« Rops, Ensor, Magritte », c’est le trio d’affiche pour l’exposition du Musée des Lettres et Manuscrits à la Galerie du Roi (jusqu’au 13 octobre), un bon prétexte pour se rendre aux Galeries Royales Saint-Hubert dont les enseignes continuent à se renouveler – les vitrines des chocolatiers y rivalisent à qui mieux mieux.
« Des lettres et des peintres » propose une centaine de lettres « des plus grands peintres des XIXe et XXe siècles ». A l’accueil, une toile de Constant Montald qui correspond au dessin vu à Saint-Amand montre Verhaeren en veste jaune lisant une lettre, une main levée comme dans la célèbre « Lecture » de Van Rysselberghe. Dans la brochure remise aux visiteurs, chaque lettre est commentée en trois langues (français, néerlandais, anglais).
Au mur, une reproduction picturale ou graphique, une présentation du thème des lettres exposées dans une vitrine table : il en ira ainsi tout au long du parcours, à part les trois vitrines réservées aux peintres belges cités en titre. L’agrandissement d’une lettre de Leonor Fini agrémentée de croquis de chats laisse espérer un compagnonnage entre mots et dessins, mais la sélection proposée est surtout invitation à découvrir la calligraphie des peintres, la manière et la matière de leur correspondance.
Francis Picabia (Paris, 1879 - id., 1953) —
Lettre autographe signée, avec dessin original, adressée à « Ma petite Méraud », Lundi [novembre 1947]. (droits réservés)
Ils confient à l’encre noire, plus rarement en bleu, leurs soucis d’argent, de santé, leurs amours contrariées, leurs impressions de voyages, parlent d’art ou d’amitié. Une brève missive de Modigliani vaut d’être citée intégralement : « Chérissime astrologue, Je t’écris pour ne rien te dire. Je continue, je continuerai. J’écris pour écrire. Adieu. » Ce « tweet » avant la lettre (si j’ose dire) est adressé à Conrad Moricand le 8 novembre 1916.
A côté, une lettre de Miró à en-tête de « Son Abrines Calamayor ». Il y parle d’accueil à l’aéroport de Palma de Majorque et d’une bonne paella, voilà qui évoque de bons souvenirs. Degas, Van Gogh, Juan Gris, Mondrian… Autant d’écritures à découvrir, à déchiffrer parfois, et de mises en page personnelles. Mondrian couvre de grandes feuilles sur toute leur largeur, la page de Max Ernst se révèle claire et aérée.
René Magritte (Lessines, 1898 - Bruxelles, 1967) —
Page d'une Lettre au marchand d’art Iolas (droits réservés)
Echanges entre peintres et marchands, entre peintres, entre peintres et écrivains, lettres familiales, amicales, les genres sont variés. Magritte expose ses « tableaux de comptabilité » sur chevalet, encadrés comme des toiles. Sa lettre à Eluard (1846) parle de poésie, de Picasso et se termine par le dessin de deux mains qui se serrent. Redon invite Vuillard à déjeuner, Dali – grande écriture fantasque – propose à Eluard de l’accueillir dans sa villa, Van Rysselberghe répond à sa femme à propos d’un piano, Rodin écrit à Monet…
Le parcours se veut thématique. Pas de chronologie, des lettres d’un même artiste dispersées dans des vitrines différentes, on perd parfois le fil conducteur. Un album de croquis de Delacroix, un dessin de Courbet, une aquarelle de Gauguin offrent de temps à autre une respiration. Ecritures fines, épaisses, droites, penchées, c'est sans nul doute une mine pour les graphologues.
Pierre Alechinsky (Schaerbeek, 1927 - ) Faon sur une table, dessin sur manuscrit du XVIIIe siècle. (droits réservés)
Une lettre de Grenade adressée par Van Rysselberghe à son épouse semble à l’encre de Chine tellement l’écriture est nette, fraîche – elle date du 4 avril 1913. Le peintre est déçu : d’abord de la pluie et du froid (ah, ces destinations méditerranéennes qu’on imagine perpétuellement à l’abri des intempéries !) et puis de sa visite à l’Alhambra. Trop de monde, écrit-il, trop de gardiens, d’ouvriers, de visiteurs, déjà (il y a cent ans) les inconvénients du tourisme de masse.
Dans la section « Mot et image », j’ai noté ce passage d’une lettre de Paul Delvaux à Claude Spaak (13/1/1948), illustrée d’une tête de femme : « J’ai passé douze jours à Westende chez André, le littoral est magnifique l’hiver : c’est la mer absolument solitaire et au fond plus belle que l’été. » Curiosités, deux dessins d’Alechinsky sur des manuscrits anciens (XVIIIe) achetés aux puces à Aix-en-Provence : une tête d’homme de profil, un « Faon sur une table ».
Félicien Rops (Namur, 1833 - Corbeil [Essonnes], 1898)
Van Dongen à Carco, Degas à sa sœur, Monet à Mallarmé, Miró à Queneau, Picabia… Une formidable assemblée de grands artistes belges et européens. Terminons par les trois vitrines monographiques » : pour Magritte, des lettres à en-tête de sa maison schaerbeekoise à la rue des Mimosas, des missives assorties de croquis décrivant ses toiles et aussi des photos jointes en vue d’une exposition. Ensor s’exprime tantôt avec politesse, tantôt avec une verve moqueuse impitoyable. Rops enfin : des pattes de mouche, un humour satirique et mordant : « Quand l’on songe que vous êtes trois millions d’imbéciles qui tripotaillez dans le corps humain depuis dix siècles & que vous n’êtes pas encore arrivés à guérir un homme brun d’une femme blonde » (ci-dessus).
Le ticket d’entrée donne accès à la collection permanente à l’étage : lettres et manuscrits d’artistes, d’écrivains, de personnages historiques, de savants, en rapport avec la Belgique surtout. Mais après deux heures de lecture pas toujours aisée, les yeux se fatiguent, ce sera pour une autre fois. Ma première visite à cette antenne bruxelloise du mlm m’a laissée un peu sur ma faim, j’espérais plus de peintures ou de croquis. La muséographie, assez monotone, manque de moyens techniques – loupes, écrans peut-être – pour rendre plus accessibles ces lettres d’autrefois, témoignages précieux pour l’histoire de l’art.
Commentaires
Voilà mon projet de journée en ville joyeusement chargé ! Après une visite à Morandi au Palais des Beaux-Arts, j'irai faire un tour dans les Galeries Saint-Hubert. J'adore observer le mélange écriture et petits dessins, admirer les pages des autres ou le réaliser moi-même... le "kraboutcha" illustré me plonge dans une sorte de jouissance enfantine ;-)
Merci pour l'information !
Musée Rops à Namur :
http://www.museerops.be/
@ MH : Plus d'écriture que de dessins au mlm, tu l'auras compris. Je te souhaite une bonne journée en ville.
@ JEA : Pour Rops, d'abord, et pour cette expo "D'Artan à Whistler", peut-être.
j'aime ce petit musée qui essaie de montrer beaucoup de manuscrits sur relativement peu d'espace, j'y vais quasiment à chaque expo... mais c'est vrai qu'il est impossible de tout lire, et que ça fatigue...
je trouve très émouvant de voir l'écriture et les écrits de tant d'artistes
(j'ai aussi vu celui de Paris mais le problème y est le même ;-))
Une vraie mine ces lettres, dommage qu'elles soient un peu fatigantes à lire. J'aime quand il y en a quelques unes dans différentes expositions. On pourrait s'attendre en effet à plus de dessins ou de peintures pour de tels artistes.
@ Adrienne : J'y retournerai certainement, munie d'une loupe. Oui, c'est émouvant de découvrir ces écritures si personnelles.
@ Aifelle : La sélection est de premier plan, une mine, comme tu dis. Et le musée très bien situé, à la place occupée jadis par un magasin de vêtements "de qualité", dans ce magnifique passage couvert.
A découvrir lors de ma prochaine journée en ville ...
Merci pour le partage !
Ces lettres illustrées m'enchantent, un plus pas anodin à l'écriture.
Merci pour le lien Miró chez moi, la paella del jefe t'attend toujours!
@ Pâques : Bonne journée en ville, Pâques.
@ Colo : Lettres illustrées ou non, il y aurait tant de passages à citer... (Pour ce qui est de la paella maison, je compte bien honorer cette alléchante invitation.)
Des lettres qui nous montrent en effet que les artistes ont les mêmes préoccupations que tout un chacun à la seule différence que leurs lettres sont illustrées!
Je suis entouré de peintures de Magritte ( des reproductions rassurez-vous) mais je ne possède pas ses "tableaux de comptabilité" :)
Merci pour cette manière de nous faire découvrir les artistes autrement.
Bien sûr, Gérard, ces correspondances préservées de l'oubli (la plupart non illustrées, je le rappelle) nous font partager l'intimité de ces peintres, leur vie privée, leurs doutes aussi.
Ainsi Octave Mirbeau à Claude Monet : « Je comprends vos angoisses, vos découragements, parce que je ne connais d’artiste sincère qui ne les ait éprouvés et qui n’ait été injuste, absolument injuste vis-à-vis de lui-même. Vos toiles grattées ? Ah ! quelle folie ! »
Magritte est très bien représenté à cette expo, par exemple avec une lettre probablement adressée à Marcel Mariën en 1952 : "Voici deux idées qui ont servi à faire deux tableaux récents", deux croquis à l'appui - chez lui l'image accompagne presque toujours les mots.
Je ne suis pas sûr qu'avec mes pauvres yeux qui veulent des lunettes pour lire se complairaient dans ce genre d'exposition, malgré l'intérêt qu'elle représente. Il faudrait presque des tickets valables pour deux ou trois visites ?
J'ai des textes/lettres de Rops qui m'attendent depuis longtemps dans ce recueil http://www.espacenord.com/--memoires-pour-nuire-a-l-histoire-artistique-de-mon-temps--9782804013295.htm
Bonsoir, Christw, à vous de voir, c'est le cas de le dire.
Merci pour le lien vers ce recueil de Rops qui n'est certainement pas piqué des vers !