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Art - Page 144

  • Une seule beauté

    Rodin L'art 1967.jpg« Le dessin, le style vraiment beaux sont ceux qu’on ne pense même pas à louer, tant on est pris par l’intérêt de ce qu’ils expriment. De même, pour la couleur. Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. Et quand une vérité, quand une idée profonde, quand un sentiment puissant éclate dans une œuvre littéraire ou artistique, il est de toute évidence que le style ou la couleur et le dessin en sont excellents ; mais cette qualité ne leur vient que par reflet de la vérité. »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911.

  • S'intéresser à l'art

    « — Quel original vous faites ! me dit-il. Vous vous intéressez donc encore à l’art. C’est une préoccupation qui n’est guère de notre temps. 

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    Aujourd’hui les artistes et ceux qui les aiment font l’effet d’animaux fossiles. Figurez-vous un megatherium ou un diplodocus se promenant dans les rues de Paris. Voilà l’impression que nous devons produire sur nos contemporains.

    Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes.

    L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins.

    Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort.

    L’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre.

    Mais aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir physiquement. Les hautes et les profondes vérités lui sont indifférentes : il lui suffit de contenter ses appétits corporels. L’humanité présente est bestiale : elle n’a que faire des artistes.

    L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont-ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût ? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tout est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont les ennemis.

    Ah ! mon cher Gsell, vous voulez noter les songeries d’un artiste. Laissez-moi vous regarder : vous êtes un homme vraiment extraordinaire ! »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911 (préface).

    PhotoMusée Rodin à Meudon

     

  • Varia d'avant Noël

    21 décembre, solstice d’hiver. Comme presque tous les samedis matins, j’écoute sur Musiq3, la radio culturelle de la RTBF, « Le grand charivari » présenté par Pascale Seys, et l’invité du jour est passionnant : Jan Hoet, historien d’art et grand connaisseur de l’art contemporain. Ecoutez-le parler, avec son charmant accent de Flandre, et vous le suivrez jusqu’au bout. 

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    http://www.rtbf.be/radio/podcast/player?id=1879699&channel=musiq3

    A Gand, il a fondé le SMAK, musée d’art actuel de la ville, puis il a organisé « Chambres d’amis » en invitant des artistes à exposer dans des maisons privées, inspiré par la tradition de Geel où il a grandi (en Campine anversoise) dans une famille qui accueillait des patients psychiatriques chez elle. C’est là qu’il vient de présenter « Middle Gate Geel'13 » dans quatre lieux différents, « un magnifique parcours entre art et psychiatrie » écrit Guy Duplat dans La Libre, avec un beau portrait du « pape de l’art » qui considère le musée comme un lieu de débat – sur l’art.

    A l’époque où le père de Jan Hoet était psychiatre à Geel, 3 000 malades vivaient chez les gens et non à l’asile, « intégrés à la vie "normale", sans être sans cesse confrontés à leur image de malade comme dans un hôpital, 3 000 malades pour une ville qui ne comptait encore que 19 000 habitants » (Guy Duplat). Les enfants Hoet appelaient « zotjes » (petits fous) ceux qui logeaient chez eux, c’était gentil. Ailleurs en Belgique, on se moquait de quelqu’un en lui disant qu’il finirait à Geel (chez les fous), par ignorance. 

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    Le logo de Middle Gate Geel'13 (Photo du blog de Nadja Vilenne)
    commenté au cours de l'émission
    http://www.nadjavilenne.com/wordpress/?p=8479

    Un monde trop préoccupé d’économie et trop peu de culture, voilà une des réalités que Jan Hoet déplore – « Creative Europe » ne s’intéresse à l’art que quand il peut servir l’économie. Où se trouve l’art dans le manifeste européen ? demande-t-il. Souvent les subsides vont aux multinationales et non aux artistes, il en donne des exemples. Il applaudit à la présentation d’un petit livre, « L’utilité de l’inutile » de Nuccio Ordine, un essai que je me suis promis de lire.

    L’art, la recherche, son occupation quotidienne, sa nourriture : lire un livre sur l’art, visiter un atelier d’artiste, une exposition, c’est sa vie. « Ça (lui) donne de l’énergie », explique Jan Hoet, même quand ce qu’il a vu ne lui plaît pas ; cela nourrit la réflexion sur ce qu’est l’art, si difficile à définir. Aujourd’hui, « nous sommes tous éduqués à accepter tout » alors que l’artiste, lui, ne veut pas être comme tout le monde. Dans l’œuvre d’un artiste, il y a toujours quelque chose de local et aussi quelque chose d’universel. Jan Hoet parle entre autres de Sophie Langohr, de Jacques Charlier, de l’art, de la vie, avec une simplicité et une lucidité formidables.

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    Puis c’était la rubrique cinéma, et là aussi, je me suis régalée, avec les commentaires sur cette belle et terrible série télévisée, « Top of the Lake », filmée par Jane Campion, vue sur Arte, aujourd’hui disponible en DVD. Un grand film en six épisodes, des images, des situations inédites dont vous aurez un aperçu ici en « scrollant » vers le bas comme indiqué, et un extrait avec Elisabeth Moss dans le rôle de Robin Griffin, « agent de police spécialisé dans la protection de l'enfance ».

    J’étais en train de décorer le séjour pour Noël avec des babioles remontées de la cave – quelques boules, une couronne de Noël, et surtout la crèche toute simple de mon enfance et l’étoile lumineuse à la fenêtre –, quand le son de tambours puis le chant joyeux d’une clarinette se sont fait entendre, inattendus. 

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    Une image de Night of Silence de Reis Celik (Turquie)
     
    (Festival International du Film Indépendant)

    De l’appartement, je ne vois pas la rue, mais j’ai tout à coup pensé : un mariage ! Une fois en bas, chez mes voisins turcs, c’était le spectacle. Devant leur jolie maison ancienne unique en son genre dans le quartier (elle mériterait une restauration), une limousine extra longue (comme j’en ai vu en Russie pour les mariages) attendait devant l’entrée, suivie d’un cortège de voitures. Sur le trottoir, quelques parents et amis, et, mettant l’ambiance, les musiciens qui tournaient autour de la voiture de fête. La mariée a fini par apparaître sur le seuil, cachée sous le voile rouge traditionnel, très droite. Je ne connais pas ces traditions, mais il était clair que les choses se passaient dans les règles. 

    Une jeune femme s’est approchée de la voiture avec un miroir dans les bras ; il fait partie, avec le ruban, le voile, le trousseau, du rituel d’alliance, peut-on lire sur le site de l’Association Minkowski où Ilknur Deveci décrit exactement ce dont j’ai été témoin : « Lorsque la mariée entre dans la voiture, la personne tenant le miroir l’accompagne. Le hoca (maître de cérémonie ?) commence à lire des versets et des sourates ; tout le monde ouvre les deux mains vers le ciel ; à la fin de sa récitation, ils lisent tous la sourate El Fatiha, passent leurs mains sur leur visage et disent Amin (Amen). Cette sourate est connue pour être celle qui ouvre. Elle est une ouverture. C’est elle qui est lue pour commencer la prière. » C’était émouvant d’assister à ce grand départ.

  • Usine à gaz

    « La situation des Établissements Scientifiques Fédéraux (ESF) à Bruxelles est un vaste débat et Michel Draguet, même s’il a des manières péremptoires, ne doit pas servir de paratonnerre à la Régie des Bâtiments, une usine à gaz opaque et sclérosée, qui méprise Bruxelles. En matière de culture, de patrimoine, de transmission de l'histoire du pays, du récit de cette histoire, et donc du sens à y donner, l'État n'assume pas ses responsabilités vis-à-vis de la société. En témoignent l’état du Palais de justice, du Conservatoire, du fantomatique Cinquantenaire, les musées Wiertz et Meunier quasi inaccessibles, la piscine et le théâtre du Résidence Palace fermés au public, etc. »

    « Musées Royaux des Beaux-Arts : la Régie des Bâtiments de l’État et l’État sont responsables », Arau, Bruxelles, 5/12/2013. 

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  • Quel musée ?

    Le Musée Fin de siècle s’est enfin ouvert à Bruxelles, à la place du musée d’art moderne fermé en 2011 et dont l’absence continue à inquiéter les amis des arts : « une section réussie dans un musée en déshérence », titre La Tribune de l’Art. Je vous présenterai ce nouveau parcours dans les collections des MRBAB dès que je l’aurai visité, mais c’est sur l’évolution générale du musée que j’aimerais partager quelques interrogations avec vous. 

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    Ouverture du Musée Fin de Siècle au sein des Musées Royaux des Beaux-Arts
    Photo RTBF - Françoise Brumagne – 2013 

    « Musée sans musée » a attiré l’attention sur un communiqué de l’Atelier de Recherche et d'Action Urbaines (Arau) daté du 5 décembre 2013, sous un titre sans appel : « Musées Royaux des Beaux-Arts : la Régie des Bâtiments de l’État et l’État sont responsables ». On y décrit avec précision les dégâts survenus le mois dernier lors de l’installation d’une bâche sur la grande verrière du musée, provoquant la fermeture inopinée et catastrophique de l’exposition « Rogier van der Weyden ». D’où cette première question : pourquoi occulter un puits de lumière ?

    Serais-je un peu claustrophobe ? J’aime trouver des fenêtres dans un musée ou une verrière qui dispense cet éclairage dit « zénithal ». Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar, à ne pas confondre avec les Musées Royaux cités plus haut), il existe deux parcours d’exposition : celui du bas, auquel on accède au fond du grand hall Horta, et celui du haut, qu’on atteint par un escalier sur le côté, une succession de salles sans lumière naturelle. En parcourant un jour celui-ci dans une atmosphère surchauffée, j’ai fini par presser le pas vers la sortie ; quand  je me suis retrouvée enfin dans un espace plus ouvert, aéré, lumineux, quelle sensation de délivrance ! Vous avouerai-je que j’ai déjà renoncé à visiter l’une ou l’autre expo là-haut pour ne pas renouveler l’expérience ?

    Pouvoir de temps à autre jeter un coup d’œil dehors, quand on visite un musée, rafraîchit le regard. Dans le Musée d’art moderne tel que nous l’avons connu à Bruxelles de 1984 à 2011 – un quart de siècle à peine –, le puits de lumière de larchitecte Roger Bastin compensait heureusement l’impression de s’enfoncer dans le sous-sol où avaient été creusés les niveaux destinés aux collections des XIXe et XXe siècles, de - 4 à - 8. Pourquoi occulter ? Pour permettre des projections, ai-je lu, « choix muséographique qui révèle que l’espace est peut-être mal adapté à la destination décidée… » (Arau – plan des lieux en page 4) 

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    Une belle carte postale coloriée de la rue de la Régence vers 1900, vue vers la place Royale.
    Les taxis d'antan attendent devant les "Musées royaux de Peinture et de Sculpture" (Photo eBru, Bruxelles d’antan)

    Nos Musées Royaux souffrent aussi du côté du Musée d’art ancien, dont les extensions restent fermées, où l’on n’accède plus à la galerie des sculptures, où les réserves ont connu de gros dégâts, entre autres problèmes. Il ne convient donc pas de prendre leur directeur actuel comme bouc émissaire : « c’est la Régie des Bâtiments (de l’État) qui est responsable des bâtiments qui abritent les Établissements Scientifiques Fédéraux (ESF), dont font partie les Musées Royaux des Beaux-Arts et c’est l’État qui a la tutelle sur ceux-ci. »

    Selon l’Arau, cette incurie, ce pourrissement montre que « l’État a d’autres projets. » Partout les États ont jeté les grands musées « dans des démarches managériales, axées sur l'attractivité internationale, le tourisme, le marketing. » L’État belge n'assume plus ses responsabilités à l'égard des musées et du public. Le malaise croissant des MRBAB est donc une « affaire d’Etat », et non celle du directeur seul, souvent cité dans les médias.

    Dernière question, celle du titre. Qu’attendons-nous, aujourd’hui, d’un musée ? Peut-il, mutatis mutandis, demeurer « un lieu accessible, qui a pour vocation d'éduquer le public, par la présentation chronologique des œuvres, au sein des aires géographiques, des écoles et des courants artistiques qui les ont suscitées, à la beauté, à l'esthétique, au civisme » ? Les nouvelles et futures appellations des MRBAB ciblent les touristes sans assumer pleinement cette vocation.  

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    En présentant lancien Musée d’art moderne dans la collection « Musea nostra » (éditée par le Crédit Communal, autre institution belge qui appartient désormais au passé) en 1988, Phil Mertens (je corrige) attirait l’attention sur la salle des Magritte – à présent au musée Magritte de la place Royale – et ajoutait ceci : « La présentation des œuvres est importante car elle permet de faire comprendre au public les intentions scientifiques poursuivies. L’architecture très sobre, mais ouverte et parfaitement éclairée, contribue à l’efficacité d’une présentation qui va de James Ensor aux tendances contemporaines (…) » (c’est moi qui souligne). 

    Comprenez-moi bien, ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit. Je ne conteste pas la pertinence de nouveaux accrochages qui répondent davantage aux attentes et aux regards actuels. J’applaudis à la mise en valeur de l’effervescence artistique en Belgique autour de 1900. Mais qu’un siècle d’art, que les beaux-arts de 1915 à nos jours aient été remisés pour une durée indéterminée, avant qu’un nouvel espace ou musée ne leur soit octroyé, voilà ce qui me choque et que ne compense pas un temporaire « choix des conservateurs ». L’ancien directeur des MRBAB, Philippe Robert-Jones, regrette cette décision prise « dans la précipitation et l’enthousiasme pour de nouvelles idées ».

    Je vous invite, si ces questions vous intéressent, à lire in extenso le document de l’Arau (11 pages) et à réagir chaque fois qu’un site, un blog, un article de presse vous en donne l’occasion. L’avenir des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique nous concerne : les œuvres qui n’y sont plus exposées nous manquent ; les professeurs, les élèves, les étudiants, les Amis des Musées rebaptisés Friends n’y ont plus accès. Au cœur de l’Europe, dont elle est fière d’être la capitale, Bruxelles mérite mieux.