Un nouveau musée ? C’est le slogan des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique pour inviter à découvrir la nouvelle présentation des œuvres qui, dans leurs collections, montrent comment Bruxelles, de 1868 à 1914, « Fin de siècle » au sens large, fut le « carrefour culturel de l’Europe ». Des peintres et des sculpteurs belges et étrangers, mais aussi des photographes, des architectes, sans oublier les arts décoratifs, la littérature et la musique.
Au bas des marches, la Diane de Zadkine (1937) est restée en place.
Pour y accéder, les visiteurs empruntent le couloir qui menait naguère au Musée d’art moderne (je m’efforce de ne pas trop y penser en arpentant les espaces vides, l’air inachevé, qui précèdent le début du parcours, au bas de l’escalier). Pour entrer dans le réalisme, courant qui a dominé les arts dans la seconde moitié du XIXe siècle, une grande toile de Charles Hermans, A l’aube, voisine avec L’attrapade de Rops, Prière, un grand marbre de Guillaume Charlier, et de petits groupes sculptés comme La famille de l’ivrogne de Léopold Harzé. Pour les familiers du musée, la présence d’artistes ou d’œuvres moins connus éveille bien sûr un intérêt particulier.
Charles Hermans, A l’aube,1875 (248 x 317)
Cà et là, on découvre des portraits d’artistes, comme celui d’Alfred Stevens en haut de forme par Gervex – on verra plus loin quelques-unes de ses mondaines aux belles robes – ou, plus tard, celui d’Anna Boch par Isidore Verheyden, accroché non loin de sa lumineuse Côte de Bretagne. Mais il y a beaucoup d’œuvres réalistes à découvrir avant d’arriver à cette fascination nouvelle pour la lumière des impressionnistes. Une longue vitrine expose de petits objets de la fin du XIXe siècle et en particulier des clichés illustrant les débuts de la photographie, des dessins de Mellery, de jolies études de Léon Frédéric et des petits bronzes (trop peu éclairés).
Constantin Meunier, Femme du peuple, 1893
La peinture de paysage est bien représentée : Daubigny (Bords de l’Oise) et Corot (les Hauts de Sèvres) voisinent avec Rops, Artan et des peintres de l’école de Tervueren comme Boulenger. Quelle force expressive dans Femme du peuple, un superbe bronze de Constantin Meunier, dont on expose aussi de grandes peintures comme le Triptyque de la mine. A côté du monde paysan (Les marchands de craie de Léon Frédéric, un petit Portrait de paysan par Van Gogh) et de celui des ouvriers au travail ou en grève, des œuvres qui dénoncent la misère sociale, deux toiles sur la vie des artistes : Les collègues de Pierre Oyens, un homme au chevalet, une femme à la palette ; de Fantin-Latour, une très belle Leçon de dessin dans l'atelier.
Ensor, Carnaval sur la plage, 1887
Ensor et Evenepoel : voici des œuvres majeures. D’Ensor, par exemple, Les masques scandalisés (dans la palette sombre) et Les masques singuliers (dans la palette claire, dix ans plus tard) et encore ce magnifique Carnaval sur la plage aux couleurs nacrées (comme dans ses Fleurs, malheureusement invisibles). Le beau portrait du père d’Ensor lisant et de fascinantes figures féminines : Une coloriste, La dame sombre. Un très grand portrait d’un peintre en costume rouge domine la salle des Evenepoel, je lui préfère ces deux magnifiques portraits d’enfants que sont Henriette au grand chapeau et Les images.
Henri Evenepoel, Les images et Henriette au grand chapeau (photos prises sans flash)
Pour ceux qui ne le connaissent pas, ce sera l’occasion de découvrir Vogels, spécialiste des impressions atmosphériques (voyez Ixelles, matinée pluvieuse ou le ciel nocturne dans La rue des chanteurs). J’ai été frappée par le voisinage de deux tableaux : un verger encore réaliste à côté d’un paysage de Sisley (A la lisière du bois), ce qui permet de comparer ces deux manières très différentes de peindre la nature et d’apprécier la vibration de la touche. Quelle clarté, chez les impressionnistes ! Van Rysselberghe, Emile Claus (trop peu d’œuvres exposées à mon avis), Anna Boch, Signac, Seurat – cette fois, on respire le plein air, la lumière inonde les jardins, les bords de mer, on se régale. Plus loin, arrêt devant le Nu à contre-jour de Bonnard, seul sur un mur, splendide.
Emile Claus, L'inondation (à l'ombre du cadre)
Un beau bleu profond a été choisi pour présenter le symbolisme. Fernand Khnopff y est à l’honneur, on expose une maquette de sa maison-atelier. Quel dommage de constater qu’ici aussi, comme dans les salles précédentes, un éclairage maladroit laisse le haut du tableau barré par l’ombre du cadre, même sur les visages du fameux Des caresses ! J’avais déjà signalé ce problème lors de la rétrospective Stevens. Dans un « nouveau » musée, c’est sidérant. Sans compter que là où la pénombre met en valeur le contenu de vitrines bien éclairées, en particulier de beaux décors pour des opéras de Wagner, on ne peut pas déchiffrer les étiquettes en dessous – fâcheux.
Jean Delesclusze, Maquette de décor pour Parsifal de Richard Wagner (détail)
A cette étape du parcours Fin de siècle, on découvre une émouvante Figure tombale de Dillens, de magnifiques illustrations de Redon pour Verhaeren en plus de son terrible Christ, Une Morte (Ophélie) de Schlobach dans un cadre spectaculaire, des Constant Montald de premier plan.
La belle salle des Spilliaert, dont je pourrais vous parler longuement, contient plusieurs grandes sculptures de Minne (La solidarité, Le maçon). Mais j’arrête d’énumérer : vous l’avez compris, ce ne sont là que quelques noms, quelques repères dans la traversée de cette époque fertile pour la culture belge et européenne – il faudra y retourner pour en détailler tous les trésors, s’attarder partout et découvrir la section sur l’architecture art nouveau que je n’ai pas eu le temps de voir, même en y passant toute l’après-midi.
George Minne, La solidarité (salle Spilliaert)
La grande nouveauté, au dernier niveau (-8), c’est la très attendue collection Gillion Crowet dédiée à l’art nouveau, présentée avec soin dans un écrin violet qui convient parfaitement à ces pièces d’orfèvrerie signées Wolfers, au mobilier de Victor Horta et de Majorelle (ensemble Nénuphar), aux verreries de Witwe, Gallé, Daum, et autres Lalique, aux luminaires et objets de bronze.
http://www.fin-de-siecle-museum.be/fr/musee-fin-de-siecle-museum/la-collection-gillion-crowet
D’étonnantes peintures et sculptures y sont exposées, de belles surprises pour terminer le parcours. Par exemple, ce tableau de Xavier Mellery, dont le titre fera le mot de la fin : « L’Art touche au Ciel et à la Terre. » Dans le grand ascenseur où l’on peut s’asseoir pour rejoindre en douceur le niveau de départ, un visiteur étranger que j’interrogeais sur ses impressions me répondit « very, very interesting », d’un air rêveur.
Commentaires
Je serais particulièrement intéressée par la collection "art nouveau" qui est une période qui me fascine. Les Ensor sont magnifiques, je commence à me familiariser un peu plus avec les artistes belges, grâce à toi !
Ce nouvel apport (donation) enrichit vraiment les collections du musée pour cette période, bien représentée aussi aux Musées d'art et d'histoire (au Cinquantenaire) où la rétrospective van de Velde est à présent terminée : http://www.kmkg-mrah.be/fr/art-nouveau-et-art-d%C3%A9co
Merci pour ta remarque sur les artistes belges, ça me fait plaisir.
j'y suis allée tout récemment, je n'ai pas encore eu l'envie de faire un billet - il est vrai que j'avais oublié l'appareil photo - pour une fois qu'elles sont autorisées !!!!
il me faudra donc y retourner :)
en tout cas ton billet est très intéressant - bien que j'avais lu des articles très négatifs sur cette aile du musée des beaux-arts, je n'ai pas eu une impression désagréable, bien au contraire - et s'il est vrai que certaines pièces sont mal mises en valeur, l'ensemble pour moi était assez positifs - il est vrai que j'ai re-découvert des oeuvres que je connaissais depuis bien longtemps et qui avaient "disparu" dans les réserves
Beaucoup de noms que je connais et que j'aime, comme Constantin Meunier, Rops bien sûr et Spilliaert, Minne etc...mais je suis enchantée de découvrir des noms inconnus. Grand merci pour ce billet et ses nombreux liens!
Quelle douceur dans "le nid"!
Bonne fin de journée Tania.
moi aussi je suis une grande fan d'Emile Claus... Il y a eu (il y a longtemps) une belle expo sur lui à Ostende, j'y suis allée avec ma belle-mère, très fière de sa ville :-)
@ Niki : Sans flash, les photos ne sont pas fameuses, mais cela complète les notes et me permet de revoir le parcours en écrivant. Comme toi, j'ai apprécié de retrouver les œuvres inaccessibles depuis cinq ans, et les autres.
@ Colo : Heureuse que ce "Nid" te plaise aussi. Une grande rétrospective Meunier est annoncée pour le printemps, à ne pas manquer. Bonne fin d'après-midi, Colo.
@ Adrienne : Ah, Ostende ! Claus, c'est chaque fois un rendez-vous avec de belles lumières, je suis bien d'accord.
Ton compte-rendu me donne encore plus envie d'y aller. Cela fait partie que j'ai envie de voir lors de mes prochaines visites à Bruxelles, avec la Foire du Livre et l'exposition 1914-1918 au Musée de l'Armée. Comment fais-tu pour tout retenir? Tu notes en visitant les musées?
Oui, j'ai toujours un carnet avec moi pour visiter un musée ou une expo. Et l'appareil photo quand c'est autorisé. Bonne visite du musée Fin de siècle un jour ou l'autre.
Mon dieu, que ça fait envie... Même si bizarrement on est souvent un peu déçu par les nouvelles muséographies. De grandes attentes, et puis la réalité : c'est difficile de faire un musée sans défaut.
La présentation reste assez classique, vu la configuration des salles - sauf pour la nouvelle collection art nouveau, dans un véritable écrin. A la première visite, c'est vrai que l'attente trouble un peu le regard, mais ce sont de belles collections à voir et à revoir, et l'oeil sera sans doute plus libre la prochaine fois.
Faute de temps, excusez-moi, je lis votre article sans découvrir s'il s'agit d'une exposition temporaire. J'espère la visiter, ce Bruxelles à la charnière d'un siècle m'intéresse, et vos illustrations m'y engagent.
Prenez votre temps, ce n'est pas une exposition mais le nouvel accrochage des collections permanentes (une partie). Bon week-end malgré la pluie.
Grand merci pour cette visite. Ce musée est mon projet premier pour ma prochaine visite à Bruxelles ( particulièrement intéressée par l'Art Nouveau )
Je vous en souhaite bonne visite. Et je vous recommande aussi les circuits de découverte de l'art nouveau organisés par l'Arau : http://www.arau.org/fr/tours
Merci, pour cette belle visite, Tania. Tant de choses à apprendre ! Comme vous je m'agace des mauvais éclairages, sans parler de la manie des salles aux murs peints en noir capables de tuer n'importe quel tableau !
Pas de noir ici, heureusement, des couleurs bien choisies. Quant aux problèmes d'éclairage, un gardien à qui j'en parlais m'a suggéré de l'écrire dans le livre des visiteurs (que je n'ai pas vu et n'ai pas eu le temps de chercher), "même si sans doute ça ne changera rien" (sic).
Quelle belle collection!
Je découvre d'ailleurs des noms d'artistes que je ne connais pas, et que cela donne envie de découvrir!
Bienvenue, Eimelle. Ce parcours témoigne des nombreux échanges entre artistes français et belges autour de 1900, ne le manquez pas si vous êtes de passage à Bruxelles.
Juste le sentiment du devoir accompli !
Bonjour Tania,
C'est un très bel article et il faudra que je me décide à aller visiter ce musée - enfin, cette nouvelle version de ce qu'on a connu (le XIXème au rez-de-chaussée du musée d'art ancien, la sculpture au sous-sol, puis le XIXème dans les salles dédiées aux expositions, etc.) Le musée vaut certainement la peine d'être visité, mais c'est surtout la politique du grand responsable et de l'espèce d'association/mouvance, structure, je ne sais pas comment il faut appeler ça, qui est critiquée, je crois.
Marianne Belgique avait publié un article à ce sujet.
Evidemment, le fait de mêler les genres est intéressant, (comme à Orsay), mais j'aurais préféré que l'on exploite vraiment à fond toutes les capacités de nos deux musées (MRBA et MRAH - qui ont le même directeur d'ailleurs, mais dans un cas, pour une sorte d'ad interim). J'ai un peu peur que chez nous, la politique ne s'en mêle, et qu'on assiste, impuissants (et désespérés) à l'explosion de nos musées...
Et je regrette cette option d'exposer 1/3 des collections quand 2/3 restent dans les réserves, même si tout n'a peut-être pas la même valeur...
Bonjour, Pivoine, ravie de vous retrouver au rendez-vous de l'art. Oui, les questions de structure semblent absorber davantage les énergies des responsables de la culture que les questions de fond dans ce dossier. Un dernier aperçu sur ce projet de "pôle muséal" dans La Libre hier :
http://www.lalibre.be/culture/arts/la-note-qui-propose-le-big-bang-des-musees-52f3b50f3570c16bb1c60871
Je partage votre inquiétude, tous les éléments de ce dossier sont repris sur le site de
http://museesansmusee.wordpress.com/musee-sans-musee/
Bonne visite un jour ou l'autre !
j'y suis enfin retournée, avec mon appareil photo - elles ne sont vraiment pas très bonnes, mais soit - ton article est vraiment intéressant
Ah, je vais aller voir ce qui t'a plu, merci de le signaler.