« L’inclassable et mystérieux Spilliaert » titrait La Libre le 13 mars dernier pour présenter l’exposition de la Royal Academy à Londres, prévue ensuite au Musée d’Orsay à partir du 15 juin prochain. Puisque le chemin des expositions nous est actuellement défendu, voici le premier catalogue que je rouvre ici pour vous, celui de la rétrospective « Léon Spilliaert, Un esprit libre » aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) à Bruxelles, en 2006-2007.
En couverture du catalogue de 2006 (nl) : Spilliaert, Baigneuse, 1910, Bruxelles, MRBAB
(Encre de Chine, pinceau, pastel sur papier, 649 x 504 mm)
En 1925, Spilliaert (1881-1946) répond à un questionnaire : « Mon activité favorite : la promenade. Mon idée du bonheur : vivre dans les dunes. L’endroit où je voudrais habiter : les dunes entre Nieuport et La Panne. » Il nous a laissé une œuvre picturale d’une « grande diversité de style, de contenu et d’esprit » et de nombreux dessins d’illustration « en étroite relation avec la littérature », souligne Anne Adriaens-Pannier, la spécialiste du peintre d’Ostende et de la côte (pour toutes les citations).
Léon Spilliaert, Boîtes devant une glace, 1904
(Pastel, fusain sur papier, 585 x 401 mm), MRBA, Bruxelles
Léon Spilliaert, Autoportrait à la lune, 1908, MRBAB, Bruxelles
(Encre de Chine, lavis, pinceau, plume, crayon de couleur sur papier, 488 x 630 mm)
« Spilliaert demeure libre de toute éducation théorique ou historique, et se construit en autodidacte un vocabulaire d’images tout à fait personnel, rebelle à tous les exemples d’un académisme traditionnel. » Sa période considérée comme la plus créative va de 1899 à 1912, mais jusqu’en 1946, il a peint « avec une inlassable ardeur », tout en se tenant au courant des courants littéraires, artistiques et philosophiques. Il se rendait régulièrement à Bruxelles et à Paris.
Léon Spilliaert, Deux novembre. Feuilles blanches, 1908
(Lavis d'encre de Chine, pinceau, crayon de couleur sur papier, 499 x 650 mm), Gand, MSK.
Léon Spilliaert, La princesse Maleine, 1910 (Collection particulière)
(Encre de Chine, lavis, pinceau, craie blanche sur papier, 63 x 48 cm)
Il commence à créer quand le symbolisme domine encore, avec « l’arsenal du dessinateur » : encre de Chine, pinceau ou plume, crayon de couleur, aquarelle. Déjà la manière dont il illustre deux recueils poétiques de Verhaeren, puis les trois volumes du Théâtre de Maeterlinck, témoigne de son originalité. De 1904 à 1909, il explore son environnement quotidien et se confronte à sa propre image, dans une série d’autoportraits.
Léon Spilliaert, La verrière; 1909, Collection particulière
(Encre de Chine, lavis, pinceau, crayon de couleur sur papier, 645 x 505 mm)
Léon Spilliaert, Printemps, 1911, MRBAB, Bruxelles
(Encre de Chine, gouache, pastel sur carton,701 x 891 mm)
Puis il se détourne de l’introspection pour décrire la société qui l’entoure : femmes de pêcheurs, vues d’Ostende, de la digue, baigneuses, dirigeable... « Il est toujours à la recherche de l’universel qui se cache derrière l’accidentel ». Ses compositions évoluent vers « une abstraction simplifiée », un renouveau formel non reconnu par ses contemporains.
Léon Spilliaert, Le nuage, 1902, Collection particulière
(Crayon, encre de Chine, lavis, pinceau sur papier, 253 x 372 mm)
Léon Spilliaert, La buveuse d'absinthe, 1907, Fondation Roi Baudouin
(Encre de Chine, pinceau, gouache, aquarelle, craie de couleur sur papier, 105 x 77 cm)
A partir de 1912, Spilliaert vit une succession d’expériences diverses : on le reconnaît dans le milieu artistique – il expose –, il se fait des amis, supporte difficilement la première guerre mondiale, se marie et s’installe près de Bruxelles, devient père. Moins angoissé, apaisé par le mariage et la vie du foyer, il réalise des lithographies et continue son travail d’illustrateur. Il peint un autre genre de femmes, d’élégantes citadines.
Léon Spilliaert, La dame dans le train, La veuve, 1908, MRBAB, Bruxelles
(Encre de Chine, lavis, encre brune, pinceau, crayon de couleur sur papier, 518 x 415 mm)
Léon Spilliaert, Hindoustan, 1920, Collection particulière
(Crayon, aquarelle, encre de Chine, pinceau sur papier, 470 x 599 mm)
En 1922, il retourne à Ostende. En plus du dessin et de l’aquarelle, il découvre la gouache et « explore la légèreté de fantaisies orientées vers la mer et vers les paysages imaginaires ». Créant des effets picturaux surprenants, il réalise aussi des portraits d’amis « qui trahissent une pénétrante connaissance de la psychologie du modèle ».
Léon Spilliaert, Paysage d'hiver au lierre, 1915, Musée des Beaux-Arts, Gand
(Crayon, aquarelle, gouache sur papier, 285 x 237 mm)
Léon Spilliaert, Arbre derrière un mur, 1936, Collection Johan A. H. van Rossum
(Aquarelle, gouache, encre de Chine, plume sur papier, 350 x 520 mm)
Après 1928, sa quête spirituelle personnelle prend le dessus, nourrie de son expérience de la musique et de la poésie. La dernière période de son œuvre, considérée comme moins puissante, fait écho à ses nombreuses promenades dans les bois, les parcs. La nature l’inspire, il peint beaucoup les arbres. Il me semble qu’on regarde ces paysages d’un œil neuf aujourd’hui, je leur trouve un grand charme dans leur stylisation, leur simplicité apparente.
Léon Spilliaert, Retour du bain, 1908, Collection particulière
(Aquarelle, pastel, crayon de couleur, encre de Chine, pinceau sur papier, 520 x 420 mm)
Léon Spilliaert, Jeune homme à l'écharpe rouge, 1908, Collection particulière
(Encre de Chine, lavis, pinceau, aquarelle, gouache, crayon de couleur, peinture argentée sur papier,
502 x 652 mm)
Pour ma part, si je suis fascinée par l’atmosphère puissante et souvent étrange des œuvres de Spilliaert, qui culmine dans des encres très sombres et spectaculaires, dans ses nocturnes, j’aime beaucoup la façon singulière dont il a peint dans ses marines les jeux du sable et de la mer, de l’eau et du ciel qui s’interpénètrent ou se confondent. (Taf Wallet , peut-être influencé par Spilliaert, a su montrer cela aussi, d’une autre manière.)
Léon Spilliaert, Marine jaune et mauve, 1923, MRBAB, Bruxelles
(Aquarelle, gouache, pastel sur papier, 523 x 601 mm)
Léon Spilliaert, Marine bleue et jaune, 1934, Collection Johan A. H. van Rossum
(Aquarelle, gouache sur papier, 493 x 683 mm)
J’espère qu’après Londres, on pourra faire plus ample connaissance avec ce peintre belge très original et si personnel à Paris, l’été prochain, comme prévu. Sinon, bienvenue dans nos musées quand ils rouvriront. On peut admirer un très bel ensemble de Spilliaert dans les collections permanentes des MRBAB à Bruxelles et, à Ostende, au Mu.Zee (où il partage un espace privilégié avec Ensor) et à la Spilliaert Huis.