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peinture - Page 9

  • Je t'ai déjà raconté

    Second place de Rachel Cusk (traduit de l’anglais par Blandine Longre) s’intitule en français La dépendance. Une bonne façon de désigner le fait de dépendre de quelque chose ou de quelqu’un (Albert Memmi y a consacré un excellent essai) ou une construction secondaire près d’une maison : les deux sont liés dans ce roman.

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    « Je t’ai déjà raconté, Jeffers, la fois où j’ai rencontré le diable dans un train au départ de Paris, et comment, après cette rencontre, le mal qui d’ordinaire reste tapi sous la surface des choses sans que rien vienne le troubler a surgi et s’est déversé sur toutes les facettes de mon existence. » La dépendance est le récit que fait M à Jeffers (dont on ne sait rien) d’une expérience qu’elle a elle-même provoquée et qui a failli lui faire perdre « cette vie de paix et de douceur dans le marais » avec Tony qui l’avait aidée à se réconcilier avec la vie.

    Le point de départ, c’est ce séjour à Paris où M visite une galerie d’art qui expose des tableaux de L, une « rétrospective majeure ». Touchée par « l’aura de liberté absolue » qui émane d’un autoportrait de l’artiste, elle se sent basculer : « j’ai cessé d’être immergée dans l’histoire de ma propre vie et je m’en suis dissociée. […] Autrement dit, j’ai vu que j’étais seule, et j’ai vu aussi les fardeaux et les bienfaits associés à cette condition, ce qui ne m’avait jamais été véritablement révélé avant ce jour. »

    Quinze ans plus tard, elle écrit à L dont un ami commun lui a donné l’adresse « pour l’inviter à venir dans le marais » : « Nous vivons simplement, confortablement, et possédons une dépendance où nos invités peuvent séjourner et se retrouver tout à fait seuls s’ils le désirent. » Très rapidement, L se montre intéressé. Aussi lui répond-elle en décrivant la façon dont Tony et elle vivent et à quoi ressemble cette dépendance qu’ils réservent à leurs hôtes.

    En déblayant la parcelle qui jouxtait leur terrain avec l’intention « de la rendre à la nature », ils y avaient découvert diverses choses à l’abandon, dont une maisonnette noircie par le feu, qu’ils avaient démolie pour la rebâtir. L’intention était de la réserver aux « choses supérieures » : « Tony comprenait que j’avais des intérêts qui m’étaient propres et, s’il était satisfait de notre vie dans le marais, cela ne voulait pas forcément dire que je l’étais moi aussi. » La dépendance était un des « ponts » entre eux deux.

    L annule son séjour. Quand Justine, la fille de M, revient avec son ami Kurt, ils s’installent dans la dépendance – jusqu’à ce que L accepte finalement l’invitation et les renvoie dans la grande maison. Tous deux ont perdu leur emploi et apprécient de vivre sous leur toit. M est surprise de voir Justine se comporter « comme une vraie petite épouse » auprès de Kurt.

    Romancière, la cinquantaine, M avait imaginé sa rencontre avec le peintre d’après les œuvres très sombres qu’elle avait vues, bien que consciente de n’avoir pas trop le sens des réalités, contrairement à Tony, souvent silencieux, mais pragmatique et bienveillant. L arriverait par bateau, il leur fallait deux heures de route dans leur véhicule tout terrain et inconfortable pour aller le chercher dans une petite ville au sud du marais.

    Tony, très foncé de peau comme un Indien d’Amérique, grand et imposant, un homme laid mais digne, avait puisé dans la garde-robe héritée de son père (il avait été adopté par une famille du marais quand il était bébé) un costume trois-pièces. Il avait une allure plutôt insolite avec ses longs cheveux blancs. M s’était simplifié la vie, elle ne portait que du noir ou du blanc, et elle avait gardé les mèches grises qui striaient ses longs cheveux.

    L n’était pas seul. Brett, « une séduisante créature qui devait approcher de la trentaine » accompagnait le peintre, « extrêmement pimpant et soigné de sa personne ». Rien ne se passait comme prévu. M était convaincue que la vision du marais inspirerait l’artiste et le voir debout tôt le matin, contemplant « la lumière saisissante », semblait confirmer ses intuitions. Mais dès leur première conversation, elle ressent en même temps qu’un « sentiment de familiarité intime » la douloureuse sensation de manquer d’attrait à ses yeux.

    Très vite, ils se parlent de leurs vies respectives. Lui s’exerce à la « dépossession » : « je ne suis qu’un mendiant, et je n’ai jamais été rien d’autre. » Elle lui dit envier sa liberté, qui n’est pas celle d’une femme. L a l’intention de peindre des portraits pendant son séjour, il aimerait faire celui de Tony, peut-être aussi celui de Justine, et quand M se propose comme modèle, il l’écarte : « Mais je n’arrive pas vraiment à vous voir. »

    Rachel Cusk explore dans La dépendance les tensions souterraines à l’œuvre dans les rapports humains, entre M et L, entre M et Tony, entre M et sa fille, ainsi que la complexité de ses attentes par rapport aux autres. Le séjour de L est loin de l’idée qu’elle s’en faisait, personnages et situations sont imprévisibles. Seul Tony semble tenir leur vie en équilibre, alors qu’elle perd souvent le contrôle, toute à ses interrogations sur l’art et sur l’existence.

    « Un huis clos piquant et fascinant que l’on découvre en se plongeant dans le flot de pensées de M, une Mrs Dalloway des temps modernes », peut-on lire en quatrième de couverture. Tout à la fin, une note de Rachel Cusk cite Lorenzo in Taos, les Mémoires de Mabel Dodge Luhan sur le séjour de D. H. Lawrence chez elle, au Nouveau-Mexique. La dépendance se veut hommage « à l’esprit de cette femme ». Ce roman troublant m’a rappelé parfois En Amérique de Susan Sontag, et Maryna, son héroïne aux aspirations complexes.

  • D'Australie

    Ce Paysage d’Ada Pula Beasley m’a incitée à découvrir le stand de la galerie parisienne Arts d’Australie à Antica Brussels. Deux grandes expositions récentes m’ont ouvert les yeux sur l’art aborigène et je me suis interrogée sur l’aspect figuratif de cette belle peinture-ci qui s’écarte des codes traditionnels. « Ses œuvres sont plutôt à concevoir comme un hommage à son environnement proche, riche en ressources bénéficiant notamment à la médecine traditionnelle encore en usage aujourd’hui », peut-on lire sur le site de la galerie. Ada Pula Beasley est peintre et soigneuse traditionnelle.

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    © Ada Pula Beasley (°1959), Paysage, 2021, , 61 x 91 x 3 cm

    Entre tradition et innovation, Yam Seeds in my Grandmother’s Country [Graines d’igname dans le pays de ma grand-mère] a des reflets argentés et cuivrés que ma photo ne rend pas. « Avec cette toile, Elizabeth Kunoth retranscrit d’ailleurs l’ensemencement de la terre lorsque les femmes jettent au vent les graines d’une espèce locale d’igname qui leur permet d’assurer leur subsistance à la saison sèche. Les milliers de pointillés de différentes couleurs minutieusement apposés permettent de symboliser le mouvement des graines poussées par le vent et le scintillement de celles-ci sous les rayons du soleil. » (galerie Arts d’Australie)

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    © Elizabeth Kunoth Kngwarreye (°1961), Yam Seeds in my Grandmother’s Country (détail), 2020,
    acrylique sur toile, 120 x 180 cm

    Un clin doeil à Manou qui nous invite dans Un jardin en Australie.

     

  • Antica Brussels

    Après la Brafa au Heysel, je ne m’attendais pas à recevoir une nouvelle invitation à une foire d’art : Antica Brussels vient de présenter à Tour & Taxis sa première édition. Dans le même esprit qu’Antica Namur, ce salon printanier  a rassemblé 72 exposants, des galeristes et des antiquaires belges et étrangers.

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    Un ensemble de 1925 (galerie Wolvesperges)

    1925 a fait date dans l’histoire de l’art, avec la fameuse Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris, qui a donné son nom à l’Art déco. Le meuble et la toile ci-dessus datent de cette période de renouveau artistique. Un « rare bas d’armoire de la maison De Coene » en acajou, ébène de Madagascar, bois de rose, avec une belle applique en bronze doré (la clé s’y dissimule au pied du bouquet) est surmonté d’une nature morte « aux fruits et à la bouteille de vin » signée Robert De Winne.

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    Coupe Chine - Cie des Indes, XVIIIe s.,
    et composition florale contemporaine aux fleurs de porcelaine (La Métairie)

    Un passionné de porcelaines françaises proposait des objets anciens et des céramiques contemporaines. Son stand illustre bien le public ciblé par le salon Antica, celui des amateurs de ventes dites « bourgeoises », à la recherche d’objets de qualité et aussi de prix accessibles. Des fleurs de porcelaine piquées dans des coupes et vases anciens les rendent très décoratifs, comme des « objets de curiosité ».

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    Léon Spilliaert, Sirène (Baigneuse), 1910,
    Encre de Chine, pinceau, crayon de couleur sur papier, 647 x 491 mm (galerie Lancz)

    Je vous montre toujours volontiers des œuvres de Léon Spilliaert, un de mes peintres belges préférés. J’ai admiré cette Sirène ou Baigneuse, une encre de 1910 – beaucoup plus moderne à mes yeux que La Violoniste ou La Musicienne, également présentée sur le stand. Elle joue du violon devant un décor qui correspond à cette période tardive où Spilliaert peignait des arbres et des paysages très stylisés (un catalogue de l’exposition de 2016 sur ce thème est disponible en ligne).

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    Cercle du Maître au Perroquet (1500-1549), Marie Madeleine lisant un livre,
    Huile sur panneau, 45 x 29 cm (Jan Muller Arts & Antiques)

    La peinture ancienne reste une valeur sûre. J’ai particulièrement aimé cette lectrice du XVIe siècle, Marie-Madeleine lisant un livre. Le petit paysage flamand avec ses promeneurs (en haut) offre une respiration dans ce beau portrait où tout est peint avec finesse, du beau visage de Marie Madeleine à ses vêtements, sa coiffe perlée, ses bagues, et le joli récipient sur la table (un brûle-parfum ? Il nous faudrait un Harold Hessel pour le désigner par le terme exact).

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    Josep Llimona i Bruguera, Desconsol, 1907 (modèle) - 1934 (exécution),
    bronze et socle en marbre, fonte Barberi, 53 x 61 x 44,5 cm (Gothsland)

    Rien de tel qu’une grande sculpture pour donner vie à un stand, comme cette œuvre emblématique de Josep Llimona i Bruguera, moderniste catalan. La première version de Desconsol, en marbre, se trouve au musée du Prado ;  plusieurs répliques ont été réalisées de son vivant. Celle-ci offre un beau contraste entre ce corps féminin ployé par le chagrin et le socle en marbre.

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    © Isabelle Thiltgès, Heaven, bronze, 2021, 28 x 32 x 19 cm

    A l’opposé de cette œuvre quasi funéraire, Heaven d’Isabelle Thiltgès, chante l’amour fusionnel : un bronze contemporain, tout « en courbes, contre-courbes, et rondeurs » (Sophie Cloart sur le site de l’artiste belge). J’adore, pas vous ? Si l’Art nouveau était forcément montré à Antica Brussels 2023, le thème de cette année était « Elles font l’art » : les « artistes, galeristes, expertes, collectionneuses,... et autres personnalités qui contribuent à l’histoire de l’art » étaient présentes tout au long du parcours.

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    © Marthe Guillain, Intérieur, s.d., Huile sur panneau (Jean Nélis)

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    Anna Boch, Les lanternes japonaises, s.d., huile sur toile, 57,5 x 75,5 cm (Remarkable Paintings)

    Des œuvres de peintres belges ont retenu mon attention : une femme dans un Intérieur de Marthe Guillain, une toile haute en couleurs ; deux superbes dessins au crayon de Jenny Montigny ; un bouquet de fleurs de Juliette Cambier ; un intérieur de salle à manger d’Anna Boch, aux couleurs difficiles à rendre (photo jaunie par l’éclairage), Les lanternes japonaises. On y voit ces fleurs sur la table où deux personnes viennent de prendre le thé.

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    © Adolphe Keller (1880-1968), L'heure du thé (détail), huile sur toile, 73 x 93 cm (Van de Ven)

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    Rik Wouters, Femme en rouge, pastel sur papier, 44 x 28 cm

    Aussi j’enchaîne avec cette jolie scène qui respire le plein air. L’heure du thé est signée Adolphe Keller, un peintre qui a habité un temps au Rouge Cloître. Il est né à Auderghem, commune bruxelloise voisine du Boitsfort cher à Rik Wouters dont ce beau pastel, Femme en rouge, est bien sûr un portrait de Nel, sa femme.

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    Fernand Khnopff, Etude de jeune fille, 1899 (galerie Raf Van Severen)

    Je voulais éviter l’énumération dans ce billet, mais j’ai tout de même envie de vous signaler ce très doux nu féminin de Fernand Khnopff, « Etude de jeune fille », présentée dans un cadre doré spectaculaire – très beau, voire un peu « trop ». Il est vrai que la scénographie importe pour mettre des œuvres d’art en valeur : l’œil se laisse accrocher par un cadre ou une présentation bien choisie.

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    Galerie Philippe-John Farahnick

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    Dante Zoi, Danseuse orientale, vers 1910, Marbre de Carrare,
    Socle en Portor, 117 x 54,5 x 31,5 cm 

    Voyez ces laques rouges et cette grande peinture qui se valorisent mutuellement devant le stand de Philippe-John Faraknick. Ou cette magnifique Danseuse orientale qui attire le visiteur sur celui de la galerie Artimo.

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    © Mark Dedrie, Silence (brown) / Insight / Early Bird (green),
    bronzes (Early Birds Art Gallery)

    Belle idée aussi, ces oiseaux perchés de Mark Dedrie chez Early Birds, vous ne trouvez pas ? Comme j’interrogeais ce galeriste de Knokke sur le sculpteur, j’ai appris que ces bronzes sont de son père. Cette première édition d’Antica Brussels (l’anglais, langue internationale, si commode pour éviter les appellations bilingues) était très réussie. Rendez-vous est pris pour la prochaine.

  • Temple virtuel

    En revenant vers l’entrée de l’exposition « Swedish Ectasy », quelques marches sur la droite mènent à une présentation du joik à travers une série de photos et textes. C’est là que débute un couloir menant à l’expérience virtuelle du Temple d’Hilma of Klint. L’artiste « rêvait d’une construction en forme de spirale pour abrite son corpus d’œuvres les plus importantes. » Sur une île suédoise de préférence, un temple qui serait une « église d’une nouvelle ère » ou un musée, accessible à tous.

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    Hilma af Klint : The Temple, 2022, réalité virtuelle produite par Acute Art (cliquer sur le lien pour la bande annonce)

    Au bout du couloir où des écrans diffusent quelques images pour s’en faire une idée, des tabourets attendent les visiteurs, invités à s’y asseoir puis à glisser un casque sur la tête pour douze minutes de spectacle inédit. Une fois casquée, première expérience de ce genre pour moi, je suis entrée dans cette spirale géante où les œuvres d’Hilma af Klint se meuvent sur un fond sonore enveloppant. Au début, on regarde devant soi, puis on comprend qu’en levant la tête ou en l’abaissant, on peut explorer ce monde de couleurs en trois dimensions. Etonnant !

  • Extase suédoise

    Sous le titre Swedish Ecstasy, Bozar expose jusqu’en mai de nombreuses œuvres de la peintre Hilma af Klint, « disciple de l’anthroposophie » et pionnière de l’abstraction, en compagnie d’autres Suédois « dont les créations ont pour fil conducteur le mysticisme et les spéculations ésotériques ». Je ne m’attendais pas à y voir des toiles de l’écrivain Strindberg.  

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    Hilma af Klint, Le Cygne, The SUW Series, Group IX, No.2, 1914, huile sur toile, HaK 150.
    Fondation Hilma af Klint

    Née à Stockholm, Hilma af Klint (1862-1944) n’a que dix-huit ans quand sa sœur meurt à dix ans – elle se tourne alors vers le spiritisme et le spiritualisme. Une peinture de sa série Le Cygne a été choisie pour l’affiche de l’exposition (ci-dessus). On découvre dans la première salle la série complète de Chaos primordial, où le bleu et le jaune dominent. Des œuvres aux symboles abstraits, spirales, ondulations, cercles. Des formes rayonnantes et des croix – Hilma af Klint s’est passionnée pour le rosicrucianisme – des mots aussi.

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    Hilma af Klint, Le Chaos primordial, série, 1906-1907, huile sur toile, Fondation Hilma af Klint

    De grandes huiles de la série Le Cygne mêlent abstraction et figuration. Un colimaçon rose pâle occupe le centre d’une toile carrée divisée en huit triangles colorés, séparés par des médianes noires, des diagonales blanches. Parmi les variations sur le carré et la spirale, la plus étonnante est celle à fond noir où, en observant les formes dont le mouvement converge vers un petit cœur au centre, on reconnaît soudain quatre cygnes qui viennent le toucher du bec.

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    Vue partielle de la première salle Hilma af Klint à Bozar swedish ecstasy,exposition,bozar,bruxelles,hilma af klint,spiritualisme,suède,peinture,culture
    Hilma af Klint, Le Cygne, série SUW, n° 7, 1914, huile sur toile, Fondation Hilma af Klint, HAK 155

    Quatre ? Regardons mieux. Sur la gauche, ils sont deux, le cygne au col blanc et le cygne au col noir. La cohérence de la série apparaît : une exploration du dualisme avec la division en deux de l’espace, le contraste du noir et du blanc, les deux cygnes s’affrontant ou s’enlaçant, opposés et complémentaires. Af Klint pensait que l’unité élémentaire lors de la création du monde « avait été perdue et avait cédé la place à un monde polarisé : le bien et le mal, la femme et l’homme, la matière et l’esprit », « le principe de toute vie ».

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    © Cecila Edefalk, La fille aux abeilles, 1988, huile sur lin, Collection Stähl

    Des œuvres plus récentes alternent sur le parcours avec celles d’artistes à cheval sur les XIXe et XXe siècles, attirés par le spirituel et l’ésotérique. Cecilia Edefalk (°1954) crée des œuvres « hantées par les esprits ». A côté de grandes compositions abstraites quasi monochromes, j’ai eu un coup de cœur pour La fille aux abeilles (huile sur lin, 1988), sombre et lumineuse, qui m’a longuement retenue.

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    Ernst Josephson, Portrait d'une dame, s.d., huile sur toile, Nationalmuseum, Stockholm

    Ernst Josephson (1851-1906) participait avec ses amis à des séances d’occultisme, il se considérait comme un médium. Ses « visions extatiques » s’inspirent de Swedenborg, la personnalité tutélaire de cette exposition. Josephson fait face ici à Carl Fredrik Hill (1849-1911), son contemporain, l’un des grands peintres paysagistes de Suède, dont la peinture a changé quand sa santé mentale s’est détériorée ; il est entré alors dans une phase hallucinatoire.

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    Carl Fredrik Hill, L'arbre fruitier en fleur dans la grotte, après 1878, craie noire sur papier,
    Nationalmuseum, Stockholm

    Après quelques paysages réalistes signés Hill, à côté d’un Pommier en fleurs est accroché L’arbre fruitier en fleur dans la grotte, une craie noire qui illustre une autre facette de cet artiste avec des œuvres sur papier : craie, pastel (de beaux Paons). Les figures étranges sur un fond doré (ci-dessous) datent de sa maladie, c’est très mystérieux.

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    C. F. Hill, Figures sur fond doré, s.d., huile et peinture métallique dorée et argentée sur carton,
    Nationalmuseum, Stockholm

    « Inferno » : voici une seconde applique au néon, après « Swedish Ecstasy » à l’entrée, de Daniel Youssef (°1975). Suédois élevé dans un foyer arabophone, il  travaille sur les langues et les traductions. Plusieurs téléphones sont à décrocher sur le parcours ; on y entend des voix, des modulations : le joik est considéré comme la forme la plus ancienne de chant en Europe.

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    August Strindberg, Le Soleil se couche sur la mer, 1903, huile sur toile,
    Collection Albert Bonniers Förlag 

    « Inferno » est le titre d’un roman autobiographique d’August Strindberg, dont on expose un bel ensemble de peintures. Des paysages : marines, ciels, vagues, rochers, « comme des autoportraits symboliques révélant un esprit souvent tourmenté ». Il peignait dans les moments difficiles ou quand il n’arrivait plus à écrire. Composition et palette reflètent son humeur. J’aime beaucoup ces toiles tantôt sombres, tantôt claires, avec cette curieuse ligne d’horizon comme tracée à la règle entre mer et ciel. En vitrine,  une page de son Journal occulte (les mots alternent avec de petits dessins et collages) ; des livres ; des « célestographies ». C’est à voir.

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    Christine Ödlund, Botaniste psychédélique, 2022, huile, acrylique, pigments végétaux et crayon sur toile, CFHILL

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    Un détail de la série de Christine Ödlund

    La dernière grande salle de l’exposition est formidable. D’abord des œuvres de Christine Ödlund (°1963) qui mêle « la théosophie, la synesthésie et la biologie spéculative ». Elle a fait des recherches sur les plantes et qualifie ses dernières œuvres, à la fois scientifiques et artistiques, de « botanique spiritualiste ». Quatre toiles présentent des « Botanistes psychédéliques » : Annie Besant, Eva Ekeblad, Carl Linné, Emanuel Swedenborg.

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    Hilma af Klint, Retables, Groupe X, n° I, 1915, huile et feuille de métal sur toile,
    Fondation Hilma af Klint, HAK 187

    Un grand Retable d’Hilma af Klint domine dans le fond. On peut s’asseoir devant pour gravir doucement les degrés de la pyramide et leurs dégradés de couleurs, observer leurs fleurs de lotus au centre, puis s’élever vers le disque solaire. Non loin de là, des peintures de son amie Anna Cassel. Connue comme paysagiste, elle a fait partie du groupe « Les Cinq » (De Fem) et ces œuvres médiumniques ont été découvertes récemment.

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    Anna Cassel, 1913, huiles sur toile, Fondation Hilma af Klint (exposées pour la 1e fois)

    Elle a participé aux Peintures pour le Temple d’Hilma af Klint, dont je vous parlerai prochainement. Une exposition étonnante, une découverte totale pour moi, je vous la recommande. « C’est un événement ! » (Guy Duplat dans La Libre)