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Bobin, autoportrait

Avril 1996 – Mars 1997. Christian Bobin écrit Autoportrait au radiateur pendant l’année qui suit la mort de sa femme. « Ce qui aide, c’est ce qui passe », écrit-il en première page, comme la « note gaie, fraternelle » d’un bouquet de tulipes. « La gaieté, ce que j’appelle ainsi, c’est du minuscule et de l’imprévisible. Un petit marteau de lumière heurtant le bronze du réel. La note qui en sort se propage dans l’air, de proche en proche jusqu’au lointain. » 

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Jour après jour, quelques lignes. « Je me suis fait écrivain ou plus exactement je me suis laissé faire écrivain pour disposer d’un temps pur, vidé de toute occupation sérieuse. » Des journées traversées par les questions du deuil – « Mon Dieu, pourquoi avez-vous inventé la mort ? » – et surtout par l’attente, l’attention à « ce qui reste, ce qui insiste, demeure, triomphe – de la vie aujourd’hui passée au crible – au tamis, au pressoir – de la mort. »

Le titre aurait pu être « Autoportrait aux fleurs ». Leitmotiv de ce carnet, les deux bouquets achetés chaque semaine dans une rue en pente près de chez lui, et qui lui parlent de l’absente. Des tulipes d’abord, puis des roses, puis dautres. Bobin aime presque toutes les fleurs et celles qu’il n’aime pas, il les essaie tout de même, observe leur façon de finir leur vie, leur allure, de leurs débuts prometteurs jusqu’à l’épanouissement puis le déclin.

« Un bœuf avec des ailes : voilà exactement ce que je suis. » Un homme qui ne sait voir que les femmes et les enfants. « Je n’aime pas ceux qui savent, j’aime ceux qui aiment. » Il voudrait écrire « comme on chante » et puise de la joie à relire quelques lettres de sa femme : « Les écritures manuscrites sont comme les voix : elles disent autre chose que les mots qu’elles transportent. (…) Ton écriture te ressemble. Accueillante, calme, immédiatement donnée : ton âme m’a fait plaisir à voir. »

Bobin est poète, même en prose. Chaque phrase porte, sans peser. « Je n’écris pas un journal mais un roman. Les personnages principaux en sont la lumière, la douleur, un brin d’herbe, la joie et quelques paquets de cigarettes brunes. » Peu à peu, d’autres présences s’y insèrent : ses filles, un poète, une image vue à la télévision, Thérèse d’Avila (« une libellule »), Mozart…

A jamais perdu « le son de ta voix dans la maison claire du temps. » Quand ses proches se plaignent de ses silences, il écrit, en août : « Je suis le premier à me demander pourquoi je me tais si longtemps. Je n’ai pas de réponse. » Il y a cette pièce dans l’appartement où il n’entre plus. Reste l’espérance : « C’est l’imprévu que j’espère, et lui seul. Partout, toujours. Dans les plis d’une conversation, dans le gué d’un livre, dans les subtilités d’un ciel. Je le guette autant que je l’espère. »

Bobin est un veilleur. Le 4 septembre, la page du jour s’allonge. Le froid est revenu et les radiateurs ne marchent pas. « J’ai quarante-cinq ans et j’ai envie de vivre et parfois cette envie pâlit et s’éloigne un peu, mais si trois fois rien me tue, moins que rien me ressuscite, et l’envie pleine de vivre m’est revenue ce matin par le chant des radiateurs froids, simplement par ça, alors je crois que je ne serai jamais perdu, même quand je le serai à nouveau. » 

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Il est difficile d’écrire sur Autoportrait au radiateur sans avoir envie de citer encore et encore. Beauté des fleurs, des arbres, du brin d’herbe. Beauté du monde. Choix d’écrire, refus des chemins de vie tout tracés. Voie d’amour : « plus on aime et plus ce qu’on aime est à découvrir, c’est-à-dire à aimer encore, encore, encore. » A quelques jours de Pâques 1997, Christian Bobin termine son voyage dans ce paquebot lourd et lent de l’immeuble où il vit – d’art, d’amour et de travail. « Il y a un style Bobin, une façon de prendre la littérature par la joie que dégagent les mots, par la lumière qu'ils portent. » (Guy Goffette

Commentaires

  • Bonjour Tania
    L'auto portrait au radiateur est celui des livres de Bobin que je préfère. celui qui est le plus dense de douleur et de joie
    Chacune des pages de mon livre voit une phrase ou un passage souligné. En fait je pourrais souligner le livre entier...
    Et là, de lire la présentation que tu en fais... et je me retrpuve avec la même émotion que celle qui m'étreint chaque fois que j'ouvre le livre
    Merci à toi

  • Chère Coumarine, c'est un livre magnifique sur... tout. Et le lire dans une période de préoccupations aide à se recentrer sur la vie. Sur le sens de l'écriture, de la solitude. Merci de partager ton émotion ici, je te souhaite une belle semaine en ce lumineux mois de mai.

  • Celui là je ne l'ai pas lu mais Bobin fait partie de mon petit panthéon, à la bibliothèque ils sont toujours sortis, il faut que je me décide à les acheter

  • Avec Bobin, j'en étais restée au "Très-Bas" ; tes titres préférés sont donc les bienvenus, en plus de "La dame blanche" à laquelle tu avais consacré un billet.

  • Durant mes études, j'avais le béguin pour un jeune homme discret et mystérieux dont j'appris par hasard qu'il aimait Christian Bobin. C'est ainsi que j'ai découvert l'auteur, lu principalement pour trouver des sujets de conversation avec l'objet de mon affection... :-)
    L'opération n'a pas été un franc succès. J'ai eu du mal à gérer la dimension mélancolique, de l'auteur ET du beau ténébreux. Néanmoins, les livres sont encore dans ma bibliothèque, et j'ai retenu cette phrase, à mon sens magnifique, découverte dans "La part manquante" :
    "Ce n’est pas pour devenir écrivain qu’on écrit. C’est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour."

  • Bel écrivain sensible et quand même un peu mélancolique, mais on comprend pourquoi.
    Je n'ai lu de Bobin que "la plus que vive", hymne à sa femme disparue brusquement d'une rupture d'anévrisme .
    Je ne sais pas pourquoi mais j'ai retenu cette phrase uniquement:
    "Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent."
    Je l'ai ressenti si souvent !
    Merci Tania

  • @ Adrienne : Pour les problèmes de chauffage ? ;-) Je te souhaite bien du plaisir à entrer dans son univers.

    @ Un petit Belge : Merci pour ton passage, désolée de ne pas commenter chez toi plus souvent, je suis fort prise en ce moment, mais je te lis.

    @ D. : Oh merci de nous confier cela, cette lecture amoureuse, cette mélancolie. Je lirai "La Part manquante".

    @ Gérard : Cette phrase est très forte. Oui, le sang des absents coule dans nos veines, leur présence dans notre vie. Bonne journée, Gérard.

  • Magnifique article Tania sur ce qui doit être un très beau livre. Je vais lire Christian Bobin d'urgence ! Merci !

  • Merci pour la découverte !
    - ce n'est pas un journal que je tiens, c'est un feu que j'allume dans le noir...
    C'est bouleversant, j'ai hâte de le lire et d'en apprendre davantage :-)

  • Je crois qu'il faut avoir perdu quelqu'un.e qu'on aimait pour apprécier un tel livre. Ce n'est pas mon cas et je ne veux pas perdre quelqu'un.e que j'aime !!!!

  • @ Pâques : Bonjour, Pâques. Ce passage donne la tonalité de ce livre si émouvant. Bonne lecture.

    @ Euterpe : Le faut-il ? Je l'ignore. Longue vie à nos amours.

  • Merci pour ce magnifique article sur Bobin et pour celui qui suit !
    J'ai souvent eu envie de lui écrire à Mr. Bobin, pour lui dire Merci ! Je ne l'ai jamais fait, mais aujourd'hui je le fais chez toi :-)
    J'ai la plupart de ses livres et si mon moral tombe dans mes chaussettes, son génie spirituel et poétique me requinque mieux que le meilleur des dopants :-)

  • Ton enthousiasme fait plaisir, Fifi. Lire Bobin donne de l'énergie, c'est ce que je ressens aussi en le lisant. Bon week-end à toi.

  • @ Ariane : Désolée de t'avoir laissée sans réponse, une distraction de ma part.

    @ Armelle B. : Belle comparaison, merci Armelle.

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