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Textes & prétextes - Page 162

  • Baladodiffusion

    « Podcast » est plus court, mais moins joli, vous ne trouvez pas ? Le samedi matin, de onze heures à midi sur Musiq3, j’écoute La couleur des idéesPascale Seys propose chaque semaine un entretien avec « une personnalité du monde des idées et de la création qui fait l’actualité pour partager sa pensée et sa vision du monde ».

    Automne 2020 (4).jpgSamedi dernier, son invité était Emmanuel Tourpe. Le temps court des médias, le temps long de la pensée, ce philosophe français, qui est l’actuel directeur de la chaîne Arte (pour son parcours, consulter son site), ne les oppose pas. Il plaide pour sortir de la polarisation qui tue notre société. Comment ? Par la pratique de l’empathie et de la bienveillance, par un dialogue qui prend vraiment en compte le point de vue d’autrui. Du positif comme on n’en entend plus souvent aujourd’hui. Emmanuel Tourpe ose même réinviter l’amour dans le champ de la philosophie.

    Autre entretien proposé en baladodiffusion, La couleur des idées avec l’islamologue Rachid Benzine, que vous aurez peut-être remarqué à La Grande Librairie, où il présentait son roman Dans les yeux du ciel. Je vous signale aussi « Un p’tit shoot de philo », la nouvelle chronique de Pascale Seys diffusée chaque jeudi : des podcasts de trois minutes à retrouver sur le site de la RTBF.

    Roses blanches (31 octobre 2020)

  • Du positif

    « Avec la pénombre de cet automne, même une luciole nous éblouirait. Dès lors, tentons de déceler des aspects lumineux dans chaque contrainte imposée par le virus ou les autorités. Le télétravail nous épargne, par exemple, beaucoup de temps dans les transports. Il nous permet de voir davantage nos proches, d’être moins déconcentrés. Le confinement nous offre aussi l’occasion de redécouvrir de grands auteurs, des classiques du cinéma ou des séries inédites. » (Dorian de Meeûs)

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    Sous le titre « Admirer une luciole dans l’obscurité », le rédacteur en chef de La Libre Belgique a envoyé aux abonnés du journal une invitation à chercher ou à mettre du positif dans la vie. Depuis mardi dernier, dans cet esprit, ceux-ci reçoivent « La newsletter des bonnes nouvelles » de La Libre Belgique, une belle initiative.

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    La semaine dernière, on y parlait entre autres de la première rencontre entre le roi Philippe et sa demi-sœur Delphine – Delphine, anciennement Boël, devenue princesse Delphine de Saxe-Cobourg par décision de justice. Ce feuilleton judiciaire ouvert en 2013 par l’intéressée en demande d’une reconnaissance de paternité par notre ancien roi Albert II trouve enfin un dénouement digne. Celui-ci a reçu récemment sa fille Delphine dans sa résidence privée.

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    Cette semaine, on annonce que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles débloque des moyens supplémentaires pour équiper les écoles secondaires d’ordinateurs. Bonne nouvelle, même si on peut regretter les mois de retard pour que tout cela se concrétise ; dès le printemps dernier, l’enseignement flamand a fourni plus de douze mille ordinateurs aux élèves du secondaire qui n’en avaient pas chez eux. (En Belgique, l’enseignement relève des communautés linguistiques.)

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    Je vous ai déjà parlé de Daardaar, le site qui propose en français des articles parus dans la presse flamande. Si cela vous intéresse, vous trouverez sur ce site des podcasts d’une demi-heure, intitulés « dring dring ». Des journalistes parcourent la Flandre à vélo et interrogent ses habitants, dont vous pourrez entendre  les accents différents selon leur région. Voici déjà quatre épisodes à écouter :
    1 Les Flamands sont-ils racistes ?
    2 Flamands et Belges francophones sont-ils si différents ?
    3 Etre flamand, c’est quoi ?
    4 Que savent les Flamands des Wallons et des Bruxellois ?

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    Enfin, pour les Belges qui ont l’habitude de se tourner vers un géant américain pour leurs commandes de livres, une bonne nouvelle : Librel.be, portail qui proposait déjà des livres numériques, devient une plateforme d’accès aux livres « papier ». Grâce à une cinquantaine de librairies indépendantes qui « mutualisent » leur stock, celui-ci est de huit cent mille livres. On réserve en ligne, le paiement se fait en librairie lorsqu’on va chercher ses livres. Notez que la librairie Tropismes, qui s’y associe, livre à domicile dans les dix-neuf communes bruxelloises.

    Ce soir, tiens, je vais allumer une bougie.

    Photos T&P : Choses gaies à regarder en se promenant dans le quartier

  • Tremblé

    Lambert Giono.jpeg« En réalité, ce genre de portrait vient à la fin du voyage plutôt qu’au début, une fois qu’on a lu, relu, bien lu, assez lu, et qu’on pense avoir compris quelque chose. Ou bien, alors qu’on n’en peut plus et qu’il faut en finir, en choisissant, en tranchant dans le vif de l’auteur, car trop d’angles sont possibles. Trop d’attaques. Trop d’infini dans la littérature. Pour ne pas se perdre, on ramasse, on condense. On digère et on restitue le produit de cette digestion rapidement, avec la sécheresse de la synthèse et son caractère impersonnel. On perd les oscillations du temps, de la jeunesse enfuie, on perd ce tremblé qui est, aussi, la manière dont on vacille quand on lit. »

    Emmanuelle Lambert, Giono, furioso

  • Giono en tête à tête

    De Giono (1895-1970), dans ma bibliothèque, il ne reste que trois exemplaires qui datent : Regain, Un de Baumugnes, Le hussard sur le toit. Il en manque peut-être laissés à la disposition des élèves à la bibliothèque de l’école ? Je suis loin d’avoir exploré tout l’univers de l’écrivain, dont la vie m’était peu connue. Aussi, encouragée par une lectrice, ai-je lu Giono, furioso d’Emmanuelle Lambert, prix Femina essai 2019, dans l’espoir d’y voir plus clair sur l’homme et plus juste sur l’œuvre.

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    Bureau de Giono au Paraïs (Manosque), photo Le Dauphiné

    Ni biographie, ni essai classique, liée à l’exposition Giono au Mucem en début d’année, l’approche d’Emmanuelle Lambert est très personnelle ; elle va jusqu’à s’adresser directement à Giono quelquefois. De ce qu’on dit de lui, « sorcier de la langue, conteur, poète traversé de légendes », de sa voix dans les enregistrements, de l’air qu’il a sur les photos, elle se méfie un peu, s’efforce de rester à distance. Elle travaille au Paraïs, avec Sylvie Giono et les Amis de Giono qui archivent tout le contenu de la maison de Manosque. Commissaire de l’exposition marseillaise, elle était aussi responsable du catalogue.

    « Nous ne savons pas » : l’essai part de ce que vit Jean Giono à vingt ans, « petit soldat anonyme » de 14-18, avec son ami Louis David. En 1913, il lui avait offert un agenda et ensemble, le fils du cordonnier italien et de la repasseuse et celui du vendeur de parapluies avaient fondé « L’Artistic Club » ; ils aimaient les livres, la peinture, la poésie. Louis David est mort à la guerre à vingt et un ans, en 1916.

    L’image de l’écrivain est inséparable de sa région, mais il n’est pas un écrivain régional : « La Provence de Giono est une lumière de fer. » Il a connu les êtres durs et les paysages arides, loin des souvenirs d’enfance de l’essayiste chez ses grands-parents avignonnais. Avouant l’avoir lu à l’école « avec un ennui poli », Emmanuelle Lambert le relit, surprise par sa violence : « Chez lui, la nuit gémit, la forêt gronde. Le vent ne souffle pas. Il hurle. » A ce sujet, je vous invite à lire en ligne « Giono le révolté », un texte de Le Clézio au début du catalogue.

    Giono est « un fils de vieux, né de Jean-Antoine, cinquante ans, et de Pauline, trente-huit. » Elle s’arrête sur un portrait du père de Giono en artisan, entouré de trois apprentis et d’un client. « Mais le calme de cette photographie est fendu par un invité inattendu et qui hypnotise l’œil : on dirait, sur l’épaule gauche du père, qu’il y a un oiseau. Oui, c’est bien un oiseau. Lui aussi regarde le photographe, comme les humains. » L’écrivain préférait son père à sa mère, il a beaucoup écrit sur lui. Animaux, relations familiales, Emmanuelle Lambert va à la rencontre de Giono tout en revenant à ses propres souvenirs. Si elle écrit « en mouvement » (trains, hôtels, visites), c’est aussi sur elle-même, un « Giono et moi » en quelque sorte.

    Ce dédoublement, elle le décrit aussi à propos de la lecture : « Il me semble que tous les livres proviennent d’une lutte entre deux instances qu’on pourrait qualifier hâtivement, mais efficacement, de moi social pour la première, et de moi intérieur pour la seconde. Je me demande si certains êtres parviennent à faire coïncider parfaitement ces deux instances, la personne publique, visible, et la personne intime qui erre secrètement de lecture en lecture, constitue les cellules de son être à travers les mots des autres, au chaud de sa solitude. »

    Tout en suivant plus ou moins la chronologie, de l’employé de banque à l’écrivain publié dans La Pléiade, cet essai offre autre chose qu’une synthèse sur Giono, l’homme et l’œuvre. C’est plutôt un dialogue avec l’écrivain, un questionnement sur les images qui lui sont liées, une façon de multiplier les angles d’approche. Son amitié pour Lucien Jacques, par exemple, son mariage avec Elise, ses relations avec ses maîtresses. Son engagement pacifiste, la prison, ses publications de guerre complaisantes, son écologisme précurseur. Je me souviens du beau film d’animation sur L’homme qui plantait des arbres.

    Giono, furioso parle d’un grand écrivain du XXe siècle, de ses livres, de documents et de photos à exposer pour mieux le faire connaître. « On ne peut jamais tout montrer, pas plus qu’on ne peut tout dire, on n’a accès qu’à des bouts de vie, à des morceaux des autres. » Emmanuelle Lambert nous livre son tête à tête, « à la frontière de l'essai et de la biographie, remarquablement écrit, recomposant finement un portrait bien plus tourmenté et complexe » (L’Express).

    Dans les dernières pages, l’essentiel est dit : « Arrêter les morts dans leur effacement est la seule chose qui compte et l’art, ou la  poésie, ou la littérature sont les manigances qui le permettent. Pour conjurer la menace du passé. Parce qu’on les a aimés. »

  • Exaltation

    Yehoshua couverture.jpg« S’il devait mettre en scène un film en Espagne, Mozes estime qu’il y ferait figurer non seulement la concierge de nuit de l’hôtel et le pèlerin, mais aussi cet homme-là pour qu’il exprime tout ce qui lui passe par la tête pendant une demi-minute. Car il paraît doué d’un réel talent de comédien pour mouliner ses propos à un débit trépidant et d’une voix mélodramatique, sans une pause, face à un interlocuteur qui ne comprend pas un traître mot, convaincu, sans doute, que la musique et l’exaltation de sa voix sont capables d’endoctriner une oreille bouchée. A en juger par la paralysie qui a frappé la serveuse figée sur place, cafetière en main, son emphase a l’air de captiver le tout-venant, fût-il ignorant du contexte et du sujet. Mais, lorsque Mozes perçoit à plusieurs reprises les noms de Kafka et de Trigano et voit l’Espagnol évoquer, de ses mains frêles, l’animal et la sinagoga et, de là, passer au servicio militar et au desierto, pour arriver au tren et à l’accidente, il comprend que ce puits de science a pénétré au plus profond de ses œuvres anciennes et tente de les synthétiser en une somme philosophique. »

    Avraham B. Yehoshua, Rétrospective