Au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar), vous avez jusqu’au 22 septembre pour visiter la rétrospective Giorgio Morandi (1890-1964) et, si vous ne supportez pas bien la chaleur de ce beau mois de juillet particulièrement ardent dans la capitale, sachez que vous y prendrez en même temps un bain de fraîcheur.
Giorgio Morandi, Nature morte, 1936. Mamiano di Traversetolo (Parma) © Fondazione Magnani Rocca
Le peintre de Bologne voulait « toucher l’essence des choses ». Dans le Dictionnaire de la peinture moderne (Hazan, 1980), on loue l’excellence de ses gravures mais on le présente ainsi : « Morandi se tourne vers le passé, vers un petit monde clos et qui n’appartient qu’à lui, élaboré à l’ombre des deux tours de Bologne. » L’exposition bruxelloise retrace son cheminement et en propose « une lecture plus contemporaine » (Guide du visiteur).
Première toile, un « Autoportrait » de 1924 où l’artiste tient palette et pinceau fin, mais ne nous regarde pas : des couleurs délavées à la manière de la fresque, comme dans la plupart de ses toiles. Puis quelques baigneuses inspirées de Cézanne et surtout une petite aquarelle de 1918, « Baigneuse », dans de doux tons de rose. Plutôt que la figure humaine, Morandi peint des paysages, des objets, parfois des fleurs – la nature morte est son domaine de prédilection : la vie silencieuse, tranquille des choses.
Giorgio Morandi, Autoportrait, 1924, huile sur toile 63 x 48,5 cm, Parme © Fondation Magnani-Rocca
Ses paysages, moins connus que ses arrangements de bouteilles et de vases, sont réduits à l’essentiel : des murs et des volumes, des surfaces captant la lumière au milieu de la végétation. Pas de ciel au-dessus d’une maison enfouie dans la verdure, mais bien dans une petite toile presque carrée où un jeune arbre anime la surface d’un champ ocre clair et deux cyprès, à peine esquissés, la ligne oblique d’une colline.
Quelques marches mènent à une première série d’eaux-fortes. Morandi dessine des lieux familiers, sa résidence d’été à Grizzana, le jeu chaque fois différent des feuillages et des façades. « La route blanche » (1933) montre un procédé qu’il utilise aussi dans ses natures mortes gravées : le papier laissé vierge pour les surfaces blanches. On retrouve ce paysage plus loin, à l’huile.
Giorgio Morandi, Nature morte au mannequin, 1918, huile sur toile, Milan © Pinacoteca di Brera, Collezione Jesi
Prêt exceptionnel de la Galerie des Offices, une « Nature morte » de 1916, une des rares œuvres de jeunesse que l’artiste ait conservées. La lumière y est « diaphane », les couleurs subtiles (abricot ? pêche ?). Elle voisine avec des œuvres « métaphysiques » inspirées par Chirico, comme « Nature morte au mannequin » (1918) où une tête fait face à une bouteille blanche légèrement ombrée, leurs courbes dialoguent avec des formes rectangulaires ou cylindriques : du blanc, du jaune très pâle, des gris.
Et puis voilà les Morandi qu’on croit connaître : objets sur un guéridon, vases, pots, cruches, côte à côte dans une composition soigneusement réglée. Des couleurs impossibles à nommer, des harmonies où un petit vase bleu ciel, un citron, un fruit cuivré mettent des accents vibratoires. D’où vient cette sensation de présence ? Mystère.
Deux toiles m’ont retenue dans la salle d’angle. Le verre qui les protège gêne le spectateur, mais quelle splendeur ! Comment identifier cette nature morte de 1929 ? Au panier derrière un pot blanc, au col bleu vert d’une bouteille. Et cette autre de 1923-1924, où la lumière irradie ? Une lampe à huile en opaline bleu turquoise (bleue aussi, l’anse d’un sucrier), des pots blancs de formes et de nuances différentes, des verreries, tout un petit monde sur l’épaisseur d’une table ronde.
Giorgio Morandi, Nature morte, gravure sur cuivre à l'eau-forte, 1931 © collection privée
Parmi les natures mortes gravées – quelle finesse dans les hachures qui donnent forme et volume, quels contrastes, quel travail du fond dans « Grande nature morte avec lampe à droite » ! – une étrange eau-forte de 1931 où les formes des vases apparaissent en creux, dans les vides.
Dans la grande salle où s’alignent des toiles de format réduit (à partir de 1930), il est de plus en plus évident que Morandi n’est figuratif qu’en apparence : les récipients disposés dans l’espace ou serrés les uns contre les autres ne sont pas tant des objets à montrer que des formes, des volumes, des couleurs. Torsades ou cannelures sont jeux d’ombre et de lumière. « Il suffit de leur consacrer quelques minutes d’attention pour percevoir, dans ce léger tremblement qui délimite le contour de chaque objet, comme un cœur qui bat. » (Guy Tosatto, Giorgio Morandi – Variations sur un coin de table, Beaux-Arts magazine, n°81, juillet-août 1990)
Quel contraste entre la banquette en velours grenat d’une autre époque, inattendue au centre de cette salle où les œuvres pâtissent un peu de l’alignement, et les discrètes nuances des peintures en infinies variations de tons clairs, le plus souvent. « Tout y est affaire de silence, de perception des valeurs qui nous entourent. » (Roger Pierre Turine)
Giorgio Morandi, 1951, huile sur toile, Florence © Fondazione di Studi di Storia dell’Arte Roberto Longhi
Après des natures mortes avec coquillages, et parfois une silhouette de guitare, l’exposition se termine sur de petits bouquets de fleurs très délicats. « Morandi aimait les offrir à ses amis et admirateurs, « poètes et gens de lettres, historiens de l’art et musicologues. » (Guide du visiteur)
Le « Dialogue » final avec des œuvres de Luc Tuymans semble incongru, plusieurs l’ont noté dans le livre d’or. En revanche, les six textes inspirés par Morandi et repris dans le petit Guide l’accompagnent à bon escient, en particulier une méditation de Nicole Malinconi, « Dans la poussière du jour », qui aurait pu aussi s’intituler « Dans la poussière du temps ».
Commentaires
un beau billet, tania, digne de cette belle rétrospective - j'y retournerai certainement avant la fin de l'exposition, j'aime tellement morandi
Après lecture de ce billet, je crois que face aux toiles de Morandi (et à cette expo), les consignes idéales adressées au spectateur seraient : ne s'attarder que devant quelques toiles ou devant l'une qui dit tout, goûter au silence infini ou à l'infini silencieux, ne pas s'offusquer des "dialogues" offensants car Morandi ne monologue qu'avec vous-même, se souvenir de ce moment ou dialoguer avec ce souvenir, te remercier pour ton billet et dire "un grand MERCI, Giorgio" !!
Merci donc Tania, pour ce billet enthousiaste qui renforce cent fois mon intention de voir l'expo ;-)
@ Niki : Merci beaucoup. Tu m'avais mis l'eau à la bouche avec ton billet.
@ MH : Je suis heureuse de te trouver au rendez-vous de cette belle exposition, je t'y souhaite bonheur et inspiration.
Quel dommage que ce soit si loin pour moi. Mais merci d'en parler si bien.
Un gardien m'a indiqué que les collections du musée Morandi de Bologne voyagent pendant les travaux de rénovation, peut-être un jour une expo plus proche ? Bonne soirée & à bientôt.
J'ai l'impression en regardant ses œuvres, celles que tu nous montres et les autres, que le silence n'est qu'apparent, je m’explique: les ombres, des bouteilles par exemple, laissent entrevoir qu'il y a beaucoup plus que ce qu'on voit, qu'il nous emmène au delà des objets.
Merci pour ce billet très inspiré, belle journée Tania-
tu me donnes envie d'y aller aujourd'hui :-) parce que tu donnes très envie de voir celles que tu décris et que tu ne montres pas ;-)
et oui, j'aime bien aussi les livrets qu'on offre avec les expos, à Bozar!
(faudra juste convaincre l'amie qui m'accueille chez elle)
merci Tania!
Les natures mortes de Morandi font naître de grandes vibrations chez celui qui les regarde.
J'aimerais pouvoir dire comme Adrienne, j'ai envie d'y aller aujourd'hui.
La dernière fois que vous aviez évoqué Morandi, je me rappelle que c'était à propos d'images (natures morts) sur mon site. J'en avais été flatté, bien qu'il soit vaniteux d'espérer jamais égaler ce maître du silence tranquille des choses.
J'insiste sur le mot silence, c'est d'abord cela que je ressens devant ses natures mortes.
Merci pour cette belle visite, soigneusement illustrée.
La première nature morte me donnerait déjà envie d'y aller à elle toute seule. Un nom que je note, on ne sait jamais s'il y avait une expo à Paris (j'ai vu dans les commentaires qu'une collection de Bologne voyageait, on peut toujours rêver).
@ Colo : Des silences "habités", oui. Merci d'attirer l'attention sur les ombres. Bonne fin de journée, Colo.
@ Adrienne : A bientôt pour un M comme Morandi chez toi ? Ces petits guides sont utiles sur place et intéressants à relire plus tard, une bonne idée, c'est vrai.
@ La bacchante : Il y a du monde à cette expo, mais on ne s'y presse pas comme au Grand Palais, ce qui permet de capter ces vibrations, en effet.
@ Christw : Il me semblait bien qu'en plus du billet de Niki, il avait été question de Morandi sur un des blogs que je fréquente, c'était donc chez vous ! Pouvez-vous m'indiquer le lien ad hoc ?
@ Aifelle : Cette toile, et d'autres, font rêver d'un dialogue Chardin-Morandi. Rêvons.
Je veux parler des deux images dans le portfolio "Still life" http://www.chrwery.com/gallery_437458.html#
Vous aviez laissé un mot dans le Livre d'or le 30-12-2012
http://www.chrwery.com/guestbook.html
Merci encore.
Merci pour les liens & bonne soirée.
Merci pour cette belle visite, pleine de sensibilité. J'apprécie beaucoup les couleurs et le silence qui semble entourer chaque oeuvre.
C'est un plaisir de partager de telles impressions, Annie.