suivent pas à pas, ce qui les rend plus sensibles à ces redites, évidemment. Il me paraît plus poète que romancier, plus contemplatif que raconteur. J'aime la résonance qu'il donne à certains moments "d'être", si cela veut dire quelque chose.

  • J'ai retrouvé une une interview où il parle des anges...qui n'en sont pas vraiment, voici des extraits:

    - Vous parlez souvent de l’ange, une présence familière.
    Ce que j’appelle ainsi, ce sont juste les moments les plus subtils de la vie qu’on peut tous connaître. Les anges sont à la pointe de la fleur de la vie, du côté le plus fin, mais parfois aussi piquant. Ils peuvent provoquer un petit retrait si on s’approche trop, mais ce sont des flux de la vie, des passages vitaux très subtils que chacun de nous connaît, comme cette délicatesse qui vient alors aux hommes. (...)

    Le monde nous habitue à des expériences très grossières, pour des raisons mercantiles on force le bruit, les couleurs, les images, on force l’énergie, la vitalité devient mauvaise, la volonté se durcit. À l’opposé, on peut faire des expériences d’une incroyable finesse. Les anges passeraient là mais sans ressembler à l’imagerie habituelle ou à la peinture très belle d’un Fra Angelico. Ce sont les moments où notre cœur aune délicatesse de dentelle de Bruges, où l’on sent quelque chose d’aussi délicat et étrangement invincible. C’est ainsi que je les vois aujourd’hui. (...)

    https://www.revue-reflets.org/?p=1340

  • Grand merci pour ces passages. J'aime les anges, qu'ils soient des invisibles, des concepts ou des images - "quelque chose d’aussi délicat et étrangement invincible", oui.

  • Dans cet entretien, je reprends une autre phrase de Bobin : "D’ailleurs pour moi, écrire c’est juste témoigner de ce qu’on a vu, pas plus, pas moins."

  • Les vitraux de Soulages à Conques ne pourront que t'émouvoir Tania. Comme Anne Le Maitre, c'est pour moi un moment fort. Touchée par à la poésie de Bobin, sa sensibilité nous ouvre souvent des domaines que l'on atteindrait pas seul.
    Merci Tania pour cet article qui ouvre un riche débat. Claudie.

  • Voilà d'autres encouragements à y aller. Merci, Claudie.

  • De Christian Bobin, je n'ai lu que la Dame Blanche pour l'amour d'Emily Dickinson. Je lirai ce livre pour l'amour de Conques et de Soulages (et parce qu'il coche une proposition du défi lecture auquel je participe).

  • Merci, Nicole, de me rappeler ce titre qui était dans mes projets de lecture mais que je n'avais pas noté.

  • Nous voilà une envie commune. A bientôt, Anne.

  • À propos de Bobin, j'ai beaucoup aimé certains textes et, comme votre troisième commentatrice Anne, je trouve qu'il a tendance à se répéter, à tourner en rond.
    Mais ses images sont toujours aussi belles, vous soulignez bien "au bruit d’une goutte de lumière tombant sur une dalle du onzième siècle".

  • Certaines de ses images nous touchent, d'autres pas ; j'ai aussi aimé dans ce texte-ci quand il parle de l'écriture, de la musique. Notez qu'il y répète un peu trop souvent "du onzième siècle", comme si chaque fois, il n'en revenait pas.

  • J'ai beaucoup aimé les premiers livres de Bobin, nettement moins maintenant, je ne dirai rien d'original en ajoutant que je trouve moi aussi qu'il tourne en rond. Mais je me promets de réessayer un jour, peut-être étais-je dans une mauvaise phase. J'ai passé des moments merveilleux à Conques, j'ai dormi aussi une huitaine de jours sur place avec vue sur l'Abbatiale et j'ai pu admirer les vitraux matin, midi, soir et nocturne. Des moments que l'on n'oublient pas et qui continuent à nous nourrir.

  • Dans ce cas, si tu lis "La nuit du cœur", tu en auras une lecture toute personnelle et nourrie de tes souvenirs. Le site semble marquer tous ceux qui l'ont visité,

  • Ces extraits sont beaux, poétiques. J'ai commencé Autoportrait au radiateur mais étant dans un état d'esprit de questionnement il m'a un peu déprimée donc je l'ai arrêté. Mais là cela semble différent. J'aime les questionnements : le chat travaille-t-il ? Le poète travaille-t-il ? Il est vrai que les impressions fantastiques de savoir quoi écrire sans réellement réfléchir (les mots qui arrivent tous seuls) ne demandent pas de réel effort.
    J'ai aimé votre chronique.

  • Bienvenue et merci, Ioulia. Dans un tel récit par fragments, on est sensible à l'un, pas à l'autre, un peu comme dans un recueil d'aphorismes.

  • Les livres de Bobin sont pour moi, comme une voute céleste, il côtoie les étoiles et nous en restitue la lumière. Son regard, son style et son écriture sont uniques, on peut avoir l'impression qu'il tourne en rond, mais non, les images se renouvellent, Dans le cosmos, les étoiles succèdent aux étoiles, et l'émerveillement est sans fin... Je suis heureuse pour toi que tu aies lu ce livre, et j'ai hâte moi-aussi de découvrir Conques et son abbatiale. Lumineuse journée Tania. brigitte

  • Bobin est un passeur d'émerveillement, oui, je le ressens aussi.
    Merci, Brigitte & belle journée.

  • Tu nous emmènes en voyage, pas seulement géographique. J'ai très peu lu Bobin, j'attends trop le " bon moment ".

  • Parfois, il vient à nous, sur un blog ami puis sur une table de bibliothèque par exemple, pour ce titre-ci,

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