Charles Swann, dans A la recherche du temps perdu, est un esthète aux cheveux roux, aux yeux verts, porté sur les jolies femmes. Ce flirteur invétéré n’hésite pas à se servir de ses relations pour s’en rapprocher, aussi le grand-père du narrateur s’écrie quand il reçoit une lettre de lui : « Voilà Swann qui va demander quelque chose : à la garde ! »
Source : http://www.lemotlachose.com/un-amour-de-swann-a-la-recherche-de-pierre-alechinsky/
Un amour de Swann peut se lire comme un roman isolé, Proust lui-même y voyait une bonne porte d’entrée dans son œuvre. C’est une des incarnations littéraires les plus inoubliables de la maladie d’amour. Le récit des circonstances dans lesquelles Swann rencontre Odette de Crécy, « demi-mondaine » comme on disait alors pour ce genre de femme entretenue, la revoit, la cherche, l’aime, la soupçonne, la regarde s’éloigner de lui, puis regrette d’avoir gâché des années de sa vie pour une femme qui n’était pas son genre, est un flash-back, un récit dans le récit, un microcosme.
Voire une mise en abyme : cette liaison se déroule à l’époque de la naissance du narrateur, qui se la fera raconter – « (…) bien des années plus tard, quand je commençai à m’intéresser à son caractère à cause des ressemblances qu’en de tout autres parties il offrait avec le mien (…) »
Au physique, Odette déplaît d’abord à Swann, et la beauté de son corps pourtant « admirablement fait » est gâchée par la mode de l’époque qui donne « à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres » (formidable description de sa toilette). Tout changera quand il retrouvera ses traits dans la Zephora de Botticelli.
Botticelli, Les Epreuves de Moïse, détail, Chapelle Sixtine (de face, Zephora, "la fille de Jethro")
La première vedette féminine (l’histoire débute avec elle), c’est Mme Verdurin et son « noyau » de « fidèles », ses soirées qui ne ressemblent en rien à celles des « ennuyeux » (les aristocrates à ses yeux de bourgeoise). Elle les anime, du haut de son siège-escabeau suédois « en sapin ciré », un cadeau, comme férocement résumé ici : « Telle, étourdie par la gaîté des fidèles, ivre de camaraderie, de médisance et d’assentiment, Mme Verdurin, juchée sur son perchoir, pareille à un oiseau dont on eût trempé le colifichet dans du vin chaud, sanglotait d’amabilité. »
Odette, « un amour », une des seules femmes admises dans son cercle avec l’épouse du Dr Cottard, y introduit Swann après l’avoir harponné, et c’est là qu’il réentend la « phrase musicale » de Vinteuil qui va l’envoûter. « Les êtres nous sont d’habitude si indifférents que, quand nous avons mis dans l’un d’eux de telles possibilités de souffrance et de joie pour nous, il nous semble appartenir à un autre univers, il s’entoure de poésie, il fait de notre vie une étendue émouvante où il sera plus ou moins rapproché de nous. » Il y a là de merveilleuses pages sur l’écoute de la musique, l’ivresse auditive.
Relire Un amour de Swann, c’est s’arrêter aux détails sautés la première fois ou bien oubliés, par exemple quand Odette, qui prétend aimer les « antiquités », déplore que son amant habite dans un hôtel du quai d’Orléans « indigne de lui » et lâche, à propos de la décoration chez une de ses amies où tout est « de l’époque » (laquelle ? impossible pour Odette d’éclairer Swann sur ce point) : « Tu ne voudrais pas qu’elle vécût comme toi au milieu de meubles cassés et de tapis usés ».
Livre de Poche 1971, 1988, 2006
L’arrivée du comte de Forcheville chez les Verdurin, qui a l’art de se fondre dans sa coterie contrairement à Swann, marque le tournant de ses relations avec Odette. « L’amour est une maladie, on le sait, ou plutôt, on ne le sait pas assez. Le véritable organe sexuel de Proust, c’est la jalousie. » (Roland Barthes) Swann dissimule sa jalousie, pour ne pas donner à Odette « cette preuve qu’il l’aimait trop, qui, entre deux amants, dispense, à tout jamais, d’aimer assez, celui qui la reçoit. »
Relire, c’est prendre le temps de s’arrêter, page 289 (Pléiade 1984), sur une « musique stercoraire » ; page 292, sur « aller villégiaturer dans des latrines » ; page 304, sur « le chimisme même de son mal ». Sur des effets de style, page 354, où Swann se dit : « On ne connaît pas son bonheur. On n’est jamais aussi malheureux qu’on croit » ; quelques lignes plus loin, « il se dit qu’on ne connaît pas son malheur, qu’on n’est jamais si heureux qu’on croit. »
Et pour finir, sur la silhouette bien croquée de Mme Cottard, croisée par Swann dans l’omnibus, en pleine « tournée de visites « de jours », en grande tenue », qu’il suit des yeux quand elle en descend, « l’aigrette haute, d’une main relevant sa jupe, de l’autre tenant son en-tout-cas et son porte-cartes dont elle laissait voir le chiffre, laissant baller devant elle son manchon. » De quoi nourrir une amusante leçon de vocabulaire.
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Commentaires
j'ai toujours eu beaucoup de sympathie pour Swann et en même temps une forme de pitié pour ses faiblesses envers Odette ;-)
Déjà dans celui là celle que j'aime par dessus tout c'est l'inénarrable Mme Verdurin
et puis l'expression si imagée de "faire cattleya"
Proust nous le rend si proche qu'on regarde et qu'on souffre avec lui.
"Juchée sur son perchoir", j'avais oublié cette image d'elle, qu'est-ce que j'ai ri !
Oui, les cattleyas : on découvre le mot, la fleur, et on ne pourra plus jamais les dissocier de ce code amoureux.
Pour moi ce ne serait pas une relecture, mais une première lecture, sans cesse différée. Il y a des jours où j'ai l'impression de l'avoir lu, tellement j'ai entendu d'extraits à la radio, par Guillaume Galienne ou d'autres ..
Tu aurais donc le double plaisir de reconnaître et de découvrir - car des découvertes, des surprises, il y en a quand on le relit, c'est dire !
Il va falloir qu'on prenne Aifelle en main! Ce n'est pas faute de dire tout le bien qu'on pense de Proust. C'est vrai que pour les peureux, on peut commencer par Un amour de Swann, moins long.Je me susi délectée à retrouver les passages que tu cites (ma dernière lecture n'est pas lointaine, donc ça va)
Dans ton billet sur "Du côté de chez Swann", tu insistais déjà en écrivant que "toute lecture de Proust est nouvelle". Comme toi, je suis frappée par tous ces personnages et ces thèmes déjà présents dès le début.
Maintenant, je sais par où commencer. glop !
Pour compléter ta lecture, je te conseille vivement le film de Pierre Schoendoerffer, "Un amour de Swann", de 1984. Ornella Mutti campe une Odette parfaite et Alain Delon, en Charlus, est très bien aussi...
Je viens de commencer "Du côté de Guermantes" ;-)
@ Liousha Tiki : Bonne lecture - en bonne compagnie.
@ Margotte : J'ai vu ce film, merci de le rappeler & bonne continuation, Margotte.
Bonsoir Tania, pour Aifelle, il faut au moins lire les trois premiers tomes : Du côté de chez Swann, A l'ombre des jeunes filles en fleurs et Le côté de Guermantes: superbes. Bonne fin d'après-midi.
Bonjour, Dasola. La rencontre avec un auteur quel qu'il soit est aussi liée à la disponibilité personnelle, il me semble, mais d'accord pour insister sur la beauté de ces premiers tomes - sans oublier le dernier, "Le temps retrouvé".
Il y a en effet un côté «maladif» à l'état amoureux et j'apprécie le titre de l'article. Il reste que c'est une maladie espérée comme l'Aventure d'une vie.
Proust décrit l'amour comme un attachement irrésistible et douloureux, forcément décevant - il en ira de même pour le narrateur avec Gilberte - sans compter la jalousie. On "tombe" amoureux, on a une "faiblesse" pour quelqu'un, tout un registre.