Kikie Crêvecœur entre les pages, la formidable exposition de la Bibliotheca Wittockiana, se prolonge jusqu’au 23 août 2020 : ne la manquez pas. Quel bonheur de découvrir l’univers d’une artiste, une première pour moi depuis mars dernier. Et quelle artiste ! Née à Bruxelles en 1960, Kikie Crêvecœur grave, imprime, enseigne, expose en Belgique et à l’étranger. L’expo de la Wittockiana permet de faire mieux connaissance avec ses « gommes », ses « trognes » et autres gravures, ses livres d’art.
L'entrée de la Bibliotheca Wittockiana
Entre les pages, l’œil circule. A l’entrée de la première salle, « Bribes et échappées », un ensemble de linogravures, ici sous forme de cartes postales, frappe d’emblée par le noir et blanc lumineux évoquant « une nature métamorphosée, fragmentée par le souvenir et l’oubli » (éditions Esperluète / Centre de la Gravure). Au mur, une phrase de Pierre Reverdy chapeaute le texte de présentation : « J’ai tellement besoin de temps pour ne rien faire, qu’il ne m’en reste plus assez pour travailler. »
© Kikie Crêvecoeur, Ailleurs, 2013, impressions de gommes gravées, 100 cm x 200 cm (composition unique)
Des écrivains, des livres, des mots & des images. L’œuvre de Kikie Crêvecœur est à la fois visuelle et tactile, pas seulement pour elle qui grave gommes et linos, mais aussi pour les visiteurs à qui elle donne envie de toucher le papier imprimé, ses reliefs, par exemple dans une grande composition d’inspiration végétale, Ailleurs. Végétales aussi, ces « trognes » dont l’histoire vaut d’être contée.
© Kikie Crêvecoeur / Caroline Lamarche, Trognes, 2011, Gerpinnes : Tandem
Les éditions Tandem lui avaient proposé de réaliser un livre pour la collection « Textes & images » avec un écrivain de son choix. A Caroline Lamarche, rencontrée lors d’une biennale à Liège et devenue une amie, elle offre un calendrier orné de gravures d’arbres élagués dont les moignons taillés vigoureusement s’appellent « trognes » pour les sylviculteurs, comme les saules têtards en bordure des champs, comme les platanes nombreux en ville, que la taille réduit chaque année à un gros poing.
http://kikiecrevecoeur.be/livres/nggallery/livres-a-feuilleter/Trognes
Ce sera le point de départ du livre réalisé en commun, Trognes : Kikie Crêvecœur avec douze linogravures de l’arbre étêté dans tous ses états, avec une légère pointe de couleur dans le noir selon la saison ; Caroline Lamarche avec douze textes, en regard, sur les pages de droite aux teintes pastel. Chaque poème est composé en résonance avec l’image, le mot « noir » descend d’une ligne à chaque mois.
© Kikie Crêvecoeur, Eté, 2018, Gerpinnes : Tandem
http://kikiecrevecoeur.be/livres/nggallery/livres-a-feuilleter/Et%C3%A9
L’exposition montre toute la gamme des travaux personnels de l’artiste, qui aime évoquer dans ses « gommes » le quotidien, l’actualité et aussi ses souvenirs comme dans Eté. Regardez bien le graphisme du titre sur la couverture et voyez comme le « T » devient fenêtre, fenêtre sur jardin, fenêtre sur enfance à « Nethen-Eden ». Les petits oiseaux de mon jardin, chacun avec leur cri, disent son amour de la nature dans ce qu’elle a de plus simple et de plus enchanteur.
© Kikie Crêvecoeur, Les petits oiseaux de mon jardin, 2014, Gerpinnes : Tandem
http://kikiecrevecoeur.be/livres/nggallery/livres-a-feuilleter/Les-Petits-Oiseaux-de-mon-Jardin
De petits carnets de voyage, accordéons de papier, ou des « Bobines de vie » disent les événements, les lieux, les rencontres. Entre le titre et la date ou inversement, je découvre le grand art de Kikie Crêvecoeur : figurer le monde dans le petit format des gommes. Et puis voici un message d’amitié, avec des petits cœurs rouges : « Aujourd’hui je repasse et toi que fais-tu ». Rouges aussi, les liens d’une Lettre d’amour, la croix d’un coup de gueule contre la guerre.
© Kikie Crêvecoeur, Courrier créatif, 2008
Aux « Bricolages de vacances » en couleurs avec de petits collages de mots, pas toujours faciles à détailler en se penchant vers les tables-vitrines, j’ai préféré ses récits « Au jour le jour », impressions de gommes gravées, sorte de journal visuel du quotidien et de faits d’actualité. Sur un plateau, un pêle-mêle de quasi timbres-poste en couleurs pour annoncer l’exposition et le sourire de l’artiste qui dit « Merci de votre visite ».
© Kikie Crêvecoeur, Au jour le jour, 2012, impressions de gommes gravées
Des livres, il y en a de toutes sortes. Un Manuel de dessin (comment apprendre à dessiner en sept jours) surréaliste (texte de Jacques Izoard). Dans Mon papa, le faux pas de Shiva et moi de Ben Durant, une vignette bruxelloise attire mon attention (ci-dessous) : on y reconnaît Bozar avec ses drapeaux, le Mont des Arts, L’Atomium, des maisons de la Grand-Place, un boulevard, un avion, Kanal. Il faudrait des heures pour tout regarder et lire. Le catalogue signé Pierre-Jean Foulon, très bien illustré, permet de le faire chez soi, à l’aise.
© Kikie Crêvecoeur / Ben Durant, Mon papa, le faux pas de Shiva et moi (détail), 2019, Bruxelles : Quadri
Pour accompagner les poèmes d’Une saison en éclats de Serge Meurant, Kikie Crêvecœur a créé de grandes estampes colorées. Roger Pierre Turine les a choisies pour illustrer son bel article sur l’exposition dans La Libre. Pour les poèmes de Corinne Hoex, Elles viennent dans la nuit, des « paysages cosmiques » en bleu et blanc. Pour les trois contes d’Amélie Nothomb, Brillant comme une casserole, des illustrations à partir de gommes gravées.
http://kikiecrevecoeur.be/livres/nggallery/livres-a-feuilleter/Elles-viennent-dans-la-nuit-(feuilleter)
Vous pouvez écouter Kikie Crêvecœur au micro de Pascale Seys, qui l’a invitée à l’occasion de cette exposition à la Wittockiana dans « La couleur des idées » en mars dernier. A la dix-neuvième minute, l’artiste répond à la question : pourquoi des gommes ? Kikie Crêvecœur entre les pages, c’est à la Bibliotheca Wittockiana, sur rendez-vous (mercredi, samedi, dimanche).