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rodin

  • Sculpture, culture

    Peintre ou sculpteur, c’était le choix proposé par mon professeur de français pour un exposé oral, dans l’école où je venais de m’inscrire pour les trois dernières années du secondaire (sans imaginer qu’un jour j’y reviendrais pour donner cours). J’avais choisi Rodin et acheté pour l’occasion Auguste Rodin, L’Art, des entretiens réunis par Paul Gsell. Un petit livre d’art bien illustré où je retrouve, au crayon, mon écriture d’adolescente. Aussi aurais-je bien aimé visiter l’exposition du musée M à Louvain (Leuven), Rodin, Meunier, Minne, trois visions du Moyen Age.

    Musée M expo.jpg
    https://www.mleuven.be/nl/rodin-meunier-minne

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    George Minne, Les trois saintes femmes au tombeau, 1896,
    plâtre, The Phoebus Collection, Anvers

    Guy Duplat en a rendu compte dans La Libre en juin dernier : « Ces trois grands sculpteurs qui réinventèrent leur art à la fin du XIXe siècle en l’extrayant des contraintes de la Renaissance et du Classicisme pour donner une nouvelle expressivité, furent tous les trois fascinés par le Moyen Âge. Ils s’en inspirèrent pour mieux exprimer les sentiments universels de la douleur et de la perte. Avec une beauté soufflante. »

    Cet article resté sur mon bureau où je mets un peu d’ordre m’a poussée à aller sur le site du M Museum, avec une bonne surprise : on peut encore faire un tour virtuel de l’exposition, de salle en salle, en cliquant sur l’encadré « Duik in de tentoonstelling » (Plongez dans l’exposition). On peut également écouter des poèmes en néerlandais associés à certaines œuvres ou les lire.

    Il y a un monde et plus d’un siècle entre Le penseur de Rodin et Ageless love de Delphine de Saxe-Cobourg. Depuis plusieurs années, cette artiste présente des déclinaisons de son « love » écrit, coloré, peint, sculpté, multiplié ; vous en verrez dans le catalogue de sa dernière exposition. Cette sculpture monumentale installée à la mi-octobre dans le parc Gerda de Saint-Nicolas (Sint-Niklaas, Flandre orientale) est sa première commande pour un espace public.

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    © Delphine de Saxe-Cobourg, Ageless love, 2020,
    acier corten, 4,8 x 5,6 x 1,2 m (Photo Melvin Vanderstylen)

    Elle qui aime tant les couleurs dans son travail d’artiste a choisi pour cette œuvre l’acier corten, préférant « réaliser des œuvres qui s’intègrent dans la nature, se fondent complètement dans le paysage. » Gwennaëlle Gribaumont la décrit ainsi : « Un "love" dans l’écriture fluide et ronde, presque aussi gourmande qu’un bonbon, typique de l’artiste. Un "love" dont le "L" et le "E" s’envolent, s’amusent avec la pétulance d’une gamine sautillant avec légèreté au retour de l’école. On est à mille lieues du volume anguleux et massif, tiré au cordeau, de Robert Indiana. » (La Libre Belgique, 10/11/2020)

    Autre article en attente, à propos du BAM à Mons où l’exposition de deux siècles de vie artistique est prolongée jusqu’au 6 septembre prochain : Ecole de Mons 1820-2020. « De la misère du Borinage à la douceur de Nervia » titrait Guy Duplat pour l’annoncer dans La Libre – le groupe Nervia, dont faisait partie Anto Carte (né à Mons). Avec Bruxelles, Gand et Anvers, Mons était dès le début du XIXe siècle une des rares villes belges à posséder « une académie pour former les artistes, un musée  pour acquérir les œuvres et un salon, tous les trois ans, pour les vendre » (id.)

    J’y ai repéré deux femmes artistes que je ne connaissais pas. Cécile Douard, née à Rouen, a peint surtout la misère des ouvrières dans les mines de charbon. Un article à propos du Monument Simonon (en hommage au fondateur de l’Institut pour aveugles à Ghlin)  présente cette artiste qui, à la suite d’un accident, « a perdu progressivement la vue et s’est consacrée à la cause des aveugles » (Connaître la Wallonie). J’aimerais lire ses Impressions d’une seconde vie (1927).

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    © Edith Dekyndt, Epiphanie. Développement du cube, 1989,
    Acrylique sur ardoises naturelles, 27 x 18 cm, Collection de la Province de Hainaut -
    Dépôt au BPS22, Charleroi (B), photo © Raymond Saublains

    Edith Dekyndt, « une de nos plasticiennes les plus reconnues » (Guy Duplat dans La Libre) – le MOMA possède quelques-unes de ses œuvres – montre à Mons Le développement du cube (1989, sur ardoises naturelles). Je vous proposerai un complément à son sujet demain, mais voici déjà une définition du TLFi utile pour aborder certaines œuvres qui relèvent de la culture du temps présent : « Sculpture : Œuvre d’art obtenue soit par combinaison d’éléments articulés ou mis en mouvement par des moyens électroniques, soit par assemblage de matériaux plus ou moins insolites ou interchangeables, de dimensions et de densités différentes » (Georges Thines et Agnès Lempereur, Dictionnaire des sciences humaines, 1975)

  • Une seule beauté

    Rodin L'art 1967.jpg« Le dessin, le style vraiment beaux sont ceux qu’on ne pense même pas à louer, tant on est pris par l’intérêt de ce qu’ils expriment. De même, pour la couleur. Il n’y a réellement ni beau style, ni beau dessin, ni belle couleur : il n’y a qu’une seule beauté, celle de la vérité qui se révèle. Et quand une vérité, quand une idée profonde, quand un sentiment puissant éclate dans une œuvre littéraire ou artistique, il est de toute évidence que le style ou la couleur et le dessin en sont excellents ; mais cette qualité ne leur vient que par reflet de la vérité. »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911.

  • S'intéresser à l'art

    « — Quel original vous faites ! me dit-il. Vous vous intéressez donc encore à l’art. C’est une préoccupation qui n’est guère de notre temps. 

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    Aujourd’hui les artistes et ceux qui les aiment font l’effet d’animaux fossiles. Figurez-vous un megatherium ou un diplodocus se promenant dans les rues de Paris. Voilà l’impression que nous devons produire sur nos contemporains.

    Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes.

    L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins.

    Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort.

    L’art, c’est la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre.

    Mais aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir physiquement. Les hautes et les profondes vérités lui sont indifférentes : il lui suffit de contenter ses appétits corporels. L’humanité présente est bestiale : elle n’a que faire des artistes.

    L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont-ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût ? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tout est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont les ennemis.

    Ah ! mon cher Gsell, vous voulez noter les songeries d’un artiste. Laissez-moi vous regarder : vous êtes un homme vraiment extraordinaire ! »

    Auguste Rodin, L’Art, entretiens réunis par Paul Gsell, Grasset, 1911 (préface).

    PhotoMusée Rodin à Meudon

     

  • La passion Claudel

    Camille Claudel (1864 – 1943) est connue du grand public depuis les années ‘80, grâce à Une femme Camille Claudel d’Anne Delbée (1981), puis au livre de sa petite-nièce Reine-Marie Paris (1984), « avertie du destin de sa grand-tante non pas par son grand-père ni par sa mère, mais par un ami amateur d’art ». En 1989, Bruno Nuytten filme Adjani, superbe dans le rôle de l’artiste, face à Depardieu en Rodin, une rareté au cinéma peu tourné vers la sculpture.

     

    Dominique Bona renouvelle l’approche de cette destinée dans une biographie parallèle de la sœur et du frère, Camille et Paul - La passion Claudel (2006). Après son remarquable Berthe Morisot - Le secret de la femme en noir (2000), elle évoque ici l’affection entre deux fortes personnalités très tôt vouées à l’art, et puis le terrible éloignement qui va laisser Camille seule, à l’asile, pendant trente ans, sans personne
    de sa famille à sa mort ni à son enterrement. Même pas une tombe à la mémoire de la sculptrice, laissée à la fosse commune.

     

    Camille Claudel, Jeune Romain ou mon frère à seize ans.jpg

     

    Paul Claudel : « On était les Claudel, dans la conscience tranquille et indiscutable d’une espèce de supériorité mystique. » Camille est née en décembre, Paul en août quatre ans plus tard, Louise entre-temps. A la maison, l’ambiance est détestable. Beaucoup de disputes. La mère est sèche et sévère (sauf avec sa fille cadette), le père taciturne. « Ce qui manque au foyer des Claudel, c’est la joie. (…) Aucune espèce d’insouciance ne lève jamais la chape d’un monde où même les enfants sont graves. » Fonctionnaire à l’enregistrement, le père déménage régulièrement. C’est à treize ans que Camille suit ses premiers cours de sculpture, avec Alfred Boucher. Le petit Paul, comme elle l'appelle, adore marcher, et aussi lire : « Quand la lecture entre dans sa vie, elle ne le lâche plus. » Entre le frère et la sœur, qui s’aiment beaucoup, elle sera une passion partagée.

     

    La première oeuvre marquante de Camille, c’est un Paul Claudel à treize ans (1881). La famille vit alors à Paris : Paul va au lycée Louis-le-Grand, Camille à l’atelier Colarossi. Travail avec d'autres jeunes filles, visite des musées, liberté nouvelle, Paris exalte Camille. Paul, lui, déteste la ville. Rebelle au kantisme régnant,
    il préfère lire Baudelaire. La sœur et le frère, « les Claudel », se soutiennent l’un l’autre, passent leurs vacances ensemble, voyagent en tête à tête.

     

    Quand Camille entre à l’atelier de Rodin, elle n'a pas encore dix-huit ans, lui en a quarante-deux. On travaille beaucoup chez Rodin. Douée, Camille se voit confier des mains, des pieds, devient bientôt une praticienne du maître. Paul s’inscrit à Sciences-Po ; il veut voir du pays, traverser des mers – « Fuir ! Là-bas, fuir ! » (ensemble, ils fréquentent pendant des années les mardis de Mallarmé). 

     

    1886. Paul est ébloui par les Illuminations de Rimbaud, qui devient « la référence absolue ». Cette même année, à Notre-Dame de Paris,  le Magnificat chanté par des voix d’enfants à la messe de Noël le submerge. Une inscription au sol de la cathédrale garde le souvenir de sa conversion. Foi et poésie pour l’un, Art et amour pour l’autre, leurs chemins se séparent. Quai d’Orsay,  Amérique, Chine, … Le poète-diplomate ne cesse d’être ailleurs et d’y nourrir son œuvre.

     

    Camille Claudel, Causeuses (onyx).jpg

     

    Camille quitte l’atelier de Rodin en 1892. Dans l’onyx, elle sculpte ses Causeuses, ne vit que pour son art, et un temps, dans l’amour de Rodin. Mais elle n’est pas partageuse et lui ne veut pas se séparer de Rose Beuret. C’est la rupture. L’âge mûr l'évoque, même si on ne peut réduire ce chef-d’oeuvre à l’anecdote : une jeune femme à genoux implore un homme entraîné par une vieillarde. Dominique Bona fait revivre les heures créatrices de Camille, ses difficultés, ses réussites, celles de Paul en alternance. L’éclairage biographique passe de l’un à l’autre avec la même attention. Lui aussi est déchiré par l’amour : Rosalie Vetch, mariée, l’a aimé puis quitté, bien qu’enceinte de lui, pour un autre. Partage de Midi. Vie, douleur et création.

     

    Puis viennent les années terribles. Délire de persécution. Camille voit partout la « bande à Rodin » qui cherche à lui nuire. Son père, qui l’a toujours aidée, meurt. Une semaine plus tard, à quarante-huit ans, Camille, souffrant de paranoïa, est enfermée à l’asile. Quand elle va mieux, sa mère refuse de l’accueillir. Elle paie sa pension mais ne veut plus la voir. Pire, elle interdit toute correspondance ou visite qui ne soit pas de sa famille proche. Sa sœur verra Camille une seule fois, Paul quatorze - en trente ans, dix-sept visites seulement !

     

    Il faut lire là-dessus La robe bleue, le beau roman de Michèle Desbordes (2004), qui s’inspire d’une photographie de Camille prise en 1929 à l’asile de Montdevergues par le mari de Jessie Lipscomb, son amie d’atelier. Jean Amrouche, à qui Paul Claudel accepte de se confier au début des années ’50 pour des Mémoires improvisés,
    insiste pour qu’il parle davantage de sa sœur : « échec complet », juge celui-ci, qui l'oppose à sa réussite. Comme l’avait prédit Eugène Blot, ami fidèle de Camille Claudel, le temps a remis tout en place. Paul Claudel a connu les honneurs de son vivant, il a sa place dans l’histoire littéraire. La rétrospective Camille Claudel organisée l’hiver dernier a attiré les foules au musée Rodin. Elle est devenue une légende. « Claudel, ce nom glorieux, a désormais deux visages. »

     

    Photos d'après le catalogue de l'exposition Camille Claudel, musée Rodin, 1991.