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Art - Page 148

  • Bonjour Ostende

    Ce joli titre d’exposition – en français à la Côte belge, ce n’est pas si courant, merci – met à l’honneur les peintres inspirés par Ostende aux Galeries Vénitiennes, sur la digue de la reine des plages belges, jusqu’au 15 septembre. « Bonjour Ostende » est d’abord le titre d’une amusante toile cubiste de Floris Jespers choisie comme affiche : silhouettes de promeneurs à la manière d’un collage, la tête ailleurs, sur un bord de mer où les poissons s’envoient en l’air – Ostende avec ses cabines rayées, ses bateaux à l’horizon. 

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    Floris Jespers, Bonjour Ostende, 1926-1927

    Plusieurs oeuvres de Floris Jespers, dont « La plage d’Ostende », remarquable aussi, accueillent les visiteurs avant qu’ils pénètrent dans une longue salle d’exposition  où les tableaux sont présentés par ordre chronologique, de 1650 à nos jours. Les anciennes représentations de la ville relèvent de la peinture d’histoire (Peter Snayers, « Le Siège d’Ostende ») et mettent en valeur le port, l’arrivée des bateaux, le marché aux poissons, la plage et la digue.

    Au XIXe siècle, Michel Van Cuyck, peintre ostendais, montre la société élégante en promenade sur la digue et, sur la plage, des cabines sur roues qu’on retrouve dans une grande toile verticale de François Musin, « La plage de l’ouest et le casino d’Ostende ». Le Kursaal (ou Casino) est un endroit mythique à Ostende, son architecture a évolué au cours du temps. Musin a peint cette vue (vers 1885) depuis la plage où des pêcheurs à cheval, des enfants, des familles, prennent l’air non loin des cabines aux rayures pimpantes –un drapeau noir jaune rouge piqué dans le sable flotte au vent – sous le mur oblique de la digue avec ses grands hôtels et, tout au bout, l’arrondi de la promenade autour du casino. Superbe. 

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    François Musin, La plage de l'ouest et le casino d'Ostende, vers 1885
    (Toile plus lumineuse en réalité)

    Van Cuyck est l’un des artistes locaux chez qui le jeune James Ensor (1860-1949) a pris des cours de dessin, celui-ci est évidemment bien présent avec des marines et des vues en plongée sur des rues qu’il apercevait de son atelier sous les toits. Ses célèbres Bains d’Ostende (1890) sont drôlissimes : personnages grotesques, chiens lubriques, plage grouillant de monde sous un ciel rieur, on ne s’embête pas ! Jean-Jacques Gailliard peint Ensor marchant sur la digue, mains derrière le dos, de profil, tout en noir, avec chapeau et parapluie (« Ensor Ostendais »).

    On croise aux Galeries Vénitiennes des noms bien connus en Belgique : Degreef, Hannon, Vogels, Permeke surtout. On reconnaît « Le port d’Ostende » de Willy Schlobach avec sa grande oblique (collection Belfius), la touche pointilliste de Finch, « L’hippodrome Wellington », et on est attiré irrésistiblement vers le fond de la galerie où l’on reconnaît la patte d’un autre grand peintre ostendais, cher à notre cœur, Léon Spilliaert (1881-1946) – rien que pour lui, le déplacement vaut la peine. 

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    Spilliaert, Fillette à la plage (détail), 1909 

    Quel ensemble ! Une « Marine (nocturne) » presque noire, d’un noir d’encre, où l’on devine à peine l’horizon, une « Marine (avec vue sur le Royal Palace) » très claire, légère comme une esquisse, où le peintre distribue ses gris subtils dans l’espace dont mieux que quiconque il rend l’ouverture sur l’infini. Deux repères, le Royal Palace, à gauche, et un bateau qui fume entre ciel et mer. Une « Marine bleue et rouge » au pastel, une autre « aux voiles oranges », et que dire de cette « Digue d’Ostende » à contre-jour, somptueuse ? Une « Fillette à la plage » retient son chapeau ; sur le seuil d’une « Maison appelée « La Chaire » à Ostende », un pêcheur fume la pipe assis sur l’escalier.

    Je ne connaissais pas Jan De Clerck (1881-1962), Ostendais lui aussi, qui nous montre entre autres des bassins du port ou un chantier naval sous la neige ou en été. J’ignorais que Erich Heckel, expressionniste allemand (un des fondateurs de Die Brücke), amené en Flandre par la première guerre (comme infirmier volontaire) avait peint tant de vues d’Ostende – quel dommage que la moitié d’entre elles soient accrochées si haut qu’il faudrait un escabeau pour les approcher ! 

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    Erich Heckel, Casino d'Ostende, 1917 

    Je pourrais encore vous parler de Wolvens, de Brusselmans, de Raveel (« Het groen in de zee »)… Mais passons à la photographie et aux images captées, dans les salles annexes : Lili Dujourie y a aligné sept écrans sur lesquels on peut regarder bouger la mer en noir et blanc, marée basse, marée haute, vue de son appartement. Plus loin, de la même artiste flamande, « Ostende » (1974), dix-huit petites photos noir et blanc prises un jour de tempête.

    Contraste avec « Twilight » (« Crépuscule », 2008), un beau film en couleurs de Michel Lorand sur grand écran : un marcheur passe sur la plage avec son chien, c’est un peu flou, la caméra oscille de gauche à droite et inversement, peu à peu la lumière change… Quelques images sur son site vous en donneront un aperçu. Vous pourrez découvrir aussi d’anciens films sur Ostende, il y a de quoi vous remplir les mirettes aux Galeries Vénitiennes (à côté de l’Hôtel des Thermes). Et dans le beau catalogue bilingue de Xavier Tricot (Pandora) qui commence par « Certains noms de villes suscitent le rêve. »

  • Epigramme

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    James Ensor (Ostende, 1860 - id., 1949) Épigramme autographe signée*. (droits réservés)

     

    « Cette courte épigramme de James Ensor est révélatrice* à la fois de sa détestation de ses contemporains et des conventions sociales. Dans sa période la plus créatrice, Ensor s’est construit en réaction contre ses contemporains, il décrit alors la société comme un carnaval absurde, révolutionnant l’art graphique en méprisant les conventions. »

    (Dossier du Musée des Lettres et des Manuscrits, exposition Rops, Ensor, Magritte - Des lettres et des peintres, Bruxelles, 2013.) [* correctif de la rédaction]

  • Lettres de peintres

    « Rops, Ensor, Magritte », c’est le trio d’affiche pour l’exposition du Musée des Lettres et Manuscrits à la Galerie du Roi (jusqu’au 13 octobre), un bon prétexte pour se rendre aux Galeries Royales Saint-Hubert dont les enseignes continuent à se renouveler – les vitrines des chocolatiers y rivalisent à qui mieux mieux. 

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    « Des lettres et des peintres » propose une centaine de lettres « des plus grands peintres des XIXe et XXe siècles ». A l’accueil, une toile de Constant Montald qui correspond au dessin vu à Saint-Amand montre Verhaeren en veste jaune lisant une lettre, une main levée comme dans la célèbre « Lecture » de Van Rysselberghe. Dans la brochure remise aux visiteurs, chaque lettre est commentée en trois langues (français, néerlandais, anglais).

    Au mur, une reproduction picturale ou graphique, une présentation du thème des lettres exposées dans une vitrine table : il en ira ainsi tout au long du parcours, à part les trois vitrines réservées aux peintres belges cités en titre. L’agrandissement d’une lettre de Leonor Fini agrémentée de croquis de chats laisse espérer un compagnonnage entre mots et dessins, mais la sélection proposée est surtout invitation à découvrir la calligraphie des peintres, la manière et la matière de leur correspondance.

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    Francis Picabia (Paris, 1879 - id., 1953) — 
    Lettre autographe signée, avec dessin original, adressée à « Ma petite Méraud », Lundi [novembre 1947]. (droits réservés)

    Ils confient à l’encre noire, plus rarement en bleu, leurs soucis d’argent, de santé, leurs amours contrariées, leurs impressions de voyages, parlent dart ou damitié. Une brève missive de Modigliani vaut d’être citée intégralement : « Chérissime astrologue, Je t’écris pour ne rien te dire. Je continue, je continuerai. J’écris pour écrire. Adieu. » Ce « tweet » avant la lettre (si j’ose dire) est adressé à Conrad Moricand le 8 novembre 1916.

    A côté, une lettre de Miró à en-tête de « Son Abrines Calamayor ». Il y parle d’accueil à l’aéroport de Palma de Majorque et d’une bonne paella, voilà qui évoque de bons souvenirs. Degas, Van Gogh, Juan Gris, Mondrian… Autant d’écritures à découvrir, à déchiffrer parfois, et de mises en page personnelles. Mondrian couvre de grandes feuilles sur toute leur largeur, la page de Max Ernst se révèle claire et aérée. 

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    René Magritte (Lessines, 1898 - Bruxelles, 1967) 
    Page d'une Lettre au marchand d’art Iolas (droits réservés)

    Echanges entre peintres et marchands, entre peintres, entre peintres et écrivains, lettres familiales, amicales, les genres sont variés. Magritte expose ses « tableaux de comptabilité » sur chevalet, encadrés comme des toiles. Sa lettre à Eluard (1846) parle de poésie, de Picasso et se termine par le dessin de deux mains qui se serrent. Redon invite Vuillard à déjeuner, Dali – grande écriture fantasque – propose à Eluard de l’accueillir dans sa villa, Van Rysselberghe répond à sa femme à propos d’un piano, Rodin écrit à Monet…

    Le parcours se veut thématique. Pas de chronologie, des lettres d’un même artiste dispersées dans des vitrines différentes, on perd parfois le fil conducteur. Un album de croquis de Delacroix, un dessin de Courbet, une aquarelle de Gauguin offrent de temps à autre une respiration. Ecritures fines, épaisses, droites, penchées, c'est sans nul doute une mine pour les graphologues.

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    Pierre Alechinsky (Schaerbeek, 1927 - ) Faon sur une table, dessin sur manuscrit du XVIIIe siècle. (droits réservés)

    Une lettre de Grenade adressée par Van Rysselberghe à son épouse semble à l’encre de Chine tellement l’écriture est nette, fraîche – elle date du 4 avril 1913. Le peintre est déçu : d’abord de la pluie et du froid (ah, ces destinations méditerranéennes qu’on imagine perpétuellement à l’abri des intempéries !) et puis de sa visite à l’Alhambra. Trop de monde, écrit-il, trop de gardiens, d’ouvriers, de visiteurs, déjà (il y a cent ans) les inconvénients du tourisme de masse.  

    Dans la section « Mot et image », j’ai noté ce passage d’une lettre de Paul Delvaux à Claude Spaak (13/1/1948), illustrée d’une tête de femme : « J’ai passé douze jours à Westende chez André, le littoral est magnifique l’hiver : c’est la mer absolument solitaire et au fond plus belle que l’été. » Curiosités, deux dessins d’Alechinsky sur des manuscrits anciens (XVIIIe) achetés aux puces à Aix-en-Provence : une tête d’homme de profil, un « Faon sur une table ».

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    Félicien Rops (Namur, 1833 - Corbeil [Essonnes], 1898)

    Van Dongen à Carco, Degas à sa sœur, Monet à Mallarmé, Miró à Queneau, Picabia… Une formidable assemblée de grands artistes belges et européens. Terminons par les trois vitrines monographiques » : pour Magritte, des lettres à en-tête de sa maison schaerbeekoise à la rue des Mimosas, des missives assorties de croquis décrivant ses toiles et aussi des photos jointes en vue d’une exposition. Ensor s’exprime tantôt avec politesse, tantôt avec une verve moqueuse impitoyable. Rops enfin : des pattes de mouche, un humour satirique et mordant : « Quand l’on songe que vous êtes trois millions d’imbéciles qui tripotaillez dans le corps humain depuis dix siècles & que vous n’êtes pas encore arrivés à guérir un homme brun d’une femme blonde » (ci-dessus). 

    Le ticket d’entrée donne accès à la collection permanente à l’étage : lettres et manuscrits d’artistes, d’écrivains, de personnages historiques, de savants, en rapport avec la Belgique surtout. Mais après deux heures de lecture pas toujours aisée, les yeux se fatiguent, ce sera pour une autre fois. Ma première visite à cette antenne bruxelloise du mlm m’a laissée un peu sur ma faim, j’espérais plus de peintures ou de croquis. La muséographie, assez monotone, manque de moyens techniques – loupes, écrans peut-être – pour rendre plus accessibles ces lettres d’autrefois, témoignages précieux pour l’histoire de l’art.


  • Morandi, silences

    Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar), vous avez jusqu’au 22 septembre pour visiter la rétrospective Giorgio Morandi (1890-1964) et, si vous ne supportez pas bien la chaleur de ce beau mois de juillet particulièrement ardent dans la capitale, sachez que vous y prendrez en même temps un bain de fraîcheur. 

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    Giorgio Morandi, Nature morte, 1936. Mamiano di Traversetolo (Parma) © Fondazione Magnani Rocca

    Le peintre de Bologne voulait « toucher l’essence des choses ». Dans le Dictionnaire de la peinture moderne (Hazan, 1980), on loue l’excellence de ses gravures mais on le présente ainsi : « Morandi se tourne vers le passé, vers un petit monde clos et qui n’appartient qu’à lui, élaboré à l’ombre des deux tours de Bologne. » L’exposition bruxelloise retrace son cheminement et en propose « une lecture plus contemporaine » (Guide du visiteur).

    Première toile, un « Autoportrait » de 1924 où l’artiste tient palette et pinceau fin, mais ne nous regarde pas : des couleurs délavées à la manière de la fresque, comme dans la plupart de ses toiles. Puis quelques baigneuses inspirées de Cézanne et surtout une petite aquarelle de 1918, « Baigneuse », dans de doux tons de rose. Plutôt que la figure humaine, Morandi peint des paysages, des objets, parfois des fleurs – la nature morte est son domaine de prédilection : la vie silencieuse, tranquille des choses. 

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    Giorgio Morandi, Autoportrait, 1924, huile sur toile  63 x 48,5 cm, Parme © Fondation Magnani-Rocca 

    Ses paysages, moins connus que ses arrangements de bouteilles et de vases, sont réduits à l’essentiel : des murs et des volumes, des surfaces captant la lumière au milieu de la végétation. Pas de ciel au-dessus d’une maison enfouie dans la verdure, mais bien dans une petite toile presque carrée où un jeune arbre anime la surface d’un champ ocre clair et deux cyprès, à peine esquissés, la ligne oblique d’une colline.

    Quelques marches mènent à une première série d’eaux-fortes. Morandi dessine des lieux familiers, sa résidence d’été à Grizzana, le jeu chaque fois différent des feuillages et des façades. « La route blanche » (1933) montre un procédé qu’il utilise aussi dans ses natures mortes gravées : le papier laissé vierge pour les surfaces blanches. On retrouve ce paysage plus loin, à l’huile. 

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    Giorgio Morandi, Nature morte au mannequin, 1918, huile sur toile, Milan © Pinacoteca di Brera, Collezione Jesi

    Prêt exceptionnel de la Galerie des Offices, une « Nature morte » de 1916, une des rares œuvres de jeunesse que l’artiste ait conservées. La lumière y est « diaphane », les couleurs subtiles (abricot ? pêche ?). Elle voisine avec des œuvres « métaphysiques » inspirées par Chirico, comme « Nature morte au mannequin » (1918) où une tête fait face à une bouteille blanche légèrement ombrée, leurs courbes dialoguent avec des formes rectangulaires ou cylindriques : du blanc, du jaune très pâle, des gris.

    Et puis voilà les Morandi qu’on croit connaître : objets sur un guéridon, vases, pots, cruches, côte à côte dans une composition soigneusement réglée. Des couleurs impossibles à nommer, des harmonies où un petit vase bleu ciel, un citron, un fruit cuivré mettent des accents vibratoires. D’où vient cette sensation de présence ? Mystère.

    Deux toiles m’ont retenue dans la salle d’angle. Le verre qui les protège gêne le spectateur, mais quelle splendeur ! Comment identifier cette nature morte de 1929 ? Au panier derrière un pot blanc, au col bleu vert d’une bouteille. Et cette autre de 1923-1924, où la lumière irradie ? Une lampe à huile en opaline bleu turquoise (bleue aussi, l’anse d’un sucrier), des pots blancs de formes et de nuances différentes, des verreries, tout un petit monde sur l’épaisseur d’une table ronde. 

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    Giorgio Morandi, Nature morte, gravure sur cuivre à l'eau-forte, 1931 © collection privée 

    Parmi les natures mortes gravées – quelle finesse dans les hachures qui donnent forme et volume, quels contrastes, quel travail du fond dans « Grande nature morte avec lampe à droite » ! – une étrange eau-forte de 1931 où les formes des vases apparaissent en creux, dans les vides.

    Dans la grande salle où s’alignent des toiles de format réduit (à partir de 1930), il est de plus en plus évident que Morandi n’est figuratif qu’en apparence : les récipients disposés dans l’espace ou serrés les uns contre les autres ne sont pas tant des objets à montrer que des formes, des volumes, des couleurs. Torsades ou cannelures sont jeux d’ombre et de lumière. « Il suffit de leur consacrer quelques minutes d’attention pour percevoir, dans ce léger tremblement qui délimite le contour de chaque objet, comme un cœur qui bat. » (Guy Tosatto, Giorgio Morandi – Variations sur un coin de table, Beaux-Arts magazine, n°81, juillet-août 1990)

    Quel contraste entre la banquette en velours grenat d’une autre époque, inattendue au centre de cette salle où les œuvres pâtissent un peu de l’alignement, et les discrètes nuances des peintures en infinies variations de tons clairs, le plus souvent. « Tout y est affaire de silence, de perception des valeurs qui nous entourent. » (Roger Pierre Turine) 

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    Giorgio Morandi, 1951, huile sur toile, Florence © Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi

    Après des natures mortes avec coquillages, et parfois une silhouette de guitare, l’exposition se termine sur de petits bouquets de fleurs très délicats. « Morandi aimait les offrir à ses amis et admirateurs, « poètes et gens de lettres, historiens de l’art et musicologues. » (Guide du visiteur)

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    Le « Dialogue » final avec des œuvres de Luc Tuymans semble incongru, plusieurs l’ont noté dans le livre d’or. En revanche, les six textes inspirés par Morandi et repris dans le petit Guide l’accompagnent à bon escient, en particulier une méditation de Nicole Malinconi, « Dans la poussière du jour », qui aurait pu aussi s’intituler « Dans la poussière du temps ».