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geneviève asse

  • Ouverture

    Asse Lignes et rouge 2010.jpg« Est-ce le bleu qui fit naître dans vos tableaux cette ligne qui les partage ?
    Je ne pense pas. J’ai dit que les lignes qui traversent ma peinture ne sont pas d’aujourd’hui. Auparavant, elles délimitaient la fenêtre ou les portes : elles étaient l’ouverture. Maintenant, la ligne est l’ouverture d’une couleur. En fait, je prolonge cette ligne, que l’on retrouve dans mes gravures, dans mes dessins. C’est comme le trait d’un silex qui fractionne la lumière. Il peut être tracé avec un autre instrument. Dans le travail, le peintre saisit ce qu’il trouve autour de lui : un pinceau, un couteau, un crayon noir ou de couleur. J’ai besoin quelquefois d’un fil, ligne de couleur, fil à plomb : d’un trait rouge qui apporte sa chaleur. Le rouge m’attire, mais je ne l’emploie que très peu pour le moment. »

    Silvia Baron Supervielle, Un été avec Geneviève Asse

    Geneviève Asse, Lignes et rouge, 2010, print, lithography
    © Photo: Jean-Louis Losi, © ADAGP, Paris, Banque d’Images de l’ADAGP

    Rappel de l’exposition en cours à la Wittockiana :
    « Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre »
    jusqu’au 30 janvier 2022.

     

  • Un été avec G. Asse

    Sur l’Ile aux Moines où Geneviève Asse (1923-2021) avait sa maison, Silvia Baron Supervielle l’a interrogée en 1995 sur sa vie, son œuvre : Un été avec Geneviève Asse, paru à L’Echoppe l’année suivante, est disponible à la Wittockiana où se poursuit l’exposition « Geneviève Asse, une fenêtre sur le livre ». Vous rappelez-vous le temps où l’on s’armait d’un coupe-papier avant de lire ? J’ai retrouvé en lisant cet entretien les plaisirs de l’édition à l’ancienne, qui donne à caresser les pages et la tranche du livre aux douces aspérités.

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    Vue extérieure de la maison de l’artiste Geneviève Asse, 17 mai 2011 en Bretagne, France.
    Photo © Catherine Panchout/Sygma via Getty Images

    Les questions posées à la peintre amie, échelonnées sur quelques semaines, permettent à Geneviève Asse de remonter le temps et de raconter, en même temps que ce qu’elle a vécu, ce qui a guidé son art. Avant de l’acquérir, elle connaissait cette maison pour y être venue avec sa grand-mère qui les a élevés, son frère jumeau et elle. « C’était revenir à cette lumière qui m’a entourée et qui a nourri mon travail. »

    Enfants, ils étaient très seuls. Leur mère divorcée partie travailler à Paris, ils vivaient avec leur grand-mère normande que Geneviève Asse admirait, une humaniste aux idées très avancées, bonne et intelligente, féministe, qui les a élevés « dans une liberté complète ». Dans la presqu’île de Rhuys, ils allaient « à travers champs jusqu’à la mer, dans sa lumière », lisaient dans la bibliothèque du Bonnervo où régnait « une grande ouverture d’esprit ». 

    « Son indépendance vous donna l’occasion de découvrir les choses par vous-même, dans la solitude…
    Ce fut ainsi toute ma vie. C’est dans la solitude et avec une nourriture que j’accumulais au fond de moi, que se forgea, si je puis dire, mon désir de peindre. »

    Geneviève Asse n’a pas connu son père, épousé par sa mère après la guerre 14-17, un mariage arrangé et raté. Vu son peu de ressources, sa mère divorcée avait trouvé un emploi dans une maison d’édition à Paris, dont elle épousera plus tard le propriétaire. C’est à l’âge de dix ans que ses enfants la rejoignent dans la capitale, découvrent les musées, les expositions. Trop rêveuse, Geneviève Asse n’est pas très bonne à l’école privée. Leur vie matérielle est assez difficile, il faut « faire attention », elle le cache par fierté.

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    Geneviève Asse dans son atelier, 8 juin 2013 Photo © Hubert Fanthomme, Paris Match via Getty Images

    « J’ai toujours pensé qu’il me fallait être heureuse avec le monde que j’avais en moi. » Pas particulièrement douée pour le dessin, l’artiste dit avoir été peintre, « intérieurement, depuis toujours ». Rien d’autre ne l’a jamais attirée : « Peindre, c’est comme boire, dormir ou manger. » Au Louvre, elle admire les natures mortes de Chardin, leur composition, la sobriété des couleurs. « J’aimais la peinture construite d’espace et de silence. »

    Entrée à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs dans Paris occupé, en 1940, elle se fait membre de l’UNEF qui essaie d’agir contre l’occupant. Elle expose ses premiers tableaux au Salon des moins de trente ans, des paysages et des natures mortes. Elle fréquente l’atelier de l’Echelle, mais reste en marge. Encouragée par Othon Friesz, elle rencontre le collectionneur Jean Bauret chez qui elle fait connaissance avec des écrivains, des musiciens, des peintres. Parmi ses préférés, Braque et Matisse – « sa peinture ne faisait qu’un avec le trait ».

    Elle s’engage dans les F.F.I. et fait un stage à la Croix-Rouge pour devenir « conductrice-ambulancière ». Une vingtaine de pages d’Un été avec Geneviève Asse sont consacrées à cette « sorte d’aventure » qui l’a beaucoup marquée : désir d’agir pour ceux qui souffrent, camaraderie avec des jeunes femmes de cultures diverses réunies par la fraternité sous l’uniforme, douleurs et dangers de la guerre, jusqu’en Allemagne et puis au camp de Terezin en Tchécoslovaquie, où Desnos vient de mourir.

    Au retour, fin 45, Geneviève Asse vit pauvrement, présente des projets pour des tissus de haute couture, pour des vitrines. Elle peint des petits formats, en vend parfois. « Je peignais des choses silencieuses. » Elle cherche la sobriété, la lumière. En 1961, elle se rend dans l’atelier de Morandi, centré lui aussi sur les objets. Peu à peu, elle s’éloigne de la forme, s’intéresse davantage aux couleurs – blancs, bleu clair, notes de vert ou de rouge passé – et quitte la figuration.

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    © Geneviève Asse, Ligne blanche intérieure
    © Coll. Centre Pompidou / Christian Bahier , Philippe Migeat / Dist. Rmn-GP

    Pierre Lecuire lui fait découvrir la gravure, le beau livre. Elle aime la pointe sèche et l’aquatinte. Peinture, dessin et gravure sont « un tout qui avance ensemble ». Sur ses rencontres avec des poètes, Geneviève Asse a cette belle parole : « J’aime aimer complètement. » Elle est rapide pour graver : « On peut écrire en peignant aussi. » La suite de l’entretien éclaire sa démarche d’artiste souvent instinctive, et comment ce « bleu Asse » lui est venu petit à petit. « La peinture est mystérieuse, inexplicable. Il y a le geste, et un combat entre les couleurs et la toile. »

  • Lignes

    geneviève asse,une fenêtre sur le livre,exposition,wittockiana,bruxelles,beaux livres,illustration,lignes,couleurs,bleu,gravure,peinture,livres,carnets,culture« Aux lignes gravées à la pointe sèche et aux burins répondent les lignes des cuvettes, traces des plaques de cuivre sur les feuilles imprimées. Geneviève Asse en parle comme des fenêtres : « [elles] tiennent lieu de lignes, de fils de lumière, de stèles transparentes avec lesquels je construis dans l’espace. Les cuvettes comptent autant que les traits que j’inscris, elles suscitent une profondeur, une distance, une sensation de relief. » (BNF, p. 20) »

    Géraldine David & Perrine Estienne, Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre, Editions Esperluète – Wittockiana, 2021.

    Geneviève Asse © René Tanguy

  • De Geneviève Asse

    Geneviève Asse (1923-2021), « artiste majeure de son temps » (Yves Peyré), a quitté ce monde peu de temps avant que s’ouvre l’exposition qui lui est consacrée depuis la mi-septembre à la Wittockiana (musée du livre et de la reliure) : Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre. J’étais curieuse de découvrir de plus près l’univers de cette artiste d’origine bretonne, inhumée sur l’Ile-aux-Moines où elle avait une maison et un grand atelier.

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    Vue partielle de l'exposition

    Dès l’entrée, j’ai ressenti une grande paix à côtoyer l’œuvre de cette peintre fameuse également créatrice de livres et passionnée pour le dessin et la gravure. C’est avec le poète et éditeur Pierre Lecuire (1922-2013), qui concevait le livre comme une œuvre d’art et a collaboré pour plusieurs ouvrages avec Nicolas de Staël, qu’elle a réalisé son premier livre illustré : L’Air (1964). Geneviève Asse les avait rencontrés tous deux en 1953 chez Jean Bauret, « fabricant de textiles et collectionneur de tableaux » (Guide du visiteur, source des citations).

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    Son livre suivant rendra hommage à Giorgio Morandi. Au-dessus d’une table où sont exposés des carnets (prêts de Silvia Baron Supervielle), deux petites huiles des années ’70, Composition et Fenêtre (par courtoisie de la Galerie Laurentin), témoignent de son exploration du bleu et du trait pour animer l’espace du papier, de son option pour la clarté, la simplicité, l’aérien… Morandi, Chardin, Cézanne, Braque, découverts lors de ses visites au Louvre et dans les livres, sont de véritables sources d’inspiration pour Geneviève Asse. Chez Chardin, elle admire la sobriété, la transparence, la conception de l’espace.

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    © Geneviève Asse, Sans titre, 1968.
    Huile sur toile, 14,4 x 22 cm. Courtesy Galerie Laurentin

    Les natures mortes l’attirent, les objets, leur solitude. Elle en peint au début, avant de se consacrer uniquement aux lignes et aux couleurs – pionnière de l’abstraction. Lumineuse, une petite huile sur toile de 1968 (Sans titre) donne une incroyable sensation d’espace à travers de subtiles nuances de blanc, de bleu, de gris. On voit dans ses carnets des essais de matière, de couleurs, des esquisses au crayon. C’est le travail sur le blanc et l’ocre qui a mené l’artiste vers le bleu, et parfois le rouge. Ces carnets de peintre sont traités comme de petits livres à part entière, elle peint aussi leur couverture, leur tranche.

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    Geneviève Asse, carnet de dessin à spirale, non paginé [12 p.], 1980, 22 x 14 cm

    Tous les livres exposés sont de précieuses éditions originales. Des pointes sèches, des aquatintes de Geneviève Asse accompagnent des textes de Francis Ponge (frontispice de Première et seconde méditations nocturnes, 1987), de Charles Juliet (Une lointaine lueur, 1977), d’Yves Bonnefoy (Début et fin de la neige, 1964)… « Tout le livre vous parle : son épaisseur, son papier, sa couverture, ses gravures et son texte aussi », dit Monique Mathieu, grande relieuse française, prix Rose Adler en 1961, que l’artiste admirait beaucoup et qui devint une amie, « malgré la nature solitaire de Geneviève Asse ». Toute une table est consacrée au grand livre Haeres signé par le poète André Frénaud, mari de Monique Mathieu, et par Geneviève Asse.

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    André Frénaud, Geneviève Asse, Haeres, Paris, Editions de l'Ermitage, 1977

    Lorsque Silvia Baron Supervielle, avec qui elle a signé Les Fenêtres en 1976,  décide de traduire le recueil de poésie de Borges, Les Conjurés, Gallimard a déjà confié la traduction à Claude Esteban, mais propose de publier la sienne sous forme de livre illustré. La femme de Borges suggère de faire appel à Geneviève Asse. Dès sa lecture, celle-ci déclare que le livre sera rouge, en accord avec « le rythme, le titre, les formes des poèmes ». Un rouge vibrant, celui choisi par Picasso pour Le Chant des morts de Reverdy. Le livre paraît à Genève en 1990.

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    Jorge Luis Borges, Geneviève Asse, Les Conjurés 3 Photo © Lou Verschueren 

    Pour Asse, « la peinture, le dessin, la gravure forment un tout qui avance ensemble. La gravure penche du côté de l’écriture […] ». Si Geneviève Asse aime les poètes, elle a confié que de tous les écrivains qu’elle avait vus, c’est Samuel Beckett qui [l’] a le plus retenue (dans un documentaire de Florence Camarroque, Geneviève Asse. Entre ciel et mer). La femme de l’écrivain s’approvisionnait dans une boutique tenue par la mère de l’artiste boulevard Blanqui, ce qui facilita un premier contact. Beckett lui confiera un texte court, Abandonné, pour lequel Asse a créé douze petites gravures à la pointe sèche.

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    Samuel Beckett, Geneviève Asse, Abandonné, Paris, 1971 Photo © Lou Verschueren 

    « Bon qu’à ça », avait répondu Beckett à une enquête de Libération (Pourquoi écrivez-vous ?, 1985). Geneviève Asse reprend cette réponse à son compte au micro de Laure Adler (France culture, 2010) où on peut l’écouter parler de son travail – « J’essaye d’y mettre ma lumière » – et un peu d’elle-même : « Je suis une silencieuse. » Entre le ciel et la mer, qu’y a-t-il ? L’horizon. Une ligne.

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    Geneviève Asse, Carnet de peintre. Le bleu Asse Photo © Lou Verschueren 

    En fin de parcours, dans une salle voisine, on peut admirer de magnifiques reliures sur des livres édités par Pierre Lecuire, du Fonds Michel Wittock (Fondation Roi Baudouin). On aimerait toucher, feuilleter ces beaux ouvrages, comme le font ces mains sur plusieurs vidéos de Simon Malotaux projetées à l’exposition, ouvrant l’un ou l’autre livre ou carnet. A la Bibliotheca Wittockiana, Geneviève Asse – Une fenêtre sur le livre offre une approche très intéressante d’une grande artiste. A découvrir jusqu’au 30 janvier 2022.