Au Centre d’art du Rouge-Cloître, une belle rétrospective permet de découvrir le parcours artistique de Léon Navez (1900-1967), « Une peinture de l’âme ». Il fut un des fondateurs du groupe Nervia que le musée d’Ixelles avait confronté en 2015 au premier groupe de Laethem-Saint-Martin : Navez y était bien présent mais la force des œuvres d’Anto Carte (son maître et protecteur) ou de Gustave Van de Woestyne m’avait rendue moins attentive à ce peintre plus discret.
L’exposition actuelle présente exclusivement des peintures issues de collections privées, en deux temps : au rez-de-chaussée les débuts, la période Nervia, les influences diverses ; à l’étage, des œuvres d’après 1950, sa dernière période – une découverte pour moi : un art plus lumineux, plus graphique, où la pureté de la ligne et les aplats de couleur prennent le pas sur la peinture de l’intériorité.
© Léon Navez, Autoportrait, 1927, huile sur toile, 64 x 53 cm, Collection privée
L’affiche montre la prédilection de Navez pour le portrait à toutes les périodes de sa vie, entre autres avec le puissant autoportrait de 1927 : « Intense et halluciné, saisissant, le tableau incarne la volonté de Navez de se regarder en face au risque de perdre pied. Assujettissant la forme au fond, il s’interroge d’une manière un peu folle qui fait violence à son tempérament feutré. » (Danièle Gillemon, Une peinture de l’âme – extrait du catalogue)
© Léon Navez, La vieille, 1928, huile sur toile, 130 x 90 cm, Collection privée
(comparaison intéressante avec L'aïeule d'Anto Carte, illustrée à côté)
Navez, né à Mons, fonde avec d’autres peintres wallons le groupe Nervia en 1928, comme le rappelle « Les trois Léon » de Désiré Haine à l’entrée : un portrait de Léon Eeckman, assureur et administrateur du groupe, devant deux toiles de ses amis Léon Devos (poissons) et Léon Navez (nature morte fleurie). Sa fille, Françoise Eeckman, exprime dans un entretien à la fin du catalogue son désir de « raconter ici ce que les livres ne disent pas et faire en sorte que le souvenir de Léon Navez […] demeure, apportant à chacun une connaissance plus proche de l’artiste. » (L’homme raconté, interview par Nicolas Delvaulx)
© Léon Navez, L'homme au chat (autoportrait), 1930, huile sur toile, 125 x 100 cm, Collection privée
Elle rappelle la mort des parents du peintre quand il n’avait que vingt ans. Recueilli par une tante, Léon Navez était plutôt taiseux, enclin à la mélancolie. Mais il a pu toute sa vie compter sur des amitiés solides dans ce trio auquel s’était joint Taf Wallet. Anto Carte, avec qui il a voyagé en Italie grâce à une bourse (prix Godecharle) en 1925, l’a hébergé chez lui durant deux ans. Fort influencé par son protecteur au début, Navez a fait la rencontre de Léon Devos à l’Académie de Bruxelles, a connu la dèche à Paris et y a rencontré sa première épouse, Lulu (Lucienne Jouanneau), au caractère plutôt sérieux et morose comme le sien ; leur fils Serge naît en 1928.
© Léon Navez, L'enfant au caban, 1940, huile sur toile, 100 x 80 cm, Collection privée
Lulu meurt de maladie en 1950. Quatre ans plus tard, Navez se remarie avec Annie Deronne, très gaie, dont la joie de vivre lui rend le sourire ; ils s’installent à Auderghem. Les souvenirs de Françoise Eeckman sur l’homme qu’il était – elle a passé deux semaines de vacances avec eux au Zoute et le peintre était un ami de ses parents – dessinent sa personnalité toujours un peu réservée, son application à créer, sans cesse en recherche, en pratiquant diverses techniques.
© Léon Navez, Jeune fille au chapeau, 1940, Collection privée
Le caractère introverti de Léon Navez a sans doute contribué à la qualité de ses portraits, à la fois habités et mystérieux, qu’il s’agisse d’adultes ou d’enfants : La vieille, L’homme au chat, La visite… « Avant de peindre il faut savoir dessiner » disait-il : cela se voit bien notamment dans la Jeune fille au chapeau. Son trait sûr et fin rappelle parfois l’art de Foujita.
Vue partielle de la suite de l'exposition à l'étage (après 1950)
Influences et recherches rapprochent le peintre du cubisme (Le jardinier), de l’expressionnisme (Rouge-Cloître en hiver m’a fait penser à certains paysages brabançons de Taf Wallet), du symbolisme. Ses paysages de Chiny (Cour de ferme) où il avait une maison portent encore l’influence de la peinture toscane qu’il admirait. Engagé dans la Résistance durant la seconde guerre mondiale, il peint assez traditionnellement une réunion de l’équipe du Faux Soir, et, à la manière de Guernica, la tragédie d’Oradour sur Glane.
© Léon Navez, L'élève / Intérieur avec chevalet et chaise, 1960, Collection privée
A l’étage, place à la lumière ! Remarié, revenu du Congo où il a peint sobrement des femmes au bord de l’eau, optant pour la ligne claire et des compositions presque japonisantes, c’est la nouvelle et dernière phase de la peinture de Léon Navez qu’on découvre là. Plus décorative, stylisée, plus contemporaine, allègre. Le chevalet souvent géométrise l’espace, rappelle l’enjeu pictural, et même s’il semble d’abord qu’il soit moins question d’âme ici, j’ai ressenti dans cette salle à l’accrochage très réussi une persistance de l’intime, du silence, de l’âme contemplative du peintre – aussi dans la grande pudeur des nus.
© Léon Navez, Petite fille au bocal, 1960, Collection privée
Ne manquez pas Léon Navez, une peinture de l’âme, au Centre d’art du Rouge-Cloître : du mercredi au dimanche de 14h à 17h (18h le week-end). Entrée à 3 € !
Commentaires
"Portraits habités et mystérieux", dites-vous . En effet : je trouve remarquable la manière dont les regards expriment les personnalités et semblent questionner le spectateur, chacun à sa manière. Merci pour cet aperçu.
Avec plaisir, Ariane. Cette exposition rend un bel hommage aux grandes qualités de ce peintre.
Dire que je ne connaissais que son nom, magnifique découverte. Des regards très vivants, j'aime beaucoup la vieille et son autoportrait !
La seconde partie,-la salle semble si spacieuse et lumineuse,- fort différente, me plaît énormément.
merci! je poursuivrai avec d'autres tableaux sur la Toile.
Dans le billet de samedi, il y aura quelques toiles de cette seconde salle. Ravie de ton enthousiasme, Colo. Bonne fin de journée.
Passionnant article sur ce grand peintre qui saisit les profondeurs de l'être. Merci pour cette belle découverte.
Bonjour, Armelle. Ravie que vous appréciiez l'œuvre de Léon Navez.
Une belle découverte, à concrétiser en vrai comme on dit.
Merci pour ces notes Tania !
Les peintres du groupe Nervia ont su développer chacun une peinture personnelle et parmi eux, souligne Françoise Eeckman dans le catalogue, Léon Navez est "pratiquement le seul à chercher la modernité". Avec plaisir, K.
Merci Tania, je ne connaissais pas. Peintre tourmenté, tableaux avec tellement de profondeur malgré un trait naïf , sobriété à la japonaise. c'est très émouvant.
Belle journée de dimanche !
Même en Belgique, Léon Navez n'est pas assez connu, Claudie. J'aime ces rétrospectives qui font sortir de l'ombre des peintres aussi attachants.
Superbe découverte, que d'étapes dans le travail de cet artiste. J'aime particulièrement la dernière période, je pense à Foujita en regardant ces œuvres. Merci Tania. brigitte
Heureuse de le faire découvrir à d'autres, Brigitte. Cette exposition permet d'entrer dans l'univers de Léon Navez et de comprendre que ce peintre était toujours en recherche.