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Bruxelles - Page 63

  • De la Chine à Taïwan

    Une belle exposition vient de s’ouvrir au musée d’Ixelles : « From China to Taïwan. Les pionniers de l’abstraction (1955-1985) ». A l’exception de Zao Wou-Ki, ces peintres chinois étaient des inconnus pour moi. Or Zao Wou-Ki, Chu Teh-Chun et Lee Chun-Shan ont tous les trois étudié puis enseigné à l’école des Beaux-Arts de Hangzou, dont certains professeurs s’étaient formés en Europe. En 1948, Zao Wou-ki part s’établir à Paris. En 1949, quand Mao Zedong prend le pouvoir, les deux autres s’installent à Taipei (plus d’un million de Chinois quittent alors le continent chinois pour Taïwan).

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    S’écartant du conservatisme, ces jeunes peintres découvrent par eux-mêmes l’art occidental et se tournent vers l’abstraction. Huit élèves de Lee Chun-Shan créent en 1956 le groupe Ton Fan (1956-1971), ce qui veut dire « Orient » en chinois et exprime leur volonté de ne pas renier la tradition orientale. Leurs œuvres sont exposées dans la grande salle au rez-de-chaussée. La présentation du groupe Wuyeu ou Fifth Moon (1957-1972) – « mois de mai » en chinois, le mois de leur exposition annuelle – se poursuit à l’étage.

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    Tous ces artistes cherchent une troisième voie picturale, entre Orient et Occident. Sur les petites vidéos-portraits placées près de certaines notices biographiques (à lire sur le site de la Galerie Sabine Vazieux – l’auteure du catalogue les a rencontrés dans leur atelier), ils font souvent part de leur volonté de renouveler la peinture chinoise sans tourner le dos à la tradition. Ils cherchent à « s’inscrire dans la modernité internationale tout en exprimant leurs racines profondes » (Dossier de presse).

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    © Zao Wou-ki, 17.02.71- 12.05.76 (1971), collection privée
     

    De Nous deux (1955) encore inspiré de la calligraphie chinoise à ce paysage abstrait (ci-dessus) de Zao Wou-ki, l’évolution du grand peintre est déjà visible. En 1953, il disait tendre « vers une écriture imaginaire, indéchiffrable »  (Fondation Zao Wou-ki). Son travail aura une grande influence sur ses compatriotes, notamment après son séjour à Hong-Kong en 1958.

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    © Hu Chi-Chung, Sans titre (1960), collection privée

    Le passage vers l’abstraction s’accompagne d’expérimentations techniques. Fong Chung-Ray privilégie l’encre sur papier, noire ou rouge. Hu Chi-Chung mêle du sable à l’huile sur la toile, créant des effets de pastel. Liu Kuo-Sung fabrique de nouveaux papiers et pratique le « pelage » pour obtenir des traits blancs sur l’encre noire.

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    Vue d’ensemble de quelques toiles de Chuang Che

    Sur l’estrade au bout de la salle, on expose un bel ensemble de Chuang Che. Ce peintre mêle huile et acrylique sur ses grandes toiles à la fois graphiques et fluides, mystérieuses aussi. Elles invitent à la contemplation. « Maître du paysage abstrait sur toile, poète et philosophe, la spiritualité de ses œuvres est dans la lignée des grands artistes traditionnels chinois. » (Sabine Vazieux)

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    © Hsiao Chin, Red Cloud (1985), collection privée
     

    A l’étage, l’abstraction vire au minimalisme chez Richard Lin : il privilégie les lignes pures, appose de petites barres d’aluminium sur la toile, où le blanc domine, en subtiles variations. Ho Kan conjugue l’abstraction géométrique avec des signes calligraphiques issus de son héritage culturel. Hsiao Chin pratique l’encre sur papier de façon très personnelle, invente des rythmes, des cadrages. J’aime sa manière de jongler avec les formes et les couleurs.

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    © Ho’Kan, Sans titre (1967), collection privée
     

    Cette peinture chinoise de la seconde moitié du XXe siècle mérite absolument d’être découverte, je vous recommande cette exposition. L’accrochage de plusieurs œuvres de chaque artiste évite la sensation d’éparpillement. Chaque fois, un univers original s’offre au regard. En même temps, on perçoit une tendance commune au renouveau du langage pictural, d’une façon différente de celle proposée avant eux par les peintres abstraits occidentaux. Le musée d’Ixelles attirera sans doute beaucoup de visiteurs avec cette exposition inédite.

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    Vue d’ensemble de quelques toiles d’Elie Borgrave

    Comme à chaque fois, en plus de la grande exposition, des expositions temporaires sont à découvrir de l’autre côté des collections permanentes (qui valent la visite pour elles seules, avant les travaux d’agrandissement prévus en 2018). « Elie Borgrave. L’équilibre des contraires » est la première rétrospective consacrée à ce peintre belge (1905-1992). Son oeuvre abstraite a traversé plusieurs périodes (bruxelloise, américaine, italienne, hollandaise) déclinées ici en une quarantaine de tableaux et dessins. De quoi se régaler.

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    © Jean Coquelet, M 35. 3 (1997), collection privée
     

    Place ensuite à Olivia Hernaïz avec une installation très intéressante, je vous en parlerai dans mon prochain billet. Enfin, un « Hommage à Jean Coquelet » (1928-2015), ancien directeur du musée d’Ixelles, historien d’art qui avait d’abord étudié la sculpture, permet de découvrir ses magnifiques photographies du nu féminin. Ces expositions sont visibles durant tout l’été au musée d’Ixelles, jusqu’au 24 septembre.

  • Aux étangs d'Ixelles

    La visite guidée d’« Ixelles, berceau de l’Art nouveau et de l’Art Déco », un parcours organisé par la commune autour des étangs d’Ixelles, le dernier jour de mai, a vite affiché complet : trop tard pour s’inscrire à celle de 16h30, va pour 18h30. Cécile Dubois, qui connaît bien son sujet, nous a emmenés à la découverte d’un des plus beaux quartiers de Bruxelles.

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    Il a été aménagé à la fin du XIXe siècle, quand le Maelbeek, ruisseau qui prend sa source à l’abbaye de la Cambre et se jette dans la Senne à Schaerbeek, a lui aussi été comblé. Il ne reste que quelques-uns de ses étangs d’origine, dont ceux d’Ixelles. Rendez-vous était donné avenue du général de Gaulle pour découvrir comment l’Art nouveau, avec ses formes organiques, puis l’Art Déco, plus stylisé, ont inspiré les architectes au début du XXe siècle. De 677 habitants en 1818, Ixelles passe à cinquante mille en 1900, de quoi donner du travail à beaucoup de monde.

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    Avenue Général de Gaulle, 38 et 39 (photo 2010) © SPRB-DMS (1904, Ernest Blerot) / Ixelles

    Aux numéros 38 et 39 de l’avenue subsistent deux maisons conçues par Ernest Blerot. De la deuxième génération Art nouveau, il cherchait à démocratiser ce style, alors que la première, au service de la bourgeoisie industrielle et socialiste, souvent des libres penseurs, voulait avant tout se démarquer. Blerot a rendu l’Art nouveau plus populaire, intégrant des notes anciennes comme le pignon néo-gothique du 38, et aussi quelque chose de très neuf à l’époque : des garages. Il pressent le succès de l’automobile, pas l’évolution de son gabarit – dans un de ces garages, on a installé une salle de bain pour une chambre d’hôte.

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    Détail du 39

    Soubassement en pierre bleue, contrastes de tons sur la façade se voient voler la vedette par des fers forgés remarquables, aux motifs de clématite utilisés aussi en mosaïque à l’intérieur (à retrouver dans le catalogue de Flora’s Feast). Cette liane fleurie ornait à l’origine quatre maisons mitoyennes. Deux ont été démolies pour faire place à La Cascade, immeuble moderniste dû à René Ajoux que certains surnomment « la salle de bain d’Ixelles » à cause de ses carreaux de façade d’inspiration hygiéniste.

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    La Cascade (1939, René Ajoux) / Ixelles

    Nous nous tournons vers les étangs où on a rénové la rocaille et son petit temple inachevé, contraste de couleur, de forme, du lisse opposé au rugueux. Puis nous faisons quelques pas vers la place Flagey (un bassin d’orage y a été aménagé pour pallier les inondations de caves et du parking souterrain), pour admirer son fameux « paquebot » où se sont déroulées les sélections et les demi-finales du Concours Reine Elisabeth de violoncelle 2017 (la finale, à Bozar).

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    Vue sur le Flagey (ancien INR, 1930, J. Diongre) / Ixelles

    Construit en 1930 pour l’Institut National de Radiodiffusion, emblématique avec sa tourelle d’angle, le Flagey est moderniste à l’extérieur – fenêtres en bandeau et horizontales de briques jaunes (comme à la Villa Cavrois de Mallet-Stevens) – et Art Déco à l’intérieur. Ce chef-d’œuvre dû à Joseph Diongre a été sauvé de la démolition et restauré grâce à un partenariat entre le public et le privé.

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    Résidence du Lac (1957, J. Cuisinier, détail) / Ixelles

    Non loin d’un immeuble d’angle brun qui mêle également ces deux styles (Saintenoy fils, 1938), au square de Biarritz, un immeuble en retrait, la Résidence du Lac (1957) présente une courbe concave comme le Brusilia à Schaerbeek, il est du même architecte, Jacques Cuisinier.  

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    Rue du Lac, 6 à Ixelles (1902, E. Delune), photo Wikimédia Commons 2006 / actuellement en travaux / Ixelles

    Rue du Lac, une façade originale due à Ernest Delune est en pleine restauration, elle était très dégradée. Commandée par un entrepreneur pour l’arrière d’une maison éclectique située au 5, rue de la Vallée (1893), à l’emplacement d’une petite cour triangulaire, elle utilise l’arc outrepassé (arc en plein cintre qui se poursuit au-delà du demi-cercle) pour la verrière (derrière laquelle une cage d'escalier donne accès à un atelier d’artiste) et pour l’entrée avec sa fenêtre placée de manière originale dans le même arc que la porte. Les vitraux aux pensées (voir Flora’s Feast) sont en verre américain chenillé, qui fait bel effet aussi bien dehors que dedans.

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    Immeuble à appartements au carrefour formé par la rue de la Vallée et la rue Vilain XIIII / Ixelles

    Il serait fastidieux de vous raconter toute la promenade, qui a duré plus de deux heures : maisons, immeubles, époques, le quartier présente une diversité de styles très intéressante, comme souvent à Bruxelles, qui cultive l’éclectisme. Ici, on remarque comment on a transformé un hôtel particulier en immeuble de rapport (la guide nous montre des photos anciennes, des plans), là on admire deux maisons (fausses jumelles) de Blerot où des sgraffites remplacent les impostes (rue Vilain XIIII).

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    Rue Vilain XIIII, 9 et 11, deux maisons de Blerot (1902)

    Près d’un monument, Cécile Dubois présente la résidence Belle Vue aux grands appartements bourgeois et celle du Tonneau (bien nommée), deux réalisations de l’architecte et self-made-man Collin bien connu des Bruxellois à cause de l’affaire Etrimo, une faillite qui ne doit pas faire oublier son objectif : permettre à chaque Belge de devenir propriétaire.

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    Le Tonneau, 1938-40 (Stanislas Jasinski et Jean-Florian Collin)

    Avenue Emile Duray, après une maison de Blomme aux jolis motifs de briques, nous arrivons au square du Val de la Cambre, un ensemble qu’il a dessiné pour la société Cogeni dans un style tourné vers le passé, inspiré par larchitecture médiévale et baroque (Stanislas-André Steeman y a habité dans la deuxième cour, au-delà du porche à clocheton, au 21).

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    Square du Val de la Cambre (1928-1932, A. Blomme) / Ixelles

    Tant de belles constructions méritent de s’y attarder, des immeubles d’un tel luxe pour l’époque qu’on les appelle « Palais », comme le Palais de la Cambre qui devait border tout un îlot (avenue Emile Duray), finalement limité à cinq immeubles avec des connexions en sous-sol.

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    Palais de la Cambre (détail), 1925 à 1930 (Camille Damman) / Ixelles

    Le rond-point de l’Etoile a disparu au boulevard général Jacques, devenu carrefour sur une quasi autoroute urbaine. Les immeubles construits avant la guerre se tournent vers le rond-point, après la guerre on les oriente différemment pour détourner les terrasses du trafic. Le plus prestigieux est le Palais de la Folle chanson (nommé d’après une statue de Jef Lambeaux) dû à Antoine Courtens, une copropriété qui se voulait bien située à proximité du Bois de la Cambre.  

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    Palais de la folle chanson et son hall d'entrée (1928, Antoine Courtens), / Ixelles

    Après avoir levé les yeux vers le campanile étoilé de sa spectaculaire rotonde d’angle, un espace de réception, c’est sur le marbre devant sa belle entrée ronde (comme l’entrée Ravenstein du Palais des Beaux-Arts de Horta) que s’est achevé ce parcours passionnant qui donne envie de se promener plus souvent aux alentours des étangs d’Ixelles... et de rouvrir les deux beaux livres de Cécile Dubois sur Bruxelles.

  • Plus distingué

    Gary Folio.jpg« – Tu seras ambassadeur de France, c’est ta mère qui te le dit.

    Tout de même, il y a une chose qui m’intrigue un peu. Pourquoi ne m’avait-elle pas fait Président de la République, pendant qu’elle y était ? Peut-être y avait-il, malgré tout, chez elle, plus de réserve, plus de retenue, que je ne lui en accordais. Peut-être considérait-elle, aussi, que dans l’univers d’Anna Karenine et des officiers de la Garde, un Président de la République, ce n’était pas tout à fait du « beau monde », et qu’un ambassadeur en grand uniforme, ça faisait plus distingué. »

    Romain Gary, La promesse de l’aube

  • Gary sur scène

    Au Public, Michel Kacenelenbogen joue Romain Gary sur scène, dans La promesse de l’aube. Patricia Ide, épouse et co-directrice du théâtre, a accueilli le public de la première générale en racontant un sympathique échange entre le comédien et son metteur en scène, Itsik Elbaz. Celui-ci avait joué au Public dans La vie devant soi en 2011, ce succès d’Emile Ajar (qui n’était autre que Romain Gary) dans une mise en scène de Kacenelenbogen. Pour ce spectacle-ci, un « seul en scène », ils ont inversé les rôles. C’est réussi.

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    Source Photo Le Public

    Dans La promesse de l’aube (1960), Romain Gary (1914-1980) raconte son enfance, sa jeunesse, la guerre, mais il n’est pas le héros de cette autobiographie. L’héroïne, c’est sa mère. C’est d’elle qu’il parle constamment, puisqu’il lui doit tout : pas seulement une véritable adoration pour son fils, mais la conviction – qui l’a porté jusqu’à l’accomplissement – qu’il serait un jour un grand homme, dans ce pays où elle rêvait de vivre. « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! »

    En costume, mouchoir à la pochette, Michel Kacenelenbogen capte l’attention immédiatement et sans temps mort pendant un peu plus d’une heure. Décor minimum, animé par l’éclairage : une paroi rouillée où il ouvre de temps à autre une porte, où quelques images sont projetées lors des transitions. Un jeu tout en sobriété, efficace : le public est suspendu à ses lèvres, rit, réagit. (Dans un entretien-portrait, il y a quelques années, ce petit-fils belge de grands-parents polonais répondait : « Ce n’est pas une blague ; l’amour de ses parents, c’est quelque chose d’extraordinaire, qui rend tout possible ! »)

    Seule, « sans mari, sans amant », la mère de Romain Gary s’est toujours battue pour gagner de quoi vivre. Fille « d’un horloger juif de la steppe russe », partie de chez ses parents à seize ans, deux fois mariée et divorcée, un temps « artiste dramatique » sous le nom de Nina Borisovskaia, elle n’a d’autre objectif, depuis la naissance de son fils, que de le préparer au destin brillant qui l’attend. Dès l’enfance, elle lui apprend qui sont ses ennemis : Totoche, le dieu de la bêtise ; Merzavka, le dieu des vérités absolues ; Filoche, le dieu de la petitesse.

    A Wilno (Pologne) où ils sont « de passage » avant d’aller en France où il devait « grandir, étudier, devenir quelqu’un », elle façonne des chapeaux pour dames, y coud des étiquettes « Paul Poiret », les vend avec difficulté, peine à payer son loyer à temps. Les voisins la trouvent louche, se méfient des réfugiés russes, la dénoncent à la police. Elle défend son honneur et, de retour dans l’immeuble, traite ses détracteurs de « sales petites punaises bourgeoises » en clamant qu’un jour son fils sera ambassadeur de France et... s’habillera à Londres !

    Peu à peu, ses affaires prospèrent. Son garçon reçoit l’éducation élégante dont elle rêvait pour lui : gouvernante française, costumes de velours, leçons de maintien et de baise-main, apprentissage de la valse et de la polka, cours d’équitation et d’escrime. Mais à neuf ans passés, il tombe malade, sévèrement ; sa mère se ruine pour le sauver, appelle des spécialistes à son chevet et, quand il échappe à la mort, l’emmène à Bordighera, en Italie, pour qu’il reprenne des forces au soleil. Vu leurs dépenses et la baisse des affaires, faute de pouvoir partir en France, ils vont à Varsovie pour l’inscrire au lycée français, mais c’est au-dessus de leurs moyens.

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    Source Photo Le Public © Gaël Maleux

    Un jour pourtant, elle arrive à ses fins : ils vont vivre à Nice. Elle y tient, entre autres, une vitrine d’articles de luxe à l’Hôtel Negresco, elle se débrouille pour qu’il ait chaque midi un bifteck sur son assiette – végétarienne, elle n’en mange pas. Mais le garçon de treize ans la surprend un jour dans la cuisine en train d’essuyer avec du pain la poêle où elle l’a cuit et comprend soudain la vérité sur ses motifs réels de se priver de viande. Il en ressent une terrible honte, puis « une farouche résolution de redresser le monde et de le déposer un jour aux pieds de (sa) mère ».

    Quand il rentre du lycée avec un zéro en math., elle accuse son professeur de ne pas le comprendre – il doit l’empêcher d’aller le trouver. Alors elle prédit qu’il sera, faute de don pour la musique ou la danse, un grand écrivain, « Victor Hugo, Prix Nobel ». Son ambition pour son fils ne connaît jamais le doute. Quand il part étudier le droit à Aix, elle lui fait des adieux déchirants à sa montée dans l’autocar. Quand l’armée française lui refuse le grade d’officier, à lui seul sur trois cents aspirants, du fait de sa naturalisation trop récente, il lui évite d’être déçue en prétextant une sanction pour avoir séduit la femme du Commandant – « elle aimait les jolies histoires, ma mère ».

    Parmi les moments forts du spectacle, je retiens celui où Romain Gary, tenté par le suicide, est sauvé par un chat ; celui où sa mère, ulcérée qu’on ne reconnaisse pas dans son fils un futur champion de tennis, prend à témoin le roi Gustave de Suède de passage au Club du Parc Impérial ; le jour où elle l’envoie tuer Hitler ; la fin, bien sûr, dont je ne dévoilerai ni la surprise du récit, ni celle de la mise en scène.

    La promesse de l’aube est le formidable hommage d’un homme à sa mère, un texte de fidélité et de reconnaissance. Il dit aussi la difficulté d’une telle attente, d’un amour maternel si passionné : « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. » Michel Kacenelenbogen, fidèle dans son adaptation théâtrale au récit de l’auteur, donne chair à cet homme qui voulait être à la hauteur du rêve de sa mère. Que vous ayez lu Romain Gary ou pas, vous pouvez le rencontrer sur la scène du théâtre Le Public, jusqu’au 24 juin prochain.