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Bruxelles - Page 123

  • Couleur et ligne

    L’art belge du XXe siècle n’a qu’un nom à proposer dans ce courant pictural surtout italien qui trouvait plus belle une automobile de sport que la Victoire de Samothrace (Marinetti) – le futurisme : Jules Schmalzigaug (1882-1917), peintre méconnu de son vivant, un peu moins aujourd’hui. Une rétrospective lui est consacrée aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique (jusqu’au 6 février 2011). Du rez-de-chaussée,
    il faut descendre au niveau – 6 du musée d’art moderne si l’on veut découvrir une autre exposition, « line & colour in drawing », une collection particulière de dessins. Loin de l’univers des orientalistes, ici et là une pratique de l’art centrée sur la couleur et sur la ligne.

     

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    Baron Delbeke


    De Schmalzigaug, les Musées Royaux présentent en permanence le magnifique
    portrait du Baron Delbeke ainsi que celui de Mme Nelly Hurrelbrink (inachevé). Après quelques vues de ville (Bruges) ou d’intérieurs, ce sont surtout les oeuvres vénitiennes qui révèlent son intérêt pour la couleur en mouvement, sa préoccupation première. A Paris, en 1912, Schmalzigaug, issu de la riche bourgeoisie allemande d’Anvers, avait découvert les futuristes italiens avec enthousiasme et décidé de se rendre à Venise où il passera plus de deux ans.

     

    La peinture est pour lui recherche, compréhension de la couleur, analyse du mouvement. Venise est une fête pour les yeux, il y multiplie les croquis, peint le Rialto, la place Saint Marc, la basilique, le café Florian. Dans ses notes, il décrit avec minutie « la direction des rayons de lumière et les jeux d’ombres » (Catalogue de l’exposition « Jules Schmazigaug » aux MRBA, Bruxelles,1985), étudie la gamme chromatique.

     

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    Lumière

     

    Il adhère au futurisme dont il applique les principes artistiques, alors même que ce courant suscite la polémique et l’affrontement avec les passéistes. Schmalzigaug est résolument du côté de la liberté en peinture : « Le mot futurisme ne veut pas dire autre chose que recherche d’une forme d’art dérivant de notre sensibilité moderne et détachée, autant que possible, des conventions établies pour
    dégager des modes d’expression nouveaux… »
    , écrit-il à son frère Walter.

     

    L’Esprit de la danse (1913) est une composition audacieuse, où la danseuse n’est qu’arabesques dans un flot de lumière blanche entouré d’éclats colorés. Espace et lumière (le soleil bat sur l’église de La Salute) est en comparaison presque abstrait, comme une calligraphie orientale. Des planches sur la couleur, la spirale montrent le travail sur les formes et le mouvement. Schmazigaug observe les contrastes entre « couleurs-lumière » et « couleurs-feutre » (selon qu’elles renvoient ou absorbent
    la lumière), il élabore une théorie : la « panchromie ».

     

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    Can can

     

    La guerre l’oblige à regagner la Belgique en 1914. Réformé pour raison de santé, il part pour La Haye. Lorsqu’il peint en Hollande un Paysage avec des arbres, c’est à nouveau un jeu de rythme et de lumière. Ce jaune et ce bleu éclairés de blanc, c’est la palette des deux beaux portraits cités plus haut. Mais Schmalzigaug, coupé de ses contacts internationaux, incompris, se décourage. Il disparaît prématurément, à trente-quatre ans, sans qu’on connaisse les raisons précises de son suicide.

     

    Dans sa préface à la brochure catalogue de « line & colour in drawing » (trilingue et gratuite), Michel Draguet, directeur des Musées Royaux, rappelle que « Le dessin est l’intelligence de l’art. » Cette collection privée d’ « un collectionneur de Bruxelles qui depuis 48 ans, collectionne de l’art contemporain » (six pages d’entretiens permettent de retracer son parcours) comporte une belle série de huit Sam Francis dont un Sans titre blanc constellé de gouttes de couleurs qui ne s’étendent qu’aux deux angles opposés du rectangle. Une Forme rouge. Une Forme bleue. De grands noms américains (Motherwell), européens (Miró), belges (Michaux) signent les
    œuvres exposées, mais aussi des artistes moins connus, par exemple Aurélie Nemours, disparue en 2005.

     

    Excepté les dessins de George Grosz, silhouettes sur le vif dans l’agitation urbaine, l’abstraction est « le fil rouge » de cet ensemble (69 œuvres, 33 artistes) avec tantôt des compositions très graphiques comme une courbe entre noir et blanc d’Ellsworth Kelly, une géométrie colorée de Jo Delahaut, de nombreuses explorations de la ligne ou des rayures avec Alan Green, Edwina Leapman, Marthe Wéry. J’ai été impressionnée par Parted Oaks, Hoge Veluwe de David Nash, un sculpteur anglais qui travaille surtout le bois, passionné par les arbres. Et par le Cube de Florence de Jesus Rafael Soto : cette « sculpture » joue magnifiquement des effets optiques de rectangles bleus et de la transparence à l’intérieur d’un cube en plexiglas.

     

    Le collectionneur – une collectionneuse, semble-t-il – sensible à l’art dès l’enfance, même si ses parents ne lui en avaient donné aucune notion, a beaucoup photographié les œuvres et les objets d’art avant d’en acquérir. Elle n’a pas connu tous ces artistes, mais en a rencontré beaucoup et certains sont devenus des amis. Après avoir acquis une œuvre, il lui en faut toujours une deuxième : « J’aime avoir, si je peux, deux œuvres du même artiste, pour qu’elles puissent dialoguer. »

     

  • Arabie

    « De mon environnement terne et banal et “respectable”, le Djinn m’emporta immédiatement au pays de ma prédilection, l’Arabie, une région si familière à mon esprit qu’à première vue elle semblait être une réminiscence de quelque vie métempsychique antérieure dans un lointain Passé. »

     

    Richard Francis Burton (Guide du Visiteur de L’Orientalisme en Europe)

     

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    Jean-Léon Gérôme
    Femmes fellahs puisant de l'eau, Médine-el-Fayoum © NAJD Collection
    http://www.expo-orientalisme.be/
  • Vers l'Orient

    Beaucoup de monde aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles pour les derniers jours de L’Orientalisme en Europe, de Delacroix à Kandinsky (jusqu’au 9 janvier 2011). Le rêve de Fabio Fabbi qui accueille les visiteurs en indique plusieurs composantes : scène exotique, tissus et objets pittoresques (le narguilé), portrait coloré. L’attrait pour l’Orient (de l’Espagne mauresque au Moyen-Orient, des Balkans au Maghreb), plus qu’un courant pictural, est un phénomène culturel qui touche au XIXe siècle toutes les disciplines : littérature, architecture, peinture, photographie… En contrepoint à ce regard européen, trois écrans diffusent, à l’entrée de l’exposition, des « Témoignages », réactions de personnes d’origines diverses aux œuvres sélectionnées.

     

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    Tissot James, Les Rois mages en voyage
    © Minneapolis Institute of Arts, The William Hood Dunwoody Fund
    http://www.expo-orientalisme.be/

     

    Filippo Lippi, esclave à Alger, fait le portrait de son maître, par Bergeret, illustre l’optique réaliste choisie par les peintres orientalistes, qu’ils soient français, anglais, allemands, italiens ou belges. Parmi diverses représentations de la mort de Cléopâtre, j’ai retenu une toile spectaculaire de Hans Makart et un fragment de Chassériau, Tête d’une servante en larmes. Joseph, contremaître des greniers de Pharaon (Tadema) baigne dans une jolie lumière plus claire que sur la reproduction – tissus blancs, fresques douces, motifs fleuris dans le bas du mur.

     

    L’engouement pour l’Egypte ancienne dérive d’une politique de conquête. « Joindre l’éclat de votre nom à la splendeur des monuments d’Egypte, c’est rattacher les fastes glorieux de notre siècle aux temps fabuleux de l’histoire, c’est réchauffer les cendres des Sésostris et des Mendès, comme vous conquérants, comme vous bienfaiteurs » écrit Vivant Denon à Bonaparte. La section « Un échiquier politique » présente des rencontres officielles et des scènes guerrières, des aquarelles de Théodore Frère engagé dans la suite de l’Impératrice Eugénie pour son voyage en Orient.

     

    Une Femme voilée de Gérôme aux visage, bras et pieds d’ivoire (éléphantine) et en robe de bronze n’est qu’hommage à une féminité gracieuse, loin des préoccupations d’aujourd’hui ou de la Femme arabe portant une cruche de Léopold Carl Müller. Un Portrait de Mustapha par Girodet, outre un visage expressif, fait la part belle aux tissus : veste rouge doublée de bleu, sous-veste ocre, chemise brune sur du linge blanc – pourquoi les hommes occidentaux portent-ils si souvent des couleurs neutres ? Et voilà Delacroix, présent dans différentes salles : Le Kaïd, chef marocain, sur son cheval ; une Vue de Tanger ; La mort de Sardanapale ; une Chasse au tigre, entre autres. Les architectures grandioses d’Egypte ont inspiré bien des paysagistes, mais aussi l’Espagne mauresque à Grenade ou Tolède avec ses colonnes et ses beaux arcs richement décorés, ses mosquées. L'Orient est aussi « carrefour des religions ».

     

    « Rêves hédonistes… » met en scène le harem et les fantasmes avec la fameuse Esclave blanche de Lecomte du Nouÿ à l’affiche. Près de la séduisante rousse qui souffle la fumée de sa cigarette, une nature morte raffinée sur une nappe posée à terre : orange épluchée, vaisselle décorée, verreries, « Luxe, calme et volupté ». Gérôme ou Ingres ont peint le hammam : Le bain maure, La petite Baigneuse. D’autres proposent des rapts et des razzias aux dépens de blanches chrétiennes.

     

    Prévoyez du temps pour visiter L’Orientalisme en Europe : il y a beaucoup à voir, dans des genres divers. Les types humains y inspirent la section « Au nom de la science » : des portraits, dont ce Portrait d’un Nubien par Monsted, des bronzes de Charles Cordier, une Beauté de Tanger à l’aquarelle par Tapiró Baró. Les œuvres viennent de musées européens, américains ou du Moyen-Orient, et aussi de
    collections particulières. Chacun y trouvera de quoi réjouir le regard : des Rois Mages de Tissot aux jaunes et oranges éclatants, de grands paysages, des étals de marchands, des déserts, des visages, des foules, des rêveurs et des rêveuses, sans oublier l’Arabe au grand chapeau d’Etienne Dinet (sans la vannerie du Quai Branly !). Je ne donnerai pas le dernier mot au cavalier de Kandinsky (Improvisation III) mais à Paul Klee : « La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. »

  • Chambre avec vue

    Les lumières en ligne d’un boulevard, au loin. Le dôme éclairé de la basilique du Sacré-Cœur (Koekelberg) à l’horizon. Plus près, des fenêtres qui sortent de l’ombre, l’une après l’autre, hublots dispersés d’un paquebot de nuit. Pour la première fois, je pianote sur le clavier dans ma chambre à moi, ma chambre avec vue, à côté d’un mur de livres qui m’a coûté toute une semaine de rangement. Cela valait la peine.

     

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    17.X.2010

     

    Déménager une bibliothèque, c’est une expérience déjà vécue deux fois, à l’école, avec une sympathique ribambelle d’élèves pour se charger du transport et du classement selon les consignes. Déménager ma bibliothèque, trente-cinq ans de lecture, c’est autre chose. Les livres avaient trouvé leur rayon petit à petit, jusqu’au moment où certains s’étaient garés en double file, faute de place. Mais j’étais loin d’imaginer le volume de caisses que cela représentait, une fois les étagères quittées. J’avais en tête un nouvel agencement : la culture générale, les livres d’art et de voyage dans le séjour ; la littérature, la langue française dans mon bureau. Encore fallait-il ajuster les rangées de livres et les espaces disponibles, concilier l’ordre thématique et les formats divers, caser tout cela au mieux.

     

    Vous comprenez de quoi je parle. Plusieurs l’ont laissé entendre dans leurs commentaires : les livres représentent la plus grosse part d’un déménagement pour celles et ceux que les bibliothèques font saliver, même si l’on ne possède pas, comme Alberto Manguel, une grange de presbytère vouée exclusivement à leur accueil. Les bibliothèques privées, en général, donnent aux amis de papier la compagnie d’objets – photos, cartes reçues d’êtres chers, souvenirs. Ceux-ci ne s’installent pas non plus au hasard, leur place répond à des affinités secrètes. Il y a des choses que l’on veut au plus près du bureau, d’emblée sous le regard, il y a un oiseau près du plafond – voler de ses propres ailes – et ces pantoufles de paille tressée achetées sur le bord de la route à une vieille paysanne russe – garder les pieds sur terre.

    Il reste quelques cartons à vider et bien des choses à installer, avant Noël, disons. Mais il est temps de revenir aux textes et aux prétextes, de rouvrir un journal, de revisiter les blogs, de retrouver un rythme de vie plus paisible, ce qui signifie pour moi, en particulier, de vous proposer à nouveau quatre rendez-vous par semaine à partir de lundi prochain. Même si cela ne change rien pour vous, sachez que ces billets coulent à présent d’une source renouvelée, par la grâce d’une chambre à soi où Virginia Woolf, Colette, Anaïs Nin, Elsa Morante, Simone de Beauvoir, Hella H. Haasse, Doris Lessing, Anita Brookner – dans le désordre d’un hommage aux femmes de lettres – jouissent avec moi, en quelque sorte, du bonheur d’une chambre avec vue.

  • Entre-deux

    Entre-deux : « espace de temps entre deux dates, deux événements ». Cela fait des mois que nous avons décidé de déménager, c’est enfin devenu une question de semaines. Me voilà entre deux appartements, l’ancien et le nouveau, et, je vous l’avoue, l’attente a laissé la place à une certaine effervescence. Peu propice à la concentration sur l’écrit. Je n’ai plus le temps de visiter les blogs amis, je tarde à répondre à vos commentaires, en voilà la raison.

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    Entre-deux : « état intermédiaire entre deux extrêmes ». Euphorie, angoisse. Patience, impatience. Sérénité, nervosité. Un déménagement figure en bonne place dans le classement des causes de stress, et pourtant certains « adorent » déménager. Tris fastidieux, retrouvailles émues, bons débarras. L’impression de palper soudain sa vie, le temps qui a passé. Plaisir de changer de décor, d’emménager. Attention nouvelle aux matières, aux nuances, aux choses dont on se sert et à celles dont on s’entoure. Listes de choses à faire.

     

    Entre-deux : un billet pour vous annoncer un changement de rythme – temporaire –
    sur Textes & Prétextes. En cet automne où vous êtes de plus en plus nombreux à le visiter, je vous en remercie, mon blog va se mettre au ralenti. Il retrouvera tout son souffle dans mon nouvel antre bruxellois – « Antre :
    Lieu intime et silencieux, propre au travail et au repos ». Je prépare un déménagement, toute au bonheur promis de jouir désormais d’une « chambre à moi ».