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naples - Page 2

  • L'enfant perdue

    Quatrième et dernier tome de L’amie prodigieuse après le premier tome éponyme, Le nouveau nom et Celle qui fuit et celle qui reste, L’enfant perdue d’Elena Ferrante mène à son terme l’histoire de Lenù (Elena) et Lila, les deux amies d’enfance napolitaines : maturité, vieillesse, épilogue.

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    A Montpellier où elle s’est échappée avec Nino Sarratore (son amour de jeunesse, à présent son amant) qui y donne des cours, Elena Greco, trente-deux ans, comprend qu’être épouse et mère ne lui suffit pas. Furieux, Pietro Aireto (son mari) a confié Dede et Elsa, leurs filles, à sa mère. Ils ne veulent plus la voir. Alors Elena profite de son séjour en France pour aller à Nanterre où une petite maison d’édition va publier un de ses textes. Un couple d’amis français de Nino les héberge à Paris, Elena y est bientôt fatiguée des conversations incessantes et de la familiarité de Nino avec la Française. De toute manière, ils tombent d’accord sur le fait qu’ils doivent d’abord affronter chacun leur conjoint avant de commencer à vivre ensemble.

    A Florence, Pietro s’absente pour le travail lorsqu’elle rentre, mais les filles d’Elena lui font bon accueil. Sa belle-mère essaie en vain de la convaincre de rester avec son mari, Elena rassemble ses affaires pour aller rejoindre Nino. Il lui a pris une chambre dans un petit hôtel à Naples, lui habite chez un collègue d’université près du Duomo. Avertie de son arrivée, Lila a déjà contacté Nino : elle veut les revoir, ce qui ne manque pas d’agacer Elena – Nino et Lila se sont aimés il y a longtemps – et son sentiment se confirme : très vite, Lila s’immisce entre eux. Elle insiste pour qu’Elena revienne vivre à Naples, lui fait rencontrer Antonio (le petit ami de son adolescence), qui la met en garde contre Nino : « S’il te fait mal à toi aussi, dis-le-moi. »

    La mère d’Elena se déplace à Florence pour encourager une réconciliation, mais Elena est bien décidée à demander le divorce et la garde de ses filles. Après les avoir laissées un certain temps chez leur père, du fait qu’elle se déplace souvent pour ses conférences et pour rejoindre Nino ici ou là, elle décide de s’installer à Naples où celui-ci enseigne à l’université et d’y emmener les filles, d’autant plus qu’à Florence, Pietro s’est lié avec une étudiante.

    Lila s’en mêle à nouveau et raconte à son amie d’enfance qu’elle a fait suivre Nino : contrairement à ce qu’il raconte à Elena, il n’a pas quitté sa femme et son fils et a obtenu la direction d’un important institut de recherche grâce à son beau-père. Acculé, Nino minimise les faits, reconnaît avoir menti et explique à Elena pourquoi il n’a pu faire autrement. Ecœurée, celle-ci se réfugie avec ses filles chez sa belle-sœur Mariarosa à Gênes.

    Il est difficile de comprendre pourquoi Elena, même après avoir appris que la femme de Nino est à nouveau enceinte, accepte de vivre avec lui dans le grand appartement qu’il leur a loué à Naples, sinon pour échapper à son ancien quartier : « Depuis la Via Tasso, le quartier de mon enfance ne paraissait qu’un lointain tas de pierres blanchâtres, des détritus urbains au pied du Vésuve que rien ne distinguait. Et je voulais qu’il continue à en être ainsi : j’étais quelqu’un d’autre maintenant, et j’étais décidée à tout faire pour ne plus être aspirée par mon quartier. » Sera-ce possible avec Lila ?

    Celle-ci, qui a lancé sa propre entreprise d’informatique, gagne très vite la sympathie des filles d’Elena. Quand Nino et elle ont l’occasion d’aller ensemble aux Etats-Unis, chacun pour son travail, c’est Lila qui va les garder et leur donner l’image de la mère idéale, même si les filles découvrent ainsi que Lila dort avec Enzo sans qu’ils soient mariés et qu’Enzo n’est pas le père de Rino, le fils de Lila, dont Dede tombe amoureuse. Puis les deux femmes se retrouvent enceintes toutes les deux : Elena, épanouie par la grossesse, est heureuse d’attendre un enfant de Nino, au contraire de Lila, malade et inquiète.

    La troisième fille d’Elena s’appellera Imma (Immacolata, le prénom de sa mère) et celle de Lila, Tina (comme la poupée d’Elena tout au début de L’amie prodigieuse, quand les deux fillettes jouaient à la cave). L’une est blonde, l’autre brune. Tina sera une enfant précoce, au point qu’Elena aura des craintes à propos du développement de sa propre fille. Tremblement de terre, règlements de compte, affaires de famille, problèmes du quartier, tout le fonds napolitain de la saga d’Elena Ferrante reste bien présent dans l’histoire de cette amitié tumultueuse.

    Elena doute constamment de sa réussite littéraire ; son travail d’écrivain et sa responsabilité de mère sont souvent en conflit et en pratique, c’est Lila, toujours Lila, qui lui permet de s’en sortir. Nino, le beau parleur, l’ambitieux, finira par confirmer sa mauvaise réputation et Elena, faute de moyens, devra tout de même retourner vivre dans son quartier. Le dernier volume de L’amie prodigieuse est, comme les précédents, riche en péripéties. La plus dramatique, annoncée en titre, est la disparition d’une fillette, qui va bouleverser la vie des deux femmes.

    Curieuse de lire où Elena Ferrante conduirait ses héroïnes, j’ai pourtant été déçue par L’enfant perdue. Souvent prévisible voire peu vraisemblable, le récit est de plus en plus narratif et convenu, au détriment de l’analyse psychologique. Est-ce l’intention de la romancière de montrer les entraves de la vie de couple et de la maternité ? les embarras matériels au quotidien ? la déception amoureuse ? le doute permanent quant à sa valeur propre ? Est-ce de l’amitié entre Elena et Lila ou une rivalité obsessionnelle ? Est-ce dans la création littéraire qu’Elena trouve son bonheur ou dans les avantages qu’elle en tire ?

    « Lila a raison, on n’écrit pas pour écrire, on écrit pour faire mal à ceux qui veulent faire mal. » Cette phrase reflète la violence que le roman décrit de bout en bout. Avec ce quatrième tome mélodramatique, dont je retiendrai l’un ou l’autre épisode marquant, comme le tremblement de terre en 1980 et les moments de « délimitation » de Lila, L’amie prodigieuse se termine sur une impression de désenchantement. Qu’en pensez-vous ? N’hésitez pas à me contredire si vous estimez, comme on peut le lire en quatrième de couverture, que cette saga « se conclut en apothéose ».

  • Dessiner les corps

    Ernest Pignon-Ernest (45).JPG« Ces parcours [Naples, 1988-1995] interrogeaient les représentations de la mort que secrète cette ville depuis deux mille ans. Le sacré, là-bas, vient du sous-sol. Virgile déjà y situait les enfers dans L’Enéide. J’ai, dans la façon de dessiner les corps, les drapés, les cavités, dans la façon de faire circuler la lumière et les ombres, tenté, par le dessin, d’exprimer quelque chose qui parle des relations profondes qui se forgent dans cette cité entre les hommes et les mythes, entre la vie et les représentations de la vie et de la mort.

     

    Ernest Pignon-Ernest (39) Marie-Madeleine.jpg

    Cette omniprésence de la mort, ce sacré charnel, cette sensualité qui règnent m’ont amené à un dialogue avec la peinture caravagesque… Avec cette peinture qui ne vise pas à définir les reliefs des corps mais à travailler la forme des ténèbres qui les absorbent. »

     

    Ernest Pignon-Ernest, Conversation avec Roger Pierre Turine, Tandem, 2018
     Ernest Pignon-Ernest, Empreintes, Le Botanique,
    Bruxelles,  13.12.18 – 10.02.19

    Napoli 90 (détail) © Ernest Pignon-Ernest
    Etude pour Marie-Madeleine, Napoli 90 (détail) © Ernest Pignon-Ernest

  • Qui sait

    ferrante,elena,celle qui fuit et celle qui reste,roman,littérature italienne,saga,l'amie prodigieuse,italie,naples,amitié,émancipation féminine,culture« Qui sait ce que j’aurais pensé de Naples et de moi-même si je m’étais réveillée tous les matins non pas dans mon quartier mais là, dans un immeuble du littoral ? Qu’est-ce que je cherchais ? A changer ma naissance ? A changer les autres aussi, en même temps que moi ? A repeupler cette ville, maintenant vide, avec des habitants qui ne soient pas harcelés par la misère ou l’avidité, des habitants sans haine et sans fureur, capables d’apprécier la splendeur du paysage, à l’instar des dieux qui vivaient ici autrefois ? A encourager mon démon intérieur, lui inventer une belle vie et me sentir heureuse ? Je m’étais servie du pouvoir des Airota, une famille qui se battait depuis des générations pour le socialisme, une famille qui était du côté de gens comme Pasquale ou Lila ; et je ne l’avais pas fait en pensant régler tous les problèmes du monde, mais parce que j’étais en mesure d’aider une personne que j’aimais, et parce que ne pas le faire m’aurait semblé être une faute. Avais-je mal agi ? Devais-je abandonner Lila à ses problèmes ? Ah ça, je ne bougerais plus jamais le petit doigt pour qui que ce soit ! Je partis, j’allai me marier. »

    Elena Ferrante, Celle qui fuit et celle qui reste

  • Fuir ou rester

    Au début de Celle qui fuit et celle qui reste (traduit de l’italien par Elsa Damien), tome III de L’amie prodigieuse – « Epoque intermédiaire » –, Elena Ferrante reprend dans l’index des personnages les événements des tomes précédents. Autour de Lenù et Lila, la narratrice et son amie d’enfance, gravite tout un quartier populaire de Naples.

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    Le nouveau nom (tome II) se terminait sur la publication du premier livre d’Elena Greco. C’est alors, durant l’hiver 2005, qu’elle a vu Lila pour la dernière fois (sa disparition est à l’origine du récit). Lenù essaie de la voir chaque fois qu’elle passe à Naples et l’aime toujours, bien qu’elle lui fasse un peu peur.

    Flash-back. Ses études universitaires achevées, à la fin des années soixante, Elena se sent mieux en dehors de Naples que dans cette ville « pleine à craquer ». Elle va épouser Pietro, le fils de la raffinée Adele Airota. Lila, encore mariée à Stefano bien qu’elle l’ait quitté, vit misérablement avec son enfant chez Enzo ; tous deux travaillent dans une usine de salaisons. Elena pense avoir fait le bon choix, « s’en aller », même si avec le temps, elle réalisera que les maux de son quartier sont aussi ceux de son pays, de l’Europe, de la terre entière.

    Il y a plus de quarante ans, Elena répondait maladroitement à « l’homme aux lunettes épaisses » qui avait attaqué son livre en public dans une librairie milanaise quand quelqu’un s’était levé pour la défendre : Nino Sarratore, celui qui avait séduit et abandonné Lila, celui que Lenù aime depuis toujours en secret. Après, ils parleront de Lila, qu’il juge « incapable d’accepter les autres et de s’accepter elle-même », allant jusqu’à déclarer que « rien ne va chez elle : ni la tête ni rien, pas même le sexe. »

    Voilà qui déconcerte Elena, d’autant plus que Lila a eu un petit garçon, Gennaro, et que sa relation avec Nino l’a détruite. Quand son fiancé arrive par surprise au repas organisé par Adele, elle compare sa silhouette trapue, ses cheveux touffus, sa voix grave, avec celle de Nino, « sec et dégingandé », sa voix « forte et chaleureuse ». Elle aurait aimé parler avec lui toute la nuit. Pietro, poussé par sa mère, annonce qu’il vient d’obtenir un poste de professeur à l’université de Florence.

    Son futur époux est à ses yeux « un homme intelligent, extraordinairement cultivé et bienveillant », mais Elena fantasme encore sur Nino. Ses parents, à qui elle annonce la visite de son fiancé, ne manifestent ni joie ni satisfaction – ils trouvent leur fille de plus en plus étrangère à la famille. Que Pietro ne veuille pas de mariage à l’église les scandalise. Elena arrive à calmer sa mère en promettant de lui installer la télévision et le téléphone.

    Une critique sévère de son roman dans le Corriere la met au désespoir, heureusement compensée par des éloges dans L’Unità. La voilà célèbre, le livre se vend bien. Tout le monde parle des pages « osées » du roman. En tournée de promotion, elle dit « la nécessité de raconter franchement toutes les expériences humaines, même (…) ce qui nous semble indicible et ce que nous nous taisons à nous-mêmes. »

    A l’université de Milan, où règne une grande agitation – affiches, slogans, discussions –, elle observe le comportement des étudiantes, plus à l’aise qu’elle pour s’exprimer et réagir. Avec son « éternel désir de bien faire », n’est-elle pas à présent « trop cultivée, trop ignorante, trop contrôlée » ? Cette analyse de soi, de son comportement trop influençable, est un thème récurrent dans L’amie prodigieuse, en particulier dans ce tome-ci. Elena ne cesse de remettre en question ce qu’elle devient en se comparant aux autres.

    Grâce à sa belle-mère, Elena échappe au taudis où Pietro voulait les installer à Florence. Adele leur trouve un appartement agréable, l’aide à s’habiller, se coiffer – son élégance la subjugue. De son côté, elle s’offre des cours d’auto-école et obtient son permis de conduire, elle veut utiliser la voiture de Pietro quand ils seront mariés.

    Lila, la sachant à Naples, envoie chercher Lenù. Malade, affaiblie, elle lui arrache une promesse : celle d’élever Gennaro s’il lui arrive quelque chose. Elena promet. Leurs vies ont divergé, mais Lila lui manque : « Je voudrais que Lila soit là, et c’est pour ça que j’écris. » On découvre comment vit Lila, grâce à la gentillesse d’Enzo avec qui elle ne couche pas, les dures conditions de travail à l’usine où les femmes subissent en plus les brimades des hommes, son rôle de plus en plus actif dans la contestation, jusqu’à se mettre en danger.

    Entre les révolutionnaires et les fascistes, la tension croît. Aux bagarres de l’enfance succèdent de véritables combats politiques où la violence est prompte à s’inviter. Lila donne des coups, en prend, et quand elle se retrouve au fond du trou, Elena fait tout pour l’en sortir. « Dans le passé, Lila avait ouvert le tiroir miraculeux de l’épicerie et m’avait acheté de tout, en particulier des livres. Aujourd’hui, j’ouvrais mes tiroirs et lui rendais la pareille, espérant lui faire partager le sentiment de sécurité qui était désormais le mien. »

    Celle qui fuit et celle qui reste raconte les parcours divergents des deux femmes. Elena s’embourgeoise, tiraillée entre sa vie d’épouse et de mère et ses ambitions littéraires, Lila rue dans les brancards et rebondit de manière imprévue. Leur vie sentimentale n’est simple ni pour l’une ni pour l’autre. Riche en péripéties, ce roman d’Elena Ferrante décrit des changements de mentalité et de mœurs que nous avons traversés aussi, d’où notre curiosité pour découvrir la fin de cette saga italienne.

  • Presque

    ferrante 2 folio.jpg« Tout à coup, je me rendis compte de ce presque. J’y étais parvenue ? Presque. Je m’étais arrachée à Naples et au quartier ? Presque. J’avais de nouveaux amis garçons et filles qui venaient de familles cultivées, souvent bien plus que Mme Galiani et ses enfants ? Presque. D’examen en examen, j’étais devenue une étudiante accueillie avec bienveillance par les professeurs absorbés qui m’interrogeaient ? Presque. Derrière ce presque, j’eus l’impression de comprendre comment se passaient vraiment les choses. J’avais peur. J’avais peur comme au premier jour de mon arrivée à Pise. Je craignais ceux qui savaient être cultivés sans ce presque, avec désinvolture. »

    Elena Ferrante, Le nouveau nom