Sur l’Ile aux Moines où Geneviève Asse (1923-2021) avait sa maison, Silvia Baron Supervielle l’a interrogée en 1995 sur sa vie, son œuvre : Un été avec Geneviève Asse, paru à L’Echoppe l’année suivante, est disponible à la Wittockiana où se poursuit l’exposition « Geneviève Asse, une fenêtre sur le livre ». Vous rappelez-vous le temps où l’on s’armait d’un coupe-papier avant de lire ? J’ai retrouvé en lisant cet entretien les plaisirs de l’édition à l’ancienne, qui donne à caresser les pages et la tranche du livre aux douces aspérités.
Vue extérieure de la maison de l’artiste Geneviève Asse, 17 mai 2011 en Bretagne, France.
Photo © Catherine Panchout/Sygma via Getty Images
Les questions posées à la peintre amie, échelonnées sur quelques semaines, permettent à Geneviève Asse de remonter le temps et de raconter, en même temps que ce qu’elle a vécu, ce qui a guidé son art. Avant de l’acquérir, elle connaissait cette maison pour y être venue avec sa grand-mère qui les a élevés, son frère jumeau et elle. « C’était revenir à cette lumière qui m’a entourée et qui a nourri mon travail. »
Enfants, ils étaient très seuls. Leur mère divorcée partie travailler à Paris, ils vivaient avec leur grand-mère normande que Geneviève Asse admirait, une humaniste aux idées très avancées, bonne et intelligente, féministe, qui les a élevés « dans une liberté complète ». Dans la presqu’île de Rhuys, ils allaient « à travers champs jusqu’à la mer, dans sa lumière », lisaient dans la bibliothèque du Bonnervo où régnait « une grande ouverture d’esprit ».
« Son indépendance vous donna l’occasion de découvrir les choses par vous-même, dans la solitude…
– Ce fut ainsi toute ma vie. C’est dans la solitude et avec une nourriture que j’accumulais au fond de moi, que se forgea, si je puis dire, mon désir de peindre. »
Geneviève Asse n’a pas connu son père, épousé par sa mère après la guerre 14-17, un mariage arrangé et raté. Vu son peu de ressources, sa mère divorcée avait trouvé un emploi dans une maison d’édition à Paris, dont elle épousera plus tard le propriétaire. C’est à l’âge de dix ans que ses enfants la rejoignent dans la capitale, découvrent les musées, les expositions. Trop rêveuse, Geneviève Asse n’est pas très bonne à l’école privée. Leur vie matérielle est assez difficile, il faut « faire attention », elle le cache par fierté.
Geneviève Asse dans son atelier, 8 juin 2013 Photo © Hubert Fanthomme, Paris Match via Getty Images
« J’ai toujours pensé qu’il me fallait être heureuse avec le monde que j’avais en moi. » Pas particulièrement douée pour le dessin, l’artiste dit avoir été peintre, « intérieurement, depuis toujours ». Rien d’autre ne l’a jamais attirée : « Peindre, c’est comme boire, dormir ou manger. » Au Louvre, elle admire les natures mortes de Chardin, leur composition, la sobriété des couleurs. « J’aimais la peinture construite d’espace et de silence. »
Entrée à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs dans Paris occupé, en 1940, elle se fait membre de l’UNEF qui essaie d’agir contre l’occupant. Elle expose ses premiers tableaux au Salon des moins de trente ans, des paysages et des natures mortes. Elle fréquente l’atelier de l’Echelle, mais reste en marge. Encouragée par Othon Friesz, elle rencontre le collectionneur Jean Bauret chez qui elle fait connaissance avec des écrivains, des musiciens, des peintres. Parmi ses préférés, Braque et Matisse – « sa peinture ne faisait qu’un avec le trait ».
Elle s’engage dans les F.F.I. et fait un stage à la Croix-Rouge pour devenir « conductrice-ambulancière ». Une vingtaine de pages d’Un été avec Geneviève Asse sont consacrées à cette « sorte d’aventure » qui l’a beaucoup marquée : désir d’agir pour ceux qui souffrent, camaraderie avec des jeunes femmes de cultures diverses réunies par la fraternité sous l’uniforme, douleurs et dangers de la guerre, jusqu’en Allemagne et puis au camp de Terezin en Tchécoslovaquie, où Desnos vient de mourir.
Au retour, fin 45, Geneviève Asse vit pauvrement, présente des projets pour des tissus de haute couture, pour des vitrines. Elle peint des petits formats, en vend parfois. « Je peignais des choses silencieuses. » Elle cherche la sobriété, la lumière. En 1961, elle se rend dans l’atelier de Morandi, centré lui aussi sur les objets. Peu à peu, elle s’éloigne de la forme, s’intéresse davantage aux couleurs – blancs, bleu clair, notes de vert ou de rouge passé – et quitte la figuration.
© Geneviève Asse, Ligne blanche intérieure
© Coll. Centre Pompidou / Christian Bahier , Philippe Migeat / Dist. Rmn-GP
Pierre Lecuire lui fait découvrir la gravure, le beau livre. Elle aime la pointe sèche et l’aquatinte. Peinture, dessin et gravure sont « un tout qui avance ensemble ». Sur ses rencontres avec des poètes, Geneviève Asse a cette belle parole : « J’aime aimer complètement. » Elle est rapide pour graver : « On peut écrire en peignant aussi. » La suite de l’entretien éclaire sa démarche d’artiste souvent instinctive, et comment ce « bleu Asse » lui est venu petit à petit. « La peinture est mystérieuse, inexplicable. Il y a le geste, et un combat entre les couleurs et la toile. »
Commentaires
Être élevé(e) dans une liberté complète par des gens aimants laisse de belles traces, c'est une vraie école de vie, en naissent des actions et des créations de haute valeur il me semble. Merci Tania pour ce beau billet, le bleu Asse m'accompagnera aujourd'hui. Bises ensoleillées. brigitte
Liberté et solitude, la chance d'avoir un frère jumeau, j'imagine, et une vie intérieure intense.
Ton résumé de ce livre est passionnant, elle a eu une vie très riche. Son enfance en toute liberté chez sa grand mère fait rêver.
Ci-dessous, Colo remarque à juste titre que cette grand-mère admirée consacrait plus de temps à ses propres activités qu'à ses petits-enfants, une éducation hors du moule.
une enfance rêvée en effet qui me rend très envieuse
"En fin de compte, on transporte toujours son univers, ses images, ce que l'on a pris dès le plus jeune âge." (G. Asse)
J'ai pris le mème plaisir que toi à couper ce petit livre qui m'a enchantée. Découverte d'une vie, explication de l’évolution de sa peinture vers ces horizontales bleues.
Liberté totale pendant l'enfance oui mais aussi cette grand-mère qui était "affectueuse à distance: elle s'occupait de ses choses, travaillait pour elle, son esprit était ailleurs. Elle était patiente avec les autres, mais elle manquait de patience avec nous. "
J'ai été très émue par ces 20 pages sur son époque à la Croix Rouge, des scènes terribles et cette solidarité sans failles avec des femmes de partout.
Je pourrais continuer bien sûr, toi aussi, je recommande vraiment cette lecture même si on ne connaît pas ou pas bien la peintre !
Merci encore.
Heureuse que ce livre t'ait plu aussi, Colo. Les pages sur son engagement pendant la guerre m'ont fort impressionnée. Tu as raison de souligner qu'il ne faut pas forcément connaître l'artiste : son parcours de vie compte autant ici que son œuvre.
J’ai toujours pensé qu’il me fallait être heureuse avec le monde que j’avais en moi. »
J'aime beaucoup ce sentiment.
Tania, tu m'as présenté un autre artiste que je ne connaissais pas. Le Museum of Modern Art de New York possède trois de ses tableaux.
Merci de reprendre cette phrase clé, Jane, et ravie de te faire mieux connaître cette femme & peintre.
Merci pour ce merveilleux billet. C'est ce silence dans sa peinture qui m'émeut tellement. Je vais voir comment me procurer ce livre en allant sur le site de la bibliothèque Wittockiana...
Si tu as des difficultés à te le procurer, fais-moi signe, Marie, je peux aller te chercher un exemplaire et te l'envoyer.
J'ai un coupe papier ici, je suis prête!
Quand je pense que j'ai dû passer cet été pas loin de sa maison, je signale que l'ile est magnifique et permet de belles balades.
Ce n'est pas un lieu que l'on visite, je suppose, mais tu as l'avantage de connaître la région qui l'a tant inspirée !
Merci Tania pour cet article si riche !
Tu nous permets de découvrir cette artiste et tu nous offres d'en savoir plus grâce au livre paru.
Ta dernière phrase "il y a le geste et un combat entre les couleurs et la toile " me fait penser à la démarche artistique de Fabienne Verdier. Belle semaine !
La citation de Geneviève Asse pourrait être la devise des peintres. Merci, Claudie.
« J’ai toujours pensé qu’il me fallait être heureuse avec le monde que j’avais en moi. »
Quelle belle phrase clé, pleine de sagesse!
Une phrase que j'aime beaucoup - la sagesse, oui.
"Je peignais des choses silencieuses"; cela ne m'étonne pas pas qu'elle ait travaillé sur Chardin. C'est cela.
Un article empli de beauté, un article qui fait du bien. Comme cette peinture douce et tissée de bleu du ciel, de la mer, de silences..;
Voilà pourquoi je préfère "vie silencieuse, tranquille" (stilleven, still life) à "nature morte". Bonne après-midi, Anne.