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Monsieur Optimiste

A la mort de son père, Alain Berenboom ne sait pas grand-chose de son passé. Ce pharmacien toujours occupé ne lui a laissé aucune photo, aucun récit familial, lui qui pourtant était toujours prêt à parler de son village natal (Maków, son « shtetl » près de Varsovie), de l’Europe ou du monde. « Mon père croyait à la marche irréversible de la civilisation, au recul de la barbarie, vaincue par le mot ou l’éducation, enfin ce genre de choses. » Tomas, un client d’origine allemande devenu son ami, lui avait dit un jour : « On devrait t’appeler monsieur Optimiste » – le surnom lui était resté.

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L'affiche de l'adaptation théâtrale en 2015

Monsieur Optimiste raconte ce dont l’auteur se souvient et ce que des archives ont permis de découvrir à ce fils unique né d’un père de quarante ans et d’une mère de trente-deux. Lorsque celle-ci décède, dix ans après le père, Alain B. trie leurs papiers et tombe sur un extrait du registre des Juifs de la commune de Schaerbeek où s’est inscrit, le 28 novembre 1940, Chaïm Berenbaum.

Pourquoi s’y être déclaré, lui qui avait fui la Pologne, qui détestait les rabbins, lui « le laïc, le gauchiste, l’internationaliste » ? En Belgique depuis 1928, une fois son diplôme de pharmacien obtenu à l’université de Liège, son père était devenu aide-pharmacien « dans les beaux quartiers de Schaerbeek ». Tomas, l’ami ingénieur qu’il admirait pour avoir quitté l’Allemagne à la prise de pouvoir d’Hitler, disparu lors de l’invasion de la Belgique, était en réalité un officier allemand de « la cinquième colonne » ; il était revenu à la pharmacie en uniforme, à la stupéfaction du père, mais il ne l’avait pas dénoncé à la Gestapo.

Le mariage des parents en janvier 1940 avait été fêté chez des amis avec très peu de famille : Esther, une des deux sœurs du père ; Harry et Herta, oncle et tante de sa mère Rebecca, « une superbe brune à la peau mate ». En mai, ils étaient partis en voyage de noces à vélo vers le Pas-de-Calais, mais le désordre épouvantable à Boulogne, où Chaïm a failli être enrôlé de force comme soldat polonais, les a vite fait revenir dans Bruxelles occupée.

Au retour, la pharmacie rouvre. En 1942, son père est convoqué à la caserne Dossin à Malines (17000 Juifs obéirent à la convocation… pour Auschwitz-Birkenau). Quand l’agent de police du quartier, un de ses clients, vient lui intimer l’ordre de partir… ou de disparaître sans laisser d’adresse, les Berenbaum changent de peau et s’en vont devenir en cachette de bons Belges de souche, les Janssens, avec de « vraies-fausses cartes d’identité » établies à Jette.

La guerre finie, « Janssens » deviendra « Berenboom », « arbre aux ours » en flamand – « Toute personne parlant néerlandais comprend immédiatement la supercherie. Berenboom est aussi faux flamand que le magicien qui l’a imaginé. » Alain Berenboom s’interroge sur son identité, mais qui questionner ? Sa grand-mère paternelle, qui a vécu avec eux juste après la guerre, a émigré en Israël quand il avait six, sept ans. « Elle parlait polonais, yiddish et hébreu, pas français. » Il ne l’a revue qu’une fois, il ne connaît que le français et le flamand. Quant à son prénom, son père lui a dit un jour qu’il en avait un autre « pour les Juifs » : « Aba », le prénom de son grand-père, qui signifie « père », tandis que « Chaïm » signifie « vie ».

Quand il repeint une chambre, après la mort de son père, des couches de vieux journaux sous le papier, des pages du Soir des années trente, font défiler la jeunesse de Chaïm pendant qu’il tentait de maîtriser le français. Dans les dossiers de la Police des étrangers, Alain B. découvre les faits et gestes de ses parents depuis leur demande de visa et même une carte de la clinique informant la police de l’admission de sa mère à la maternité en 1947. Suivant tantôt la trace de son père, tantôt celle de sa mère, l’auteur restitue avec leur parcours tout le contexte de l’époque.

Résistance, livre de cuisine rédigé par sa mère cachée, évocation des membres de la famille dont il a retrouvé des lettres, cyclisme, lecture de la Bible, les chapitres de Monsieur Optimiste, prix Rossel 2013, rendent compte, sans rien inventer, de ce que fut la vie de ses parents. Jusqu’aux « potions magiques » du pharmacien de la rue des Pâquerettes à Schaerbeek (au 33) et à la « Fontaine d’amour » du parc Josaphat qui fascinait le petit Alain et sa grand-mère.

Alain Berenboom, avocat, écrivain et chroniqueur au Soir, fait revivre tout cela avec simplicité et honnêteté : « Tout est juste, magnifiquement campé avec une pudeur pleine d’humour et de tendresse pour des personnages réels devenus de fiction. » (Sophie Creuz dans L’Echo) Le fils de monsieur Optimiste s’est déclaré en 2010 « Trots op België et fier de l’être », un texte à lire sur son site.

Commentaires

  • La démarche de l'auteur m'a émue, son besoin d'en savoir plus sur son père toujours trop occupé dans sa pharmacie pour parler avec son fils.

  • La pièce a été représentée à Liège en octobre dernier. (Cité Miroir). Apparemment, le difficile passé juif de la famille Berenboom n'a pas empêché Alain de devenir un vrai Belge, et "trots de l'être". (avec quelque nostalgie, quand même).

  • Je n'ai pas vu la pièce. Alain Berenboom ne savait rien de tout cela quand il était jeune et son père a veillé à ce qu'il soit ce vrai Belge parlant le français et le flamand. La seule éducation religieuse qu'il a reçue, c'était la lecture de la Bible tous les dimanches matins.

  • Je l'ai lu à l'époque de sa sortie. Il avait participé aux petits déjeuners littéraires de notre bibliothèque. Le récit est émouvant et ses souvenirs d'enfance dans le quartier Nord sont passionnants.
    Il a toujours eu énormément d'humour.
    Mais ses romans policiers sont inégaux...

  • Désormais je penserai à lui en passant dans la rue des Pâquerettes.

  • je ne connaissais pas ce livre-ci de de berenboom, par contre j'ai lu certains de ses polars

  • Je le lis pour la première fois dans ce récit qui n'est pas un roman, mais qui méritait bien son prix.

  • J'ai d'abord cru que tu avais vu la pièce, avant de comprendre que tu avais lu le texte. Je vois que l'auteur était aussi directeur de la cinémathèque.

  • J'ai choisi cette illustration, qui prête un peu à confusion, en effet, parce qu'elle montre l'enfant : une façon de mettre le narrateur, élevé dans l'optimisme de l'après-guerre, au centre du récit, au lieu du père choisi pour la couverture, qui illustrera l'extrait, comme j'en ai pris l'habitude.

  • intéressant, tout ce qui est témoignage!
    je m'en vais suivre tes liens vers son site :-)
    merci Tania!

  • Il y a beaucoup à lire sur son site, notamment ses chroniques pour Le Soir, Cette remontée sur les traces de ses parents pourrait te plaire, Berenboom y aborde tant d'aspects de "nos" identités.

  • C'est justement ces multiples identités qui me semblent si intéressantes, se fondre dans une population mais avec une distance, toujours. Si l'humour y est en plus, bravo.

  • Ce récit relève tout à fait de cette attitude-là.

  • C'est captivant... Que d'histoires dans ce qu'on n'a pas dit dans les familles. Pour de bonnes et mauvaises raisons, parfois juste pour ne plus y penser. Mais ce qu'on doit savoir nous trouve. J'ai un ami (de Scharbeek aussi!) qui a découvert au mémorial de Malines le nom d'une famille emportée à Auschwitz, où ils sont tous morts. Par hasard il avait entré le nom de sa mère. Il a ainsi découvert que sa mère avait eu ce frère disparu avec femme et petite fille à Auschwitz et ne l'a jamais mentionné, sauf dans ses délires peu avant de mourir. Un nom revenait tout le temps. Ce fut un choc malgré tout..

  • Quel choc et quelle émotion, merci de nous raconter cela, Edmée. Je ne suis pas encore allée au musée de la caserne Dossin à Malines mais je le ferai.
    Je reprends cette belle formule : "ce qu'on doit savoir nous trouve".

  • Je ne comprends pas cette phrase : « Toute personne parlant néerlandais comprend immédiatement la supercherie. Berenboom est aussi faux flamand que le magicien qui l’a imaginé. »

  • "Berenboom" ressemble très fort à "perenboom" (poirier en flamand), de même construction que les autres arbres fruitiers (appelboom pour pommier, pruimenboom pour prunier, etc.). La consonance peut faire illusion, on croirait un nom flamand, mais pour qui connaît la langue, il va de soi que les ours ne poussent pas sur les arbres.

  • Voilà un livre que j'aimerais beaucoup lire et tu en parles si bien. J'aime ses enquêtes, cette recherche, qui nous permet le plus souvent de regarder avec tendresse, admiration et quelques fois effroi, nos aïeux. Merci Tania !

  • La façon dont l'auteur rassemble ses souvenirs et tire ce passé de l'ombre, petit bout par petit bout, devrait te plaire, Annie;

  • J'ai lu avec intérêt ta présentation et ce livre m'attire par son thème d'abord: comment raviver la mémoire des faits, Comment reconstituer des vies à partir de bribes. Comment se trouver dans cette quête qui est une minutieuse enquête aussi, semble-t-il.
    Ensuite, j'ai aussi lu la déclaration d'amour de l'auteur à la Belgique et je trouve à ce dernier une sacrée plume. J'aime le parti-pris littéraire de cette lettre.
    Merci, je note.

  • Heureuse que ce texte t'ait plu ! Bonne lecture si tu croises Monsieur Optimiste.

  • Une lecture forte que ce Monsieur Optimiste. Je ne connais pas du tout cet auteur, à la lecture des textes sur son site, son écriture est séduisante. Merci Tania, à tout bientôt. brigitte

  • Ce récit est une bonne entrée dans l'univers de cet "écrivain plein de talent et de fantaisie", comme disait La Libre lors de l'attribution du prix Rossel à "Monsieur Optimiste". A bientôt, Brigitte.

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