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récit - Page 30

  • Vacances en combi

    Ivan Jablonka est historien et écrivain. En camping-car raconte ses vacances d’été dans un combi VW qu’il appelait « le bus ». De six à seize ans, c’était leur rituel familial : avec son frère, ses parents, des amis à eux et leurs enfants, ils ont sillonné « les Etats-Unis et une bonne partie du bassin méditerranéen, du Portugal à la Turquie et de la Grèce au Maroc. Le jardin d’Eden renaissait tous les ans. »

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    Le récit de leurs pérégrinations dans les années 1980, à une époque où le camping sauvage était encore autorisé, dépasse largement l’illustration d’un mode de déplacement et d’une certaine conception des loisirs. Il commence par l’étonnante injonction hurlée par son père – « Soyez heureux ! » – aux enfants occupés à jouer au tarot à l’arrière, un jour d’été 1986, au Maroc. « Notre camping-car domine une vallée biblique : une oasis serpente sur des kilomètres en suivant la rivière qui l’irrigue au pied de montagnes arides. » Son père leur avait dit de regarder par la fenêtre, un des enfants avait répondu « qu’on n’avait pas envie et que, de toute façon, on s’embête. »

    Pour aider à comprendre cette « crise de fureur » du père Jablonka, qui leur rappelle alors la chance qu’ils ont de voyager, l’auteur rappelle brièvement l’histoire de ses parents : son père, né en 1940 à Paris, caché en Bretagne avec sa sœur après l’arrestation et la déportation de ses parents à Auschwitz, a grandi dans une organisation juive communiste. Les parents de sa mère, née en 1944, ont échappé aux rafles. Après la guerre, ils ont tenu un petit magasin de meubles près de la Bastille.

    En camping-car est le récit d’un fils qui veut être à la hauteur de ce que son père attend de lui ; celui-ci ne peut être heureux que si ses enfants le sont. Fils d’un ingénieur et d’une prof de latin-grec, Ivan Jablonka est tantôt le petit garçon qui aime la vie en plein air, les bords de mer, le camping collectif, tantôt l’adulte qui mesure les enjeux de ces périples, les valeurs transmises – de quoi nourrir une vocation d’historien.

    De ces étés datent ses premières « archives » : « tickets de musée, cartes postales, plans de ville, billets de banque et photos que je collais avec soin dans mes albums de voyage. » Son journal lui rappelle son état d’esprit à l’époque, en commençant par l’année scolaire 1979-1980 en Californie où son père travaillait. Ils habitaient une maison avec jardin à Palo Alto. C’est là-bas que ses parents ont acheté leur premier camping-car, comme Michel et Nicole Parent, ces Français qui deviennent leurs amis ; ils ont une fille du même âge que lui et un garçon plus jeune.

    « Corse 1982, Portugal 1983, Grèce 1984, Sicile 1985, Maroc 1986, Italie 1987, Turquie 1988 » : Ivan Jablonka plante d’abord le décor en décrivant l’intérieur de « l’automobile familiale portée à son plus haut degré de perfection » grâce aux aménagements ingénieux. « Le génie allemand de l’organisation était mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l’intimité, de l’intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père, et nous avec. »

    Michel Parent était le spécialiste des bons « spots » (où passer la nuit), à savoir « un bel endroit tranquille » à l’écart des sentiers battus et où personne d’autre ne s’était encore installé. Après les heures de route, quel plaisir de s’égailler dans la nature pendant que les pères allumaient le barbecue et installaient leur campement, les mères s’occupant du repas, des choses à laver. En Grèce, « gamin-Poséidon », il vit « dans la Méditerranée ». Les visites de ruines n’intéressent pas les enfants, mais ce sont des « occasions de jeux ». « Nous passions notre vie à jouer. »

    L’historien cherche à tracer de lui-même un portrait « fidèle », mais ce n’est pas évident « de dire des choses vraies sur soi-même ». Aux formes traditionnelles de l’autobiographie (confession, vocation, bilan), il préfère une autre manière : « Débusquer ce qui, en nous, n’est pas à nous. Comprendre en quoi notre unicité est le produit d’un collectif, l’histoire et le social. Se penser soi-même comme les autres. » Il remonte aux sources du camping, du goût de la nature sauvage, du « plein air », note l’influence du mouvement hippie et de Mai 68 sur le « tourisme d’aventure ».

    « J’étais heureux parce que mon père n’était plus malheureux à l’idée que je n’étais pas heureux. » La grande liberté qu’il ressentait pendant ces vacances avec des copains faisait oublier à son père le reproche qu’il se faisait de faire vivre sa famille dans un appartement parisien sans jardin. Il se détendait. Souvent, ils étaient à trois familles, six adultes et huit enfants.

    « Ma mère est la plus élégante du groupe, la plus belle des trois mamans. » Elle cuisine, soigne, lit à l’ombre, elle incarne « l’exigence culturelle ». Grâce à elle, « le monde grec se met à exister », en Grèce et ailleurs. En grandissant, il prend goût à l’histoire méditerranéenne et à un certain mode de vie : « Se promener, lire, écrire : la vie idéale. L’historien est quelqu’un qui voyage dans l’espace autant que dans le temps. »

    Au lycée Buffon, le garçon parle peu de ses vacances en camping-car qui provoquent l’« étonnement goguenard » des fils de commerçants, le « dédain » des fils de bonne famille. « Les sourires de mes camarades révélaient une typologie des villégiatures, une hiérarchie des vacances. » Le camping-car « sentait le prof, avec son mélange de simplicité, de raffinement et de stratégie culturelle. »

    En camping-car est une belle réflexion sur le bonheur et sur la liberté (prix France Télévisions 2018). « Je savais donc, et pour le restant de mes jours, que le monde était beau, que je n’en avais presque rien vu, qu’il me restait une infinité de choses à découvrir, à lire, à contempler, à entendre ou à manger. » Le dernier chapitre, intitulé « A mes filles », résume la double intention du livre, portrait d’une époque et transmission familiale.

  • Donner

    Brisac points.jpg« Ce sont les deux heures les plus importantes de ma vie, dit Jenny.
    Deux heures, un temps arrêté durant lequel ma mère me dit tout ce qu’elle pense devoir me transmettre, tout ce que je dois savoir, tout ce qu’elle sait de la vie, des hommes, de l’amour, des enfants, du sexe.
    Jamais elle ne m’a autant parlé. Nous sommes au milieu de cette petite foule de femmes, d’hommes et d’enfants serrés les uns contre les autres, il est évidemment impossible de s’isoler, mais c’est comme si nous étions seules au monde.
    Pendant tout ce temps, mon père lui tient la main.
    Ils nous donnent leurs alliances, ma mère me donne sa montre. Ils nous donnent le peu d’argent qu’ils ont.
    Tout ce qu’ils avaient, ils l’ont apporté ici pour nous le donner. »

    Geneviève Brisac, Vie de ma voisine

  • Vie d'une voisine

    Dans Vie de ma voisine, Geneviève Brisac fait place au récit d’une femme qui l’a abordée dans l’immeuble où en deuil, fuyant le passé, elle vient d’emménager. Cette voisine voudrait lui parler de Charlotte Delbo : « Je vous ai entendue l’évoquer à l’occasion de son centenaire, et je la connaissais. »

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    Quelques jours plus tard, Geneviève Brisac monte chez sa voisine, elles discutent de Charlotte Delbo, « de sa passion de vivre, de son exigence, de son engagement politique aussi ». Jenny, née en 1925, ne veut pas y ajouter l’histoire de sa propre vie ni « écrire le énième Tartempionne à Auschwitz », plus tard peut-être ; c’est de Charlotte Delbo, leur amie commune, qu’elles parlent.

    Puis Jenny dépose une lettre dans sa boîte, où elle a copié ces mots de Scholastique Mukasonga : « Qu’on ne vienne pas me parler de deuil si ce mot signifie que les tiens s’éloignent. Au contraire, ils sont à tes côtés, pour te donner le courage de vivre et de triompher des épreuves. Ils sont à tes côtés, tu peux compter sur eux. » – « Ces phrases me coupent le souffle, à moi aussi. »

    Quand elles se revoient, elles boivent du thé noir. Jenny lui montre une photo de Rivka et Nuchim Plocki, ses parents morts en août 1942, tous deux « polonais, juifs et athées ». Rivka avait quitté son village en 1918 ; dans la deuxième république de Pologne, elle avait adhéré au Bund, une « organisation marxiste juive révolutionnaire et mythique » des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie. Cette militante qui se revendique de Rosa Luxemburg aspirait à « vivre vraiment et vivre libre ».

    En 1924, elle a rejoint Nuchim Plocki à Joinville – le professeur de russe et de polonais, polyglotte, ne trouvait pas de travail en Pologne et ne s’était pas senti bien en Palestine. Leur fille est née l’année suivante, Jenny a reçu la nationalité française. Les parents travaillaient à l’usine de chocolat Menier, puis ils ont ouvert un petit commerce de chaussettes et de bas de laine. En 1928 est né le petit frère, Maurice.

    Les deux femmes retournent sur les lieux où ils ont vécu. D’abord inquiète, Jenny voit affluer des souvenirs : les mouchoirs en tissu rebrodés, les odeurs d’antan, les confitures et les gâteaux de sa mère, experte en rangement. « Tout, dans le minuscule logement, est rangé avec une précision de matelot. » Jenny aussi sait ranger, c’était obligé quand on vivait à quatre dans vingt mètres carrés. « Cela donne à son appartement d’aujourd’hui la clarté d’une pensée. »

    Jour après jour, la voisine raconte sa famille, l’enthousiasme de l’engagement politique, la déception d’une visite à sa grand-mère en Pologne. En France, à l’école élémentaire, elle s’est fait une « copine » pour la vie, Monique, une fille intelligente, qu’elle retrouve à la rentrée de 1939 à l’Ecole Primaire Supérieure. Jenny lit beaucoup, fait la lecture à voix haute à son père. A présent, sa bibliothèque compte des milliers de livres – « Si mon père avait pu voir ça, il aurait été heureux. Elle rayonne devant les livres parfaitement rangés. Et moi j’ai honte de ma bibliothèque trouée, des abandons successifs que j’ai faits des livres de ma bibliothèque au fil du temps, à chaque déménagement. »

    Eté 1936 : congés payés, colonie de vacances à l’île de Ré, éducation populaire, gymnastique pour tous, y compris les filles ! En 1939, conscient du péril nazi, son père voudrait aller en Angleterre, mais sa mère ne parle pas anglais et ne veut pas encore recommencer sa vie. Jenny est de son côté, elle aime vivre en France. La guerre est déclarée, et bientôt les premières mesures antijuives ; une des tantes Plocki veut absolument « se faire ficher », alors ils se déclarent tous, « la décision la plus catastrophique » de leur vie.

    En quelque cent cinquante pages, dans le dialogue entre la narratrice et sa voisine, sont racontées les difficultés de l’exil, l’éveil intellectuel, puis la tragédie de la guerre – bien qu’un temps, Jenny aille beaucoup au théâtre ou à l’opéra –, du port de l’étoile jaune aux rafles. Grâce à la loi « qui stipule tout simplement que tout enfant né en France est français » et à la lucidité de leurs parents qui décident de ne pas garder leurs enfants avec eux quand ils ont été arrêtés, ce qui choque certains, Jenny et son frère vont survivre.

    De ses archives, elle tire une carte-lettre où son père leur a écrit : « On part demain, ne nous envoyez plus rien. Nous sommes en bonne santé pour partir travailler ». Un mois plus tard leur est parvenu un bout de papier ramassé par un cheminot, un message en yiddish que Jenny n’a fait traduire que presque quarante ans plus tard et qui se termine sur ces mots : « Vivez et espérez. »

    Après la Libération, des rencontres, le travail d’enseignante, le combat politique, les manifestations. Au milieu des années cinquante, à un dîner, Jenny rencontre Charlotte Delbo, elles deviennent amies. Pour échapper à la tristesse – les absents leur manquent –, Jenny et Geneviève parlent de Mai 68. « Certains disent que Mai 68 vit le triomphe du cynisme. Pas nous, qui continuons à croire à la force de l’intelligence, aux idées, et aux gens. »

    Vie de ma voisine, à petites touches, sans pathos, est le récit d’une rencontre entre deux femmes. Les petits détails d’hier ou d’aujourd’hui y ont un sens. Les mots, les livres, les poèmes y ont de l’importance. La vie d’une voisine est un témoignage. Laisser le passé nourrir et éclairer le présent, en parler, se souvenir, c’est continuer à aimer la vie en regardant le monde en face.

  • Chocs

    guay de bellissen,hélène,dans le ventre du loup,récit,littérature française,assassinat,le monstre d'annemasse,secrets de famille,mémoire,enfance,culture« Sur la moquette de ma chambre d’hôtel, je suis assise en tailleur, fumant une cigarette alors que c'est interdit. Ce que je vis en ce moment, c’est un tracé autant personnel qu’universel. Une enquête émotionnelle à partir des chocs de l’enfance, tout le monde y est exposé. Relier les drames, trouver les passerelles entre eux, reconstruire la carte d’un territoire commun et le comprendre. Mais je me plante. Ce n’est pas comprendre, le bon terme, mais accepter. Le drame il est comme nous, il veut simplement qu’on le prenne comme il est, comme il vient. »

    Héloïse Guay de Bellissen, Dans le ventre du loup

     

  • Le ventre du loup

    Dans le ventre du loup : le titre choisi par Héloïse Guay de Bellissen pour son troisième roman tire du côté des contes – Le petit chaperon rouge, La belle et la bête – mais loin du merveilleux. Dès le début, on est averti par un vieil Indien qui explique à son petit-fils que « chacun a en nous deux loups qui se livrent bataille », le premier tout en sérénité, amour et gentillesse, le second, tout en peur, avidité et haine – « Lequel des deux loups gagne ? demande l’enfant. – Celui que l’on nourrit, répond le grand-père. » (Sagesse amérindienne)

    guay de bellissen,hélène,dans le ventre du loup,récit,littérature française,assassinat,le monstre d'annemasse,secrets de famille,mémoire,enfance,cultureAu tribunal d’Annecy, où la narratrice, Héloïse, entame ses recherches le 4 mai 2016 (toutes les séquences sont situées et datées), on lui a préparé quatre cartons marqués « Assise W 232 » : elle veut « aller à la source, ramasser les événements fondateurs », vérifier si l’affaire qui la préoccupe recèle bien ce qu’elle a observé en elle-même. Mais elle demande qu’on en retire l’autopsie et les documents photographiques.

    Le drame a débarqué dans sa vie le 5 avril 1999 à Toulon. Elle mange au restaurant avec son père, qui mentionne tout à coup « sa cousine Sophie » : elle ne voit pas de qui il parle. Sophie est la sœur de son cousin Alexandre, assassinée à neuf ans, en 1986 : « J’ai cru que tu le savais, depuis le temps. On ne te l’a jamais dit ? » L’aveu est rapide, comme accidentel. Tout se trouve dans une pochette blanche en haut d’une armoire à la maison. Quand elle rentre et interroge sa mère, celle-ci pense à appeler le lycée pour prévenir de l’absence de sa fille, puis sort faire des courses. La voilà seule pour ouvrir la pochette, en sortir une coupure de journal sur « Le Monstre d’Annemasse ».

    Chaque enfant a son monstre, « son croquemitaine, sa frousse du soir ». Héloïse se souvient d’avoir fait des grimaces dans le miroir pour faire disparaître son monstre – « au moment où j’avais compris que j’avais une part de lui, et lui une part de moi. » En regardant la photo de l’assassin, elle comprend « qu’il n’a rien d’un monstre lui non plus, mais tout d’un être humain. » La pochette contient entre autres « des lettres avec une écriture de môme » où Sophie remercie Héloïse pour son joli dessin.

    Sophie dont elle ne se souvient pas, dont sa famille ne lui a plus jamais parlé, a donc fait partie de sa vie ; ils allaient ensemble à la mer, Sophie et son frère venaient chez eux en vacances. Une photo les montre à huit et douze ans : « Dans ce jardin bordé de lierre, tous les deux broient l’instant, le mordent, les myrtilles c’est le sang du bonheur enfantin. » Une enfance a rendez-vous avec le crime, comme dans l’histoire du chaperon et du loup.

    Sans transition, à Saint-Louis en 1976, voici un autre enfant, dans une librairie : il va acheter un livre à sa mère pour son anniversaire. Il y a du monde, un type l’aborde, prétend avoir chez lui, tout près, un catalogue pour elle, déposé par erreur par le facteur ; il veut le lui donner tout de suite, avant de partir en vacances, et l’emmène. Devant sa porte, le gamin hésite, mais le type change de visage : « Si tu cries, je te fais mal, tu as compris ? »

    A neuf ans, quand il rentre chez lui, Gilles voudrait parler de ce qu’il vient de subir avec ses parents, mais il n’y arrive pas. Alors il leur écrit une lettre, la leur fait lire. Ils ont du mal à y croire, se demandent s’il ment, puis son père le prend dans ses bras : « Ca va aller, fils, ça va aller. » La nuit, le gamin hurle, il voit « un monsieur en noir » ou « un loup », il appelle sa mère.

    Jusqu’alors, il collectionnait des papillons, des araignées, des timbres. Il lui faut une nouvelle obsession : ce seront les femmes souriantes des catalogues de La Redoute ou Blancheporte. Il se met à collectionner des visages. En 1980, à Annemasse, il confie à son seul ami qu’il est « grave amoureux » d’une fille au sourire fabuleux. Dans les archives des assises, Héloïse lit : « Cette fille dont je vous parle était plus âgée que moi. Le sourire de la petite Sophie était le même, absolument le même. » (1992)

    Au tribunal d’Annecy, Héloïse se souvient tout à coup d’un autre secret familial, concernant Papy, qui appelait tout le monde, garçon ou fille, « mon chéri joli ». De son grand-père, qui était aussi celui de Sophie, elle savait une chose : « il ne fallait pas s’asseoir sur ses genoux. » La romancière sait rendre le parlé, le ressenti différemment quand il s’agit de l’enfant ou de l’adulte.

    Dans le ventre du loup tire sa force de ce ton juste, de sa construction par fragments, de sa thématique universelle. Héloïse Guay de Bellissen a donné son prénom à la narratrice et choisi une structure non linéaire : le passé et le présent s’y croisent, l’enquête d’Héloïse sur Sophie et celle des policiers à la recherche de son assassin. Le roman traque les peurs de l’enfance, que donnent à voir les contes, amplifiées par les non-dits, les secrets, le manque d’attention et de dialogue. A la fin de chaque séquence, une citation fait écho, tirée des témoignages, de contes, de paroles dites ou lues.

    Une page du Seynois présente la romancière (avril 2018, à l’occasion d’une séance de dédicace à La Seyne où elle a passé son enfance). A vingt-cinq ans, c’est en regardant « Faites entrer l’accusé » sur Gilles de Vallière, « l’assassin aux cordelettes », qu’elle prend soudain conscience de ce qui est arrivé à cette cousine Sophie que son cerveau avait « complètement occultée ». D’où ce roman sur des « enfances brisées », sur « les non-dits d’une famille qui s’est déstructurée ».

    Héloïse Guay de Bellissen a réussi à y insuffler son malaise et son désir de comprendre ce qui s’est passé. « La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents » a écrit Boris Cyrulnik (autre Seynois) qu’elle a contacté. Dans le ventre du loup, sans voyeurisme, rend au vécu sa profondeur, son humanité.