Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Peinture - Page 16

  • En quinze tableaux

    Le thème de l’estivale du 19 juillet portait un titre alléchant : « Schaerbeek en quinze tableaux ». La guide du jour avait préparé un parcours à partir de l’église royale Sainte-Marie pour nous montrer la commune à travers les très nombreuses reproductions de son classeur, bien plus de quinze, une façon originale d’illustrer l’histoire et les paysages de la Cité des Anes.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Eugène Verboeckhoven (1798-1881), Les ânes schaerbeekois
    "On lui doit notamment les deux belles têtes d’ânes
    qui ornent le cabinet du Bourgmestre." (source)

    Jusqu’à la Révolution belge en 1830, Bruxelles vivait à l’intérieur de ses remparts. Ceux-ci ont été détruits pour donner accès à la première couronne, aérée et verdoyante. Sur le parvis où nous nous trouvions, ce n’étaient alors que champs, marécages, prairies, comme on peut le voir sur ce Panorama de Bruxelles vu de Schaerbeek par Frans Binjé.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Frans Binjé (1835-1900), Panorama de Bruxelles vu de Schaerbeek

    Autour de la ville, le prix des terrains était plus abordable pour des populations aux revenus divers, d’où l’installation de nombreux artistes à Schaerbeek où ils pouvaient avoir une maison avec un atelier ; de nombreuses rues schaerbeekoises portent le nom d’un peintre ou d’un sculpteur, à leur mémoire. Le repos d’Alfred Verwée illustre le temps où on y était véritablement à la campagne, en zone agricole.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Alfred Verwée (1838-1895), Le repos

    Ces artistes trouvaient facilement des acheteurs dans la bourgeoisie qui se faisait construire des maisons neuves à Schaerbeek. Dès le XIXe siècle, le conseil communal désire « mettre la beauté à la portée du peuple »  et acquérir des œuvres d’artistes résidant dans la commune ; elles seront présentées dans un musée communal, fermé dans les années 1920. Mais la collection communale continue à s’étoffer et compte environ 1700 œuvres dont certaines sont visibles en ligne sur le site 1030.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Thomas Daems, Brussels Vibes, 2011 
    in F. De Roose, Bruxelles vue par les peintres, 2

    Voici l’église royale Sainte-Marie sur une œuvre graphique de Thomas Daems, Brussels Vibes (2011), mixant photographie, pochoir et peinture : « des couleurs douces pour traduire l’ambiance de fin de soirée lors de la prise de vue » (Fabien De Roose, Bruxelles vue par les peintres 2). Cette église de style éclectique et de plan octogonal est un jalon important sur le « tracé royal » entre le Palais royal et le château de Laeken, résidence royale.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Liévin Herremans (1859-1931), Kermesse Saint-Corneille, le soir, place de la Reine
    in F. De Roose, Bruxelles vue par les peintres, 2

    La place de la Reine qui la jouxte, ainsi nommée en hommage à la première reine des Belges, Louise-Marie d’Orléans, épouse de Léopold Ier, couvre une ancienne plaine sablonneuse peinte par Camille Wollès. La guide montre aussi une belle peinture de Liévin Herremans, Kermesse Saint-Corneille, le soir, place de la Reine : au Moyen Age, un pèlerinage pour les enfants handicapés partait de cette place vers Diegem, c’était un jour de liesse populaire.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Agnès Bogaert (1955 -), La Maison des Arts, 1993
    in F. De Roose, Bruxelles vue par les peintres, 2

    Nous prenons la chaussée de Haecht (c’est plus difficile d’y respecter les distances, nous sommes les seuls à porter un masque et cela nous vaut quelques quolibets) jusqu’à la Maison des arts, dont Agnès Bogaert a joliment peint l’entrée avec trois demoiselles en robes longues. La rue de la Constitution nous fait longer les Halles de Schaerbeek, ancien marché couvert devenu lieu culturel (premier festival Couleur Café en 1990), jusqu’à la rue Royale Sainte-Marie (où j’ai pris la photo ci-dessous).

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Les Halles de Schaerbeek et l'arrière de l'église royale Sainte-Marie

    Sur la place Lehon, la guide nous présente une maison-atelier classée, mais l’arrière de l’église Saint-Servais, magnifiquement restaurée, attire mon regard : ses pierres noircies ont retrouvé leur clarté lumineuse nous verrons plus tard sa façade, en haut de l’avenue Louis Bertrand. Puis nouvel arrêt devant l’Hôtel communal, place Colignon, avec quelques peintures historiques. Paul Leduc a peint les dégâts de l’incendie qui l’a ravagé en 1911.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Le chevet de l'église Saint-Servais, vu de la place Lehon

    Je vous montre encore ce magnifique sgraffite de Privat Livemont en haut du 17, rue Vogler, qui fut la dernière maison et l’atelier du peintre Alfred Ruytinx, son neveu et élève. « Malgré une restauration en 1991, il est à nouveau en partie détérioré. Le sgraffite présente une allégorie de la peinture : une femme peignant des marronniers, accompagnée d’un enfant. » (Inventaire du patrimoine architectural) D’autres artistes ont occupé ensuite ces « ateliers Vogler ». Le vitrail d’imposte attire l’attention avec ses bateaux et moulins à vent évoquant la Hollande.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Sgraffite de Privat Livemont au 17, rue Vogler

    De là, nous sommes descendus jusqu’à la rue de Jérusalem où la guide nous a fait voir une vue panoramique avant de nous emmener vers le Brusilia, bâti sur l’ancien Palais des Sports de Schaerbeek. Notre balade assez longue s’est terminée dans l’avenue Louis Bertrand, près du vase en bronze de Godefroid Devreese. Nous nous tenions à l’emplacement du vieux Schaerbeek, un village avec quelques maisons autour d’une église qui a été détruite ; seule la cure a subsisté, un peu en retrait de cette belle avenue que Betty Scutenaire a immortalisée avec ses arbres et ses parterres fleuris.

    estivale,2020,schaerbeek,peinture,patrimoine,histoire,culture
    Vue partielle de l'avenue Louis Bertrand, dominée par l'église Saint-Servais

    Ce parcours m’a paru plus intéressant pour les non Schaerbeekois que pour les habitués des estivales, à qui il n’offre pas de vraie découverte. De plus, le micro sans oreillettes ne permettait pas toujours de bien comprendre les commentaires de la guide ni les noms des artistes, ce qui m’a laissée un peu sur ma faim. En marchant d’un bon pas d’un endroit à l’autre, tout le monde semblait néanmoins content de se balader et d’observer plus attentivement que d’habitude ce patrimoine architectural et pictural.

  • Prodiges de Zweig

    Dans le premier recueil de nouvelles (L’amour d’Erika Wald) publié par Stefan Zweig en 1904, à vingt-trois ans, Les prodiges de la vie (traduit de l’allemand par Hélène Denis) raconte l’histoire d’un tableau commandé pour une église d’Anvers – Zweig venait de découvrir la Belgique et d’y faire connaissance avec Emile Verhaeren, qui sera le sujet de son premier essai biographique.

    zweig,les prodiges de la vie,nouvelle,littérature allemande,anvers,1566,peinture,vierge marie,foi,création,culture
    Couverture originale du recueil

    En 1566, époque où « l’hérésie étrangère s’était installée dans le pays » (le protestantisme se répand dans les Pays-Bas espagnols), par un dimanche brumeux, deux hommes entrent dans une église pendant le sermon. Un riche négociant veut montrer à son compagnon plus âgé, un peintre, la « Madone au cœur transpercé d’un glaive » qui orne une petite chapelle latérale : des traits fins, un visage tendre, une peinture lumineuse due à un artiste italien.

    En se dirigeant vers le port près duquel il habite, le marchand raconte au peintre sa jeunesse dissipée à Venise, où il fréquentait les tavernes et les filles et avait négligé une lettre de son père qui le pressait de rentrer, sa mère étant gravement malade. A Saint-Marc, il avait prié la Vierge Marie pour qu’il puisse revoir sa mère vivante et promis de lui dresser un autel s’il obtenait son pardon. Engagé par la réalisation de son vœu, il a fait venir un jeune peintre italien recommandé par un ami. Comme il le soupçonnait d’avoir donné à la Madone poignardée placée dans la chapelle les traits d’une femme aimée, il lui a demandé de choisir un autre modèle pour le deuxième tableau.

    L’Italien ayant disparu, le négociant n’y a plus pensé, mais vingt ans plus tard, devant sa femme pleurant au chevet de leur enfant malade, il a renouvelé son vœu et de nouveau obtenu une guérison inespérée. Aussi presse-t-il l’artiste de se mettre au travail.  Celui-ci, ébloui par le portrait merveilleux, « touché au plus profond de lui-même parce qu’elle lui avait un peu rappelé son destin personnel », peine à trouver une femme qui ressemble à cette Madone.

    Un jour lumineux de printemps, il aperçoit une jeune fille pensive à une fenêtre : une beauté pâle, un air inquiet. « Mais ce qui le surprit, plus encore que la singularité, l’étrangeté de ce visage, ce fut ce miracle de la nature qui, dans les reflets de la fenêtre, faisait resplendir derrière la tête de la jeune fille les feux du soleil, ainsi qu’une auréole autour de ses cheveux noirs et bouclés, étincelants comme un métal noir. Et il crut voir la main de Dieu qui lui désignait ainsi le  moyen d’accomplir son œuvre d’une manière satisfaisante et honorable. »

    Il se renseigne : c’est une jeune Juive recueillie par un aubergiste quand il était soldat en Italie puis en Allemagne. L’enfant, seule survivante de sa famille lors d’un pogrom, lui a été confiée par un vieillard, son grand-père, qui l’a supplié de l’emmener avec lui. Il lui a donné une lettre pour un changeur d’Anvers – une somme importante qui lui a permis d’acheter sa maison et sa taverne. L’aubergiste donne son accord au vieux peintre et Esther aussi, bien qu’à quinze ans, elle soit fort timide et peu sociable.

    Devant son modèle, le peintre se pose beaucoup de questions. Peut-il honorer Marie en faisant poser une jeune Juive non convertie ? Suffira-t-il de lui raconter l’Annonciation et de lui parler de l’enfant Jésus pour obtenir de son visage l’expression de douceur nécessaire à son sujet ? Le travail sera très lent, le peintre saura se montrer patient et réussira à apaiser la jeune fille, non sans mal, en optant pour un portrait de Vierge à l’enfant. Des émotions fortes naissent de ces séances de pose. Quel en sera le résultat ?

    La longue nouvelle de Zweig présente beaucoup de qualités : érudition pour reconstituer l’époque de la furie iconoclaste, complexité des caractères et des sentiments, avec cette part de surnaturel entre mysticisme et magie annoncée dans le titre. Les prodiges de la vie explore la tension intérieure de l’artiste dans la création, a fortiori dans l’art religieux.

  • L'aile bleue

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Dans cette œuvre, une femme mi-ange mi-démon incarne l’idéal féminin qui hante l’artiste. C’est une étrange muse, une âme navrée. Est-ce la prêtresse d’Hypnos, le dieu du Sommeil à qui Khnopff dédia un autel domestique dans sa propre maison et qui aimait à dire : « Le sommeil est ce qu’il y a de plus parfait dans notre existence » ? »

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture« Cette tête du dieu du Sommeil apparaît pour la première fois en 1891, dans l’œuvre intitulée I lock my door upon myself inspirée d’un poème de Christina Georgina Rossetti. Ce même thème est repris, également en 1900, dans Une recluse, œuvre destinée à la collection d’Adolphe Stoclet à Bruxelles. »

    Catalogue Fernand Khnopff (1858-1921), Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 2004

    Fernand Knopff, Une aile bleue, 1894, huile sur toile, 88,5 x 28,5, Collection privée

  • Khnopff et le mystère

    En 2004, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) ont présenté une très belle rétrospective Fernand Khnopff (1858-1921) à Bruxelles, avant Salzbourg puis Boston. Son catalogue au superbe détail sur la jaquette (ci-dessous, je vous en parlerai dans le prochain billet) a trouvé place près de celui de la première rétrospective que j’avais vue là en 1980 (après Paris, avant Hambourg), avec un détail de Des caresses en couverture.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture

    Un des fondateurs du groupe des XX, souvent considéré comme le plus fameux des peintres symbolistes belges, Fernand Khnopff nous a laissé des images ineffaçables de son monde intérieur, même quand il peint des paysages. Grand portraitiste, des femmes et des enfants surtout (ci-dessous un portrait de sa mère), il les montre avec une finesse remarquable et en même temps, enveloppe leur présence de mystère et de silence.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, Portrait de Madame Edmond Knopff, 1882,
    huile sur toile, 36,3 x 28, Musée d’art moderne et d’art contemporain, Liège

    Ensor a été choqué en découvrant une de ses premières œuvres, En écoutant du Schumann, selon lui un plagiat de sa Musique russe (cette toile remarquable où l’on voit Finch écouter une pianiste dans un salon). Frederik Leen, dans le catalogue de 2004, décrit bien cette peinture de Khnopff qui fut très discutée : « elle parle de musique qu’il invite à écouter. Cela demande de la part du spectateur une faculté d’empathie avec la femme assise dans le fauteuil qui se trouve, non sans raison, au centre de la toile mise en page de façon symétrique. […] Il mobilise le regard sur la main de la dame qui écoute – main posée sur le front et dont le pouce est orienté vers l’oreille […] pour pouvoir se perdre corps et âme dans la musique. L’autre main est celle du pianiste qui est hors champ. » (Fernand Khnopff et le symbolisme)

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, En écoutant du Schumann, 1883,
    huile sur toile, 101,5 x 116,5, MRBAB, Bruxelles

    Fernand Khnopff a l’art de structurer ses compositions, souvent énigmatiques, à travers des verticales et des horizontales. Il a conservé jusqu’à sa mort le célèbre et magnifique portrait de sa sœur en robe blanche devant une porte close, un chef-d’œuvre. C’est au spectateur de se poser des questions, de découvrir des correspondances ; le peintre n’explique rien, il montre. Sa vision mélancolique s’enracine dans ses souvenirs, sans proposer d’interprétation, mais « des formes que chacun peut lire ou vivre à sa façon » (F. Leen). Pas de signification cachée, pas de message – un support pour l’imaginaire.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, Portrait de Marguerite Khnopff, 1887,
    huile sur toile marouflée sur bois, 96 x 74,5,
    Fondation Roi Baudouin, prêt aux MRBAB, Bruxelles

    Avant ses célèbres vues de Bruges, où il avait vécu enfant, jusqu’au déménagement à Bruxelles en 1866, il a peint beaucoup de paysages de Fosset, un hameau de l’Ardenne belge où sa famille passait l’été dans sa maison de campagne. Le ciel y est souvent coupé, les personnages rares ou réduits à des silhouettes. Les paysages symbolistes de Khnopff sont méconnus ; Verhaeren espérait que le peintre ne les abandonnerait jamais. Ils représentent la nature « transformée en état d’âme ayant une signification symbolique » (Michel Draguet) : facture « cotonneuse », lumière indéfinie, contours vagues, « palette de couleurs restreintes d’ocres et de couleurs de terre, de verts, de gris et de blancs extrêmement raffinées » qui créent « une atmosphère d’intériorité retenue » (Dominique Marechal, Fernand Khnopff : de Bruges à Fosset)

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Khnopff, A Fosset, Un soir, 1886,
    huile sur toile, 40 x 58, Hearn Family Trust

    Un Hortensia, peint à l’âge de 26 ans, sans doute à Fosset, illustre déjà son art du cadrage très moderne. De la plante dont le haut est coupé, posée sur une nappe blanche aux rosaces bleues, le regard passe à la lectrice élégante à l’arrière. Le peintre a posé une fleur rouge sur la table devant elle. Sa mère ? Sa sœur ? Mystère. Atmosphère feutrée, silence, bonheur de vivre, indique la notice du catalogue près de cette composition audacieuse.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Khnopff, Un Hortensia, 1884,
    huile sur toile, 46,5 x 57,8, Collection privée, Bruxelles

    En plus de la peinture à l’huile, Knopff a merveilleusement utilisé le pastel et les crayons de couleur, voire la craie. Influencé entre autres par les Préraphaélites, Burne-Jones et Rossetti, il a peint de nombreuses têtes de femmes aux cheveux roux et vaporeux, prêtresses d’un culte secret. En rehaussant parfois leur regard de bleu, sa couleur préférée, il donne à leurs yeux l’éclat de pierres précieuses.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Khnopff, Portrait de femme, vers 1899,
    sanguine et crayons de couleur sur papier, 23 x 13,7, Collection privée

    Quand il peint sept femmes sur un court de tennis – Memories (Lawn Tennis) – aucune de ces « monades » ne regarde dans la même direction. On a retrouvé six photographies de sa sœur dans des poses correspondantes, seule la première à gauche, sans chapeau, est une autre femme, même si elle porte la robe blanche du portrait de Marguerite. Photographe, Khnopff a souvent utilisé la photographie dans sa création. Il fut aussi sculpteur et graveur.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, Memories (Lawn Tennis), 1889,
    pastel sur papier marouflé sur toile, 127 x 200, MRBAB, Bruxelles

    Quel bonheur de revoir les portraits illustrés dans ce catalogue de 2004, celui du jeune Jules Philipsson droit comme un i, de ces fillettes à l’air sérieux – Jeanne de Bauer, Mlle Van der Hecht, Jeanne Kéfer… La grande bourgeoisie et l’aristocratie raffolaient de ces portraits d’enfants bien habillés, dans un décor soigné, l’air sérieux et concentré. Celui des enfants de Louis Nève qui s’échelonnent sur l’escalier est une merveille de composition en blanc, rouge et noir où seule la petite fille, en robe bleue, rêve un peu à l’écart, la tête penchée sur la rampe.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, Portrait des enfants de Louis Nève, 1893,
    huile sur panneau, 49,5 x 40, Collection privée

    Il peint le Portrait de Marie Monnom, deux ans avant qu’elle n’épouse Van Rysselberghe, ami intime de Khnopff. De biais, le visage inexpressif, plongée dans ses pensées, elle est assise dans un fauteuil devant un mur où luit un cercle doré, le même que celui du Portrait de Marguerite Khnopff. La forme circulaire, qui renvoie à la perfection et à l’infini, symbolise aussi l’intimité (le « cercle fermé »). Fernand Khnopff fut également illustrateur. Il a créé le logo des XX, réalisé l’affiche de leur huitième exposition, composé des ex-libris.

    khnopff,catalogue,mrbab,2004,rétrospective,bruxelles,peinture,symbolisme,portrait,paysage,bruges,fosset,les xx,culture
    Fernand Knopff, I lock my door upon myself, 1891,
    huile sur toile, 72 x 140, Neue Pinakothek, Munich

    Je ne peux terminer ce billet sans vous montrer l’œuvre pour moi la plus fascinante de cet artiste, I lock my door upon myself, dont l’analyse prend plusieurs pages dans le catalogue de cette rétrospective. Son titre est un vers de la poétesse Christina G. Rossetti, sœur du peintre préraphaélite, tiré de Who shall deliver me ?

  • Théo Van Rysselberghe

    D’Anna Boch à Théo Van Rysselberghe, la transition est facile – on n’oublie pas le magnifique portrait qu’il a fait d’elle, où il tente non seulement de la peindre au travail mais de « pénétrer dans la nature même du processus créateur » en la montrant en train de réfléchir à sa toile (hors du tableau), comme l’écrit Jane Block dans le catalogue de la belle rétrospective Théo Van Rysselberghe au musée des Beaux-Arts de Gand en 1993.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    En couverture : Portrait d'Irma Sèthe, 1894, musée du Petit Palais, Genève

    Robert Hoozee, dans l’introduction, donne raison à Verhaeren qui considère, après la mort de Seurat, que Théo Van Rysselberghe est « le néo-impressionniste le plus complet ». Même si le peintre belge aux multiples facettes peint de nombreux paysages et marines, « son œuvre se centre surtout sur le problème que pose la capture de la forme de l’être humain sur la toile » (Jane Block, comme pour les citations qui suivent).

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Armand Heins peignant, 1881, Musée des Beaux-Arts, Gand

    Il a fait le portrait de parents, d’amis, de collègues, d’une série « de personnages qui se trouvent au cœur de sa vie créatrice et de celle de la capitale artistique qu’était Bruxelles au cours des dernières années du dix-neuvième siècle ». Né à Gand en 1862, Van Rysselberghe y avait reçu une formation académique dans la tradition du portrait des grands artistes flamands (Van Eyck, Rubens, Van Dyck) et la bourgeoisie en était friande, malgré l’invention de la photographie.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Dario de Regoyos jouant de la guitare, 1882, MRBAB, Bruxelles

    Deux ans après s’être installé à Bruxelles, il peint en 1882 son nouvel ami et camarade d’étude, Dario de Regoyos jouant de la guitare, dans des tons bruns et noirs. Des voyages en Espagne et au Maroc vont l’inciter à mettre davantage de lumière dans ses œuvres. A Haarlem, il admire les « subtiles gradations de noir, de blanc et de gris » dans les portraits peints par Frans Hals. A partir de la deuxième exposition des XX, en 1885, il montre de plus en plus de portraits.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Portrait d'Octave Maus, 1885, MRBAB, Bruxelles

    Celui, très élégant, de son ami Octave Maus, 39 ans, « absorbé dans ses pensées, mais confiant et détendu, en tenue de soirée, contemplant son piano », comporte une applique qui, selon Jane Block, « évoque plaisamment le papillon que Whistler avait adopté sous forme de monogramme ». Invité à la première exposition des XX, Whistler a fort influencé certains membres du groupe. Van Rysselberghe signera le plus souvent TVR ou VR.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Portrait de Marguerite van Mons, 1886, Musée des Beaux-Arts, Gand

    Mais la rencontre avec les œuvres de Seurat à Paris, en 1886, va provoquer un changement décisif dans le style de Van Rysselberghe. Admirant Un dimanche après-midi à la Grande Jatte, Octave Maus considère Seurat comme le « messie d’un art nouveau ». Ses peintures « furent une révélation pour la plupart des vingtistes » : Willy Finch, Jan Toorop, Anna Boch, Henry Van de Velde« Théo Van Rysselberghe devint le plus prolifique des peintres de portraits pointillistes ». Le premier, celui d’Alice Sèthe, 19 ans, fait l’unanimité, même si certains critiques se moquent de la « peste parisienne qui menaçait de subvertir les véritables personnalités » de ces peintres.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Portrait d'Alice Sèthe, 1888,
    Musée Maurice Denis, Saint-Germain-en-Laye

    Van Rysselberghe situe le plus souvent ses modèles dans un cadre qui exprime leurs intérêts culturels, comme dans le portrait de Maria Sèthe à l’harmonium, assise au clavier (elle deviendra l’épouse de Van de Velde). Mais il peint Auguste Descamps, le frère de sa belle-mère, « figure familière mais respectée de la famille », sur un fond imprécis. Les portraits constituent la participation majeure du peintre belge aux expositions des XX puis de La Libre Esthétique qui leur succède.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, La famille dans le verger, 1890, Rijksmuseum Kröller-Müller, Otterlo

    Quand il peint des groupes, comme dans La Promenade, il s’attache à rendre le mouvement des femmes marchant contre le vent sur la plage, l’atmosphère ensoleillée du bord de mer. Le thé au jardin montre trois femmes en chapeaux, chacune à leur occupation : cousant, remuant le thé dans la tasse, lisant. Quelle douceur de retrouver cette œuvre dans le catalogue aussi en carte double, avec des mots de maman qui me l’avait envoyée.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, Le thé au jardin, vers 1904, Musée d'Ixelles, Bruxelles

    Van Rysselberghe nous a laissé de magnifiques portraits de femmes et d’hommes et une œuvre unique dans la peinture belge, chère aux amoureux de la littérature : La lecture d’Emile Verhaeren (ami qu’il a souvent dessiné ou peint par ailleurs). Les paysages et marines de Théo Van Rysselberghe occupaient aussi une belle place à l’exposition gantoise et j’ai du plaisir à revoir des vues marocaines, Voiliers sur l’Escaut, La Pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez, entre autres. A Saint-Clair, près du Lavandou, où il a vécu de 1910 jusqu’à sa mort en 1926, il a peint nombre de paysages, de baigneuses et des portraits.

    van rysselberghe,peinture,art,portrait,ornementation du livre,néo-impressionnisme,peintre belge,paysages,marines,culture
    Théo Van Rysselberghe, La Pointe de Saint-Pierre à Saint-Tropez, Var, 1896,
    Musée national d'Histoire et d'art du Grand-Duché de Luxembourg

    J’avais un peu oublié la participation du peintre à l’ornementation du livre, dans la continuité de William Morris et du mouvement Arts and Crafts. Pour l’éditeur Deman, il dessine des frontispices, titres, fleurons, couvertures, culs-de-lampe, couvertures même. Ses calligraphies sont sobres, équilibrées, classiques jusque dans ses motifs « art nouveau ». En tant qu’ornemaniste, écrivent Adrienne et Luc Fontainas, Van Rysselberghe « a réussi à se former un style personnel, dans la joie toujours renouvelée de créer. »