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exposition - Page 5

  • 1944 - 2024 Art Expo

    Il y a presque quatre-vingts ans, en août 1944, le village de Meensel-Kiezegem vivait un drame dont le Museum44 porte mémoire ; je vous l’avais présenté lors de notre première visite il y a cinq ans. Depuis le début du mois, une double exposition est présentée à l’église Saint-Matthieu de Meensel, juste à côté du musée : Art Expo Buchenwald & Neuengamme.

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    Oscar Lauwens (organisateur), Linda Van der Meeren (artiste) et Rik Vanmolkot jr. (Legs Despaux) photo Museum44

    L’expo évoque deux des nombreux camps de concentration nazis à travers les œuvres de Georges Despaux et de Linda Van der Meeren. Le lien entre eux : Buchenwald. Despaux, un prisonnier politique originaire du sud de la France, s’est lié d’amitié dans ce camp de concentration avec un jeune Belge étudiant en médecine de Louvain, Rik Vanmolkot, à qui il a légué de nombreux dessins. Une cinquantaine sont exposés.

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    Linda Van der Meeren est la petite-fille de Charel Gemoets, prisonnier politique et survivant de Buchenwald ; il avait été arrêté en juillet 1944 par représailles, les Allemands n’ayant pas trouvé chez lui son fils Hilaire Gemoets, très engagé dans la Résistance (fusillé en septembre 1944). Linda a réalisé de nombreuses œuvres d’art autour des deux guerres mondiales, elle est artiste résidente du Museum44.

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    Peintures de Linda Van der Meeren accrochées à l'entrée du chœur, photo Museum44

    Une cinquantaine de dessins de Georges Despaux prêtés par le fils du Dr Vanmolkot sont exposés du côté droit de l’église : beaucoup de portraits de prisonniers et des scènes de la vie au camp. Ces portraits très fins, qui rendent bien la physionomie, il les dessinait dans la clandestinité, durant les seuls moments de repos, le dimanche après-midi. Comment s’est-il procuré papier et crayon, en principe interdits, et comment a-t-il réussi à les ramener ? Mystère.

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    Vue partielle de l'exposition : dessins de Georges Despaux

    Sous chacun des dessins, une légende ; on peut y lire le nom du prisonnier, les circonstances et les raisons de son arrestation. Comme Despaux et Vanmolkot, ce sont des détenus du « petit camp » de Buchenwald où « séjournaient » les déportés mis en quarantaine et  les prisonniers politiques en mauvaise santé (Despaux avait gardé des séquelles de la poliomyélite, Vanmolkot était arrivé très malade.)

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    Deux portraits par G. Despaux : Henri Pepin Bollens et Louis Govers

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    Rik Vanmolkot d'après Despaux, Homme priant

    Un texte manuscrit attire mon attention, sa copie dactylographiée permet de lire cette « biographie » rimée écrite à Buchenwald par un prisonnier belge, le 8 février 1945 : « Georges Despaux ? Un nom qu’il vous faut retenir ; / Un peintre, et des meilleurs, du plus bel avenir. […] » Un témoignage sensible d’un codétenu. Emouvant aussi, le dessin par Despaux d’un homme priant (photo 2), exposé près de sa version sculptée. Celle-ci est de son ami Vanmolkot qui en a fait, à la fin de sa vie en 1968, une sculpture en bois, inachevée.

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    Vue partielle des peintures de Linda Van der Meeren

    Du côté gauche de l’église, les toiles de Linda Van der Meeren sont présentées dans de grandes caisses en bois (celles qu’on utilise pour la récolte des fruits dans cette région où les vergers sont nombreux) qui les mettent particulièrement en valeur et rappellent les châlits aux couchettes superposées du camp de Neuengamme qui ont été reconstitués dans une pièce du Museum44.

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    Linda Van der Meeren : "Wie zijn ogen sluit voor het verleden is blind voor de toekomst"
    (
    Celui qui ferme les yeux sur le passé est aveugle à l’avenir.)

    Ses peintures et ses dessins alternent entre l’évocation de la Seconde guerre mondiale, des combattants, des prisonniers, des camps (qu’elle visite régulièrement avec des groupes) et des compositions abstraites aux couleurs fortes, lyriques, expressions de la tragédie, de l’espoir ou du deuil. Le sceau posé sur chaque légende manuscrite est d’elle aussi, à l’effigie de la femme en deuil du monument mémorial de Neuengamme. Linda Van der Meeren est aussi céramiste. Pour elle, le devoir de mémoire est une véritable « mission ».

    Art Expo Buchenwald & Neuengamme, Meensel-Kiezegem, Museum44 > 26.05.2024

  • Encore et encore

    A la Maison des Arts de Schaerbeek, l’exposition Encore et encore. Rituels d’artistes, interroge leurs pratiques et aussi les nôtres, par ricochet. Certaines personnes ont plus de rituels que d’autres, nous en avons tous : des gestes, mouvements, actions qu’on répète quasi obsessionnellement. Ils font partie du jour après jour de l’existence. Quel sens leur donner ? Pourquoi continuer ? A travers les rituels d’une douzaine d’artistes, l’exposition montre à la fois les protocoles qu’ils se sont donnés et les œuvres ainsi créées au fil des jours, voire des années.

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    ©  Sahar Saâdaoui, Le rituel du bonheur & Alphabet (vue partielle)

    Dans le hall d’entrée, Just My Luck, une fresque de billets à gratter de la Loterie nationale interroge le rituel du jeu. Au centre, on le voit mieux en prenant du recul, on lit les les lettres de « BINGO ! ». Depuis six ans, Katherine Longly (°1980) & Cécile Hupin (°1987) collectent des tickets grattés et y observent les traces des joueurs et joueuses « comme les empreintes d’un rituel intime ». Certains grattent avec frénésie, d’autres patiemment ou ne s’intéressent qu’au code QR. Elles y ont vu des profils individuels, des écritures, des gestuelles répétées. Leur analyse de ce rituel, une manière de tenter sa chance, est racontée dans un livre publié en 2023.

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    © Katherine Longly & Cécile Hupin, Just My Luck, 2017-2023, fresque installée in situ

    « Le rituel du bonheur » de Sahar Saâdaoui (°1986) est tout différent. Au centre de la pièce, dans une table-vitrine, une partie de son « dictionnaire » donne la clé d’un travail basé sur la « translation », minutieux, rigoureux, raffiné, subtil. Sur un quadrillage tracé à la main, elle a conçu ce « dictionnaire » où l’alphabet se change en chiffres (sa passion) : chaque lettre s’inscrit dans un carré de 4 sur 4, les intersections sont marquées d’un point, ce qui donne un nombre de points fixe par lettre. Ce code lui sert à agencer ses compositions sur papier (photo ci-dessus) ou sur soie, en jouant sur les couleurs, les matières.

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    ©  Sahar Saâdaoui, Alphabet x 26 code, 2015,
    Collage, acrylique, papier, 63,5 x 46,5 cm

    Les vidéos des dix écrans installés dans la salle à manger nous font entrer dans un rituel beaucoup plus intime. Laurent Quillet (°1989) filme depuis 2015 le moment où il dit « au revoir » à ses proches, un projet intitulé Détachement. J’ai eu la chance de suivre une visite guidée en présence des artistes et je n’imaginais pas à quel point l’émotion allait me gagner en l’écoutant raconter comment son projet était né et l’aidait à vivre. Dans cette embrassade rituelle se nichent un contact fugace, un nombre de bises qui varie, la présence avant l’absence, l’espérance de se revoir, la crainte de la mort. C’est personnel et universel, bouleversant.

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    ©  Laurent Quillet, Détachement, 10 vidéos

    Les rituels sont un recommencement pour apprivoiser le temps, l’espace, ou les deux. Juan d’Oultremont (°1954) « pratique la collection » d’objets improbables ; ce qui l’intéresse, c’est de « ramener sur le terrain de l’art des choses qui ne sont pas de l’art ». Claude Viallat (°1936) décline une « forme » peinte sur toutes sortes de tissus. Katherine Longly se photographie tous les jours à la même heure depuis juin 2009, « un pied de nez à l’oubli ». A l’affiche de l’exposition, des photographies d’objets de Barbara Iweins (°1974) : pendant quatre ans, à la suite d’un divorce et d’un déménagement, elle a photographié « pièce par pièce, tiroir par tiroir » tout le contenu de sa maison, 12795 objets, d’où Katalog 2017-2022.

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    ©  Barbara Iweins, Katalog (détail)

    Une fois de plus, la Maison des Arts réussit à transformer un thème a priori mystérieux en parcours étonnant et passionnant, à la rencontre d’artistes contemporains. Allez-y, vous verrez le travail entrepris par Côme Lequin (°1989) avec ses chaussures, ce que peint Yves Gobart (°1973) chaque matin en arrivant à l’atelier, l’Ode à la souche (d’arbre) de Marie Van Elder (°1965), une série née sur la côte sauvage en Californie du Nord, un autre artiste avec un ensemble de peintures qui fera l’objet d’un billet complémentaire. C’est à découvrir en prenant le temps de lire l’affichette de présentation ou le petit catalogue illustré (5 €).

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    ©  Roman Opalka, détail OPALKA 1965/1 - ∞, 50 photographies offset en bichromie, 32 x 26 cm. Collection privée

    En fin de parcours, les cinquante autoportraits en noir et blanc de Roman Opalka (1931-2011) prêtés par un collectionneur privé révèlent un protocole immuable : visage neutre, col de chemise blanche, cadrage identique. Photo imprimée sur une double page en regard avec un nombre auquel elle correspond. A partir de 1965 (ici la période, de1972 à 2008), il a peint des suites de nombres pour « manifester le temps, son changement dans la durée, celui que montre la nature, mais d’une manière propre à l’homme ». Un portfolio impressionnant.

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    (Textes & prétextes, 4 x 4 ans)

  • Calme

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    « Les vues d’un parc dessinées d’un fusain hyperréaliste invitent à se perdre, paysages géants comme des fenêtres. Mais en s’approchant apparaissent des textures : le rythme des brins d’herbe, celui ferroviaire de l’écorce des troncs, les reflets dans l’eau noire des bassins, les constellations de nénuphars vibrent, battent tel un organisme vivant. Les allées vides de tout promeneur se perdent dans le flou léger d’une brume matinale, tout est immobile, calme ; on retrouve ce silence que la peinture hollandaise a si bien su faire écouter. »

    Sylvain Silleran
    (extrait du texte à lire en ligne sur FranceFineArt)

    Exposition Rein Dool. Les dessins, Fondation Custodia, Paris, 2023

  • Dessins de Rein Dool

    Un coin de parc, le détail d’un fusain sur un mur de la Fondation Custodia, aperçu en quittant l’exposition sur Jacobus Vrel, nous a donné envie de découvrir l’artiste contemporain présenté en bas, un dessinateur néerlandais né en 1933 : Rein Dool. Les dessins. Nous n’avions plus le temps de nous attarder, mais je me suis promis d’en apprendre un peu plus sur celui qui a représenté une scène que je n’avais jamais vue ni peinte ni dessinée : Le brossage des dents (avec un détail kafkaïen !)

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    © Rein Dool, Le brossage des dents, 1972, encre de Chine, Rijksmuseum, Amsterdam

    Portraits, paysages, natures mortes, figures plus ou moins abstraites : « la sélection d’une cinquantaine de feuilles exposées comprend des prêts du Rijksmuseum, du Dordrechts Museum, de collections privées et de l’artiste lui-même » (Fondation Custodia), notamment des dessins de voyages (Géorgie, Birmanie, Espagne).

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    © Rein Dool,Stupas (Birmanie), 1999, encre de Chine sur papier oriental, collection de l’artiste

    Une salle est consacrée à un bel ensemble de grands dessins au fusain, des vues de parc réalisées à partir d’esquisses et de photos, dans les années 2010. Pas de personnages sur ces dessins d’atmosphère : l’artiste a travaillé aux nuances de la lumière, aux contrastes, au rendu de la végétation (en particulier dans Jardin, Dordrecht).

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    © Rein Dool, Wantijpark (Dordrecht), 2013, Fusain sur papier oriental, Riksmuseum, Amsterdam

    Son goût de l’observation de la nature s’exprime d’une autre manière dans Flambé, une aquarelle où apparaît un profil : « Dool s’intéresse notamment au peu de moyens nécessaires pour composer une tête. » Une ligne en zig-zag, un œil, la tête « à la Dool » est née. Un autre exemple dans une autre aquarelle de la même année, Etonnement.

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    © Rein Dool, Flambé, Verwondering 7, aquarelle, 60 x 80 cm, 2017

    Il y avait bien d’autres choses montrées à cette exposition. On peut découvrir la variété du travail de Rein Dool sur son propre site, dont ce sympathique autoportrait devant un paysage (page d’accueil). Certaines de ses peintures à l’huile montrent son goût pour l’art populaire, voire « naïf », des scènes ou motifs de la vie ordinaire où le peintre semble plus authentique que dans les compositions abstraites, bien qu’il y joue astucieusement avec les profils stylisés.

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    © Rein Dool, Dessinateur, huile, 60 x 80 cm, 2003

    Deux profils se font face dans une sculpture de quatre mètres sur cinq réalisée en acier corten pour une école de Dordrecht (photo 16). Un motif qu’il réutilise comme on peut le voir sur son site. Wikipedia signale une controverse récente à propos d’un portrait de groupe (1976), controverse qui a comme souvent donné plus de visibilité à l’artiste et contribué à sa réputation internationale.

  • Vrel avant Vermeer

    La Fondation Custodia se situe au 121 rue de Lille, entre le pont de la Concorde et le musée d’Orsay. Je ne connaissais pas ce lieu, mais j’avais lu que l’exposition Jacobus Vrel, énigmatique précurseur de Vermeer valait la peine. Pas de réservation possible : quelle chance d’avoir accès sans créneau horaire à cet hôtel particulier du XVIIIe siècle, qui abrite une importante collection d’art ancien, dite « Collection Frits Lugt », placée sous l’égide de la Fondation Custodia (bonne garde en latin).

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    « A première vue, rien ne semble relier Jacobus Vrel au célèbre Johannes Vermeer (1632-1675) hormis leurs initiales « JV ». Pourtant, nombre de leurs tableaux partagent un même calme contemplatif, le rôle central joué par les figures féminines et, bien souvent, un certain mystère. » L’Avant-propos de l’élégant livret remis aux visiteurs – toutes les œuvres exposées y ont leur légende complète et une notice analytique –, il aurait mieux valu les lire sur place. Heureusement, j’ai pris de nombreuses photos.

    On ne sait pas grand-chose de ce peintre du XVIIe siècle, à part quelques indications de lieux dans l’Est des Pays-Bas, d’après ce qu’il a peint, et une datation du bois des panneaux qui aboutit aux années 1635-1640 pour les scènes de rue et vers 1650 pour ses premiers intérieurs. « On peut donc affirmer avec certitude que Vrel était un précurseur de Johannes Vermeer. » Avant Paris, l’exposition a été présentée avec succès à la Mauritshuis de La Haye.

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    Le parcours (à l’étage) débute avec ses « ruelles », des vues avec personnages comme ces Deux femmes conversant par une fenêtre : Théophile Thoré, le « redécouvreur » de Vermeer, lui attribuait ce tableau comme les trois autres Vrel de sa collection (le critique d’art possédait trois véritables Vermeer et le fameux Chardonneret de Fabritius). La dendrochronologie a établi que cette huile a été peinte sur un panneau provenant du même arbre que Scène de rue, femme assise sur un banc du Rijksmuseum.

    La composition de Scène de rue, femme portant une corbeille (ci-dessous), dont la restauration « a ravivé la subtile palette en camaïeux de bruns caractéristique de Vrel », m’a fait chercher une toile de Balthus à laquelle j’ai pensé en la regardant. Une des rares scènes sans personnages en train de converser. Etude de deux femmes, une esquisse à l’huile, témoigne de l’attention du peintre pour le rendu des costumes.

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    Les scènes d’intérieur de Jacobus Vrel sont les plus fascinantes. On y voit le plus souvent une femme, de dos, seule ou avec un ou plusieurs enfants. Deux des illustrations visibles sur la page d’accueil de l’exposition montrent des scènes de lecture, mais d’autres scènes de genre sont présentées : femme préparant des crêpes, attisant le feu, fouillant dans un tiroir, tenant compagnie à un malade… Grande cheminée, carrelage, tabouret, pots, plats, corbeilles, ustensiles de cuisine, alcôve, chauffe-pied, on retrouve dans ces peintures des constantes de l’intérieur hollandais de l’époque. 

    La manière dont Jacobus Vrel place ses figures dans une pièce diffère, il me semble, de celle de ses contemporains présentés dans une autre salle, dont le célèbre Rembrandt et une artiste graveuse dont je n’avais jamais lu le nom, Geertruydt RoghmanQuant aux scènes de lecture, je lis dans le commentaire de Femme lisant de Claes Hals, exposée parmi d’autres scènes d’intérieur du Siècle d’or : « Faut-il y voir la représentation d’Acedia – la Paresse, souvent personnifiée par des femmes assoupies sur une chaise – ou plutôt un éloge de la lecture ? »

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    Jacobus Vrel, Femme saluant un enfant à la fenêtreHuile sur bois. – 45,7 × 39,2 cm
    Paris, Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, inv. 174

    Mais revenons à Jacobus Vrel. Dans Femme assise regardant un enfant à la fenêtre, la peinture choisie pour l’affiche, le mouvement de la femme qui fait basculer sa chaise pour faire signe à quelqu’un attire notre attention sur la fillette de l’autre côté de la vitre, mais comme me l’a fait remarquer un visiteur enthousiaste et connaisseur, si l’on regarde bien, il y a souvent un petit personnage discrètement intégré aux scènes d’intérieur, c’est amusant à observer de plus près et très mystérieux.

    Ici, la fenêtre ne donne pas sur l’extérieur mais sur une autre pièce, un agencement qui n’est pas rare dans les maisons hollandaises du XVIIe siècle. Les hautes croisées à petits carreaux ont leur appui très bas, on peut s’y accouder comme le fait cette Femme penchée à la fenêtre. Les ciseaux sur la table montrent qu’elle a interrompu son travail. Une fois de plus, « nous regardons un personnage qui ne nous voit pas », attentif à quelque chose ou à quelqu’un qui ne nous est pas montré.

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    Jacobus Vrel, Femme à la fenêtre, daté 1654, Huile sur bois. – 66,5 × 47,4 cm
    Vienne, Kunsthistorisches Museum, inv. GG 6081 © KHM-Museumsverband

    Jacobus Vrel, énigmatique précurseur de Vermeer : une exposition passionnante et, pour moi, la découverte d’un maître ancien dont les œuvres nous parlent en silence du cadre de vie de son époque.