Dimanche 19 juillet, 17 h. Pour découvrir l’avenue Eugène Demolder, rendez-vous était donné à la « Cage aux ours », surnom de la place Verboeckhoven dû à la ressemblance, à sa création, d’une rocaille dans la fosse du chemin de fer qui passe en dessous avec la fosse aux ours de Berne (place aujourd’hui défigurée par une passerelle blanche controversée).
Photo © Sylvie Wilhelm / http://fr.sylvie-wilhelm.com/
C’est une autre histoire qui nous éloignerait de cette « Estivale » à la découverte de façades admirables dans une avenue prestigieuse, véritable « festival d’ornements » selon la formule d’Anne-Cécile Maréchal, notre guide PatriS. Construite à partir de 1908, cette avenue bourgeoise a été conçue dans le cadre du prolongement de l’axe royal (rue Royale, rue Royale Sainte-Marie, Hôtel communal) vers la gare de Schaerbeek (place princesse Elisabeth).
Parmi les huit artères qui aboutissent à la Cage aux Ours, la plupart portent les traces d’un passé industriel. Celle-ci, beaucoup plus large, dotée de jardinets de rue et de grilles qui concourent à son élégance, a vu beaucoup d’architectes et d’entrepreneurs s’y établir : ils affichaient ainsi leur « carte de visite » et se trouvaient sur place pour diriger les travaux dans le quartier.
Le parcours commence devant la « résidence Demolder », un immeuble signé J. Teughels, dont l’entrée donne sur la place. Un de ses occupants nous présente une copie des plans de façade pour M. Colignon, notaire. L’étude et la salle d’attente occupaient le rez-de-chaussée, les clercs travaillaient au-dessus, puis c’était l’appartement personnel du notaire. Les trois étages supérieurs étaient donnés en location, surmontés de chambres de bonne spacieuses.
Nous apprenons que l’ascenseur est d’époque, en acajou, avec des vitres biseautées. Les appartements – quelque 170 mètres carrés – ont des parquets de chêne garnis de frises (essences tropicales) et des cheminées de différents marbres. La sculpture d’angle est de Pierre de Soete, également médaillier. Enfin, les caves sont étonnantes, prévues pour conserver trois à quatre mille bouteilles !
Les numéros 11 à 17, côté impair, sont du même architecte, G. Leemans, et pourtant les maisons, de plus en plus hautes, sont très différentes. L’éclectisme est à la fête dans cette avenue : art nouveau, art déco, beaux-arts s’y mélangent, entre autres. La signature de l’architecte au bas d’une façade signifie aussi qu’il est fier du résultat.
Au n° 13, un grand sgraffite orné a disparu, comme au n° 11 ou au n° 14 – la guide nous montre le dessin initial des façades, ce qui permet de juger des modifications apportées en un siècle (on peut consulter l’Album de la Maison Moderne à la Maison des Arts de Schaerbeek.) Mais un sgraffite à petites fleurs blanches typiques de Privat-Livemont est encore visible au-dessus et en dessous du bow-window. Graphiste et décorateur, celui-ci enseignait à l’Ecole industrielle de la Ruche, toute proche. Les entrepreneurs avaient ici les « bonnes personnes » sous la main. Un temps oublié, l’art du sgraffite, heureusement, est aujourd’hui retrouvé.
Au 17, la ferronnerie de la porte monumentale est sans doute l’œuvre du fondeur pour lequel la maison a été construite. Le plan intérieur montre la disposition typique de l’époque : loggia vers la rue, puis salon et fumoir ; à l’arrière, salle à manger et véranda. En face, plusieurs maisons de François Hemelsoet : au 24, une ferronnerie art nouveau spectaculaire a été refaite à l’identique, de même que les pilastres du balconnet qui la supporte. Au 26, les portes ont été changées pour aménager un garage, la loggia à vitraux a disparu.
Du côté impair, la guide attire notre attention sur la « maison aux iris », sur d’autres récemment restaurées, sur un joli porche dont les marches dissimulent l’entrée des domestiques. Deux maisons de J. Teughels encore (ci-dessous) datent des années vingt : leurs lignes sont simplifiées, le décor stylisé, tout en gardant beaucoup d’élégance. Les quatre colonnes en granit rouge de la seconde font grand effet en contraste avec la pierre blanche de façade.
Maisons J. Teughels / Photo © Sylvie Wilhelm
Henri Jacobs a aussi œuvré ici, notamment pour une demeure construite en deux temps, ce qu’il a subtilement masqué à l’aide d’une frise et d’autres détails qui achèvent d’imbriquer les deux parties successives. Son style s’y révèle : soubassement en pierre bleue, jeu des briques en façade, éléments art nouveau, pierre travaillée et enfin les grilles pour unifier (ci-dessous). Leur motif se prolonge devant la maison voisine, ce qui améliore encore l’impression d’ensemble.
1909 a été une année faste pour Jacobs : il a gagné quatre des prix décernés par la commune de Schaerbeek. Sa maison personnelle est sur l’avenue Foch, mais il a dessiné aussi la « maison Fontaine » au 46, où nous retrouvons les pâquerettes de Privat-Livemont autour d’un visage de femme. En haut de la maison qui lui fait face, de beaux sgraffites restaurés illustrent les quatre saisons – et les quatre âges de la femme, suggère une participante.
La maison construite "en deux temps" de Henri Jacobs
C’est à Joseph Diongre, connu pour son œuvre art déco (paquebot Flagey, maison communale de Woluwe-St-Lambert) qu’on doit deux maisons pittoresques dans un style plutôt « balnéaire », aux 51 et 53. De fausses jumelles, très bien préservées, l’une plus étroite que l’autre – on peut s’amuser au jeu des différences.
En arrivant au boulevard Lambermont, nous remarquons des châssis en aluminium qui ne seraient plus autorisés aujourd’hui. C’est la commune qui a créé le boulevard, en échange l’Etat a offert les deux ponts monumentaux et leurs escaliers en pierre bleue, chaussée de Haecht et chaussée d’Helmet. L’âne rouge, dans le second tronçon de l’avenue vers le square Riga, attire le regard vers deux jolies maisons aux façades renflées, décorées l’une de pommes, l’autre de raisins. Un peu plus loin, Thomas Owen a vécu au n° 74.
A côté d’un bel immeuble à appartements, une maison néo-Renaissance est ornée de chauves-souris, anges, raisins, tête de bouc en macaron, une ambiance de bacchanale. A nouveau les signatures de Teughels, Lauwers, Diongre au bas de belles façades où règne un éclectisme « de bon goût ». Pour finir, l’étonnante maison « Chu-Chin-Chow » au n° 99 : conçue en hommage à une comédie musicale à succès adaptée au cinéma, elle date de 1934. Rénovée avec respect, elle a gardé le dessin particulier du bois qui garnit ses fenêtres et sa corniche, ainsi que le joint creux en façade. L’entrée est très originale.
Si vous voulez découvrir vous-même l’avenue Eugène Demolder, sachez qu’une autre promenade guidée est prévue le dimanche 30 août, même heure, même endroit (Mise à jour 24/7/2015 : le groupe est complet.)* Un grand merci à Sylvie Wilhelm, photographe, rencontrée lors de ce parcours, pour le partage de ses photos (1 à 5).
***
* Pour information, il ne reste que trois dates ouvertes pour les Estivales 2015 :
30/7 12h30 Eglise Saint-Servais
06/8 12h30 Eglise Saints-Jean-et-Nicolas
06/9 17h A vélo - Schaerbeek se la joue "cottage".
Commentaires
c'est une avenue que j'ai admirée tous les jours, pendant la semaine où j'allais à un atelier d'écriture à la bibliothèque sésame :-)
Superbes façades ; lorsque je vois ce genre de maison, je rêverais de visiter également l'intérieur.
@ Adrienne : J'espère que la prochaine fois que tu passeras dans les parages, nous arriverons enfin à nous rencontrer.
@ Aifelle : Bien sûr ! Même si pour Baudelaire, "Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée."
Quel beau et énorme travail tu as réalisé pour nous, merci!
Merci aussi à S. Wilhelm, les photos sont superbes.
À ma prochaine visite, tu seras une guide hors pair, je compte sur toi, ok?
Je m'en réjouis déjà ! Bonne journée, Colo.
Superbes façades dans leur harmonie et leur diversité. On sent la présence de personnalités originales et toutes aimantées par le goût du style et de la beauté. Très jolies photos qui illustrent bien cette pérégrination à travers un quartier emblématique d'une époque.
Superbes façades dans leur harmonie et leur diversité. On sent la présence de personnalités originales et toutes aimantées par le goût du style et de la beauté. Très jolies photos qui illustrent bien cette pérégrination à travers un quartier emblématique d'une époque.
Heureuse que vous les admiriez, Armelle. Il y a beaucoup de belles façades sur le territoire de ma commune, qu'on redécouvre quand elles ont été restaurées ou nettoyées. Hier encore j'en admirais dans d'autres avenues, signées par ces architectes ou par d'autres.
(Je pense souvent à vous en suivant ces jours-ci un certain Narrateur dans son séjour à Balbec. Désolée pour les doublons, vous n'êtes pas la seule à rencontrer des difficultés pour obtenir la confirmation d'un envoi.)
Magnifique promenade, le genre que j'aime aussi... lever les yeux et se rendre compte que l'on nous a entourés de beauté, et que c'est toujours là. Que de belles maisons dans ce quartier. J'ai vécu avenue Cambier, non loin de là...
Vous voilà donc en quartiers connus. L'avenue Cambier est au programme des Estivales le mois prochain. J'y penserai à vous, Edmée.
Les ressources des visites guidées de Liège étant loin d'être épuisées pour moi, je crois que je me contenterai de vos compte-rendus avant de participer aux bruxelloises.
Les photographies de Sylvie Wilhem sont excellentes.
Je l'imagine bien, Liège a tant de ressources. A bientôt.
Les ressources patrimoniales de la cité ardentes sont plus abondantes que les finances commmunales.
Voilà un point commun avec Schaerbeek !