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littérature française - Page 78

  • Ressemblance

    Colette La Vagabonde AN (2).JPG« Un jour, je me rappelle… en quittant Rennes par un matin de mai… Le train suivait, très lent, une voie de réparation entre des taillis d’épines blanches, des pommiers roses dont l’ombre était bleue, des saules jeunets à feuilles de jade… Debout, au bord du bois, une enfant nous regardait passer, une fillette de douze ans, dont la ressemblance avec moi me saisit. Sérieuse, les sourcils froncés, de rondes joues brunies, – comme furent les miennes – des cheveux un peu blanchis de soleil, elle tenait un surgeon feuillu dans ses mains hâlées et griffées, – comme furent les miennes. Et cet air insociable, ces yeux sans âge, presque sans sexe, qui paraissaient prendre tout au sérieux, – les miens, réellement les miens !... Oui, debout au bord du hallier, mon enfance farouche me regardait passer, éblouie par le soleil levant… »

    Colette, La Vagabonde

  • Colette en Vagabonde

    La Vagabonde de Colette raconte la vie de music-hall que mène Renée Néré depuis trois ans. Devant le miroir de sa loge, avant de monter sur scène, c’est l’heure du face à face avec « cette conseillère maquillée » aux pommettes vives, aux lèvres rouge noir, « avec de profonds yeux aux paupières frottées d’une pâte grasse et violâtre ». Désormais seule, elle gagne vaillamment de quoi vivre avec Brague, son camarade de scène, qui l’a initiée à la pantomime.

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    Colette sur scène dans Rêve d’Égypte en 1907 (Source : Les amis de Colette)

    En rentrant dans son rez-de-chaussée parisien, un soir de décembre, elle soupire – « de fatigue, de détente, de soulagement, ou l’angoisse de la solitude ? Ne cherchons pas, ne cherchons pas ! » Est-ce bien elle, cette « bohémienne » dans la trentaine, à l’air découragé ? « Il y a des jours où la solitude, pour un être de mon âge, est un vin grisant qui vous saoule de liberté, et d’autres jours où c’est un tonique amer, et d’autres jours où c’est un poison qui vous jette la tête aux murs. »

    « Femme de lettres qui a mal tourné », Renée fait du théâtre, sans être pour autant actrice. Son divorce l’a fait échouer dans une chambre banale, où elle n’a plus de temps pour écrire. Elle a fait sienne une sorte de « gaîté funèbre » en cachant ses pensées et en noircissant ses cils « au mascaro » (sic). Un soir, un inconnu « grand, sec, noir » force la porte de sa loge : un admirateur. Ce n’est pas le premier qu’elle décourage. « Ouf ! ce grand serin d’homme a coupé la crise noire : c’est toujours autant. »

    Après huit ans de mariage, elle s’est séparée d’Adolphe Tallandy, un pastelliste, quand elle n’a plus pu supporter ses maîtresses et ses mensonges. Elle l’aimait, elle a souffert ; un soir, elle n’est pas rentrée. Elle y a gagné une résistance infinie, la solitude, la liberté, la nécessité de travailler plutôt que d’écrire. Elle en a gardé la défiance des hommes.

    Le « cachet en ville » la terrifie, Renée craint que quelqu’un la reconnaisse dans un de ces salons parisiens friands de divertissements, mais comment refuser ce supplément de cinq cents francs bienvenu pour Brague et pour elle-même ? C’est là que reparaît Maxime Dufferein-Chautel, le frère cadet de leur hôte, qui désire « si vivement » lui être présenté – le « grand serin » de la veille. Et voici bientôt des fleurs dans sa loge et au premier rang des fauteuils d’orchestre, « un homme patient » qui la guette.

    La Vagabonde dépeint la vie d’artiste que Colette a bien connue, après avoir quitté Willy. Entre débrouille quotidienne, quand « ça ne dessine pas », et camaraderies de théâtre, Renée n’a conservé que quelques vrais amis : Margot, la sœur cadette de son ex-mari ; Hamond, un vieil ami avec qui partager sa mélancolie ; Brague, qui veille sur elle, sur le métier, sur son avenir. Sans oublier Fossette, la chienne.

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    La Vagabonde
    a paru d’abord en feuilleton
    dans La Vie parisienne, du 21 mai au 1er octobre 1910

    Margot déconseille à Renée tout « collage », mais Dufferein-Chautel trouve des appuis. Hamond le connaît depuis l’enfance, Brague dit à sa camarade que c’est l’amant qu’il lui faut : « Bonne santé, ne joue pas, ne boit pas, fortune suffisante… Vous me remercierez ! » La voilà donc pourvue d’un « amoureux », ni amant, ni flirt, ni gigolo, enchanté qu’elle accepte de le recevoir dans son « joli coin intime ».

    Maxime est véritablement épris et donc patient. Renée l’observe et se dérobe à ses avances, même s’il offre à Fossette un collier rouge à clous dorés. Le souvenir de son mari la rend, pense-t-elle, à jamais incapable d’amour. Mais elle ne refuse pas de se promener avec son amoureux, lui laisse de l’espoir – « Il faut terriblement vieillir, (lui) a dit un jour Margot, pour renoncer à la vanité de vivre devant quelqu’un ! »

    Dans son miroir, Renée se dévisage. L’âge s’y marque déjà, sous le maquillage. Il va falloir prendre un parti, et cela l’angoisse. Maxime est si gentil, si prévenant, elle s’est tout de même laissé embrasser, elle l’aime peut-être. Mais elle ne veut plus jamais de maître, plus de cette « domesticité conjugale, qui fait de tant d’épouses une sorte de nurse pour adulte », comme elle l’explique à Hamond étonné de sa résistance.

    Quand Brague évoque la possibilité d’une tournée en province au printemps, elle y voit un regain de liberté, de légèreté. En l’apprenant, Maxime est furieux d’abord : avec lui, elle pourrait se passer du music-hall. Puisqu’elle tient si fort à cette tournée, il est prêt à l’accompagner. Renée refuse, demande à Max d’attendre son retour – ils s’écriront et, au retour, ils auront tout le temps de s’aimer.

    Parfois teinté de gouaille au début de La Vagabonde, le style de Colette s’affine pour évoquer des souvenirs ou décrire la nature, les saisons et les variations sentimentales d’une femme tentée par l’amour mais attachée avant tout à sa liberté. Ce beau roman où l’écrivaine a mis beaucoup d’elle-même date de 1910, l’année de son (premier) divorce.

  • Recoller nos vies

    Fottorino couverture G.jpg« J’essayais de recoller nos vies. Jusqu’ici à ce jeu-là, je m’étais toujours blessé. Ou découragé. Comme dans un puzzle où il aurait sans cesse manqué une pièce majeure permettant de lire l’image complète, et de la comprendre. Tu en avais assez, petite maman, de garder ce secret pour toi. Un jour, à soixante-dix ans passés, tu as pris rendez-vous avec une ancienne sage-femme devenue psychologue. « Elle fait naître ceux qui sont déjà nés », dis-tu doucement. Elle est partie à la recherche de tes peurs. Elle a ramené cette petite-fille. L’enfant que tu t’efforçais d’oublier. Peut-on oublier la chair de sa chair ? Avec ta mère ce fut une histoire sans paroles. Il ne s’était rien passé. »

    Eric Fottorino, Dix-sept ans

  • Que pèse une maman

    Par hasard, après la quête d’un père, voici celle d’une mère, dans Dix-sept ans, le dernier roman d’Eric Fottorino. Un dimanche de décembre, une mère invite ses trois fils à déjeuner avec leurs familles. Après le repas, Lina veut parler à « ses garçons », à eux seuls. Nervosité, inquiétude, et puis une révélation inattendue : en 1963, elle a mis au monde une petite fille qu’on lui a enlevée aussitôt.

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    Bonnard, Jeune femme à table, 1925

    Deux ans après Moshé, le « père juif de Fès » d’Eric, le fils aîné, Lina s’est retrouvée enceinte pour la deuxième fois, d’un autre Marocain, et cette fois sa mère furieuse, bigote, lui a fait signer immédiatement une promesse d’abandon – « Pour votre grand-mère, j’étais une Marie-couche-toi-là ». Elle l’a éloignée en louant un studio à Bordeaux pour sa fille et son petit-fils, sous la garde de Paul, oncle et parrain d’Eric.

    Troublé par cet aveu, Eric, 47 ans, n’en peut plus d’essayer de recoller ses souvenirs. L’absence de son père biologique, il l’a heureusement acceptée grâce à son père adoptif, Michel Signorelli, pied-noir de Tunis, qui lui a donné son nom quand il avait dix ans en épousant sa mère (cf. L’homme qui m’aimait tout bas), puis en lui donnant deux petits frères, François et Jean. Mais après le récit de sa mère, il se sent incapable de lui dire quoi que ce soit, « impuissant à l’aider ».

    Rentré chez lui, il donne ses cours machinalement à la fac, garde le silence à la maison, finit par décider de partir seul quelques jours à Nice, où il est né. « En réalité, je n’avais jamais accordé à Lina l’importance qu’elle méritait. A-t-on déjà entendu dire : ma mère, ce héros ? Que pèse une maman de rien du tout face à l’aura de deux pères ? »

    De sa naissance sans père, ils s’en sont sortis vivants, sa mère et lui – « Vivants, pas indemnes. Dans mon cœur, une statue de pierre est toujours debout, raide et menaçante. » A Nice, il arpente les rues en quête de signes, cherche où il est né, se remplit « de soleil tiède », imagine Lina sur la Promenade des Anglais avant que sa mère l’emmène dans le village d’Ascros, chez des inconnus qui la cacheront jusqu’à l’accouchement, en août 1960.

    Au restaurant où il prend ses habitudes, il fait la connaissance de Novac, un pédopsychiatre appelé en renfort après l’attentat de Nice ; il l’écoute parler des enfants traumatisés, qui revivent sans cesse les scènes d’horreur. Durant ses promenades, il imagine comment sa mère se sentait, à Nice, imagine son regard sur ce qu’il regarde lui, à présent. Il voudrait lui téléphoner, lui en parler, mais ils n’arrivent jamais à se parler par téléphone. Ni autrement.

    La veille de l’an 2000, Lina lui avait annoncé joyeusement qu’elle s’installait à Nice, seule. Eric se reproche de n’y être jamais allé la voir, malgré ses demandes répétées. Les souvenirs se bousculent dans sa tête, en désordre. C’est Novac qui le met sur la voie en lui parlant de la femme au regard perçant qu’ils ont remarquée au restaurant et dont le fils aux traits asiatiques ne cesse de lancer un boomerang sur la plage. Elle tient une brocante dans une impasse, véritable « palais de curiosités ». Eric s’y rend, intrigué, et est surpris d’y reconnaître des œuvres de Lina, qui crée des sculptures à partir de bois flottés.

    Betty Legrand, la chorégraphe devenue brocanteuse, a bien connu sa mère et elle l’a tout de suite reconnu, lui : Lina et elle partageaient la même chambre à la maternité, elles sont toujours restées en contact. « Jusqu’ici, ma mère était restée un être irréel et diaphane. » Et voilà quelqu’un, enfin, qui lui raconte ses débuts dans la vie, noyés dans l’oubli. Betty lui parle de Moshé, du père de son fils, un danseur vietnamien venu une saison à l’Opéra de Nice, reparti à Saïgon sans se savoir père. « Des lambeaux de nos vies m’étaient rendus. »

    Dix-sept ans, c’était l’âge de sa mère quand il est né. Elle voulait l’appeler Arthur, sa grand-mère a choisi Eric. Grâce à Betty, il comprend peu à peu d’où il vient, pourquoi il n’a aucun souvenir de sa petite enfance auprès d’une mère aimante, pourquoi sa grand-mère a pris toute la place dans son cœur. Après ce séjour à Nice sur ses traces, il va, enfin, pouvoir parler avec Lina ou du moins écouter ce qu’elle n’avait jamais réussi à lui dire.

    Bien que sous-titré « roman », Dix-sept ans d’Eric Fottorino est une recherche très intime, au croisement des faits et des sentiments : « Je suis devenu écrivain parce que je ne savais pas qui j’étais » reconnaît-il dans un entretien. Dans cette fiction, le narrateur, Eric Signorelli, ne masque ni ses manques, ni sa fragilité : un roman bourré de nostalgie, émouvant par son obstination à lever les secrets, à comprendre et à mettre des mots sur sa vie à elle, sa vie à lui.

  • Plus attentivement

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    « Il fallait te regarder plus attentivement et surtout ne pas détourner mon regard de toi. Parce que quand on détourne son regard de quelqu’un, ce quelqu’un peut subitement partir dans une direction inconnue. »

    Aliona Gloukhova, Dans l’eau je suis chez moi