Chacun aime cultiver son jardin secret, dans l’intimité. Quelle fête quand un artiste nous invite à la promenade, à la découverte, quand il nous laisse franchir le seuil de son atelier ou expose – et s’expose. Parfois, le jardin secret d’un peintre est un véritable jardin, parfois c’est un rêve, l’exploration d’un monde intérieur. « Ferdinand Schirren en ses jardins imaginaires », ainsi s'intitule une petite exposition qu’on peut encore visiter à Bruxelles jusqu’au 4 mars 2012.
"Au jardin" de Ferdinand Schirren (1906) MRBAB-KMSKB, Bruxelles © Sabam Belgium 2011
(Un meilleur rendu des couleurs sur Arts et Lettres)
Ferdinand Schirren (1872-1944) : ceux qui connaissent son nom reconnaissent aussi ses couleurs, qu’on retrouve de portrait en paysage, de nature morte en bouquet de fleurs. Riches de nouvelles acquisitions, les Musées Royaux des Beaux-Arts ont rassemblé dans deux salles du musée d’Art ancien toutes les œuvres du peintre et sculpteur belge en leur possession. (Cela ne console pas de la fermeture du musée d’art moderne, actuellement en travaux pour se métamorphoser en musée « fin de siècle » dont l'ouverture est prévue pour le mois prochain. Michel Draguet, son directeur actuel, n’offre jusqu’à présent pas d’avenir aux autres collections du XXe siècle, retournées en réserve ou montrées çà et là, un scandale qui ne semble pas émouvoir nos pouvoirs politiques en ces temps de crise. Les vicissitudes de la culture à Bruxelles, une histoire belge.)
Schirren a commencé par sculpter, vers 1900, mais une profonde dépression l’a poussé à détruire de nombreuses œuvres, avant de se mettre au dessin et à la peinture. Quelques plâtres sont exposés, dont un étonnant Buste de Mme Blavatsky, une tête plus grande que nature, très expressive, à l’entrée de la grande salle. Les sculptures présentées sont très variées, deux bronzes m’ont paru remarquables : La servante, aux contours lisses, comme stylisée, et une intéressante Eve à la pomme. Cette Eve sans pieds ni tête tient dans la main gauche, le bras replié sur la poitrine, une pomme qui évoque explicitement le sein que ce mouvement dissimule. Juste à côté de la sculpture, à une hauteur invraisemblable (pour dissuader les voleurs de s’en emparer ?), une petite toile, La cheminée, montre une version en plâtre de cette sculpture, posée sur une cheminée en marbre devant un miroir, entre des vases et des pots – de délicates couleurs nacrées.
C’est dans l’aquarelle que Schirren est le plus réputé, c’est par là qu’il a commencé, mais ses huiles qui évoluent « d’un colorisme poussé à un animisme tempéré » enchantent aussi le regard de tous ceux qui aiment les couleurs des « fauves brabançons » dont il fut un précurseur. La figure féminine l’inspire – Maternité, Nus au divan ou devant la fenêtre – moins pour la représenter que pour magnifier le champ coloré de l’espace autour d’elle. Schirren ose ici toute la gamme du rose sans être mièvre, parcourt ailleurs tout le prisme de la lumière.
D’une collection privée, voici L’atelier (huile sur papier) : quelques meubles définissent l’espace peint, une table, deux chaises, un guéridon occupent l’avant-plan, surfaces colorées sur lesquelles l’œil glisse pour se fixer enfin sur le peintre debout à son chevalet. Cette très belle œuvre respire par les blancs que Schirren a laissés entre les choses, entre les couleurs, comme le fera son ami Rik Wouters, de dix ans plus jeune que lui.
Au fond de la grande salle, deux toiles impressionnantes : la plus connue de Schirren, La femme au piano, aux couleurs somptueuses, et La femme en bleu, scène d’intérieur parfaitement construite. Mais il a peint aussi des paysages où quelques troncs parmi des taches de couleur suffisent à évoquer un sous-bois, les lignes de deux maisons entre les arbres, un Paysage brabançon.
Schirren explore les effets du flou, dans un Nu féminin ou dans une Nature morte au vase, toujours avec un agencement très particulier des couleurs – le bleu turquoise d’une coupe non loin d’un bleu outremer. Rêve d’une femme, en rose et bleu, est sans doute l’œuvre exposée ici qui va le plus loin dans cette voie.
Dans la petite salle, les deux aquarelles intitulées Au jardin sont d’une légèreté incroyable. L’une sert d’affiche à l’exposition. Plus loin, La dame au samovar illustre parfaitement la manière dont Schirren sait suggérer sans montrer : la femme est à peine esquissée dans le fauteuil près de la table où trône un samovar, et cela suffit – c’est l’heure du thé.
Cette salle réserve quelques surprises : d’abord, un pastel énigmatique, Intérieur symboliste, où l’on voit un rectangle dans un rectangle, une toile sans doute devant lequel un personnage assis nous tourne le dos – le peintre au travail ? Des objets quasi « art nouveau » signés Schirren : un encrier, un cache-pot. Trois grands fusains de toute beauté : Portrait de femme, Les couseuses, Femme au repos. Et enfin deux petites huiles très claires, Le port d’Ostende et, merveille de lumière, Sur le sable : de dos, un transat où quelqu’un est assis, de face, une femme en blouse blanche et jupe bleue – et nous voilà au cœur d’une conversation au soleil.
P.S. Grâce à Gérard, ce lien vers l'excellent reportage-vidéo de Stéphanie Triest et Anaïs Letiexhe pour TéléBruxelles (13/1/2012).
Commentaires
On connaît beaucoup plus Manet , Monet , van Gogh que Schirren qui était pourtant un artiste aux multiples talents .
Dailleurs Télé Bruxelles en a réalisé une vidéo :
http://www.telebruxelles.net/portail/info/info-culturelle/17481-expo-schirren-au-mrba
Merci Tania de nous refaire découvrir un merveilleux artiste .
On ressent à voir ce tableau de présentation une envie forte de connaitre ce peintre
merci beaucoup à Gérard de ce lien qui permet de se faire une idée de l'artiste , un peu d'images et ce billet on est comblé
Même pas son nom, jamais vu ni entendu parler de lui, quelle honte!
Alors grand merci, la femme au piano est belle, je m'en vais explorer le reste de son œuvre, visionner la vidéo de Gérard (merci).
Un beso, grisaille aujourd'hui....pas de conversation au soleil:-)
@ Gérard : Merci beaucoup pour le lien vers cet excellent reportage, Gérard, je vais l'ajouter en bas de note.
@ Dominique : Un billet qui manque d'illustrations, désolée, la Sabam étant terriblement stricte pour protéger la succession des artistes jusque 70 ans après leur mort. (Même la presse écrite se plaint des restrictions.)
@ Colo : Heureuse de te le faire découvrir, le plaisir des couleurs dans la grisaille. (Nadal-Federer, la finale avant la finale, belle bataille...)
je viens de réaliser qu'il y a cette expo au musée des beaux-arts, je vais donc aller découvrir ce fauve belge - dont je ne connais finalement que le nom
@ Niki : Je te souhaite une bonne visite, Niki.
L'affiche à elle seule donne déjà une irrésistible envie d'aller voir l'expo. Je me suis contentée du reportage qui est très intéressant, sur ce peintre que je ne connaissais pas du tout.
@ Aifelle : Je m'arrêtais toujours devant "La femme au piano" en visitant la collection permanente du Musée d'Art moderne. Son fils, Fernand Schirren, était musicien et a travaillé avec Maurice Béjart.
jolie expo, avec un goût de "trop peu" :)
@ Niki : Tout à fait d'accord, une rétrospective serait bienvenue.
Déjà que je rêvais de Bruxelles.
Maintenant, je rêve BEAUCOUP de Bruxelles.
@ Lali : Si ce rêve devient un jour réalité, ne pas hésiter à me l'annoncer, Lali. Depuis hier, Bruxelles est sous la neige. Bon week-end.
J'ai mis un lien vers ton article sur Ferdinand Schirren, un artiste belge que j'ai découvert grâce à toi. Merci Tania et bon week-end.
@ Un petit Belge : Merci à toi. Demain un billet sur une autre expo, très différente.
Je vais m empresser d aller voir cette expo avant la fin. J'ai 3 reproductions inédites de cet artiste chez moi, donc j adore. J'ai vu des originaux via une collection privée. Effectivement, son fils est un percussionniste célèbre, il a d'ailleurs composé la musique d un ballet de Béjart. Une famille d artiste. J'ai appris la création de cette expo via l'émission 5O degrés nord.
@ Marika : Bienvenue, Marika. Nul doute que cette exposition vous parlera, je vous souhaite une bonne visite.