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Paysage perdu, JCO

Joyce Carol Oates a sous-titré Paysage perdu (2015, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claude Seban, 2017) « De l’enfant à l’écrivain ». Ce récit autobiographique montre la façon dont sa vie « (d’écrivain, mais pas uniquement) a été modelée dans la petite enfance, l’adolescence et un peu au-delà ». Ce « paysage des premiers temps » est aussi un véritable paysage rural, dans l’ouest de l’Etat de New York, au nord de Buffalo.

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« Au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance. » Ce récit en séquences est nourri d’articles reproduits ou remaniés. La fille de Carolina Bush et de Frederic Oates y fait leur portrait et surtout y relate concrètement ses liens très forts avec ses parents, jusqu’à leur mort.

Son père travaillait dans une usine parce que la petite ferme dans laquelle ils vivaient ne suffisait pas à les nourrir. Toute petite, Joyce Carol y avait un animal préféré, « Heureux le poulet », qui la suivait partout et qu’elle caressait. Plus tard, ce seront surtout des chats. Vingt ans après sa mère, elle va dans la classe unique à l’école du district ; elle aime apprendre. Son père, toujours très actif, apprend à piloter un Piper Cub, peint des lettres pour des enseignes durant son temps libre.

JCO, enfant solitaire et secrète, a un premier coup de cœur littéraire pour Alice, cadeau de sa grand-mère juive, Blanche Morgenstern, qui lui offrira aussi sa première machine à écrire. La romancière sait que la mémoire est trompeuse et qu’écrire sur le passé est un exercice périlleux. « C’est la transcription des émotions, non celle des faits, qui intéressent l’écrivain. » « L’écrivain est un déchiffreur d’indices – si l’on entend par « indices » un récit souterrain et discontinu. »

Promenade du dimanche, harcèlement des garçons qu’elle fuit en courant très vite, rapprochement avec la fille d’une voisine battue par son mari, fréquentation d’une église méthodiste, puis protestante (sans jamais croire en l’existence de Dieu), les relations de Joyce Carol avec les autres sont timides et souvent décevantes. Elle perd son amie Cynthia, d’un milieu aisé, pour qui elle a fait tant d’efforts, chez qui elle était reçue, et qui finira par se suicider.

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Carolina Oates et Joyce, dans le jardin de la maison de Millersport, mai 1941 © (Fred Oates) in Paysage perdu

« La solitude fait de nous tellement plus que ce que nous sommes au milieu de gens qui prétendent nous connaître. » Quand après son frère Robin naît une petite sœur, le jour même de ses dix-huit ans, l’honneur que lui font ses parents en la laissant choisir son prénom – contente du sien, elle l’appellera Lynn Ann – elle vivra une autre perte : celle qui lui ressemble comme une sœur jumelle est autiste et n’aura jamais de contact avec elle.

Les études, la lecture, l’écriture, voilà l’autre noyau de sa vie. Les bibliothèques font son bonheur, les revues littéraires. Sa première nouvelle est publiée dans « Mademoiselle » à dix-neuf ans. En 1960, JCO sort « major » de sa promotion. « Cela a été le mantra de ma vie. Je n’ai pas d’autre choix que de continuer. » Le troisième cycle la déçoit, une approche de la littérature plus érudite, centrée sur les « notes de bas de page », mais elle y rencontre son mari, Raymond Smith ; tous deux enseigneront.

Lynn Ann détruit tout. Ses parents protègent sa petite sœur avec un amour total. Muette et coupée du monde, elle sera placée à quinze ans dans une institution pour handicapés mentaux. Devant cette « vie sans langage » qui met sa sœur en opposition avec elle, la romancière écrit : « Pas ce que nous méritons, mais ce qui nous est donné. Pas ce que nous sommes, mais ce qu’il nous est donné d’être. »

En revenant sur ses années universitaires, Joyce Carol Oates se souvient de son épuisement à cette époque : insomnies, lectures accumulées, tachycardie. Elle s’y est fait une amie qui lui fera ressentir « le frôlement des ailes de la folie ». Quand elle échoue à l’oral d’admission au doctorat, son mari l’encourage : « tu vas pouvoir écrire ». Bien des années plus tard, elle sera reçue docteur honoris causa à Madison ; à 61 ans, on y donnera un grand dîner en son honneur : « Je pense que nous sommes tous des chats à neuf vies, ou même davantage. Nous devons nous réjouir de notre félinité insaisissable. »

Auprès de Ray, JCO connaît une nouvelle atmosphère de bien-être, intimité, contemplation. Paysage perdu raconte leurs déménagements successifs, en fonction de leurs charges de professeurs, et ses succès littéraires, avant de revenir sur les figures aimées de ses parents. Le recueil se termine avec « Les courtepointes de ma mère », un très bel hommage à sa mère qui lui a cousu tant de belles choses.

Commentaires

  • Les lectrices et lecteurs de JCO doivent être intéressé(e)s par cette autobiographie. N'ayant encore rien lu d'elle (au moins quatre titres empruntés et chaque fois laissés sur l'étagère), je donnerai priorité à un de ses romans. Lesquels conseillez-vous ?

  • J'ai du mal à vous répondre, la lisant sans ordre. Elle a aussi écrit beaucoup de nouvelles, un genre que vous aimez.
    Parmi les titres chroniqués ici, "Le mystérieux Mr. Kidder" est un roman court. "Délicieuses pourritures" ?

  • Une auteur que j'adore, et qui enseignait à l'université : la soeur de mon ami Chris l'a eue comme professeur. Pas un seul livre d'elle ne m'a déçue, je les achète au compte-gouttes pour étaler le plaisir...

  • Suivre ses cours, ce devait être impressionnant. Il me reste beaucoup à lire, tant mieux.

  • Jamais rien lu d'elle, une femme qui semble bien intéressante, profonde. Je ferai comme Christw après avoir relu tex billets.

    Une question que je me pose très souvent. Pourquoi mentionne-t-on presque toujours l'origine juive de la famille ou d'une personne? (ici la grand-mère) . On ne dit rien des athées ou autres religions en général...tu as une idée?

    Bonne journée Tania.

  • Bien d'autres religions sont mentionnées dans ce livre : méthodistes, protestants, catholiques. JCO revient plusieurs fois sur la personnalité de sa grand-mère Blanche, à qui elle était très attachée, notamment à propos d'une photo d'elle à vingt ans, une belle jeune femme à qui elle ressemble, lui disent ses amis.
    "Mes amis de Princeton disent aussi: "Mais ta grand-mère était juive, c'est évident." Si seulement elle avait reconnu son passé juif, si nous avions pu parler ouvertement de ces "secrets" de famille… peut-être se serait-elle sentie moins seule."
    Oates est troublée par tout ce qu'elle n'a pas su quand elle était enfant, les nombreux secrets découverts peu à peu, les violences qu'on lui a cachées.

    Voilà pour ce livre. Pour ce qui est de la question "en général", je pense que l'identité juive est liée à tant de problématiques historiques, sociales, culturelles, et pas seulement religieuses, que les écrivains, qu'ils soient d'origine juive ou pas, la mentionnent souvent comme un élément constitutif du personnage. Mais ce sujet est trop vaste pour y répondre simplement.

  • Sur ce site d'un admirateur de JCO, une présentation de "Dahlia noir rose blanche" : http://www.jc-oates.fr/2017/03/jean-marcel/dahlia-noir-rose-blanche

  • Tania, merci d'avoir rappelé ce livre. J'ai visité la ville natale de Joyce Carol Oates, dans l'ouest de l'État de New York. Il existe de nombreuses petites villes comme Millersport et Lockport situées le long du canal du canal Érié. À quelques centaines de kilomètres à l'ouest du sud de l'Ontario se trouve la petite ville où Alice Munro a grandi. Deux grands écrivains avec des histoires à raconter dans une petite région sont presque miraculeux.

  • Bonsoir, Jane. Vous connaissez bien ces paysages. Il y a longtemps que je n'ai plus lu Alice Munro, merci de l'avoir située dans ce vaste pays où les distances dans une même région se comptent en centaines de kilomètres.

  • J'ai lu "Nous étions les Mulvaney" il y a longtemps et "Viol" qui m'avait paru très dur. Je ne l'ai pas relue depuis, par contre, j'aimerais bien découvrir ce récit autobiographique.

  • Je lirai "les Mulvaney" dont l'histoire se déroule dans le même milieu rural et semble moins dur que "Viol". Bonne lecture si tu te décides pour ce titre-ci.

  • Une vie ou plusieurs vies... je n'ai jamais lu cette auteure, penses-tu que ce livre est à lire en premier ou as-tu un autre titre à conseiller ? Je t'embrasse, belle soirée Tania. brigitte

  • Bonjour, Brigitte. Ces récits autobiographiques permettent de faire connaissance avec Joyce Carol Oates, même si l'on n'a rien lu d'elle.

  • je suis épatée par le rythme d'écriture de cette femme il parait plusieurs livres par an d'elle c'est impressionnant

  • C'est une femme très intelligente et peut-être hyperactive comme son père qu'elle admirait.

  • Merci Tania pour la présentation de cette auteur que je ne connaissais pas. Je note les conseils de titres que tu donnes à Christw et Brigitte. Ton blog est riche de trésors ! Bises.

  • Merci à toi, je suis toujours ravie qu'un billet donne envie de découvrir une œuvre littéraire pas encore approchée. Beaucoup s'étonnent que Joyce Carol Oates n'ait pas encore reçu le Nobel, peut-être cela arrivera-t-il un jour ?

  • Merci de me rappeler cet autre titre que tu avais déjà signalé, "Les Chutes", je le lirai. Oui, j'ai lu le résumé des "Mulvaney" où le thème du viol, si j'ai bien compris, est traité moins âprement que dans "Viol".

  • Ce livre là, je le lirai, car tout ce que tu en dis me plait. J'ai toujours été intriguée par cette auteur, je pense avoir lu un ou deux de ces romans il y a très longtemps, mais à la manière dont je le faisais à l'époque, en volant les minutes à tout ce qu'il y avait d'autre à faire.

  • C'est vrai que JCO intrigue. La lecture de "Paysage perdu" permet de mieux percevoir non seulement les racines de son œuvre littéraire, mais aussi ses lignes de force. Bonne lecture, Annie.

  • Je ne peux que recommander LES CHUTES énormément apprécié , dont la première partie est absolument impressionnante.

  • C'est bien noté, je me mets bientôt à la recherche de ce roman.

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