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musique - Page 10

  • Bruxelles ma belle

    « Idéal pour vos longues soirées d’hiver » conclut Nicolas Capart* dans La Libre (18/12/2015) où il présente les cinq ans de « Bruxelles ma belle ». Ce sera pour vous mon sujet de Noël.

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    En 2010, Emmanuel Milon dit Manou, un Français venu faire des études audiovisuelles à l’IAD, lance son projet en ligne : filmer, enregistrer des chanteurs et des groupes musicaux de passage dans la capitale belge. Aujourd’hui, le site http://www.bruxellesmabelle.net/ vous offre en ligne les vidéos de plus de cent artistes dans presque autant de lieux connus ou méconnus de Bruxelles.

    Première vidéo réalisée en direct : « Eté 67 ». Le groupe liégeois s’installe sur un toit de Saint-Josse-ten-Noode – « Banjo, basse, guitare et batterie se mirent à chanter dans la nuit bruxelloise calme et paisible. » (Bruxelles ma belle) Un an après, ils reviendront chanter « Passer la frontière » sur le Parvis Saint-Gilles, sous le soleil.

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    L’originalité de la plate-forme, c’est de promouvoir en même temps le patrimoine bruxellois. Les artistes chantent et jouent dans un musée, une église, un café, sur une place, devant un monument, au parc, aux Plaisirs d’hiver… Le site web propose deux formules pour choisir une vidéo : les artistes et les lieux. Ceux-ci sont chaque fois présentés et situés sur un plan de la ville, pour ceux-là, on peut prolonger la découverte via leur propre site ou page sur les réseaux sociaux.

    Un premier tour des endroits où je vous ai déjà invités ? Voici la maison des arts de Schaerbeek et son estaminet, le Mont des Arts, les Galeries royales Saint Hubert, la librairie Tropismes, le Botanique – neuf vidéos pour ce centre culturel où se déroulent les fameuses Nuits du Botanique, Bertrand Belin s’est installé au jardin avec sa guitare pour chanter « Hypernuit ».

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    © http://www.bruxellesmabelle.net/

    Et surtout, allez voir ailleurs, Bruxelles a mille facettes à sa boule de Noël ! Enchaînez, si vous voulez, en écoutant Anaïs dans un salon de thé, Arno chez le coiffeur, Camille à Notre-Dame du Finistère, Henri Dès dans une école, Ibrahim Maalouf et sa merveilleuse trompette à Bozar (pour toi, Colo), Saule dans les serres de Meise, etc. Bien sûr, il faut réécouter aussi Dirk Annegarn qui a si bien chanté Bruxelles. Chaque mardi, une nouvelle vidéo est mise en ligne sur Bruxelles ma belle, qui se visite en français, en néerlandais et en anglais.

    Chères lectrices, chers lecteurs de Textes & prétextes,
    bonne balade musicale 
    et joyeux Noël !

    *

    * Lire Nicolas Capart sur Let It Sound (mise à jour 27/12/2015)

     

     

  • Ne rien dire

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    « Que fallait-il dire ? Que fallait-il ne pas dire ? Olga n’avait pas appris à mentir. Ilya l’avait prévenue : se conduire intelligemment, c’était ne rien dire. Seulement voilà, c’était aussi ce qu’il y avait de plus compliqué. Et malgré ses intentions, Olga se mit à parler. Une heure, deux heures, trois heures. Les questions étaient toutes insignifiantes : qui sont vos amis ? qui fréquentez-vous ? que lisez-vous ? Ils évoquèrent le professeur émigré, ils savaient, bien sûr, qu’elle avait été renvoyée de l’université en 1965. Ils se montraient même compatissants : quel besoin avez-vous de ce tas de cochonneries antisoviétiques ? Vous êtes une Soviétique, avec qui êtes-vous allée vous fourrer ?

    Olga jouait un peu les idiotes, elle raconta n’importe quoi, parla de ses amies qu’elle ne voyait presque plus, elles étaient toutes mariées, alors vous savez, les enfants, le travail… Par esprit de vengeance, elle ne cita parmi ses amies proches que Galia Poloukhina, et ne donna pas un seul nom en trop, lui sembla-t-il. »

    Ludmila Oulitskaïa, Le chapiteau vert

     

  • Libre Oulitskaïa

    Chercher Ludmila Oulitskaïa sur ce blog, ne pas l’y trouver, sentir le temps qui passe : aucun roman, juste une citation ! Ni Les pauvres parents, ni Sonietchka, qui l’a révélée en France, ni Sincèrement vôtre, Chourik, qui m’avait tant fait rire. Le chapiteau vert (Zeliony Chatior, 2010, traduit du russe par Sophie Benech, 2014) nous embarque pour près de cinq cents pages dans l’histoire de trois amis d’école : Ilya, Sania et Micha. Le roman s’ouvre sur la mort de Staline (1953) et se ferme sur celle du poète Brodsky (1996). 

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    « Un attachement aussi solide entre des êtres ne peut naître que dans l’adolescence. Le crochet s’enfonce alors en plein cœur, et le fil qui unit des gens liés par une amitié d’enfance dure toute la vie, sans jamais se rompre. » Cela se vérifie pour le trio qui se tient à l’écart des meneurs à l’école primaire, deux brutes. Micha, « le rouquin classique », est un orphelin juif recueilli par sa tante Guénia après la mort de son père à la guerre, il porte des lunettes – une cible idéale. Sania a plus de chance, il a toujours de l’argent pour acheter une glace, sa mère (radiologue) et sa grand-mère (prof de russe) encouragent son rêve de devenir pianiste malgré ses petites mains. Ilya, lui, veut gagner de l’argent pour s’acheter un appareil photo.

     

    Anna Alexandrovna, la grand-mère de Sania Steklov, les emmène dans les musées pendant les vacances d’hiver – « un choc pour Micha, qui était constitué par nature pour moitié de curiosité, de passion et de soif de connaissances scientifiques et autres, et pour moitié d’une ferveur créatrice indéterminée ». Ilya aussi est impressionné, plus que Sania, « familier des lieux ». Micha tombe amoureux de la vieille dame pour la vie et elle le lui rend bien, pressentant en lui un poète.

     

    Le jour de la rentrée, Sania s’interpose lors d’une bagarre pour protéger Micha et se fait méchamment couper à la main – un drame mais aussi un soulagement : il n’a plus à prouver ses capacités pianistiques, il peut passer des journées entières à écouter de la musique, pur plaisir. Sa grand-mère donne des leçons d’allemand à Micha, et un manuel d’anglais. Grâce à l’appareil-photo d’avant-guerre que lui offre son père, Ilya commence sa collection « d’instants de vie ».

     

    L’arrivée d’un nouveau professeur de littérature, Victor Iouliévitch Schengueli, surnommé « La Main » à cause de la moitié de son bras droit perdue à la guerre, va changer leur vie. Courtois et caustique, il récite des vers au début de chaque cours. Micha est fasciné, « presque le seul à avaler la poésie comme une cuillerée de confiture ». Bientôt ils forment le club des Amateurs de Lettres Russes, les Lurs, et suivent leur prof en promenade dans Moscou où il leur parle de Pouchkine, leur montre les endroits où ont vécu les écrivains ou leurs personnages. Apprendre à penser et à sentir aux gamins de treize ans est sa seule passion ; la guerre est à ses yeux « la chose la plus infâme ».

     

    Le jour de l’enterrement de Staline, Ilya se glisse partout pour photographier les rues bloquées par la foule, « un fleuve noir » où il risque de se faire étouffer – il y aura au moins 1500 personnes écrasées. Recueilli chez les Steklov, où Anna Alexandrovna le lave et le soigne, il donne à Sania l’occasion troublante de voir son corps nu et vigoureux.

     

    Passionnés par leurs vagabondages littéraires avec Victor, les garçons prennent conscience de ce qui compte le plus pour eux : pour Sania, la musique ; pour Micha, la littérature, « la seule chose qui aide l’homme à survivre » ; pour Ilya, la documentation photographique de son temps. Leur professeur voudrait écrire sur l’enfance et l’adolescence, temps de métamorphose – montrer comment se fait le passage vers une vraie vie adulte, « dotée de sens moral ».

     

    Quand la mixité amène des filles à l’école, l’une d’elles, Katia, tombe amoureuse de lui. « Quand vous aurez fini vos études » lui répond-il, sans savoir qu’il va l’épouser, après qu’elle lui a prêté le manuscrit du Docteur Jivago qu’elle tient de sa grand-mère, amie de Pasternak – « magnifique post-scriptum à la littérature russe ». Ils se marient, Katia est enceinte, et leur vie paisible avec la petite Xénia contraste avec l’évolution aberrante de leur pays. Le rapport de Kroutchtev dénonçant le culte de Staline circule en samizdat, la dissidence s’organise. La rumeur annonce le licenciement de Victor pour conduite immorale, il démissionne avant.

     

    Micha voulait s’inscrire en Lettres, mais les Juifs n’y étant pas admis, il opte pour l’Institut pédagogique. Ilya s’inscrit à l’Institut des techniques du cinéma à Leningrad, Sania en Langues étrangères. Au Festival de Moscou, ils font la connaissance de Pierre Zand, un Belge d’origine russe en reportage pour un journal de la jeunesse, il considère le communisme comme du fascisme. Ainsi commence leur « relation criminelle avec un ressortissant étranger », en plein triomphe de « l’amitié entre les peuples ».

     

    Au chapitre « Le chapiteau vert » entre en scène Olga qui « plaisait autant aux hommes et aux femmes qu’aux chiens et aux chats ». Fille d’un général et d’une écrivaine, étudiante en Lettres, elle se marie trop tôt avec un étudiant dont elle a un fils, Kostia. Mais elle se fait renvoyer pour avoir défendu un professeur accusé d’antisoviétisme. Son mari repart chez sa mère, ils divorcent. Son père retraité accepte qu’elle s’installe près de lui à la datcha avec son fils et qu’elle y reçoive Ilya Brianski, son nouvel ami qui a quitté son épouse et leur enfant handicapé mental. Il a laissé ses études pour la dissidence et gagne sa vie avec le samizdat. Olga tape des textes de Mandelstam, Brodsky… Ilya les fait relier et circuler. Traduction, petits boulots, officiellement « secrétaires », ils se débrouillent pour vivre, comme la plupart.

     

    Alors qu’ils reparaîtront dans les chapitres suivants, les destinées d’Ilya et d’Olga sont déjà racontées ici jusqu’à leur fin (il émigrera, elle tombera malade). A son amie Tamara, Olga raconte son rêve merveilleux : dans la queue pour entrer sous le chapiteau, elle reconnaît dans la queue plein de visages familiers, des vivants et des morts ensemble, et Ilya qui lui fait signe. Le roman jusqu’alors chronologique passe à une forme plus éclatée avec des retours en arrière, des digressions : on apprend que le général avait une maîtresse cachée, aux funérailles de la mère d’Olga, choses dont elle ne lui avait jamais parlé.

     

    Voici Sania étudiant en musicologie, Micha en professeur pour enfants sourds-muets, Olga entre Tamara, sa meilleure amie, et Galia, ancienne camarades de classe dont le mariage avec un agent du KGB chargé de surveiller Ilya va leur être fatal. Interrogé, harcelé, arrêté, Ilya va-t-il finir par jouer un double jeu pour s’en sortir ?  D’autres personnages attachants apparaissent, comme cette famille de Tatars chassée de Crimée et soutenue par Sakharov.

     

    Biologiste devenue romancière (privée de sa chaire de génétique pour avoir prêté sa machine à écrire à des auteurs de samizdat), Oulitskaïa, née en 1943, défend ici l’honneur des dissidents de l’ère soviétique. Dans la Russie de Poutine, ceux-ci, dit-elle, sont présentés comme des démons : « Les dirigeants actuels font tout leur possible pour rétablir les fondements idéologiques du pouvoir soviétique et discréditer la dissidence. » (Le Monde)

     

    Le chapiteau vert, fresque de la vie en URSS dans la seconde moitié du XXe siècle, montre courage et lâcheté, idéaux et difficultés quotidiennes, à travers des amitiés indestructibles. Un hommage à la liberté de pensée.

  • Place réservée

    proust,a la recherche du temps perdu,la fugitive,albertine disparue,roman,littérature française,relire la recherche,albertine,charlus,mme verdurin,jalousie,amour,homosexuels,musique,art,venise,culture« Une heure est venue pour moi où, quand je me rappelle le baptistère, devant les flots du Jourdain où Saint Jean immerge le Christ, tandis que la gondole nous attendait devant la Piazzetta, il ne m’est pas indifférent que dans cette fraîche pénombre, à côté de moi, il y eût une femme drapée dans son deuil avec la ferveur respectueuse et enthousiaste de la femme âgée qu’on voit à Venise dans la Sainte Ursule de Carpaccio, et que cette femme aux joues rouges, aux yeux tristes, dans ses voiles noirs, et que rien ne pourra plus jamais faire sortir pour moi de ce sanctuaire doucement éclairé de Saint-Marc où je suis sûr de la retrouver parce qu’elle y a sa place réservée et immuable comme une mosaïque, ce soit ma mère. » 

    Marcel Proust, La fugitive

    Le baptême du Christ. Vers 1352-54. Venise, Basilique Saint-Marc. Mosaïque du vestibule du Baptistère.
    http://cedidoca.diocese-alsace.fr/bible-en-images/nouveau-testament/la-vie-publique-du-christ/le-bapteme-du-christ/

     


     

     

     

     

  • Vivre sans Albertine

    Alors que dans La prisonnière, Proust rappelle régulièrement le désir du narrateur de rompre avec Albertine, son départ est pour lui un véritable choc. La fugitive (autrefois Albertine disparue) le confirme : sa souffrance contredit le sentiment antérieur qu’il ne l’aimait pas vraiment. Il en ressent un coup « physique » au cœur : « Ce malheur était le plus grand de toute ma vie. » 

    Proust Nuage de mots Albertine.jpg

    Source : http://ycreange.blogspot.be/2012/01/la-recherche-du-temps-perdu-du-cote-de.html

    Il s’efforce d’abord de nier le caractère définitif de leur séparation, demande à Françoise de garder la chambre d’Albertine en ordre, imagine son retour pour bientôt. Apprenant qu’elle est chez sa tante en Touraine, il lui écrit une lettre d’adieux et fait appel à Saint-Loup (aussi étonné de découvrir qui a été sa maîtresse secrète que lui en rencontrant Rachel) pour tenter une ultime démarche auprès de Mme Bontemps, sans se laisser voir de sa nièce.

    Donner trente mille francs à la tante (« pour le comité électoral de son mari »), donner cinq cents francs à une petite fille qu’il a fait monter chez lui pour se donner l’illusion d’une présence (les parents porteront plainte, sans suite), le narrateur agit sur impulsion et multiplie les maladresses. Albertine, qui a vu arriver Saint-Loup, traite le narrateur d’insensé par télégramme et lui reproche de ne pas lui avoir écrit directement : « J’aurais été trop heureuse de revenir ; ne recommencez plus ces démarches absurdes. » A quoi il répond qu’il ne le lui demandera pas – « Adieu pour toujours. »

    Tour à tour, il espère que cette lettre la fera revenir, qu’elle refusera, se reproche de l’avoir écrite, se récite des vers de Phèdre sur la douleur de la séparation. Quand Françoise lui montre les deux bagues d’Albertine oubliées dans un tiroir, c’est un nouveau motif d’accablement : leur ressemblance prouve qu’elle a menti sur leur origine. Le rapport de Saint-Loup, qui a entendu Albertine chanter chez sa tante, n’a rien de rassurant. Elle y voit d’autres filles, une actrice, elle n’a pas du tout l’air de souffrir.

    Pourquoi lui reprocher des désirs que lui-même s’autorise ? L’amant jaloux est prêt maintenant à tout lui permettre. De désespoir, il lui télégraphie de revenir à n’importe quelles conditions – « Elle ne revint jamais. » Un télégramme de Mme Bontemps lui annonce la mort d’Albertine, « jetée par son cheval contre un arbre », suivi de deux lettres de la jeune femme, la première à propos d’Andrée (il lui a écrit qu’il envisageait de se lier avec elle), la seconde pour lui demander de revenir – « je prendrais le train immédiatement. »

    « Alors ma vie fut entièrement changée. » La fugitive est le récit de la douleur et de l’oubli. Les tendres souvenirs envahissent ses pensées, les projets qu’il croyait empêchés par elle, comme aller à Venise, ne lui disent plus rien sans elle. « On n’est que par ce qu’on possède, on ne possède que ce qui vous est réellement présent, et tant de souvenirs, de nos humeurs, de nos idées partent faire des voyages loin de nous-même, où nous les perdons de vue. » 

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    Albertine n’est plus, mais sa curiosité pour elle persiste. Il charge Aimé (le maître d’hôtel) de se renseigner sur ce qui se passait dans les douches où elle se rendait à Balbec, à cause d’une rougeur soudaine observée un jour qu’ils en parlaient. Sa vie lui paraît un « double assassinat » : de sa grand-mère, auprès de qui il s’est comporté en égoïste et qu’il a trop vite oubliée, et à présent d’Albertine.

    « On désire être compris parce qu’on désire être aimé, et on désire être aimé parce qu’on aime. » Il aimait Albertine, enfin il se l’avoue. « Mais elle était morte. Je l’oublierais. » C’est l’heure du bilan où défilent les femmes de sa vie, et celles d’un instant. Quand Aimé revient avec les confidences d’une doucheuse sur les rencontres coquines d’Albertine, Balbec devient l’Enfer de ses soupçons confirmés.

    « Je me voyais perdu dans la vie comme sur une plage illimitée où j’étais seul et où, dans quelque sens que j’allasse, je ne la rencontrerais jamais. » Puis vient le temps du doute : la doucheuse, Aimé ont-ils dit vrai ? Une petite blanchisseuse qui a simulé pour Aimé ce qu’elle faisait avec Albertine ne l’a-t-elle pas puni pour sa curiosité ? « Ce que nous sentons existe seul pour nous et nous le projetons dans le passé, dans l’avenir, sans nous laisser arrêter par les barrières fictives de la mort. » Enfin, il lui pardonne.

    S’habituer à vivre sans elle. Eviter la Touraine, la Normandie. Lire le journal avec prudence – un rien peut réveiller la douleur. Rencontrer Andrée, tâcher de savoir tout de même. Ramener d’autres filles chez lui, mais aucune n’est Albertine. Enfin, Le Figaro publie un article de lui ! Quand Andrée lui révèle la relation entre Albertine et Morel, il ne souffre plus : « Comme certains bonheurs, il y a certains malheurs qui viennent trop tard, ils ne prennent pas en nous toute la grandeur qu’ils auraient eue quelque temps plus tôt. » Comprendra-t-il jamais pourquoi Albertine l’a quitté ? Tout en elle, toujours, est et restera mobile – fugitif.

    Sa mère emmène le narrateur quelques semaines à Venise. Ils y font des rencontres inattendues, mais c’est surtout la beauté de la ville qui l’occupe, et la peinture vénitienne. Il prend des notes pour un travail sur Ruskin, visite Saint-Marc avec sa mère, reconnaît dans un tableau de Carpaccio le manteau de Fortuny porté par Albertine, admire les anges-oiseaux de Giotto à Padoue.

    Au moment du départ, le courrier leur annonce deux mariages inattendus : Gilberte Swann, devenue Mlle de Forcheville par le remariage de sa mère, épouse Saint-Loup ; le « petit Cambremer » épouse la nièce de Jupien (elle mourra peu après de fièvre typhoïde). Gilberte de Saint-Loup devient une personne très en vue, mais aucune situation mondaine ne l’est une fois pour toutes. Son mari s’affiche avec des maîtresses – un leurre. Saint-Loup est aussi un « inverti », et en l’apprenant de source sûre, son ami – en fait l’était-il ? – en ressent beaucoup de peine. 

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