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Peinture - Page 14

  • Lanterne

    soseki,oreiller d'herbes,récit,littérature japonaise,poésie,peinture,montagne,marche,contemplation,culture,beauté,nature« Quand j’étais petit, il y avait, en face de chez moi, un magasin de saké appelé Yorozuya où se trouvait une jeune fille nommée Okura. Cette Okura, durant les paisibles après-midi de printemps, pratiquait toujours des exercices de chant. Chaque fois qu’elle s’y mettait, je sortais dans le jardin. Au-delà d’un plant de thé de trente mètres carrés, trois pins se dressaient, à l’est de la salle de séjour. C’étaient des pins très hauts, dont le tronc avait une trentaine de centimètres de circonférence : détail curieux, c’était tous les trois ensemble qu’ils produisaient un effet intéressant. Malgré mon cœur d’enfant, il me suffisait de contempler ces pins pour ressentir un bien-être. A leur pied, une lanterne noircie de rouille était toujours obstinément posée sur une pierre rouge inconnue, comme un vieillard têtu. J’aimais beaucoup observer cette lanterne. Tout autour, des herbes anonymes du printemps jaillissaient d’une terre profondément imprégnée de mousse, semblant ignorer le vent qui souffle sur le monde d’ici-bas, elles s’amusent en exhalant leur parfum. A l’époque, j’avais coutume de trouver une place dans ces herbes, juste pour y glisser mes genoux, et m’y tenir immobile. Mon emploi du temps, à l’époque, me permettait de contempler la lanterne au pied de ces trois pins et de respirer le parfum de ces herbes, en écoutant le chant de mademoiselle Okura au loin. »

    Natsumé Sôseki, Oreiller d’herbes

    Autoportrait à l'aquarelle de Natsume Sôseki
    sur une carte postale pour Doi Bansui du 2 février 1905 (Wikimedia).


  • Roman-haïku

    A propos d’Oreiller d’herbes (Kusamakura, 1906, traduit du japonais par René de Ceccaty et Ryôji Nakamura), Natsumé Sôseki a écrit : « Si ce roman-haïku (l’expression est certes bizarre) s’avère possible, il ouvrira de nouveaux horizons dans la littérature. Il ne me semble pas que ce type de roman ait déjà existé en Occident. En tout cas, il n’y en a jamais eu de tels au Japon. »

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    Le titre est la traduction littérale d’un nom qui signifie le fait de ne pas dormir chez soi. Oreiller d’herbes est le récit d’un peintre et poète qui se rend à la montagne à la recherche d’un endroit paisible pour créer : « Dès que vous avez compris qu’il est partout difficile de vivre, alors naît la poésie et advient la peinture. » Il dit l’importance de l’art : « Tout artiste est précieux car il apaise le monde humain et enrichit le cœur des hommes. »

    A plus de trente ans, tandis qu’il gravit un sentier de montagne, il est conscient de la proximité inévitable entre la lumière et l’ombre, la joie et la mélancolie, le plaisir et la souffrance. Il porte une boîte de peinture en bandoulière. Le chemin est difficile, il trébuche sur une pierre en longeant le lit d’une rivière. Puis viennent des lacets sur lesquels il avance en écoutant le chant des alouettes, en découvrant un champ de colza « doré ».

    « Le printemps nous endort. Les chats oublient d’attraper les souris et les hommes oublient leurs dettes. On oublie alors le lieu de son âme et notre raison s’égare. Ce n’est qu’à la vue des fleurs de colza qu’on s’éveille. Quand on entend le chant de l’alouette, on reconnaît l’existence de son âme. » Le voilà de plain-pied dans le monde poétique de Wang Wei et de Tao Yuanming (deux grands poètes chinois), où « se promener et errer, ne fût-ce qu’un instant, dans l’univers impassible. C’est une ivresse. »

    Le soir, les montagnes franchies, il arrivera à la station thermale de Nakoi. L’impassibilité, voilà le but de son voyage, loin des passions terrestres. Aussi, tous ceux qu’il rencontrera, il projette de les considérer comme des « figurants dans le paysage de la nature », de les observer à distance, comme des personnages dans un tableau.

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    Une averse l’oblige à se réfugier dans une maison de thé signalée par un postillon. Une vieille femme lui apporte du thé, son visage lui rappelle celui d’une vieille vue sur une scène de théâtre nô ; au fond du bol, « trois fleurs de pruniers sommairement dessinées d’un seul coup de pinceau ». Un bon feu lui permet de se sécher. Quand le ciel se dégage, elle lui montre le rocher du Tengu qu’il contemple (il y a souvent de quoi repenser au livre de Le Clézio sur la poésie des Tang).

    Le peintre d’Oreiller d’herbes se réfère souvent à des écrivains anglais et à un tableau en particulier, la fameuse Ophélie peinte par Millais. Un bref arrêt de Gembei, le postillon, conduit la conversation sur « la demoiselle de Nakoi », la fille de Shioda, l’aubergiste, qu’on dit malheureuse comme « la Belle de Nagara » autrefois – une fille de riche famille dont deux garçons étaient amoureux en même temps et qui a fini par se noyer dans la rivière.

    A l’auberge de Nakoi, le bruissement des bambous l’empêche de dormir. Il a tout loisir de détailler le décor de sa chambre et de rêver de la Belle de Nagara, quand il entend une voix qui fredonne puis s’arrête : en regardant dehors, il lui semble voir une silhouette au clair de lune, adossée à un pommier pourpre en fleurs, puis disparaître – la fille des Shioda ?

    Dans son carnet d’esquisses, il cherche à « résumer en dix-sept syllabes » ses impressions nocturnes, avant de sombrer dans le sommeil. Quand celui-ci se transforme en « demi-sommeil », il entend la porte coulisser, voit une femme entrer : « Comme un ange qui marche sur les flots, elle avance sur les nattes sans le moindre bruit. » Un bras ouvre et referme le placard, la porte se referme. Quand il la rencontrera le matin, sa beauté et l’expression de son visage le laisseront perplexe, et plus encore son ironie quand elle l’invite à aller voir : « On a fait le ménage dans votre chambre. » Sous ses propres vers, quelqu’un en a écrit d’autres !

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    Oreiller d’herbes va et vient entre la contemplation des choses, de la nature, des paysages, des nuances de la lumière et des couleurs, et l’observation des personnages rencontrés à Nakoi ou alentour, le désir de peindre et d’écrire. « Si je dois à tout prix m’en expliquer, je dirai que mon cœur bouge simplement avec le printemps. » Dans ce « paradis sur terre » où le printemps lui donne envie de rester immobile comme une plante, tout éveille sa curiosité : la nourriture, une poterie chinoise, « la jeune madame » dont le barbier du village lui conseille de se méfier – « elle a un grain ».

    Peindra-t-il un jour Nami, la fille de Shioda, dont les apparitions ponctuent le cours de ses réflexions ? Le peintre de Sôseki, en « artiste véritable », veut voir tout ce qu’il voit « comme un tableau ». Sôseki le poète y parvient aussi.

  • Soutine par la fin

    Mon dernier rendez-vous avec les toiles de Soutine, c’était à l’Orangerie en 2012. La couverture choisie par Le Bruit du temps pour Le dernier voyage de Soutine (2016), un roman de Ralph Dutli (traduit de l’allemand (Suisse) par Laure Bernardi), m’a donné envie de retrouver le peintre des blancs, des rouges, des verts. Comme Dominique Rolin l’avait fait pour Bruegel dans L’Enragé, l’auteur a choisi de raconter sa vie et de parler de son œuvre en commençant par la fin.

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    En couverture : Chaïm Soutine, Paysage avec personnage (La route blanche),
    Paris, Musée de l'Orangerie

    Le 6 août 1943, c’est dans un fourgon mortuaire que Soutine quitte Chinon, un « mort vivant » qu’il faut transporter jusqu’à Paris pour qu’on l’y opère d’un ulcère aggravé. Il faut éviter les carrefours où l’occupant contrôle les voyageurs, le peintre juif est recherché. On l’a enveloppé d’un linceul blanc sur le brancard, au cas où. Cela fait longtemps que son ventre déchiré le torture, aucun remède n’a fonctionné. Seul le lait l’apaise. Les derniers jours, son rituel de destruction des œuvres par le feu ne lui a apporté aucun soulagement. « Personne n’a compris le rituel. Pas un peintre, pas Zborowski, pas les deux femmes des dernières années, ni Mademoiselle Garde ni Marie-Berthe. Et personne ne pouvait le retenir. »

    A la clinique de Chinon, aux urgences, le médecin a voulu opérer Soutine sur-le-champ, mais son « ange noir », Marie-Berthe Aurenche, effrayée par l’intervention annoncée, veut qu’on le transfère à Paris où il aura un meilleur spécialiste qu’en province. Quand le médecin, qui a reconnu le nom de la deuxième épouse de Max Ernst, évoque Montparnasse à l’époque où il s’enthousiasmait pour les surréalistes, il a dit « ce qu’il ne fallait pas », elle ne supporte plus d’entendre prononcer son nom. Depuis trois ans, la « muse des surréalistes » est la compagne de Soutine. Elle obtient qu’on le conduise à Paris dans le XVIe, à la maison de santé Lyautey. On fait à Soutine une piqûre de morphine généreuse, pour qu’il supporte le voyage. Ma-Be reçoit une blouse blanche d’infirmière. On expliquera si nécessaire qu’il n’y avait plus d’ambulance disponible.

    C’est à partir de ce que Soutine perçoit de ce voyage interminable puis du « paradis blanc » de la clinique parisienne – la morphine l’a délivré de la douleur – que Dutli raconte les souvenirs, les rêveries du peintre, une succession d’images, de rencontres, de combats avec la toile et avec ses maux, où surgissent les personnes qui ont compté à ses yeux, les amis artistes, les femmes de sa vie, les lieux où il a vécu et où il s’est caché, ce et ceux qu’il a peints, les œuvres critiquées ou reconnues, les toiles détruites…

    Dutli écrit l’histoire personnelle de cet enfant juif, l’enfant souffre-douleur de Smilovitchi (près de Minsk), orphelin à neuf ans, qui voulait peindre malgré les interdits religieux, devenu ce peintre ami de Modigliani à La Ruche, cet artiste juif qui refuse de porter l’étoile jaune et se fait invisible en déménageant sans cesse avant de quitter Paris, la ville tant désirée et aimée. La ville sans pogroms, pensait-il. Fini de s’y cacher en buvant du lait à la poudre de bismuth et en écoutant les disques de Bach de la chanteuse Olga Luchaire.

    Dutli rencontre Soutine pour la première fois dans un café en 1931, pour une série d’articles qu’un homme d’affaires lui a commandés sur « les Juifs célèbres de Paris ». A ses questions, ce sont les amis du peintre qui répondent, lui ne dit rien, « perdu dans ses pensées, enveloppé dans la fumée de sa cigarette… » A la Rotonde, écoutant les conversations, il a capté un jour une proximité intéressante : « En français couleur et douleur sont si proches. »

    Dans Le dernier voyage de Soutine, ce poète et essayiste suisse de langue allemande qui a beaucoup écrit sur la poésie (il a traduit du russe Mandelstam, Tsvetaïeva, Brodsky) mélange de façon convaincante l’histoire et la fiction. L’hôpital où pour la première fois le peintre vit sans douleur est en même temps une prison ; un mystérieux médecin lui promet la guérison s’il renonce à la couleur…

    Alors que Dominique Rolin, dans L’Enragé, fait parler Bruegel à la première personne, Ralph Dutli suit les conseils d’un témoin inattendu croisé au cimetière Montparnasse, sur la tombe de Chaïm Soutine : le vieil homme prétend avoir été là pour son enterrement, le 11 août 1943, alors que seuls Picasso, Cocteau et Max Jacob y étaient, et deux femmes, Gerda Groth et Marie-Berthe Aurenche. L’homme le met en garde : « Chaque tête est différente des autres. L’homme est plein de contradictions, rien n’est prévisible. (…) Ce n’était pas lui. Il est un autre. » Surtout pas de monologue intérieur, ne rien faire dire à un homme taciturne. « Jamais de je, rien que du il. Jamais de pur passé, rien que du présent impur. »

  • Rivière et ciel

    le clézio,le flot de la poésie continuera de couler,essai,littérature française,poésie chinoise,tang,li bai,du fu,histoire,culture,peinture,calligraphieRivière et ciel d’une seule couleur
    Sans une ombre de poussière

    Brillante au milieu de l’éther
    La roue de lune solitaire

    Sur ce rivage, qui est le premier homme
    A avoir aperçu la lune ?

    Lune au-dessus de la rivière, en quelle année
    Avez-vous éclairé les hommes pour la première fois ?

    La destinée des hommes d’âge en âge
    Ne connaît jamais de fin

    Lune au-dessus de la rivière, année après année
    Vous êtes toujours la même

    Qui sait quelle âme attend
    La lune au-dessus de la rivière ?

    On ne voit que le long fleuve
    Emporter sans cesse ses eaux

    Zhang Ruoxu (660-720),
    Printemps, rivière, fleur, lune, nuit

    in J.M.G. Le Clézio, Le flot de la poésie continuera de couler

    Wou Tao-tseu ? Paysage. Chine, 8e s. Lavis sur soie. H. 98 cm

     

  • La poésie des Tang

    Entendre J.M.G. Le Clézio parler des poètes chinois de l’époque Tang à La Grande Librairie m’a rendue curieuse de cet essai, Le flot de la poésie continuera de couler, qu’il signe avec Dong Qiang. Traducteur, poète francophone et calligraphe, professeur de civilisations comparées à Pékin, celui-ci a calligraphié quelques-uns des poèmes cités, qui alternent avec des peintures chinoises du Xe au XXe siècle dans ce beau livre. 

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    « Dans les périodes difficiles, on a besoin des poètes », a dit Le Clézio. On a toujours besoin d’eux, maintenant en particulier. Les poètes dont il parle ont vécu une période très troublée, des guerres violentes. Son choc devant la beauté de la poésie Tang (du VIIe au Xe siècle) est né d’une lecture, dans une anthologie anglaise, du poème de Li Bai (lu à l’émission).

    Assis devant le Mont Jingting

    Les oiseaux s’effacent en s’envolant vers le haut
    Un nuage solitaire s’éloigne dans une grande nonchalance
    Seuls, nous restons face à face, le Mont Jingting et moi
    Sans nous lasser jamais l’un de l’autre

    Dong Chiang résumerait ainsi ce poème : « je te plais et tu me plais ». Ce sentiment de plénitude, de paix intérieure contraste avec les thèmes de la poésie occidentale souvent tournée vers le mouvement des émotions, du désir, des passions. Ce quatrain de Li Bai a d’abord poussé Le Clézio à marcher, marcher simplement, jusqu’à une falaise rocheuse, et à la contempler ; à rechercher ce face à face entre l’homme et la montagne. 

    Les poètes Tang gardent le contact avec le monde réel, la trace d’un voyage hors de soi. Le Clézio les rapproche d’un peintre et écrivain contemporain, Mu Xin, qui dans une nouvelle cite ces vers : « La pluie passe, le ciel devient céladon, les nuages s’écartent / Et le ciel fait la céramique avec sa couleur ». Le Clézio : « Car c’est la force de cette poésie que d’être lue à toute époque, et en toutes circonstances. Simplement, pour changer d’univers. » 

    Le flot de la poésie continuera de couler raconte cette révolution poétique à l’époque dite « Tang prospère », vers l’an 700, où s’épanouissent en Chine l’art, la poésie, la musique, le raffinement des femmes. Le Shi Jing ou « livre des poèmes » est « la référence absolue de la culture chinoise », une grande compilation de poèmes traditionnels par Confucius. Les poètes Tang écrivent une poésie à la fois « populaire et officielle » dans le respect des règles qu’ils accentuent même : quatrain, vers de sept caractères, rimes et rimes intérieures, ordre des tons. Il en résulte le lyrisme « le plus éclatant », neuf siècles avant les poètes de La Pléiade en France !

    le clézio,le flot de la poésie continuera de couler,essai,littérature française,poésie chinoise,tang,li bai,du fu,histoire,culture,peinture,calligraphieLi Bai (701-762 ) est un aventurier, poète et homme d’armes qui voyage seul, avec son épée, et boit beaucoup. Il parcourt tout l’empire et pratique une liberté « jusque-là inconnue, la liberté d’aller ». C’est un homme « tendre, émotif », né sous le signe de l’Etoile de métal blanc (Vénus, l’étoile du matin) à laquelle il doit son nom (Blanc). Jusqu’à vingt ans, il pratique les arts martiaux, le cheval, la poésie, la musique. Son éducation littéraire est très poussée. A quinze ans, il a vécu chez un ermite pour parfaire son éducation, ce qui le rend éligible au service de l’empereur. « Bravache, vaniteux, téméraire », il n’aime rien tant que de voyager dans la Chine profonde.

    Son inspiration, il la trouve dans la nostalgie du pays natal, dans la beauté de la nature sauvage, des filles, ainsi que dans l’ivresse – le vin est sa grande passion, l’esprit de la fête, de l’amitié, notamment avec Du Fu, bien qu’ils soient « comme le soleil et la lune ». Tous deux sont mariés et ont des enfants. Du Fu aspire à la vie de famille mais est obligé de se déplacer. Li Bai choisira toujours la liberté de la vie errante. C’est à son épitaphe que renvoie le titre : « Sur la colline de la famille Xie, voici la tombe du noble Li / Le flot de la poésie continuera de couler au long des âges. » (Fan Chuanzheng)

    L’essai de Le Clézio, s’il s’attache avant tout à la poésie, raconte aussi la guerre, les rébellions où trente millions de Chinois ont perdu la vie en huit ans. Du Fu en est « le chroniqueur le plus fidèle » qui dit l’exode, la tristesse, la famine, la mort d’un fils. On découvre l’histoire de l’unique impératrice de Chine, Wu Zetian (690-705), qui fit publier la première anthologie de femmes poètes. Les poètes Tang expriment des sentiments, c’est nouveau à leur époque : le regret de ne pas être près de sa femme, de ne pas voir grandir ses enfants, la cruauté des recruteurs de soldats. Plus proches du peuple que de la cour, lieu de séduction, de rivalité, de violence, ils sont imprégnés des valeurs bouddhistes de la compassion et de l’amour.

    L’essai cite des vers presque à chaque page et permet de se familiariser avec l’univers des poètes Tang : Li Bai, Du Fu et beaucoup d’autres. Les derniers chapitres, excellents, rendent le mieux, à mon avis, la complexité et la beauté de ces poèmes pour qui ne sait rien de la langue chinoise. Dans « L’Art, la Beauté, la Vie » puis « La fin de la route », Le Clézio explique l’obsession de la forme parfaite dans la poésie Tang et la manière dont on perçoit le poème en chinois, de façon instantanée, comme lorsque nous regardons un tableau.

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    Dong Xiang y contribue aussi avec « Etangs-miroirs », à la fin. Il cite deux vers écrits par Xie Lingyun en 423, un jour de printemps, lors d’une première sortie de convalescence : « Près de l’étang poussent des herbes printanières / Des oiseaux nouveaux occupent les saules du jardin » Des générations vont tenter d’écrire « aussi naturellement » des poèmes « des monts et des eaux »« le poète voit et dit ». Leur simplicité peut paraître « fade » aux Occidentaux, mais dans la langue chinoise monosyllabique, seul un lettré était capable de maîtriser les règles et les symboles de cette poésie Tang « atemporelle ».

    Couverture : Yun Shouping (1633-1690), Le printemps réchauffe les eaux et les monts (détail).
    Fin de la dynastie des Ming et début de la dynastie des Qing. 618,2 x 57,6 cm,
    Musée d’art de Tianjin, Chine.

    Liang Kai (1150- ?), Li Bai marchant et composant des poèmes,
    Dynastie des Song du Sud, 81,2 x 30,4 cm, Musée national de Tokyo, Japon.

    Li Bai, Sur le Temple Yangtai (Shangyangtai),
    considéré comme l'unique exemplaire encore existant d'un poème
    calligraphié par le poète lui-même, VIIIe siècle, musée du Palais de Pékin