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L'amour en cage

La prisonnière de Marcel Proust commence par un réveil, quand les bruits de la rue, du tramway, précédant la lumière, font deviner au narrateur d’A la recherche du temps perdu si le jour est « morfondu dans la pluie ou en partance pour l’azur. » Personne ne sait qu’Albertine habite avec lui à Paris depuis leur retour de Balbec, « cachée à tout le monde », à part sa mère (à Combray) et Françoise. Il l’a installée dans le « cabinet à tapisseries » de son père au bout du couloir, « à vingt pas », où elle va dormir après leur baiser du soir. « Sa séparation d’avec ses amies réussissait à épargner à mon cœur de nouvelles souffrances. »  

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Henry Somm, Elégantes

Albertine respecte la consigne : personne ne peut entrer dans la chambre du narrateur avant qu’il ait sonné. Sans lui parler de mariage, il cherche à lui rendre la vie agréable, et pour éviter les motifs de jalousie, a demandé à Andrée de la guider dans Paris. Il se considère guéri des remous intérieurs d’avoir appris par elle à Balbec qu’elle connaissait Mlle Vinteuil.

« Ce n’est pas certes, je le savais, que j’aimasse Albertine le moins du monde. » Pas amoureux, mais très soucieux de son emploi du temps (Gomorrhe étant « dispersée aux quatre coins du monde ») : savoir où se trouve Albertine et avec qui ou la savoir chez lui évite le réveil de sa « maladie chronique », la jalousie. Le mariage lui paraît redoutable en ce qu’il signerait la fin des « joies de la solitude »  il voudrait en réalité guérir d’Albertine, retrouver sa liberté d’aller et venir.

Au lieu de cela, il consulte la duchesse de Guermantes sur « les brimborions de la parure » qui plaisent à sa compagne, lui fait constamment des cadeaux coûteux comme ces robes de Fortuny « d’après d’antiques dessins de Venise » vantées par Elstir. En sortant de chez la duchesse, il aperçoit Charlie Morel venu avec M. de Charlus chez Jupien, dont la nièce est sa « fiancée ». Le baron encourage ce mariage qui garderait le jeune musicien à sa portée.

« Car la possession de ce qu’on aime est une joie plus grande encore que l’amour » : c’est le thème de La prisonnière. Albertine, de plus en plus élégante, est aussi « extrêmement intelligente » : elle lit, elle écoute, elle cite, elle dit sa reconnaissance au narrateur de lui avoir ouvert « un monde d’idées ». Tout en savourant la douceur domestique de sa présence qui l’apaise, comme le faisait le baiser du soir de sa mère, celui-ci est conscient que la jeune fille l’intéressait davantage à Balbec, inaccessible, que depuis qu’il la connaît davantage. 

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L’affiche de « La Captive », film de Chantal Akerman (2000) inspiré par La prisonnière de Marcel Proust

Enfermée chez lui comme un animal domestique, offerte comme une plante à son regard quand elle dort, d’une docilité qui l’étonne chaque fois qu’il exprime un souhait, Albertine accepte ses caresses, son rythme de vie, sa surveillance. Françoise voit en elle une profiteuse et déplore que son maître tolère le vice et la vulgarité sous son toit.

« Il faudrait choisir de cesser de souffrir ou de cesser d’aimer. » Se rappelant l’enfant « sensitif » qu’il était, devenu plus pondéré et railleur, le narrateur perçoit à présent en lui des ressemblances avec ses parents, s’entend parler comme eux. Il s’amuse avec Albertine à écouter les cris des marchands des rues « C’est l’enchantement des vieux quartiers aristocratiques d’être, à côté de cela, populaires. » Sa curiosité amoureuse n’en reste pas moins insatiable : une petite laitière, une serveuse accorte, une passante suscitent mille rêves.

Quand Le Figaro annonce un spectacle avec Mlle Léa, cette comédienne qu’Albertine a feint de ne pas connaître quand ils avaient croisé deux de ses amies, son obsession « gomorrhéenne » est ravivée. Il élabore stratégie sur stratégie pour qu’elle ne rencontre pas ce genre de femmes, bien qu’elle nie en être et en fréquenter.

Elle le rassure sans cesse : « Mon chéri et cher Marcel, (…) Toute à vous, ton Albertine. » – « J’étais plus maître que je n’avais cru. Plus maître, c’est-à-dire plus esclave. » Le servage d’Albertine a fait perdre au bel « oiseau captif » toutes ses couleurs, elle est devenue la « grise prisonnière ». Mais son esclavage est devenu le sien. Ses mensonges dévoilés, encore plus douloureux quand il ne les a pas envisagés, sa torture.

(A suivre)

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Commentaires

  • Je vous envie tous (c'est un vilain défaut)de pouvoir lire Proust, ... ma vision troquée ne me le permettant pas. ... Je ne lis des ouvrages qu'en diagonale, alors que cet auteur demande concentration sur le texte. ... Je me contenterai donc des commentaires si bien fait de Tania que je vais lire et relire avec mon doigt comme un enfant. ... Je me souviens que dans la trentaine, j'ai été fatigué de le lire, ... je crois que maintenant j'apprécierais. ...

  • Cher Doulidelle, j'espère que tu trouveras quelque plaisir à lire cette chronique. Ce chef-d'oeuvre de la littérature française qui demande beaucoup à ses lecteurs, c'est vrai, leur donne en retour une immersion dans un univers unique et universel, d'une profondeur inouïe.

  • Il me semble que Keisha trouve ce volume-là long à lire, et assez sombre. Tu progresses vite.

  • Les deux tomes qui concernent Albertine ne m'intéressent pas beaucoup, je ne les ai jamais relus, sans doute une erreur

  • @ Aifelle : C'est parfois crispant de suivre les méandres des soupçons et des mensonges, et l'indécision des sentiments dans cette relation très particulière entre le narrateur et Albertine. Proust n'édulcore ni les caractères ni les comportements. C'est une analyse sans concession de la jalousie. Les échanges amoureux, les moments paisibles en sont d'autant plus forts.

    @ Dominique : J'avais oublié beaucoup de choses, comme ces pages sur les cris des marchands de rue, sur les voix, les accents, la manière de parler ou encore les promenades à l'aérodrome. L'introspection y occupe une plus grande place que dans les volumes antérieurs.

  • quand je (re)lis Proust, j'arrive toujours à un moment où toutes ces tergiversations et tous ces états d'âmes embrouillés, voire contradictoires, m'énervent de plus en plus... et j'arrête ma lecture.
    C'est ce que je ressens en lisant ce résumé de la Prisonnière, et je me dis que je ne le lirai sans doute pas...

  • Des contradictions, et d'étonnants revirements dans les intentions du narrateur qu'une parole, un mot suffit à provoquer : on l'imagine très amoureux, même quand il affirme le contraire, vu sa possessivité exaspérante, et pourtant Proust nous le montre aveugle aussi bien devant certaines ruses d'Albertine que par rapport à lui-même, et aussi sournois, manipulateur, inquiet - ne mesurant la force des sentiments qu'à la douleur qu'il ressent.
    On peut éprouver de l'agacement à le voir tergiverser - sa "procrastination" comme dit M. de Charlus - mais quelle audace, quelle plongée psychologique, quelle recherche constante de l'auteur à rendre la complexité des désirs et des rapports avec autrui.

  • plongée psychologique et analyses vertigineuses, ça oui, c'est pour ça qu'on finit par reprendre son bouquin en main ;-)

  • Je l'ai relu pour le blog assez récemment, de toute façon pas question de sauter un volume!
    A défaut de me replonger dans l'ouvre, j'ai lu Un été avec Proust, dont j'extrais
    "Cette souffrance de l'amour a deux causes. La première est qu'on ne désire que ce qu'on ne possède pas. La deuxième est qu'il suffit de posséder ce qu'on aime pour ne plus même comprendre ce qui nous l'avait fait désirer."

  • Merci Tania pour ton passage sur mes pages, ton gentil com et le lien que tu m'as indiqué. Je reviens de chez "éclats de mots" où j'ai vraiment pris du plaisir. Le pinceau, chez moi, remplace les mots et quand je lis ce que tu proposes ou ce que tu écris.....je me sens "bien petite". Proust : je suis une inconditionnelle. A bientôt. Chinou

  • Chinou, j'aimerais tant pouvoir dessiner comme toi ce qui accroche mon regard.

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