Méconnu des Bruxellois, le parc Tournay-Solvay ? Je ne le connaissais pas, à vrai dire, avant que Colo puis un reportage télévisé ne m’incitent récemment à cette promenade à Watermael-Boitsfort, au sud-est de Bruxelles, à proximité de la forêt de Soignes et de la ligne de chemin de fer Bruxelles-Namur. Au début du XXe siècle, l’architecte paysagiste Jules Buyssens a réaménagé le parc autour du manoir d’Alfred Solvay (construit en 1878 pour ce frère du célèbre Ernest Solvay) puis de sa fille Thérèse Tournay-Solvay, un parc racheté par la Région bruxelloise en 1980 pour l’ouvrir au public.
Derrière nous, le chemin des Silex, le long de l'étang de Boitsfort
La voiture garée, nous empruntons le chemin des Silex qui longe l’étang de Boitsfort : de ce côté, une rive fleurie ; de l’autre, la forêt. Les plaques d’acier posées sur le chemin nous intriguent, jusqu’à ce que nous arrivions au chantier de construction d’une villa – elles sont destinées au passage des camions. Quelques rares maisons profitent déjà de cette situation exceptionnelle sur la Promenade Verte. Juste avant l’entrée du parc, nous admirons un ensemble de maisons autour d’une ancienne laiterie, pimpantes et fleuries.
Voici d’autres étangs, plus petits, où s’épanouissent des nénuphars, où s’épanche un saule pleureur – le royaume du vert. Au bord du chemin qui mène à la maison des gardiens, quelqu’un a sculpté des souches : des champignons, une tête à longue barbe. Un panneau de Bruxelles Environnement (l’IBGE est gestionnaire du parc) signale une ancienne glacière devenue gîte d’hivernage pour les chauves-souris.
« Colchiques dans les prés », la chanson de Francine Cockenpot me revient aux lèvres en marchant vers le verger où certains pommiers promettent une belle récolte. Un peu plus haut, le superbe potager vaut le détour (cueillette réservée aux jardiniers) : capucines, haricots, tournesols, courges, bourraches… J’aimerais rencontrer quelqu’un qui puisse me renseigner sur cette grande plante verte aux feuilles géantes divisées par une belle nervure rouge, très ornementale, sur une des parcelles (voir plus bas).
Une mésange charbonnière vient m’en distraire, intéressée par les graines de tournesol encore disponibles. Un long mur de briques contre lequel poussent des fruitiers palissés protège ce potager. Les allées pavées mènent à un bassin central en pierre bleue. Je resterais volontiers ici plus longuement mais nous n’avons encore parcouru qu’une petite partie du parc.
Du sentier le plus haut, on a de belles vues vers l’étang entre les arbres, puis on passe sur un pont, entre les grandes courbes des garde-corps en fer forgé, avant d’arriver au château Tournay-Solvay, en restauration depuis des années. Près des barrières du chantier, de grands panneaux expliquent les travaux entrepris et l’objectif à atteindre. Un incendie l’a laissé en ruines en 1982, il reste beaucoup à faire pour lui rendre de sa splendeur.
Des arbres remarquables, des allées, des bancs nous attendent au-delà dans ce magnifique jardin à l’anglaise que nous sommes heureux d’avoir découvert en commençant par son côté le plus champêtre et non par la grande grille d’entrée, un accès actuellement gâché par les travaux en voirie, les voitures garées. De curieuses boîtes en bois (projet Out of the Box) annoncent au bord de l’allée une exposition pour sensibiliser au sort des abeilles, dans la Villa Blanche du domaine. « Si l’abeille disparaissait de la surface du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » (A. Einstein)
Nous nous arrêtons d’abord près de l’impressionnante « Tête Olmèque n° 8 » donnée au peuple belge par le gouvernement de l’Etat de Veracruz. C’est une réplique due à Ignacio Pérez Solorzano (2002), de même hauteur (2m20) que celle trouvée au Mexique à San Lorenzo. Les archéologues y ont trouvé dix têtes colossales de ce peuple précolombien qui a vécu de 1200 à 500 avant Jésus-Christ.
Exceptionnelle, la roseraie circulaire en gradins, en haut desquels des bancs accueillent promeneurs et visiteurs contemplatifs, est encore superbement fleurie en cette fin du mois d’août. Entourée par une haie bien taillée, le long de laquelle on se promène sous des arches métalliques où grimpent encore quelques roses, cette roseraie offre un jardin cultivé inattendu dans ce parc décidément très varié. Il n’y manque que l’eau de la fontaine centrale.
Sur une grande pelouse d’où l’on découvre un autre côté du Château, en meilleur état, avec ses bandes blanches entre les briques rouges, sont couchés trois gigantesques mégaphones en bois de l’artiste estonienne Birgit Oigus (dans le cadre de la présidence estonienne du Conseil de l’Europe) : RUUP, « un espace privilégié pour penser et écouter », indique le dépliant du parc. C’est très beau dans ce cadre de verdure.
La Villa blanche, villa art nouveau destinée aux amis des Tournay-Solvay, abrite aujourd’hui la Fondation européenne pour la sculpture. Jean-François Fourtou, dont les maisons sont aussi « des espaces mentaux, des surfaces de projections pour souvenirs enfouis », y expose « Les abeilles de Bruxelles ». Près de cet univers surprenant en trois dimensions, deux visiteuses font provision de graines dans le fouillis de la plate-bande, en particulier de grandes fleurs roses (non identifiées) entre les cosmos.
Les rois du parc, ce sont ses grands arbres magnifiques, dont certains sont à l’Inventaire du patrimoine naturel de Bruxelles : cèdres du Liban, hêtres pourpres, noisetiers de Byzance, séquoia géant, tilleuls, tsugas du Canada… Mais quelle beauté aussi dans les sous-bois, où la lumière se pose sur des tapis végétaux à la manière des peintures impressionnistes – rappelez-vous, la perception du paysage est culturelle (Alain Roger). Ceux qui s’y promènent reviendront sans doute au parc Tournay-Solvay. En sortant par le chemin des Silex, nous croisons beaucoup de personnes avec leur collation de midi, des habituées, visiblement, de cet endroit idéal pour une pause, par un beau jour d’été.