Sagesse de l’herbe. Quatre leçons reçues des chemins : Anne Le Maître, rencontrée dans la blogosphère où elle partage deux passions, l’aquarelle et l’écriture poétique, offre sous ce titre à cheminer avec elle. « D’aussi loin que remontent mes souvenirs, il y a les prés, les forêts et les chemins qui les sillonnent, et le temps suspendu de la promenade. »
© Anne Le Maître, Colline. Vézelay 2015 (Bleu de Prusse)
Ce livre allie délicieusement la balade et la réflexion, l’observation et l’amour de la vie. Quand Anne Le Maître se met en route, elle emporte une carte, une gourde, parfois quelques pinceaux – « Un sac, pour les trouvailles. Un carnet, pour les mots ». Elle marche, elle regarde, elle songe : « Chaque fois que sonne l’heure des mots, chaque fois me reviennent, plus fort que tout, ces leçons apprises des chemins. Cette sagesse à hauteur de brin d’herbe. Je crois que je n’en ai pas d’autre. »
Elle nous emmène à la rencontre des jonquilles dans les bois de Pâques, dans la lumière d’un matin de printemps ; un jour d’été, à la cueillette des mûres avec une enfant. Pour mesurer le monde, « la seule aune » du corps : « Ce qui compte c’est le pas, le souffle et le nombre de battements de cœur qui me séparent du but. » Au passage, l’enseignante de Dijon rappelle une définition, une étymologie, une citation. La science et la lecture sont ses compagnes discrètes et sûres.
« Il a suffi de trois pas hors de chez moi pour que je rejoigne d’autres intentions, d’autres rythmes, d’autres temporalités, plus mystérieux. » Echapper au temps des machines – celles du travail, celles que nous laissons envahir notre vie – et « renouer, si peu que ce soit, avec les cycles naturels ». Anne Le Maître fait un bel éloge des saisons : « J’aime à la folie cette ronde des saisons propre à nos latitudes tempérées, qui fait passer des collines du brun au vert puis à l’or poussiéreux des moissons. »
Anne Le Maître à La Hulpe, 11 mai 2019
S’ouvrir à la beauté du monde, sans angélisme ni naïveté. La laideur, la nature blessée, le paysage défiguré existent – « Mais comprenez ceci : je n’ai pas ignoré la porcherie derrière l’églantine. J’ai vu l’églantine devant la porcherie. J’ai vu le vallon tout autour de l’antenne, et le bleu incroyable d’un champ d’orge empoisonné qu’on aurait pourtant dit pétri de ciel pur. J’ai vu. Je me suis efforcée de voir. C’est un effort constant, une vraie discipline. »
En résonance, des écrivains, des jardiniers, des poètes, la Bible, des peintres – des porteurs d’Espérance. Ils s’invitent, quand elle découvre un lieu, un paysage – quelques dessins à l’encre noire à l’appui –, quand elle admire, quand elle contemple. Il en faut, de l’espérance, pour accompagner quelqu’un dans un service d’oncologie, pour affronter jour après jour l’érosion effrénée du monde par l’homme.
Anne Le Maître sait raconter la magie des rencontres avec une fleur, un oiseau, un arbre, un animal sauvage. Elle aime les appeler par leur nom, les identifier pour reconnaître ces « autres » que sont nos compagnons dans la sphère du vivant. « Il y a là une forme de politesse faite au monde. » « Apprenons à nommer. Prenons cette peine. L’émerveillement ou l’inquiétude : tout plutôt que l’indifférence, cette mort lente du cœur. »
La Hulpe, jardin de l'Académie de musique
Même dans sa cour où elle bataille contre les herbes indésirables, la conteuse a de quoi penser, comme Hubert Reeves à la rencontre des fleurs sauvages, devant l’infiniment petit, la vie en abondance. Qu’est-ce que le sauvage, au fond ? « La friche, proclame Gilles Clément, qui a beaucoup réfléchi au rapport entre espaces sauvages et terres cultivées, la friche est le territoire de la liberté et de la créativité. »
J’ai rencontré Anne Le Maître à La Hulpe, où elle participait avec ses aquarelles lumineuses à un parcours d’artistes. Le soleil nous a permis de faire connaissance dans le jardin de l’Académie de musique, en compagnie d’un chat malicieux. J’en ai ramené ce précieux petit livre de sagesse à garder près de soi pour le rouvrir souvent. Merci, Anne.
Dans la « petite bibliographie subjective » qu’elle ajoute à la fin de Sagesse de l’herbe, des « voyageurs immobiles », des « scientifiques contemplatifs », de « grands arpenteurs », des « maîtres spirituels », des « aventuriers du minuscule ». Précieuses listes où je retrouve des livres aimés et d’autres à découvrir. Anne Le Maître, « terrienne », est entrée dans cette famille d’écrivains avec Sagesse de l’herbe, un livre à offrir et à s’offrir.
Commentaires
Ah ça semble beau, en effet..Nommer les choses…...Camus ne disait -il pas que ne pas nommer les choses, entraîne le malheur du monde; s'en inspire-t-elle?
Oui, c'est beau d'éveiller au beau, je le pense aussi.
Oh, grand merci à Anne, que je suis par blogs interposés, et à toi de relayer ici, ses mots et pensées.
Savoir raconter la magie de la nature, il faut tant de talents pour y arriver!
Merci et excellente journée.
Anne Le Maître sait la raconter, cette magie, tu verras.
Bonne journée, Colo.
joli! et surtout la façon dont tu en parles :-)
Merci, Adrienne. Il y a beaucoup d'amour dans cette "Sagesse".
On te sent conquise, et en tout cas cette colline de Vézelay fait rêver... C'est bon de rêver et de savoir... que ce n'est pas un rêve!
Un vrai coup de coeur de lecture, je le reconnais. Rêvons, regardons, espérons...
Je ne connais pas Anne Lemaître , mais cette seule phrase: "J'ai vu l'églantine devant la porcherie " , la dépeint toute entière . Savoir s'émerveiller est un don précieux qu'elle semble cultiver avec bonheur . Bien sûr , la beauté existe par elle-même , mais bien plus encore dans l'oeil de celui qui regarde !
Absolument, Béatrice. Je la cite : "Car il n'y a en fait rien d'ordinaire dans la surabondance de la beauté ordinaire. Il n'y a que nos yeux parfois si habitués qu'ils ne la voient plus."
Tania, Quelle histoire charmante!
On fait de belles rencontres à travers les blogs - vous en êtes aussi la preuve, Jane !
(J'ajoute un lien vers le vôtre : http://thebluelantern.blogspot.com/ )
Je suis son blog également où elle publie de très très belles choses. Tu parles très bien de son livre et de ce qu'elle est.
Bonne journée.
Merci, Marie. Il me semble que vous partagez cette sagesse et ce regard sur les choses. Bonne journée.
Les rencontres de blogs tressent une couronne
fleurie entre vous Tania, Brigitte, Marie, Dominique,
Célestine, Claudie, Zoé, Béatrice, Anne bien sûr ....
et toutes celles qui, comme moi, se contentent de contempler les branchages que vous nous offrez chaque jour...
Mille mercis de Fiorenza la rêveuse !
C'est très gentil, Fiorenza, d'y ajouter ces jolies fleurs !
Je me le suis offert .. il m'attend tranquillement.
Une lecture à savourer, à son heure.
Cela me fait penser au livre de Belinda Cannone "S'émerveiller""Parfois le silence règne, nous sommes paisibles et concentrés, la lumière est belle et notre regard vigilant : alors l'émerveillement nous saisit". Merci pour cette découverte Tania.
Je n'ai pas lu "S'émerveiller", merci pour la citation et bon week-end, Zoë.
De retour d'un merveilleux moment d'échange au marché de la Poésie à Paris, je découvre ce si gentil post, Tania. Je te remercie de ta lecture bienveillante et attentive.
Et cela me conforte dans ce que je ressens de plus en plus profondément : les mots, les livres, c'est du partage, et que faire de mieux que partager ?
Avec mon amitié, et dans le souvenir de ce temps d'échange en compagnie d'un chat perché dans les jardins de la Hulpe,
ANNE
Je me réjouis pour toi de ces échanges, Anne. Ce que tu as reçu des chemins voyage à présent grâce à ton livre qui m'est allé droit au coeur. La "chambre d'échos" continue à résonner. Bon dimanche !
J'ai eu deux livres d'Anne entre les mains, livres que j'ai lus avec ferveur et dont j'ai admiré les délicates aquarelles, livres que j'ai offerts et qui ont beaucoup touché ceux qui les ont reçus... Que de talent et quelle sensibilité, ce fut certainement une formidable rencontre. Merci Tania, à bientôt. brigitte
Celui-ci circule aussi en d'autres mains - je me doutais que tu y serais également sensible, Brigitte, merci d'en témoigner.
Belle découverte en effet. La nature qui soigne et pourtant la nature et les paysages si mal traités. Nous sommes très nombreux je pense à la choisir comme médecin, que ce soit en marchant, ou plus simplement en s'occupant d'un jardin et même parfois de quelques pots. J'ai oublié ce qu'était une "mauvaise herbe". Tout pousse chez moi en harmonie et les abeilles s'en réjouissent. Bonne fin de journée, Tania !
On recommande en ville aussi de laisser pousser les plantes sauvages qui servent de relais et de nourriture aux insectes, il y en a de plus en plus sur ma terrasse et pour l'instant, avec la pluie, c'est du vert et du vert à profusion. Bonne soirée, Annie.
un livre qui donne vraiment envie, merci de nous faire partager ces belles lectures, bonne et belle journée, christine
Ravie de te retrouver ici, chère Christine, merci. Je t'écris bientôt.
Ce texte fait écho aux trois textes que j'ai publiés dimanche dernier , justement sur les brins d'herbe, la beauté de la nature qui donne à vivre : London, Bobin, Whitmann
Voici Anne Le Maître en excellente compagnie, merci Claudialucia.