Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Passions - Page 399

  • Suspendue

    lesbre,michèle,ecoute la pluie,roman,littérature française,culture

     

     

    « Tu étais sans doute déjà à l’hôtel, et de la fenêtre de la chambre tu te laissais bercer par les vagues, mais j’étais incapable alors d’imaginer cet instant, je crois même que j’avais oublié notre rendez-vous, quelque chose s’était rompu et j’étais suspendue au-dessus d’un précipice. »

     

    Michèle Lesbre, Ecoute la pluie

  • Rendez-vous manqué

    Une femme sur un quai de métro se prépare à rejoindre un homme. Elle habite Paris, lui Nantes, ils ont convenu de se retrouver à l’Hôtel des Embruns où ils avaient leurs habitudes, même si leurs rencontres se sont fort espacées ces derniers temps. Il est photographe. Mais dans le métro, c’est le choc : elle assiste à un suicide et s’encourt, les crissements des freins et les sanglots du conducteur dans la tête.

     

    lesbre,michèle,ecoute la pluie,roman,littérature française,culture

    Ecoute la pluie (2013) est un récit d’errance, Michèle Lesbre y donne la parole à cette femme choquée qui raconte à celui qu’elle devait rejoindre, qui va l’attendre, comment elle s’est perdue dans la ville sous la pluie, telle une somnambule. Au hasard, elle entre dans une minuscule boutique « avec en vitrine une robe verte », l’essaie, l’achète, l’oublie plus tard sur un banc – égarée.

     

    Rentrée chez elle, elle téléphone à l’hôtel, il n’y est pas encore. Les souvenirs affluent, de la dernière fois où ils y sont allés, d’une exposition où ils s’étaient revus, d’une nuit où ils ont dormi sur la plage. « Les voyages nous ont beaucoup portés, les retours nous ont perdus parfois. »

     

    Nuit blanche. Un couple se dispute dans la rue, un orage gronde, elle attend le jour. « Il pleut, obstinément. » Songeant au manque d’enthousiasme de son ami amant quand elle lui a proposé de retourner aux Embruns, elle pense à ces manques souvent ressentis en sa présence – il n’y a jamais pris de photo, ni de l’hôtel ni de leur chambre ni de la plage, il se contente de sourire là où elle attend une réponse.

     

    Elle lui a parlé de l’ancienne ferme de ses grands-parents, de l’amour « du silence et de la contemplation » hérité de son grand-père, par les mots elle voudrait lui dire cela très simplement. « Est-ce que je t’aime assez ? Est-ce que l’amour suffit ? » – « Tu évoques peu cette période de ta vie qui ne semble avoir commencé que le jour où ton oncle t’a offert ce premier appareil photo et où soudain tu ouvrais les yeux sur le monde qui t’entourait. »

     

    Aller et venir dans Paris, dans le temps, rentrer, ressortir – une femme cherche un sens à ce qu’elle a vu, à ce qu’elle vit, à sa relation avec le photographe après ce rendez-vous manqué. Dans un entretien à propos de La petite trotteuse, la romancière disait déjà que « les lieux sont très porteurs. Ils peuvent être les personnages à part entière. » Ecoute la pluie, son dernier roman d’une centaine de pages, porte la petite musique en prose de Michèle Lesbre, intime et sensible.

  • Automne

    Bauchau L'enfant rieur.jpg« Je pense à tout cela en automne, sur le banc d’un jardin et je regarde un grand arbre doré qui étincelle au soleil. Il me semble que cet arbre rit. Il rit avec ses merveilleuses feuilles qui vont bientôt tomber. Il ne s’esclaffe pas, il rit comme le Dieu seul peut rire. A l’époque de Hitler, je partage consciemment la conviction répandue en France, en Belgique et dans les pays anglo-saxons que l’armée française est la meilleure du monde. Au fond de moi-même pourtant, quelque chose me dit, et le dit peut-être à beaucoup d’autres, que ce n’est pas vrai, que nous irons à la défaite. Personne n’imagine ce qui est en train de naître dans les profondeurs de l’histoire. Nous vivons notre minuscule conscient en ignorant les énormes forces que recèle ce redoutable inconnu, ce monstre de beauté et d’horreur qu’est l’inconscient.

    L’arbre d’automne, le tulipier de Virginie, me regarde toujours en riant comme le Dieu. »

     

    Henry Bauchau, L’enfant rieur

  • Bauchau et l'enfant

    Récit autobiographique, L’Enfant rieur paraît en 2011, lorsque Henry Bauchau (1913-2012), dans le « très grand âge », a senti venir le temps de « ré-imaginer à partir des souvenirs ». A lire donc « comme le roman des commencements d’une vie, dans une société désormais lointaine : un monde plus paysan qu’urbain, fait de grandes maisonnées, de vastes parentèles, de fermes et de terres et de chevaux – mais aussi de règles strictes, de droits et devoirs inégalement partagés entre les sexes, de profond respect pour les lois, les hiérarchies… et de tentatives de révolte. » (quatrième de couverture) 

    bauchau,henry,l'enfant rieur,récit,littérature française,belgique,enfance,guerre,famille,rencontres,autobiographie,récit de vie,culture
    Henry Bauchau (BibliObs, 2011) Photo Jean-Luc Bertini-Pasco

    A Blémont, en 1916, l’enfant joue. Des Allemands ont réquisitionné l’ancienne écurie pour leurs chevaux. Absorbé, l’enfant n’a pas entendu s’approcher l’homme en bottes brillantes et long manteau qui lui rend son sourire puis le prend joyeusement dans ses bras : « Ach ! mein Kind. » C’est la langue de l’ennemi, un rideau retombe à une fenêtre, l’enfant prend peur. Il se met à pleurer, hurle, passe en un instant du bonheur à la terreur : « Au lieu de continuer à rire, il a été forcé dès sa petite enfance de vivre la haine. Il ne voulait pas ça. » 

    « dans l’élégance, la propreté douteuse et les conflits sociaux de la Belle Epoque », Bauchau sait que c’est dans la guerre qu’il a commencé à vivre. Lors de l’incendie de Louvain en août 1914, sa famille s’est enfuie dans une fumée suffocante, constamment inquiète pour le bébé au visage noirci, comme il l’a entendu raconter par sa grand-mère à sa mère, alors ailleurs, qui se demande pourquoi cet enfant né si joyeux a changé de caractère et boude souvent, contrairement à Olivier, son frère aîné.

     

    Leur père, ingénieur et « très habile de ses mains », collectionnait les insectes et les papillons. Pour l’enfant, c’était « l’homme le plus fort du monde », mais il a vu l’air parfois sceptique de sa mère et surtout observé que son grand-père, brillant avocat et homme politique, et son oncle André « qui parlait toujours si haut » se jugeaient très supérieurs à lui, et il en avait du chagrin.

     

    A Blémont, ils sont bientôt de trop et ils déménagent à contrecœur aux Genêts, chez le grand-père Eugène, où se trouvent déjà l’oncle André et leurs cousins. « La vie aux Genêts pour Olivier, Poupée (sa petite sœur) et moi, a été une lutte souterraine. » Penché sur de vieilles photos, l’écrivain reconstitue un parcours, des atmosphères, des rivalités. « Les cousins n’avaient pas de papa à histoires », ces contes du soir qui ont ouvert à Henry Bauchau le monde imaginaire. Les commentaires blessants sur son père le font souffrir.

     

    Chassée des Genêts par les Allemands, la famille s’installe à Bruxelles, « dans ce qui nous paraissait un appartement minuscule ». La guerre finie, c’est la découverte des « boys » américains, « jeunes, riants »,  du cinéma, de la féminité grâce à la belle et jeune épouse de l’oncle Matthieu, « très moderne, beaucoup plus que maman et tante Marie ». Vivre à Saint-Josse est ressenti comme un désastre par l’enfant nostalgique de la « grande maison » et qui a un peu honte de leur train de vie plus pauvre que dans le reste de la famille.

     

    Il se fait tout de même un ami à l’école où il éprouve « une terreur profonde » : Louis, qui a perdu sa mère et dont le père s’absente souvent. Mais Louis ne revient pas l’année suivante. Après des années de « travail insuffisant » sur son bulletin, l’enfant est encouragé par deux instituteurs plus attentifs et se sent plus à l’aise. Son père leur achète de vieux livres d’occasion, des romans d’aventures. « C’est la lecture qui m’a permis de vivre pendant ces années obscures et d’en supporter l’ennui. »

     

    Même s’il raconte à la première personne, Bauchau se décrit souvent à la troisième : il se nomme soit « l’enfant rieur », soit « mon personnage », lui tel qu’il se montre et non « l’être profond ». Un jour, sa tante Marie observe qu’il a l’air de marcher « sur des œufs » et un médecin diagnostique une faiblesse des cartilages du talon. S’ensuivront des traitements contraignants, l’école manquée, un séjour dans les Alpes suisses à Clos-Riant auprès d’autres enfants qui ont besoin de soins.

     

    A nouveau « exclu des vacances de la famille », le voici en pension à Middelkerke, chez un médecin, homme bon et esprit libéral, chez qui il découvre « une autre façon de vivre, plus libre, plus intellectuelle, et des opinions qui paraissent scandaleuses chez nous comme le remariage des veuves, les divorces, les amours avant mariage. » Un étudiant rencontré là lui conseille la lecture des classiques, une libraire le guide vers « Les cent chefs-d’œuvre qu’il faut lire », une collection bon marché. Un monde s’ouvre et aussi son cœur, pour une monitrice au regard doux : « L’enfant rieur se heurte au mur des amours enfantines ».

     

    Etudes – du Petit Saint-Josse au collège Saint-Louis –, montée d’Hitler et présages d’une nouvelle guerre, découvertes littéraires, voyages, université…  Bauchau étudie le droit et se lie d’amitié avec Raymond qui a fondé un journal fait par les jeunes et pour eux, L’Esprit nouveau, qui prône une révolution chrétienne et sociale. Un jour, Raymond lui dit qu’il devrait écrire : « Mon personnage, qui commence peu à peu à se former, n’ose pas répondre que c’est bien mon désir profond. »

     

    A travers le récit de sa vie de 1913 à 1940, Henry Bauchau décrit un homme en devenir et une époque. Quelques années plus tard, il entamera une psychanalyse avec Blanche Reverchon (à qui il a consacré un autre récit) et c’est en 1958, à plus de quarante ans, qu’il commencera sa carrière de poète et de romancier. Il décrit ici ses amitiés, ses amours, et après les années de formation, en famille et en dehors d’elle, à nouveau la guerre, le temps des choix. L’Enfant rieur raconte sans complaisance : l’auteur ne masque en rien les doutes, les erreurs, les faiblesses, et cela donne un récit d’exploration du passé très personnel, à la recherche de l’enfant qui vit encore en lui.

  • Le fer et le vert

    Pour compléter le billet précédent sur les grilles de jardinets, cette photo : un arrêt du tram 7 sur le boulevard Lambermont. Ici les garde-corps assurent la sécurité des passants et des voyageurs. Le gazon entre les voies de tram assure une certaine continuité végétale en ville, un choix à la fois environnemental et esthétique. Le fer et le vert sont de bon voisinage, non ?

    Schaerbeek grilles (5).JPG