Légende d’un dormeur éveillé est un roman, non une biographie de Robert Desnos (1900-1945), même si Gaëlle Nohant y évoque la vie du poète, de l’homme, à partir de son retour de Cuba (1928) jusqu’à la fin – ses dernières années racontées par Youki, sa « Sirène ». Six cents pages dédiées à Desnos pour « lui rendre un peu de tout ce qu’il [lui] avait donné » et à Jacques Fraenkel, « le petit garçon à qui Robert Desnos racontait des histoires ».
https://www.robertdesnos.com/galerie-photo-desnos
En retrouvant Paris, le quartier des Halles où il a grandi, Robert se mêle à « ceux qui vivent à contretemps », pour qui « la vie ne saurait se limiter au jour ». Il présente à tous Alejo Carpentier, l’écrivain et musicologue cubain avec qui il s’est lié d’amitié et qu’il a caché dans sa cabine au retour. Il lui a parlé de la chanteuse Yvonne George, « une étoile de mer », dont il est fou amoureux.
On retrouve l’ambiance décrite par Dan Franck dans Bohèmes. Très vite, des noms d’artistes et d’écrivains qui se côtoient à Montparnasse : Miró, Masson, Aragon, Artaud… Dans La Liberté ou l’amour ! (1927), Desnos a inventé Louise Lame, « femme libre, sensuelle et cruelle », une héroïne que seule Yvonne « puisse approcher », « Yvonne aux yeux violets, à la voix déchirante ». Pour le poète, « on ne devrait pas avoir à choisir entre la liberté et l’amour ».
© Ernest Pignon-Ernest, Louise Lame (Desnos), Paris, 2013
Gaëlle Nohant commence son récit avec l’apparition dans sa vie d’une autre femme, Youki, déjà presque aussi célèbre que Kiki de Montparnasse, la muse de Man Ray. Youki est la compagne de Foujita, « le peintre japonais le plus réputé de Paris », qui coud lui-même ses déguisements « aussi beaux qu’inattendus ». Elle a entendu parler des surréalistes et du « fameux » Desnos ; elle a lu son roman et même les passages censurés, elle a aimé son héroïne. Youki trouve que Robert a « des yeux d’huître ». Ils se testent.
Yvonne George habite Neuilly, si calme par rapport au quartier de Desnos. Dans son appartement luxueux, « il ne restera bientôt plus rien de cette reine de la scène qui tient Paris dans le pouvoir de sa voix. La tuberculose et l’opium se disputent les reliefs de sa beauté. » Cocteau voudrait qu’elle parte en cure avant de donner des concerts à l’Olympia, elle se demande si elle en aura la force. Robert l’assure de son soutien, la rassure, quémande : « j’aurais tout donné pour que tu m’aimes ».
Avec les surréalistes, Desnos a participé aux séances de sommeil hypnotique, rêvé de « Rrose Sélavy », l’héroïne de Duchamp. Mais André Breton, devenu autoritaire, exclut les uns, rappelle les autres à l’ordre. Il reproche à Robert Desnos de gagner sa vie comme journaliste dans la « presse bourgeoise ». Celui-ci supporte de moins en moins son attitude. Il travaillera et écrira aussi pour le cinéma, sera chroniqueur musical et montera la Complainte de Fantômas à Radio-Paris.
Un jour où ils se croisent au bar de La Coupole, Desnos est « ensorcelé » par Youki – « A partir de maintenant, elle est unique et inoubliable ». On dit qu’elle est « joyeuse, fêtarde, aimant les hommes et l’amour », peu lui importe. Depuis quatre ans, son « amour fou » pour Yvonne est « sans issue ». Quand Youki l’invite au square Montsouris, où les Foujita habitent une maison avec jardin, Robert fait un effort d’élégance pour cette « enfant gâtée qui sautille d’un pas dansant sur ses escarpins neufs ». C’est « Foufou » qui a baptisé Lucie Youki, « Neige rose ». Ils s’entendent si bien que Foujita la confiera à Desnos quand il quittera Paris avec un modèle, en 1931. Robert et Youki emménageront ensemble rue Mazarine.
Gaëlle Nohant insère des citations de Desnos tout au long de leur histoire, de leur amour tumultueux – un axe essentiel du roman. Elle ressuscite toute une époque autour du poète en rupture avec les surréalistes, farouchement indépendant ; elle montre son caractère entier, audacieux, bagarreur. Fidèle à ses amis, dont Jean-Louis Barrault, Prévert, sensible à toutes les beautés, il peut aussi se mettre en colère contre le mensonge, l’hypocrisie. L’extrême-droite est sa bête noire.
On le suivra dans les combats du Front populaire, dans ses rencontres avec Pablo Neruda, Federico Garcia Lorca. Encouragé par eux, il « s’oblige désormais à écrire un poème chaque jour. » Plus tard on le verra s’engager dans la Résistance. Desnos prend des risques pour contrer l’injustice, venir en aide à ceux qui sont menacés. Il paiera son engagement le prix fort. Gaëlle Nohant donne envie de lire plus avant « Robert le Diable », si bien chanté par Jean Ferrat. Légende d’un dormeur éveillé est un magnifique hommage à l’amoureux, l’ami, le poète, l’homme libre que fut Robert Desnos.
Commentaires
Tu parles de gens dont j'ai lu les vies ou les œuvres, il y a longtemps: Kiki, Man Ray, Dan Franck; c'est passionnant de les voir revivre ici, de me souvenir de leurs noms. Et cette Youki……………..Foujita, Desnos, bien sûr je connais, pas sous cet angle. Et c'et une époque qui revit ici, en plein été. Le monde, un monde ressuscite. Merci une fois encore, Tania!
Oui, Gaëlle Nohant recrée bien autour de Desnos l'atmosphère de cette époque, des rencontres à Montparnasse. Bonne lecture si tu te laisses tenter.
J'aime bien le poète et l'homme, son engagement. Je connais la chanson de Ferrat mais je note ce livre pour connaître d'autres facettes d el'individu
Merci et bonne journée.
Tu verras, c'est un récit très vivant. Bonne fin de semaine, Maïté.
C'est toute une légende que celle du Paris de l'époque et des artistes nombreux qui ont fait de notre capitale d'alors un vivier exceptionnel.. Montparnasse était l'un de ces viviers où se retrouvaient peintres et poètes. Nous sommes loin du Paris d'aujourd'hui si peu en fête et si peu talentueux.
C'est une question que je me pose souvent, Armelle : y a-t-il aujourd'hui des endroits où règne une telle effervescence artistique ? On a l'impression que les artistes sont plus seuls dans leur atelier qu'alors, je ne sais si c'est vrai ou faux.
J'avais 9 ans quand j'ai découvert ce poète : un poème glissé dans le missel de la Tante Jeanne (tiens tiens ) , demeurée célibataire jusqu'à sa mort : c'était les vers célèbres : « J'ai tellement marché , tellement aimé ton ombre ... » j'ai senti tout de suite que c'était de l'ordre du secret ... et n'en n'ai jamais parlé à ma tante .
Voilà le Robert Desnos que je venais de découvrir !
Pour moi, ce fut avec "Chantefleurs Chantefables", reçu en prix à l'école. Merci, Béatrice.
Voilà un billet bien tentant ! Merci aussi pour toutes les illustrations, très parlantes.
Le dessin de Pignon-Ernest vu au Botanique a pris tout son sens en lisant ce livre.
j'ai vraiment beaucoup aimé ce roman biographique si on peut l'appeler ainsi, j'ai aimé cette belle reconstitution d'une époque et j'ai découvert l'homme derrière le poète
Un homme libre, resté fidèle à lui-même.
Voilà une époque, un tourbillon de vies, de créations, qui tout de suite nous tente.
merci pour ce billet si vivant, une vidéo, c'est rare ici et bienvenu!
Bonne journée Tania.
Une chanson si souvent écoutée, chantée - "Je pense à toi, Desnos…"
Bonne journée à toi aussi, vive l'été !
Je viens de me replonger via internet, dans la vie de cet "homme libre", ne connaissant de lui que quelques poèmes, sa fin tragique et la chanson de Ferrat.
Merci Tania pour cette belle découverte. Le livre va me plaire, c'est certain !
Belle fin de semaine et Bises.
Gaëlle Nohant a remporté le prix des Libraires avec ce titre, c'est amplement mérité. Bonne lecture un jour ou l'autre, Claudie.
J'avais noté ce livre, déjà, car j'ai une grande admiration pour Desnos. J'ai toujours en mémoire la photo qui le représente, mort dans son habit de déporté, ainsi que le dernier poème trouvé dans sa poche.
Merci pour ce bel article.
Bon week end.
J'avais noté ce livre, déjà, car j'ai une grande admiration pour Desnos. J'ai toujours en mémoire la photo qui le représente, mort dans son habit de déporté, ainsi que le dernier poème trouvé dans sa poche.
Merci pour ce bel article.
Bon week end.
Tu aimeras ce récit, je pense. Bon dimanche, Marie.
Payer son engagement du prix fort : ils furent et sont encore nombreux.
«Je ne suis pas philosophe, je ne suis pas métaphysicien… Et j'aime le vin pur.» répondit-il à ceux qui critiquaient la métrique de ses vers.
Quand Paris était la capitale du monde... Un auteur qui se prête bien à un roman biographique.
Gaëlle Nohant réussit à rendre et le pouls du Paris bohème et celui de son héros poète - qui aimait la vie.
j'aime beaucoup Desnos!
(et grâce à Jean Ferrat, j'apprends qu'il faut prononcer desse-nosse ;-))
Savoir s'il faut prononcer ou pas certains "s" dans les noms propres français n'est pas facile quand on ne les a jamais entendus.
Robert Desnos a bercé mon adolescence, sa poésie fut pour moi une immense découverte. En revanche je connais peu sa vie, encore une lacune à combler... Merci Tania, un brin de jeunesse m'envahit, c'est bon à prendre... Bises. brigitte
Pareil pour moi - ravie de te procurer cette cure de jeunesse, Brigitte. Bises.