« Est-il rien sans elle de beau ?
La Rose embellit toutes choses,
Venus de Roses a la peau,
Et l’Aurore a des doigts de Roses,
Et le front le Soleil nouveau. »
Pierre de Ronsard, Ode
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« Est-il rien sans elle de beau ?
La Rose embellit toutes choses,
Venus de Roses a la peau,
Et l’Aurore a des doigts de Roses,
Et le front le Soleil nouveau. »
Pierre de Ronsard, Ode
« Et on verra toujours, quand seront venus les temps
de politesse et d’élégance,
les hommes bâtir avec majesté
avant de jardiner avec finesse :
comme si le jardinage était l’art suprême. »
(Sir Francis Bacon, Of Gardens, 1625)
Juin a fait fleurir les pivoines et les roses, les jardiniers récoltent les premiers fruits de leur travail à l’arrivée de l’été dans les jardins.
Quel bonheur de s’installer à l’ombre des arbres ou d’un vieux mur, quelle joie de faire le tour d’un jardin et de s’émerveiller des mille formes et nuances !
« Que fera donc l’homme de goût qui vit pour vivre, qui sait jouir de lui-même, qui cherche les plaisirs vrais et simples, et qui veut se faire une promenade à la porte de la maison ? Il la fera si commode et si agréable qu’il s’y puisse plaire à toutes les heures de la journée, et pourtant si simple et si naturelle qu’il semble n’avoir rien fait. » (Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, 1761)
J’admire ceux qui cultivent leur terrain pour que le potager et le verger nourrissent la famille, les amis, pour que les arbres et les plates-bandes offrent près de la maison une ébauche de l’éden.
Aussi ai-je envie de remercier ici ces jardiniers, leurs jardins accueillants. Et de partager avec vous ces floraisons du début de l’été.
Voici quelques vers du dix-huitième siècle pour conclure, empruntés au grand poème d’Antoine-Marin Lemierre : Les jardins.
« Agréables jardins, et vous, vertes prairies,
Partagez mes regards, mes pas, mes rêveries :
Je ne suis ni ce fou qui, de bizarre humeur,
Reclus dans son bosquet, végète avec sa fleur,
Ni cet autre insensé ne respirant qu’en plaines,
Qui préfère à l’œillet l’odeur des marjolaines.
Je me plais au milieu d’un clos délicieux
Où la fleur, autrefois monotone à mes yeux,
S’est des couleurs du prisme aujourd’hui revêtue ;
Où l’homme qui l’élève et qui la perpétue,
Enrichit la nature en suivant ses leçons,
Et surprend ses secrets pour varier ses dons. »
« Débrancher.
Renouer, si peu que ce soit, avec les cycles naturels. Aller jour après jour des ténèbres de l’hiver aux éclosions du printemps, des marées d’équinoxe aux mystérieux solstices.
Se connaître soi-même comme un être cyclique, avec ses temps de force et de faiblesse, ses moments fertiles et ses périodes où l’énergie reflue.
Laisser la Terre tourner. »
Anne Le Maître, Sagesse de l’herbe
Sagesse de l’herbe. Quatre leçons reçues des chemins : Anne Le Maître, rencontrée dans la blogosphère où elle partage deux passions, l’aquarelle et l’écriture poétique, offre sous ce titre à cheminer avec elle. « D’aussi loin que remontent mes souvenirs, il y a les prés, les forêts et les chemins qui les sillonnent, et le temps suspendu de la promenade. »
© Anne Le Maître, Colline. Vézelay 2015 (Bleu de Prusse)
Ce livre allie délicieusement la balade et la réflexion, l’observation et l’amour de la vie. Quand Anne Le Maître se met en route, elle emporte une carte, une gourde, parfois quelques pinceaux – « Un sac, pour les trouvailles. Un carnet, pour les mots ». Elle marche, elle regarde, elle songe : « Chaque fois que sonne l’heure des mots, chaque fois me reviennent, plus fort que tout, ces leçons apprises des chemins. Cette sagesse à hauteur de brin d’herbe. Je crois que je n’en ai pas d’autre. »
Elle nous emmène à la rencontre des jonquilles dans les bois de Pâques, dans la lumière d’un matin de printemps ; un jour d’été, à la cueillette des mûres avec une enfant. Pour mesurer le monde, « la seule aune » du corps : « Ce qui compte c’est le pas, le souffle et le nombre de battements de cœur qui me séparent du but. » Au passage, l’enseignante de Dijon rappelle une définition, une étymologie, une citation. La science et la lecture sont ses compagnes discrètes et sûres.
« Il a suffi de trois pas hors de chez moi pour que je rejoigne d’autres intentions, d’autres rythmes, d’autres temporalités, plus mystérieux. » Echapper au temps des machines – celles du travail, celles que nous laissons envahir notre vie – et « renouer, si peu que ce soit, avec les cycles naturels ». Anne Le Maître fait un bel éloge des saisons : « J’aime à la folie cette ronde des saisons propre à nos latitudes tempérées, qui fait passer des collines du brun au vert puis à l’or poussiéreux des moissons. »
Anne Le Maître à La Hulpe, 11 mai 2019
S’ouvrir à la beauté du monde, sans angélisme ni naïveté. La laideur, la nature blessée, le paysage défiguré existent – « Mais comprenez ceci : je n’ai pas ignoré la porcherie derrière l’églantine. J’ai vu l’églantine devant la porcherie. J’ai vu le vallon tout autour de l’antenne, et le bleu incroyable d’un champ d’orge empoisonné qu’on aurait pourtant dit pétri de ciel pur. J’ai vu. Je me suis efforcée de voir. C’est un effort constant, une vraie discipline. »
En résonance, des écrivains, des jardiniers, des poètes, la Bible, des peintres – des porteurs d’Espérance. Ils s’invitent, quand elle découvre un lieu, un paysage – quelques dessins à l’encre noire à l’appui –, quand elle admire, quand elle contemple. Il en faut, de l’espérance, pour accompagner quelqu’un dans un service d’oncologie, pour affronter jour après jour l’érosion effrénée du monde par l’homme.
Anne Le Maître sait raconter la magie des rencontres avec une fleur, un oiseau, un arbre, un animal sauvage. Elle aime les appeler par leur nom, les identifier pour reconnaître ces « autres » que sont nos compagnons dans la sphère du vivant. « Il y a là une forme de politesse faite au monde. » « Apprenons à nommer. Prenons cette peine. L’émerveillement ou l’inquiétude : tout plutôt que l’indifférence, cette mort lente du cœur. »
La Hulpe, jardin de l'Académie de musique
Même dans sa cour où elle bataille contre les herbes indésirables, la conteuse a de quoi penser, comme Hubert Reeves à la rencontre des fleurs sauvages, devant l’infiniment petit, la vie en abondance. Qu’est-ce que le sauvage, au fond ? « La friche, proclame Gilles Clément, qui a beaucoup réfléchi au rapport entre espaces sauvages et terres cultivées, la friche est le territoire de la liberté et de la créativité. »
J’ai rencontré Anne Le Maître à La Hulpe, où elle participait avec ses aquarelles lumineuses à un parcours d’artistes. Le soleil nous a permis de faire connaissance dans le jardin de l’Académie de musique, en compagnie d’un chat malicieux. J’en ai ramené ce précieux petit livre de sagesse à garder près de soi pour le rouvrir souvent. Merci, Anne.
Dans la « petite bibliographie subjective » qu’elle ajoute à la fin de Sagesse de l’herbe, des « voyageurs immobiles », des « scientifiques contemplatifs », de « grands arpenteurs », des « maîtres spirituels », des « aventuriers du minuscule ». Précieuses listes où je retrouve des livres aimés et d’autres à découvrir. Anne Le Maître, « terrienne », est entrée dans cette famille d’écrivains avec Sagesse de l’herbe, un livre à offrir et à s’offrir.
« Gras marchait vite, je peinais derrière lui. Mais chaque jour pourvoyait à une amélioration de mes fonctions physiques. Parfois c’était la souplesse que je sentais revenir, un autre jour le souffle était moins court et aujourd’hui je n’avais pas souffert de la moindre douleur dans le dos. Pour l’instant la guérison me garantissait un sentiment contre-nature : l’impression d’une reconquête quotidienne, comme si le processus de démolition biologique de la vie s’était inversé et que j’allais rajeunir jusqu’au jour où, la guérison achevée, la mécanique se renverserait à nouveau et où je recommencerais à me sentir vieillir, signe que je serais parfaitement rétabli. »
(Le 18 septembre, dans les Cévennes vivaraises)
Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs