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Bruxelles - Page 56

  • Jours de mai

    Des jours de mai si radieux, voilà qui n’est pas fréquent. 29° lundi dernier (28 mai) à Bruxelles, 23° à Palma de Majorque ou à Toulon, le climat européen perd-il le nord ? A nous, ce printemps, les repas en terrasse, les belles heures à lire dehors ou à suivre des yeux le vol des martinets jusqu’au coucher du soleil.

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    Sur la terrasse, les lupins ont commencé à fleurir à la fin du mois d’avril, pendant notre séjour dans le Midi, à présent ils ont trop chaud en plein soleil et je crains qu’ils ne refleurissent plus cette année. Idem pour la clématite en pot. Mon jardin suspendu comporte principalement des vivaces, j’y ai invité quelques annuelles comme cet anthémis pour son rose éclatant, ces félicias pour leur fraîcheur guillerette, quelques géraniums qui assureront le spectacle sans continuer jusqu’à l’automne.

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    La spirée se couvre ces jours-ci de rose tendre, tandis que le bleu des campanules apparaît ici et là dans les bacs et les pots, des fidèles au rendez-vous de la belle saison, comme les lysimaques. La lavande leur volera bientôt la vedette. Plus discrètes, les fleurettes des ruines-de-Rome attirent pourtant aussi les insectes butineurs, des bourdons surtout, quelques abeilles (j’ai lu avec consternation que presque la moitié des colonies d’abeilles sont mortes cet hiver en région bruxelloise).

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    Les fleurs vanille du laurier-rose se sont montrées précoces cette année –il a si peu gelé qu’il n’a fallu le rentrer que quelques nuits d’hiver, le laurier-rose est moins frileux que les dipladénias dont la floraison se fait encore attendre.

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    Pourquoi mai me fait-il penser à Marie Gevers ? J’ouvre Plaisir des Météores et je lis : « Jamais le mois de mai ne parvient à épuiser toutes les beautés dont il dispose. Ces beautés inemployées constituent sans doute une immense réserve, qui foisonne, luit et chante en quelque lieu d’azur, où seule notre imagination peut nous mener. On devine, tout au long des jours et des nuits, cette profusion de beautés accumulées. C’est pour cela que mai, s’il est en proie à de durs nuages, traversé par des courants méchants, contrarié par les saints de glace, bref, attaqué par ce que nous nommerons l’anti-mai, ne nous semblera jamais terni, maussade, ni froid. (Les réserves de mai)

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    Les splendeurs livrées par mai atteignent une grande force d’émotion. C’est parce que, limitées par le temps, il faut bien qu’elles se hâtent, fusent, éclatent. Leur clarté, leur azur, débordent les moments qui leur sont assignés ; et les jours en proie à l’anti-mai sont submergés de joie, de chants et de fleurs. Les moments rayonnants parviennent à se rejoindre par-dessus plus d’un jour de vilain temps.
    Mais les réserves de mai doivent être, pourtant, pleines de merveilles, et j’aime à m’y rendre en idée.
    Songez, par exemple, aux nombreux arcs-en-ciel empêchés de se former parce qu’un nuage malencontreux s’est mis devant le soleil ?
    Sans doute brillent-ils tous dans les réserves de mai. »

  • Une invitation

    1030 couverture-programme.jpg« Parcours d’artistes » à Schaerbeek ce week-end (2 et 3 juin) et le week-end suivant (9 et 10 juin) : de nombreux artistes schaerbeekois et différents lieux collectifs ouvrent leurs portes de 14h à 18h. La carte d’« art 1030 » (code postal de la commune) mentionne 205 adresses, suivez la trace des pavés de mosaïque !

    Quatre itinéraires sont proposés : pour les enfants, pour les disciplines artistiques, pour l’artisanat et pour les curieux. Tous les détails de l’édition 2018 sont disponibles en ligne. Bonnes découvertes à Schaerbeek, nous nous croiserons peut-être.

  • Nocturne

    Melancholia Nocturne.jpgKiki Smith, artiste américaine née en 1954 à Nuremberg, vit et travaille aujourd’hui à New York. Les images et les sculptures qu’elle compose incluent souvent la nature et le corps humain et reprennent les codes du monde de l’enfance pour les charger d’une inquiétante étrangeté. Pour reprendre ses propres mots : « Le corps est notre dénominateur commun, la scène de notre désir et de notre souffrance. Je veux exprimer par lui qui nous sommes, comment nous vivons et nous mourons. »

    Guide du visiteur, Melancholia, Fondation Boghossian, Villa Empain, Bruxelles >19.08.2018

  • Melancholia

    A la Fondation Boghossian, « centre d’art et de dialogue entre les cultures d’Orient et d’Occident », Melancholia réunit une quarantaine d’artistes de différentes parties du monde, plus ou moins connus, et 70 œuvres dont plusieurs installations in situ. J’ai aimé flâner dans la Villa Empain, de l’entrée aux salons, d’une chambre à l’autre, puis au jardin, pour découvrir ces variations sur un thème : « Le Paradis perdu, Mélancolies, Ruines, Le temps qui passe, Solitude, Absence ». Quelques œuvres par pièce, de l’espace entre elles, cela permet de bien regarder, de respirer, de ressentir.

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    « Je n’ai qu’un seul ami, Echo ;
    et pourquoi est-il mon ami ?
    Parce que j’aime ma tristesse
    et qu’il ne me l’enlève pas.
    Je n’ai qu’un seul confident,
    le silence de la nuit ;
    et pourquoi est-il mon confident ?
    Parce qu’il se tait. »

    Sören Kierkergaard

    Ces vers d’accueil à l’exposition introduisent aussi le Guide du Visiteur distribué à la réception : éditée par Louma Salamé, directrice générale et commissaire d’exposition, cette brochure très soignée, illustrée en couleurs, présente un artiste et une œuvre par page, et reprend les citations affichées tout au long de l’exposition.

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    © Claudio Parmiggiani, Senza Titolo, 2013-2015 / © KRJST Studio, Orion, 2016

    Sur le marbre du grand salon, Claudio Parmiggiani a amoncelé des têtes antiques, un assemblage « évoquant les ruines de l’antiquité » (Sans titre, 2013-2015). Ces têtes gisant au sol contrastent avec une longue tapisserie qui tombe de la mezzanine, Orion (2016), de KRJST Studio (Justine de Moriamé et Erika Schillebeecks) : les bleus de cette constellation textile, traversée de lumière blanche et d’ombres, correspondent bien au thème de la mélancolie.

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    © Pascal Convert, Bibliothèque, 2016

    Dans les deux salons à l’arrière, voici d’abord la Bibliothèque de Pascal Convert, une des œuvres les plus marquantes : cinq cents livres de verre, doubles de livres anciens, témoignent des bibliothèques « incendiées par les régimes autoritaires et totalitaires ». Blancs ou rouges, avec des traces de brûlure et des parois éclatées, ces livres sont disposés sur des rayonnages et aussi sur les appuis de fenêtre, ce qui permet à la lumière du jour de les traverser et de leur donner vie. Troublant mélange de destruction et de mémoire. De l’autre côté, de très grandes photos montrent l’absence des Bouddhas détruits par les talibans (Falaise de Bâmiyân, 2017).

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    © Giorgio De Chirico, Pomeriggio d’Estate, 1972, Piazza d’Italia, ca. 1970 et
    Alberto Giacometti, Homme à mi-corps, 1965, courtesy Fondation Boghossian, photo Lola Pertsowsky

    A l’étage, dans la Chambre Nord, deux belles toiles signées De Chirico se répondent : sur la place d’Italie, deux personnages, une statue, les ombres et lumières du couchant. Une des dernières sculptures de Giacometti, Homme à mi-corps, « montre un homme à genoux, le regard pensif ». Autres figures de la mélancolie, un doux portrait de femme par Delvaux, un autre avec des vers d’Eluard, deux personnages solitaires de Rops, entre désespoir et ironie.

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    © Léon Spilliaert, Golfbreker met paal, 1909 / © Norbert Schwontkowski, Phys Experiment, 1995

    Coup de cœur dans la Salle d’Armes, où débute le thème des « Ruines » : à un splendide Spilliaert nocturne, Brise-lames avec poteau, répond une grande toile de Norbert Schwontkowski, Phys Experiment, où un homme se penche au bord d’une falaise pour regarder la chute d’une pierre dans le vide. Belle résonance entre ces deux visions anxieuses du monde, dans des lumières du Nord.

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    © Lionel Estève, La beauté d'une cicatrice, 2012
    / © Melik Ohanian, Selected Recordings n°99, 2003

    « Le temps qui passe », comment l’exprimer ? Lionel Estève a coloré en partie des pierres ramassées sur une plage grecque, l’ensemble s’intitule La Beauté d’une Cicatrice. On les regarde, ainsi que la photo d’une île sauvage enneigée sous les nuages (Melik Ohanian) et un paysage contemplatif d’Etel Adnan, Soleil sur le Mont Tamalpais, en entendant des voix, une œuvre audio d’On Kawara, One million years.

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    © Giuseppe Penone, Rovesciare i propri Occhi, 1970

    Le thème de la solitude est traité de diverses manières (Chambre de Monsieur) : peintures typographiques avec des messages sur le visible et l’invisible (Rémy Zaugg), photos de Joseph Beuys, autoportrait de Giuseppe Penone avec des lentilles de contact miroir qui l’aveuglent, lithographies de Martin Kippenberfer, des autoportraits réalisés l’année précédant sa mort. Au sol, Parmiggiani offre un raccourci de la condition humaine : une tête antique sur un livre ouvert – ciel étoilé en double page – à côté d’une petite horloge : l’homme, l’espace, le temps.

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    © Samuel Yal, Dissolution, 2012

    On s’interroge parfois sur le rapport entre certaines œuvres et le sujet de l’exposition. Dissolution de Samuel Yal, une mosaïque de fragments de céramiques suspendus, suggère l’explosion d’un visage dans l’univers. Mais l’œuvre conceptuelle de Jef Geys, une liste de !vrouwenvragen ? (questions de femmes), ici en anglais, quel rapport ? Idem pour la drôle de table à jouer de Barbara Bloom.

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    © Constant Permeke, Torso, 1938 / © Paul Delvaux, Nuit sur la mer, 1976

    Dans la Chambre de Madame, les tentures sont entrouvertes sur un Torse de Constant Permeke qui voisine avec une grande toile de Delvaux, Nuit sur la mer. Une autre œuvre de Parmiggiani rappelle les livres de Convert au rez-de-chaussée : des silhouettes d’objets brûlés sur des étagères, du blanc au noir. Noirs aussi, les bas de soie qu’enfile une femme assise, sur une peinture de Marlene Dumas. A côté, dans le Boudoir, Lamia Ziadé a rassemblé quelques meubles et objets dans un petit coin intime, l’alcool et la cigarette semblent y meubler la solitude, avec ces drôles de volutes de fumées en céramique.

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    © Lamia Ziadé (détail)

    Une installation « à la Mondrian » d’objets ménagers en plastique bleu, jaune et rouge m’a semblé incongrue à proximité d’une vidéo de quelques minutes d’Eli Cortiñas, Fin (2010) : c’est la fin d’un film, montrée en boucle : un homme et une femme se tenant par la main s’enfoncent dans un paysage de neige – vont-ils disparaître ?

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    © Abdelkader Benchamma, The unreachable part of us, 2018 

    J’avais manqué, en entrant dans la villa, tout de suite à droite, l’œuvre spectaculaire d’Abdelkader Benchamma, The unreachable part of us : sa fresque en noir et blanc couvre entièrement les murs de la pièce. Le spectateur est plongé dans un univers sans début ni fin, invité à cadrer lui-même des motifs en mouvements, des vibrations, les vides et les pleins d’un paysage abstrait, sans repères.

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    © Christian Boltanski, Animitas, 2016-2018 / © Tatiana Wolska, Atrakcja, 2018

    « J’ai eu successivement tous les tempéraments : le flegmatique dans mon enfance, le sanguin dans ma jeunesse, plus tard le bilieux et j’ai enfin le mélancolique qui probablement ne me quittera plus. » (Giacomo Casanova) N’oubliez pas de faire un tour au jardin si vous allez voir Melancholia, plusieurs œuvres intéressantes, discrètes ou spectaculaires, y sont installées. L’exposition de la Fondation Boghossian est visible à la Villa Empain jusqu’au 19 août 2018.