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Pour tisser un lien

Son arrestation le 10 janvier 1944 à l’âge de six ans, alors enfant juif sans le savoir, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik y revient régulièrement dans ses livres et quand on l’invite à prendre la parole, comme encore à La Grande Librairie le 16 mars dernier. Il en avait déjà été l’unique invité en avril 2019 pour La nuit, j’écrirai des soleils.

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Boris Cyrulnik parle résilience dans « La nuit j’écrirai des soleils » - YouTube
La Grande Librairie, 19/4/2019

Pourquoi tant d’enfants orphelins, d’enfants négligés ou rejetés, sont-ils devenus écrivains ? Quel rôle a joué pour eux l’écriture ? C’est le sujet de cet essai, tourné vers la mémoire traumatique de l’enfance et vers la résilience, concept qu’il a considérablement vulgarisé même s’il n’en est pas l’inventeur. « On parle pour tisser un lien, on écrit pour donner forme à un monde incertain, pour sortir de la brume en éclairant un coin de notre monde mental. Quand un mot parlé est une interaction réelle, un mot écrit modifie l’imaginaire. »

Cyrulnik s’attache à montrer comment la « niche sensorielle » d’un nouveau-né, le corps de sa mère ou une autre « figure d’attachement » (père, grand-mère, tante…) peut être altérée par toutes sortes de malheurs « qui ne sont pas rares dans l’aventure humaine ». De grands romans ont témoigné des carences affectives qui en résultent. Le cas de Jean Genet, bébé abandonné puis placé dans une gentille famille, est un de ceux sur lesquels Boris Cyrulnik revient volontiers, pour montrer la complexité des parcours. Lui-même sans famille depuis le début de la seconde guerre mondiale, il croit que ses premiers mois de vie ont été bien entourés et lui ont donné un socle plus fiable.

« Dans un même contexte de carence affective, certains enfants parviennent à se nourrir d’un minuscule indice émotionnel alors que d’autres, pour obtenir le même résultat, auront besoin de tonnes de nourritures affectives pour être rassasiés. » Villon, Rimbaud, Verlaine : « Les voyous littéraires, avec leurs jolis mots et leurs histoires tragiques, métamorphosent l’horreur. Ils la transforment en beauté quand ils déposent des pépites verbales dans la fange du réel. »

Après s’être ennuyé durant ses études à Paris où il vivait dans une « solitude sordide », Cyrulnik rêvait – la rêverie étant son grand refuge – d’un avenir où il serait médecin, « un métier tellement utile que tout le monde [l’] accepterait ». De chapitre en chapitre, il approfondit son analyse du développement affectif et neuronal de l’enfant, décrit ce qui se passe et comment certains réagissent en recréant leur monde alors que d’autres ne s’en sortent que par la transgression.

Suffirait-il d’écrire pour ne plus être malheureux ? Ce serait trop simple. Outre sa propre expérience, Boris Cyrulnik évoque de nombreux écrivains et artistes – Perec, Charles Juliet, Romain Gary, Anne Sylvestre, Depardieu, par exemple –, mais ils sont bien plus. Il s’attache à décrire comment l’enfant accède aux mots, comment la fiction peut donner une forme réelle à notre imaginaire, notre besoin de sens.

« Quand le malheur entre par effraction dans le psychisme, il n’en sort plus. Mais le travail de l’écriture métamorphose la blessure grâce à l’artisanat des mots, des règles de grammaire et de l’intention de faire une phrase à partager. » Le sujet de La nuit, j’écrirai des soleils, est développé en spirale : je veux dire par là que Cyrulnik raconte un parcours, passe à un autre, témoigne pour lui-même, revient en approfondir certains. Sa logique est de montrer les enjeux, à chaque étape.

Nicole Bétrencourt rend compte sur son blog des éléments scientifiques exposés par Boris Cyrulnik dans cet essai, bien mieux que je ne pourrais le faire, voici le lien vers Un autre regard sur la psychologie. Pour ma part, j’ai été surtout attentive à la manière dont l’auteur approche la littérature de son point de vue particulier, se penche sur des parcours d’écrivains ou analyse le rôle de l’écriture qui, dans son cas personnel, lui a permis de raccommoder son « moi déchiré ».

Commentaires

  • Rien à ajouter, beaucoup de choses dans cet article intéressant, ô combien!! Merci, Tania!

  • Tant mieux s'il t'a intéressée, c'est le genre de livre si foisonnant que je ne savais pas trop comment en rendre compte.

  • J'ai suivi moi aussi avec beaucoup d'intérêt la dernière Grande Librairie avec lui. J'ai lu plusieurs de ses livres, j'ai assisté également à une après-midi de conférences diverses où il était l'invité principal. Il a beaucoup écrit, j'ai encore à découvrir ..

  • Quand j'allais à La Seyne sur mer, j'espérais le croiser par hasard, mais ça ne s'est jamais produit. Cyrulnik écrit beaucoup, se répète parfois, mais ouvre plein de pistes de réflexion.

  • Je l'avais écouté : ce fut émouvant et enrichissant, comme à chacune de ses interventions. Merci beaucoup, Tania, pour ton billet avec les liens.
    Gros bisous et bon jeudi à toi.

  • Avec plaisir, Pahi. J'aime aussi beaucoup l'écouter. Bonne après-midi.

  • un homme pour qui j'ai une immense admiration
    Un ami a vu son interview sur la guerre en Ukraine où il n'a pu retenir ses larmes revivant ainsi ses année d'enfance
    un auteur magnifique et tellement important

  • Tous ces enfants ukrainiens qui s'accrochent à leur mère sur la route de l'exil, ces familles séparées, cela fend le coeur, vraiment, et ravive des scènes de la seconde guerre mondiale qu'on nous a racontées et qu'on n'imaginait pas revoir.
    Cyrulnik illumine par son empathie et sa vision encourageante des êtres humains, malgré tout.

  • Tania, quel sujet important pour nous de réfléchir aujourd'hui.
    Je pense aux enfants d'Ukraine.

  • Merci, Jane. Déjà plus de 28ooo réfugiés ukrainiens ont été accueillis en Belgique.

  • en effet! je retrouve la même chose dans le livre que je lis en ce moment
    https://journalbelgianhistory.be/fr/journal/belgisch-tijdschrift-voor-nieuwste-geschiedenis-xlv-2015-23/karel-strobbe-pieter-serrien
    beaucoup de ces gamins de 16, 17 ans ont tenu un journal (l'écriture. et son rôle! on n'en sort pas :-)) et soixante ans plus tard avaient encore des tas d'émotions fortes qui les empêchaient de bien en parler...

  • Une lecture poignante, je l'imagine bien. Bonne journée, Adrienne. Un réveil tout blanc, drôle de poisson d'avril.

  • C'est un grand homme, un homme à part ; ses écrits sont toujours enrichissants et quand il parle, c'est avec douceur, en posant des silences... un être lumineux !!!
    Moi aussi, souvent je regarde sa sublime maison et son jardin, mais je ne l'ai vu "en vrai" qu'il y a quatre ou cinq ans lors d'une conférence, il sait rester discret. Doux week end Tania

  • J'admire souvent, quand je l'écoute, cette douceur (comme tu l'écris) avec laquelle il dit des choses fortes. Un homme habité par la résilience et un être de lumière, certes.

  • Suffit-il d'écrire pour ne plus être malheureux ? mais aussi faut-il être malheureux pour écrire ? je viens de lire pour le mois de la littérature des pays de l'Est et le mois d'avant pour la littérature des pays latino-américains et il faut bien reconnaître que tous ces écrivains se nourrissent des tragédies de leur pays , des traumatismes qu'ils ont vécus. La littérature cathartique ! Après, parfois, la littérature qui ne l'est pas paraît fade !

  • Tu poses de bonnes questions, Claudialucia. On a l'impression qu'il y a si souvent une souffrance au départ ou en tout cas un manque existentiel - mais tant de personnes les ressentent sans écrire ni créer pour autant. Je me souviens de cette formule entendue un jour : le génie littéraire consisterait en cette capacité à transformer l'expérience malheureuse en lui donnant une vie nouvelle.

  • Une voix infiniment douce et emplie de bonté, il m'impressionne toujours. Très touchée de le voir pleurer pour la première fois lors d'une interview sur les enfants d'Ukraine, il était avec eux sur les routes et dans la boue....
    Merci Tania d'avoir parlé de lui, belle fin de journée.

  • A toi aussi, Claudie, merci.

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