Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

parcours d'artiste

  • Parti

    Alechinsky (125) Le temps qui nous est parti.jpgParmi les dons récents d’Alechinsky aux MRBAB, ce message tracé de droite à gauche et inversement : « Le temps / qui nous / est parti ». Ce peintre ambidextre « possède et entretient cette double dextérité de la main qui peint et de celle qui dessine », rappelle Johan-Frédérik Hel Guedj dans L’Echo.

    « Parti » n’est pas seulement le participe passé de partir au sens de s’en aller, il signifie aussi, dans un usage archaïsant, partagé ou divisé en parties ; « imparti » est plus courant aujourd’hui. Avons-nous assez conscience du temps qui nous est accordé ? La question se pose à chacun, la question se pose à tous.

    alechinsky-A la ligne.jpg

    Pour partager un peu de bleu, en plus des sinuosités à partir du « A » (initiale vue aussi dans « Mesure battue »), voici une eau-forte qui m’a également retenue à l’exposition : elle s’intitule « A la ligne ». Point.

    © Pierre Alechinsky / Sabam,
    Le temps / qui nous / est parti, 2004,
    Gomme du Sénégal, encre et lavis sur vergé du XVIIIe siècle, Bruxelles, MRBAB

    © Pierre Alechinsky / Sabam, À la ligne, 1973,
    Eau-forte couleur sur papier Japon fait main, Bruxelles, MRBAB

    Exposition Pierre Alechinsky, Carta canta > 01.08.2021

     

  • Alechinsky, encres

    « Aujourd’hui, Pierre Alechinsky a 93 ans et continue à faire « chanter le papier » », écrit Géraldine Barbery dans le Guide du visiteur (source des citations) de  « Carta canta », l’exposition proposée aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique jusqu’au premier août prochain. Ou « comment un artiste qui aura maintes fois réinventé l’art graphique au fil de son exploration créative, ouvre le chant de tous les possibles », peut-on lire sur le site des MRBAB.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    A consulter ou télécharger ici

    Près de 150 œuvres ont été choisies dans les collections qui comportent « plus de 270 dessins, tableaux, estampes, sans compter les livres illustrés », rappelle Michel Draguet. On découvre en trois temps ces œuvres sur papier : au rez-de-chaussée, en bas des escalators et au niveau -3. Plus de noir et blanc que de couleur, peu de grands formats (aux dimensions précisées sous les illustrations), mais une diversité qui rend compte du parcours d’un gaucher magnifique dont une belle rétrospective a eu lieu ici en 2008. Ne pas manquer les deux œuvres monumentales exposées dans le forum, dont « Passerelle II ».

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Coiffeur, 1948, Eau-forte sur papier Arches, Bruxelles, MRBAB
    (Photos prises sans flash)

    Neuf eaux-fortes de 1948 figurant des métiers sont les premières œuvres exposées et les plus anciennes : des bonshommes faits d’objets assemblés, « à la fois enfantins et sophistiqués ». « Soleil » relève déjà d’un geste plus souple, comme celui de Walasse Ting (1929-2010) qui apprend à Alechinsky « la manière chinoise » de dessiner au pinceau, « le papier au sol, le bol d’encre à la main, le corps entier mobilisé ». Dès lors, la création spontanée s’éloigne de la représentation sans pour autant devenir abstraite.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Soleil, 1950, lithographie sur vélin d’Arches, Bruxelles, MRBAB

    « Cadeau » : le peintre a peint son fameux pinceau trésor, en « poils de chèvre soyeux sur bambou de première qualité », un cadeau reçu du grand calligraphe Shyriu Morita (1912-1998) à Kyoto. Alechinsky est revenu bouleversé d’un voyage au Japon en 1955 : « L’encre prend bientôt définitivement la place de l’huile, le papier, posé à plat dans l’atelier, remplace désormais la toile sur châssis et chevalet. Le pinceau prolonge le corps […] ».

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Cadeau, 1993, Encre de Chine sur vergé du XIXe siècle, Bruxelles, MRBAB

    Partages artistiques, participation au mouvement CoBrA, tout concourt à la grande puissance expressive de « La Nuit polaire », le premier grand format de l’exposition. Cette « nuit d’encre » peinte sur papier (marouflé sur toile) impressionne par sa noirceur, son dynamisme, ses figures monstrueuses, comme un « magma » monumental.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, La Nuit polaire, 1964, Encre sur papier marouflé sur toile, 151 x 236, Bruxelles, MRBAB

    Une autre rencontre inspirante se produit quand il travaille avec son ami le sculpteur Reinhoud dans l’Oise. « Sur une table, ce dernier abandonne des pelures d’oranges « scalpées » d’une seule venue. Sculptures à part entière, volutes naturelles, leurs lignes serpentines serviront de modèles aux deux artistes. » On en trouve de nombreuses variations, dont ces pelures en grand format dans « Rein comme si de rien », encre entourée de taches de couleurs (ci-dessous), comme dans « De toutes parts » avec sa bordure « all-over ».

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Rein comme si de Rien, 2004-2007,
    Encre sur papier marouflé sur toile, bordure à l’acrylique, 189 x 185, Bruxelles, MRBAB
    (Reinhoud est décédé en 2007)

    Beaucoup d’humour aussi dans cette expo, voyez « Profil couchant, soleil levant » avec une tête au chapeau qui disparaît peu à peu dans le haut. A New York en 1965, Alechinsky a vu dans Central Park, du cinquantième étage, « une gueule débonnaire de monstre » prêt à dévorer ce qui l’entoure, et il a décidé de nourrir ce monstre des histoires dessinées autour : ce sont ses premières « remarques marginales »,  sa première acrylique dans l’atelier de Walasse Ting et son premier marouflage. Avant-après : une « nouvelle impulsion » est donnée à son travail. Il va faire peau neuve.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Central Park, 1965, Encre et lavis sur papier du XIXe, Bruxelles, MRBAB

    Au bas des escalators, de grandes eaux-fortes verticales témoignent de choix divers : « Case par case » ou en deux parties, inégales, ou encore laisser courir le « pinceau voyageur » sur toute la feuille. Chacune de ces œuvres comporte, tel un cachet de calligraphe sur une estampe, un peu de rouge qui fait signe : lignes ou petit motif circulaire.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Sphinge se demandant quoi, 1980, Lithographie et eau-forte (couleur) sur papier Japon, Bruxelles, MRBAB
    (à droite et détail ci-dessous)

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, A propos de Binche (II), 1967, Encre de Chine et lavis sur vergé ancien, Bruxelles, MRBAB

    Peu à peu, on reconnaît les motifs de prédilection d’Alechinsky : la spirale, le serpent, la pelure d’orange – et voici le chapeau de plumes d’autruche du Gille de Binche, qui deviendra volcan à l’occasion, dans la dernière partie de l’exposition.

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Labyrinthes d’apparat, 1973, cinq lithographies sur vélin d’Arches, Bruxelles, MRBAB

    Des couleurs acryliques, des lithographies, des estampages… On y montre des peintures à l’encre sur ces vieux papiers qui passionnent le peintre, ce qui me rappelle la splendide exposition de La Louvière, « Palimpsestes ».

    alechinsky,carta canta,exposition,mrbab,oeuvres sur papier,parcours d'artiste,peintre belge,culture
    © Pierre Alechinsky, Parfois c’est l’inverse, 1970, Acrylique sur papier collé sur toile ;
    le papier de la prédelle provient d'un registre du XVIIe siècle, 183 x 298, Bruxelles, MRBAB

    « Parfois c’est l’inverse », une œuvre-phare de la collection des MRBAB, peinte à l’acrylique, comporte une prédelle à l’encre sur un registre ancien, le tout marouflé sur toile. Sous l’illustration de cette peinture-encre, à la fin du Guide du visiteur, Géraldine Barbery reprend la définition du dessin par Christian Dotremont : « C’est de l’écriture dénouée et renouée autrement. »

  • Dessiner les corps

    Ernest Pignon-Ernest (45).JPG« Ces parcours [Naples, 1988-1995] interrogeaient les représentations de la mort que secrète cette ville depuis deux mille ans. Le sacré, là-bas, vient du sous-sol. Virgile déjà y situait les enfers dans L’Enéide. J’ai, dans la façon de dessiner les corps, les drapés, les cavités, dans la façon de faire circuler la lumière et les ombres, tenté, par le dessin, d’exprimer quelque chose qui parle des relations profondes qui se forgent dans cette cité entre les hommes et les mythes, entre la vie et les représentations de la vie et de la mort.

     

    Ernest Pignon-Ernest (39) Marie-Madeleine.jpg

    Cette omniprésence de la mort, ce sacré charnel, cette sensualité qui règnent m’ont amené à un dialogue avec la peinture caravagesque… Avec cette peinture qui ne vise pas à définir les reliefs des corps mais à travailler la forme des ténèbres qui les absorbent. »

     

    Ernest Pignon-Ernest, Conversation avec Roger Pierre Turine, Tandem, 2018
     Ernest Pignon-Ernest, Empreintes, Le Botanique,
    Bruxelles,  13.12.18 – 10.02.19

    Napoli 90 (détail) © Ernest Pignon-Ernest
    Etude pour Marie-Madeleine, Napoli 90 (détail) © Ernest Pignon-Ernest

  • Pignon-Ernest au Bota

    Ernest Pignon-Ernest n’est pas un artiste de musée, ses dessins collés in situ appartiennent aux lieux, aux villes qui les ont inspirés. Aussi est-ce une occasion rare pour les Bruxellois que cette exposition « Empreintes » au Botanique, jusqu’au 10 février 2019. Elle offre un face à face direct avec des œuvres, des photographies, des études et résume le parcours d’un artiste « pionnier et initiateur de l’art urbain en France » (Bota).

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Grenoble, 1976 (à gauche) / Plateau d’Albion, Vaucluse, 1966 (à droite) © Ernest Pignon-Ernest

    Sa première intervention dans l’espace public, en 1966, est un parcours de pochoirs sur le Plateau d’Albion dans le Vaucluse : « Hiroshima ». Quand il apprend que la force nucléaire française va s’installer non loin de son atelier de peinture, il réagit en reproduisant sur des murs, des rochers de la région la célèbre photo emblématique « sur laquelle on voit que l’éclair nucléaire a brûlé un mur décomposant un passant dont il ne reste plus que la silhouette, ombre portée, comme pyrogravée sur la paroi » (site de l’artiste, E P E).

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    La Commune de Paris, 1971 © Ernest Pignon-Ernest

    A partir de là, Ernest Pignon-Ernest devient un artiste de terrain, « politiquement et socialement engagé en vue d’éveiller les esprits sur la réalité du monde » (Bota). Pour le centenaire de la Commune de Paris, en 1971, il décide de « témoigner au ras du sol » (E P E) et recourt à la sérigraphie pour multiplier ses « Gisants ». La grande salle du Museum Botanique reprend la chronologie de ses créations, de ville en ville, de thème en thème.

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Jumelage Nice - Le Cap, 1974  © Ernest Pignon-Ernest

    Lors du jumelage de Nice, sa ville natale, avec Le Cap, en 1974, en pleine période d’apartheid, il place sur tout le parcours des festivités « des centaines d’images d’une famille noire parquée derrière des barbelés », le « cortège des absents » comme il dit. Le Havre, Avignon, Calais, Paris, Tours, Charleville, Certaldo en Toscane, Santiago du Chili, Anvers… Vous trouverez toutes les interventions Ernest Pignon-Ernest sur son site, avec une notice où il explique chaque fois le contexte et ses intentions, accompagnée de photos. 

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Jean Genet, Brest, 2006  © Ernest Pignon-Ernest

    Toutes ne sont pas détaillées ici, l’exposition permet surtout de comprendre le processus de création de l’artiste, de la recherche et des esquisses à la réalisation concrète. Ses « Arbrorigènes » (1983-1986), nés d’une complicité avec le biologiste Claude Gudin, ne sont pas des sculptures, écrit-il, « c’est la photosynthèse elle-même, et s’il y a une recherche plastique dans cette intervention, elle n’est pas dans la forme des personnages mais dans leur insertion entre les branches et feuilles qui fait de l’espace végétal un espace plastique et poétique. » (E P E)

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Les Arbrorigènes, 1983-1986 © Ernest Pignon-Ernest

    Une exception. La plupart du temps, Ernest Pignon-Ernest montre la solitude, la douleur, l’exclusion, la souffrance, la mort. On reste figé devant ses « Cabines », images de la détresse humaine, sous le double choc de l’installation réaliste et de l’émotion ressentie devant la douceur et la force expressive d’un dessin préparatoire.

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Cabines, Lyon, 1997 - Paris, 1999 © Ernest Pignon-Ernest

    Sur un grand panneau central, la double figure de Pasolini, représenté debout, vivant, portant son propre cadavre, illustre une intervention récente en 2015, quarante ans après l’assassinat du poète et réalisateur italien. Un film documentaire est projeté derrière la grande salle, « Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini », où on le voit coller ses sérigraphies à Naples et dialoguer avec des jeunes du quartier, avec Davide Cerullo qui en est originaire, a connu la prison et cherche à sortir les enfants de la délinquance organisée par la culture.

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Pasolini, 2015 © Ernest Pignon-Ernest

    Impressionnants aussi, ces « Linceuls » dessinés pour la Prison Saint Paul, à Lyon, en 2012. L’artiste y avait animé quelques séances d’atelier, et on lui a proposé d’intervenir sur place avant que cette prison désaffectée devienne un campus universitaire. Quand il y a découvert des noms de « tombés sous les balles nazies », il a voulu dessiner des visages, des corps, des présences entre ces murs.

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Linceuls (détail), Prison Saint Paul, Lyon, 2012 © Ernest Pignon-Ernest

    La galerie, à l’étage, est principalement consacrée aux poètes auxquels Ernest Pignon-Ernest a rendu hommage. Un ouvrage récent regroupe ses beaux portraits de Maïakovski, Rimbaud, Neruda, Artaud, Desnos… sous le titre « Ceux de la poésie vécue ». « Comme si j’étais joyeux, je suis revenu », dit un poème de Mahmoud Darwich. « Sans préjuger de la joie, car elle se fait là-bas infiniment attendre, Ernest Pignon-Ernest a donné corps et figure à ce retour », écrit André Velter, auteur du texte (Intervention à Ramallah, en Palestine, un an après la mort du poète palestinien).

    ernest pignon-ernest,empreintes,exposition,le botanique,bruxelles,interventions,dessins,photos,parcours d'artiste,art contemporain,art urbain,culture
    Mahmoud Darwich, Ramallah, Palestine, 2009  © Ernest Pignon-Ernest

    Je vous recommande aussi un petit livre rouge des éditions Tandem : Ernest Pignon-Ernest, Conversation avec Roger Pierre Turine (2018), une belle rencontre entre l’artiste et le critique (commissaire de l’exposition), tous deux nés en 1942, amateurs de vélo (le Ventoux) et de Coupe du Monde par ailleurs. Allez au Botanique découvrir cette « première belge, percutante, émouvante, poignante mais sans pathos, tant ce sont des vérités de la condition humaine qui sourdent des dessins à la pierre noire » (Claude Lorent, La Libre Belgique).