« Depuis des siècles, les Africains avaient appris à se débrouiller avec les Européens qui traînaient près des côtes ; mais voici qu’à présent des tribus reculées entendaient parler d’eux. On avait beau vivre au-delà des rapides, une rumeur remontait le cours du fleuve. Sur tout le continent, un point d’interrogation commençait de se former et de se dresser tout doucement comme une menace. Les roseaux agités par le vent semblaient ne rien savoir, le monde était un être ténébreux derrière un masque de lumière. Le mal apparaissait sous la forme des divinités sanguinaires, des morts voraces, des bêtes, mais il n’allait jamais seul, il était toujours accompagné dans sa courbe déclive et fuyante. Son mystère se mêlait à l’herbe mouillée, à une traînée de feu, aux singes qui crient, à la colère, au sexe qui s’élève, à l’orage. Mais le petit Satan qui allait venir n’aurait besoin ni des hyènes, ni des singes, ni des marécages, et il introduirait de l’homme à l’homme une sorte de méfiance. »
Eric Vuillard, Congo
Photo de couverture : Sir Henry Morton Stanley ; Kalulu (Ndugu M'hali),
National Portrait Gallery, Londres
Commentaires
Pas prévu, mais l'extrait me donne quand même envie de lire ce "Congo", pour l'écriture de Vuillard : "Les roseaux agités par le vent semblaient ne rien savoir, le monde était un être ténébreux derrière un masque de lumière.".
Les images et le rythme de Vuillard mènent le lecteur où il veut l'emmener.