Ernest Pignon-Ernest n’est pas un artiste de musée, ses dessins collés in situ appartiennent aux lieux, aux villes qui les ont inspirés. Aussi est-ce une occasion rare pour les Bruxellois que cette exposition « Empreintes » au Botanique, jusqu’au 10 février 2019. Elle offre un face à face direct avec des œuvres, des photographies, des études et résume le parcours d’un artiste « pionnier et initiateur de l’art urbain en France » (Bota).
Grenoble, 1976 (à gauche) / Plateau d’Albion, Vaucluse, 1966 (à droite) © Ernest Pignon-Ernest
Sa première intervention dans l’espace public, en 1966, est un parcours de pochoirs sur le Plateau d’Albion dans le Vaucluse : « Hiroshima ». Quand il apprend que la force nucléaire française va s’installer non loin de son atelier de peinture, il réagit en reproduisant sur des murs, des rochers de la région la célèbre photo emblématique « sur laquelle on voit que l’éclair nucléaire a brûlé un mur décomposant un passant dont il ne reste plus que la silhouette, ombre portée, comme pyrogravée sur la paroi » (site de l’artiste, E P E).
La Commune de Paris, 1971 © Ernest Pignon-Ernest
A partir de là, Ernest Pignon-Ernest devient un artiste de terrain, « politiquement et socialement engagé en vue d’éveiller les esprits sur la réalité du monde » (Bota). Pour le centenaire de la Commune de Paris, en 1971, il décide de « témoigner au ras du sol » (E P E) et recourt à la sérigraphie pour multiplier ses « Gisants ». La grande salle du Museum Botanique reprend la chronologie de ses créations, de ville en ville, de thème en thème.
Jumelage Nice - Le Cap, 1974 © Ernest Pignon-Ernest
Lors du jumelage de Nice, sa ville natale, avec Le Cap, en 1974, en pleine période d’apartheid, il place sur tout le parcours des festivités « des centaines d’images d’une famille noire parquée derrière des barbelés », le « cortège des absents » comme il dit. Le Havre, Avignon, Calais, Paris, Tours, Charleville, Certaldo en Toscane, Santiago du Chili, Anvers… Vous trouverez toutes les interventions Ernest Pignon-Ernest sur son site, avec une notice où il explique chaque fois le contexte et ses intentions, accompagnée de photos.
Jean Genet, Brest, 2006 © Ernest Pignon-Ernest
Toutes ne sont pas détaillées ici, l’exposition permet surtout de comprendre le processus de création de l’artiste, de la recherche et des esquisses à la réalisation concrète. Ses « Arbrorigènes » (1983-1986), nés d’une complicité avec le biologiste Claude Gudin, ne sont pas des sculptures, écrit-il, « c’est la photosynthèse elle-même, et s’il y a une recherche plastique dans cette intervention, elle n’est pas dans la forme des personnages mais dans leur insertion entre les branches et feuilles qui fait de l’espace végétal un espace plastique et poétique. » (E P E)
Les Arbrorigènes, 1983-1986 © Ernest Pignon-Ernest
Une exception. La plupart du temps, Ernest Pignon-Ernest montre la solitude, la douleur, l’exclusion, la souffrance, la mort. On reste figé devant ses « Cabines », images de la détresse humaine, sous le double choc de l’installation réaliste et de l’émotion ressentie devant la douceur et la force expressive d’un dessin préparatoire.
Cabines, Lyon, 1997 - Paris, 1999 © Ernest Pignon-Ernest
Sur un grand panneau central, la double figure de Pasolini, représenté debout, vivant, portant son propre cadavre, illustre une intervention récente en 2015, quarante ans après l’assassinat du poète et réalisateur italien. Un film documentaire est projeté derrière la grande salle, « Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini », où on le voit coller ses sérigraphies à Naples et dialoguer avec des jeunes du quartier, avec Davide Cerullo qui en est originaire, a connu la prison et cherche à sortir les enfants de la délinquance organisée par la culture.
Pasolini, 2015 © Ernest Pignon-Ernest
Impressionnants aussi, ces « Linceuls » dessinés pour la Prison Saint Paul, à Lyon, en 2012. L’artiste y avait animé quelques séances d’atelier, et on lui a proposé d’intervenir sur place avant que cette prison désaffectée devienne un campus universitaire. Quand il y a découvert des noms de « tombés sous les balles nazies », il a voulu dessiner des visages, des corps, des présences entre ces murs.
Linceuls (détail), Prison Saint Paul, Lyon, 2012 © Ernest Pignon-Ernest
La galerie, à l’étage, est principalement consacrée aux poètes auxquels Ernest Pignon-Ernest a rendu hommage. Un ouvrage récent regroupe ses beaux portraits de Maïakovski, Rimbaud, Neruda, Artaud, Desnos… sous le titre « Ceux de la poésie vécue ». « Comme si j’étais joyeux, je suis revenu », dit un poème de Mahmoud Darwich. « Sans préjuger de la joie, car elle se fait là-bas infiniment attendre, Ernest Pignon-Ernest a donné corps et figure à ce retour », écrit André Velter, auteur du texte (Intervention à Ramallah, en Palestine, un an après la mort du poète palestinien).
Mahmoud Darwich, Ramallah, Palestine, 2009 © Ernest Pignon-Ernest
Je vous recommande aussi un petit livre rouge des éditions Tandem : Ernest Pignon-Ernest, Conversation avec Roger Pierre Turine (2018), une belle rencontre entre l’artiste et le critique (commissaire de l’exposition), tous deux nés en 1942, amateurs de vélo (le Ventoux) et de Coupe du Monde par ailleurs. Allez au Botanique découvrir cette « première belge, percutante, émouvante, poignante mais sans pathos, tant ce sont des vérités de la condition humaine qui sourdent des dessins à la pierre noire » (Claude Lorent, La Libre Belgique).
Commentaires
Je l'ai vu en exposition à Caen il y a deux ans, remarquable et impressionnant!
Ah voilà qui me remet en tête l'album Napoli's Walls de Louis Sclavis,..Belle rencontre entre ces deux-là.!
Merci Tania.
Je ne connaissais pas du tout cet artiste. Émouvante la descente de croix de Jean Genet...
Le mot "Percutante" de Claude Lorent semble à lui seul définir cette exposition.
Merci Tania pour cette découverte et belle fin d'année à toi !
@ Edmée De Xhavée : Impressions partagées - quelle force dans le dessin.
@ K : J'écoute et découvre l'album en ce moment, merci !
@ La petite verrière : Heureuse de te le faire découvrir, bonne soirée & une fin d'année en douceur pour toi.
c'est fort!
je ne connaissais pas, ça me paraît vraiment très fort!
merci Tania
Ah, je regrette de manquer cette exposition, m'intéressant beaucoup au street art. Je remarque que peu à peu des expositions lui sont consacrées malgré le principe de l'art éphémère.
Un artiste que j'apprécie énormément et le rencontrer au début de l'année, avec André Velter, a été un moment marquant. (c'était à propos de leur livre sur les poètes).
Jamais vu d'expo de lui, j'aimerais tant! Merci pour le lien "ceux de la poésie vécue", une découverte. Comme dit Adrienne, tout ce qu'ilf ait est très fort.
@ Adrienne : Oui, et cela se ressent à l'exposition. Avec plaisir, Adrienne.
@ Marilyne : Même s'il regrette que l'on découvre ses oeuvres par la photo, il a tout de même consenti à ces expos sur son parcours : "la photo ne peut pas rendre compte de ce qu'il y a de physique, de sensuel, dans le face à face, la rencontre de l'image grandeur nature dans la rue" (E P E)
@ Aifelle : Certainement une belle rencontre à laquelle tu as assisté !
@ Colo : Peut-être l'année prochaine ? Bonne journée, Colo.
Une Bonne année à toi qui contribue à rendre les blogs moins superficiels et nous incite à découvrir l'art sous toutes ses formes.
J'ai raté il y a quelques années ses installations dans la ville de La Rochelle. IL existe un petit livre des poèmes de Mahmoud Darwich avec les illustrations reprenant les installations d'Ernest Pignon-Ernest à Ramallah; d'ailleurs, je l'ai dans ma bibliothèque.
Voilà une exposition que j'aurais aimé voir.
Merci, j'ai apprécié que tu la présentes en détail.
Bonne fin d'année, Tania.
@ Chinou : Merci, Chinou, je suis si heureuse de partager ces découvertes dans la blogosphère.
@ Maïté/Aliénor : Je suis loin d'avoir tout présenté, un complément demain. Merci de signaler ce petit livre. Bon passage à l'année nouvelle, Aliénor.
il y a des oeuvres très intéressantes!
Belle découverte!
Je découvre...impressionnante et magnifique exposition.!
Merci Tania !
Bonne et belle route en 2019 !!
Merci d'apprécier, Eimelle, il n'a pas été simple de sélectionner parmi les nombreuses photos prises.
Bonsoir, Fifi. A toi aussi, une année riche en beaux moments (et en photos).
Une belle et dure exposition semble-t-il. Merci à toi de nous permettre de la découvrir.
Des sujets durs, oui, mais traités avec une profonde humanité.
C'est un grand artiste, son travail est singulier, il s'en dégage une force incroyable. J'ai vu à l'époque son" intervention" dans les rues de Naples, c'était fou de voir un homme sortant d'un soupirail, un autre se hissant d'un interstice sur ces façades anciennes, on ne savait plus si ces personnages faisaient partie d'une fresque sur le bâtiment ou si c'était son œuvre... C'est ainsi que je l'ai découvert graphiquement, sans encore savoir ce qu'il cherchait à exprimer. Tu as beaucoup de chance d'avoir vu cette exposition, j'en suis heureuse pour toi.
Je te souhaite une lumineuse année 2019 Tania, je te remercie sincèrement de tes vœux et t'écrirai cette semaine.Bises étoilées. brigitte
Cette exposition permet d'approcher un parcours d'artiste, un parcours de vie et seulement d'imaginer l'effet de toutes ces oeuvres in situ comme tu le décris.
Merci pour tes souhaits, Brigitte, et que cette année nouvelle soit notre bonne étoile.
Je trouve que ce monsieur dessine divinement bien. J'aime sa démarche artistique. J'ai eu l'occasion de voir ses Extases à Lille, c'était... sublime.
Nous voilà d'accord, Anne. Bon week-end.
C'est un très grand artiste. Non seulement, c'est un dessinateur absolument exceptionnel - ce qui n'est pas si fréquent, à l'heure actuelle, ou alors, dans des disciplines particulières - mais c'est un artiste complet.
Je l'avais découvert à Charleville-Mézières, à la réouverture (encore en chantier) du nouveau musée Rimbaud. Depuis, j'ai toujours suivi son travail. Il vient d'y avoir une série d'événements liés à l'exposition, auxquels je n'ai pu aller, mais je suis contente d'avoir vu l'exposition vendredi dernier, sauf que j'en parle beaucoup moins bien que toi ..........................
Chaque fois que j'ai l'occasion de parler de son travail, je le fais.
Oui, l'artiste lui-même est venu à Bruxelles récemment dans le cadre de cette expo, c'était sûrement intéressant.