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Bruxelles - Page 124

  • Bain de lumière

    Les matinées ensoleillées sont trop rares, cet hiver, pour résister à l’appel de la lumière en ce premier samedi de février. Le soleil encore bas manque de générosité sur les trottoirs, mais aux étages, les façades s'y réchauffent déjà.   

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    Une fois de plus, dans Schaerbeek au riche patrimoine architectural, je me réjouis en passant devant ses belles maisons du début du XXe siècle ou de l’entre-deux-guerres, soigneusement préservées par leurs propriétaires. Avenue Emile Verhaeren, une plaque commémorative rappelle où est née Andrée De Jongh, initiatrice du réseau d’évasion Comète.  

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    Non loin de la gare de Schaerbeek, certains immeubles d’angle ne manquent pas de cachet, ils arborent fièrement leur année de construction, leurs oriels. Nous descendons vers le canal, où le bain de lumière est assuré. 

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    Du pont Van Praet, la vue vers la gare et l’incinérateur sur l’autre rive manque de charme, et avec la circulation automobile incessante à cet endroit, même le week-end, il y a de quoi décourager les promeneurs. 

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    Mais de l’autre côté, les aménagements pour les piétons et pour les cyclistes attirent tout de même quelques passants. Entre le canal et la chaussée qui longe l’enceinte de briques du domaine royal, le soleil prend ses aises. 

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    Sur l’eau, deux avironneurs tracent des signes éphémères dans leur sillage. De grands nids dans les arbres du roi, juste derrière le mur : nous observons des hérons qui vont et viennent, affairés entre ciel et terre. 

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    Je rêve, en songeant aux bords de la Limmat à Zurich, à ce que pourrait devenir un tel endroit libéré du trafic. Un escalier, plus loin, descend sur le quai, invite au demi-tour. Voilà L’Espoir, une péniche dont le pilote répond sans façon à mon salut.

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    Nous remontons en zigzags vers le square Riga, le nez en l’air. Tant de détails à observer, d’une époque où les architectes ne craignaient pas les ornements ou n’en faisaient pas l’économie, c’est selon. J’ai manqué l’arbre à poèmes du parc Huart Hamoir, j’y retournerai pour relire Quand passent les poètes.

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    Mais je me suis arrêtée pour photographier ce tour de porte sculpté : le fer forgé en épouse parfaitement les motifs végétaux – où vont se nicher l’art et la vie. Une belle matinée, vous ne trouvez pas ?

     

  • Frondaisons

    « Heureuses les villes qui sont gardées par les arbres ! Des bois ceignent Paris, Vienne, La Haye, Berlin. L’avant-garde de Bruxelles est une forêt. Le sol de la Flandre est plein de graines qui deviennent moissons, celui du Hainaut est compact de charbons qui deviennent du feu, celui de l’Ardenne et le Namurois (sic) est lourd de pierres qui deviennent des édifices, celui du Brabant est traversé de racines qui deviennent des troncs, des branches et des feuilles avant de se muer en splendeur et quiétude et santé. Ceux de nous qui habitèrent Bruxelles n’ont jamais pu se défendre d’un violent amour pour ce mouvant et admirable voisinage. Quand le travail nous épuisait, ce nous était une joie d’aller sous les frondaisons proches nous refaire de la force, et nous retremper dans la solitude. »

     

    Emile Verhaeren, Les chantres de la Forêt de Soignes
    in R. Stevens & L. Van der Swaelmen, Guide du promeneur dans la forêt de Soignes (G. Van Oest & Cie, Bruxelles-Paris, 1914).
     

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    Verhaeren par Jenny Lorrain
    (Musée d’Ixelles)
  • Peindre la forêt

    Rendez-vous amoureux, promenades, jeux, pique-niques, bien des Bruxellois peuvent les associer avec le « Jardin de Bruxelles », son poumon principal, sa cathédrale de hêtres : la forêt de Soignes. Le musée d’Ixelles propose jusqu’au 10 janvier une exposition pour les amoureux de peinture et de nature, « Les peintres de la forêt de Soignes » de 1850 à 1950. Pour fêter le centenaire de leur association, les Amis de la Forêt de Soignes (aujourd’hui en péril) proposent aussi aux Halles Saint-Géry une exposition sur ce « patrimoine unique porteur d’avenir ». Comme la forêt de Fontainebleau a inspiré les peintres de Barbizon, cette magnifique forêt a attiré les pleinairistes. Leurs paysages sont regroupés autour de quatre artères qui la traversent : l’avenue de Tervueren avec l’école artistique du même nom, la chaussée de Wavre et le pittoresque Rouge-Cloître, la chaussée de la Hulpe et Boitsfort, les chaussées de Waterloo et d’Alsemberg à Uccle et Linkebeek. 

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    Si Avril à Tervueren de Lucien Frank offre une lumière printanière, les toiles du dix-neuvième siècle sont généralement plus sombres, comme Les cueilleurs de baies aux étangs de Robiano à Tervueren ou les élégantes d’Emile Jacques (Repos au parc
    de Tervueren
    ). Un grand triptyque mélancolique de François Halkett, Dans la sapinière, montre deux femmes installées sur des chaises sous les arbres : l’une d’elles paraît souffrante, on lui ajuste un châle sur l’épaule.
    Plus gaie, une étonnante Fête de nuit de Degouve de Nuncques, où des lampions japonais et des guirlandes électriques se reflètent dans un étang bordé de saules pleureurs au vert phosphorescent.
     

    Halkett François, Dans la sapinière.JPG

     

    Contraste de lumière – cette belle lumière de la forêt de Soignes attirait Rodin pendant son séjour en Belgique – mais aussi de matière picturale entre La mare aux grenouilles d’un Delvaux encore réaliste et Au jardin de Jan Brusselmans qui fragmente la touche. Bastien, « le peintre du Rouge-Cloître » (un ancien prieuré à l’orée de la forêt de Soignes devenu centre d’art), y a peint sa maison sous la pluie ;
    sa matière rend bien l’atmosphère des lieux, comme dans La bergerie de Troisfontaines où les nuages se parent de couleurs orangées. Chaque peintre a son regard. Oleffe donne plus d’importance aux personnages qu’au décor (En août). Degreef, lui, s’immerge complètement dans le Sous-bois de Blankedelle ou peint une Paysagiste à son chevalet. Léon Houyoux peint à la manière impressionniste (La Woluwe à Val-Duchesse). Paul-Jean Martel, découvert ici, choisit des tons si clairs qu’il faut deviner les formes, par exemple, dans sa Terrasse au Rouge-Cloître.
     

    Degreef, La paysagiste.JPG

     

    Toutes les saisons attirent les peintres. Pour son Braconnier, Isidore Verheyden rend des tons d’automne, sous un ciel cuivré en écho aux feuilles mortes qui jonchent le sous-bois. Anne-Pierre de Kat, dans Le ravin, le tableau le plus rythmé de cette exposition, que j'ai eu plaisir à détailler, représente des patineurs sur un étang gelé, on y aperçoit aussi des cavaliers. Une petite toile de Vogels montre le peintre Pantazis peignant dans la neige, sa silhouette noire tranchant sur le blanc. Du côté de La Hulpe vivait un couple d’artistes réputés, Rodolphe et Juliette Wytsman. De celle-ci, j’ai aimé un paysage printanier tout en fleurs jaunes et ombres bleues (Verger à Linkebeek). Médard Verburgh rend à l’été tout son éclat dans Les toits rouges à Boitsfort, réjouissants, mais il ne peut cependant rivaliser avec Rik Wouters, le fauve brabançon, et sa grande Fenêtre ouverte sur Boitsfort. 

    VOGELS Guillaume, Pantazis peignant dans la neige, c. 1881.JPG

     

    Dernière salle, consacrée à Uccle et Linkebeek, avec une lumineuse Grande ferme rose d’Adrien-Jean Le Mayeur, près de laquelle on a accroché un Intérieur de Louis Thévenet. De jolies vues de Linkebeek sont signées Roidot ou Charles Dehoy Le Langeveld de Jos Albert, en comparaison, est presque abstrait, fermement structuré par un tronc d’arbre à l’avant-plan. La plupart de ces noms parlent aux amateurs de peinture belge et aux habitués des salles de ventes bruxelloises, les œuvres présentées ici viennent de musées mais aussi de collections particulières.

    Degouve de Nuncques, Etang de Boitsfort.JPG

     

    Samedi matin, il n’y avait pas encore grand-monde à cette exposition qui n'ouvre ses portes qu'à onze heures trente, c’était très agréable pour y déambuler à l’aise. J’y ai flâné trop longtemps pour pouvoir regarder attentivement l’exposition principale du musée d’Ixelles en ce moment : les photos de la collection du diamantaire et bijoutier anversois Sylvio Perlstein sous le titre « La photographie n’est pas l’art », plus de deux cents tirages de 1920 à nos jours. C’est Man Ray qui affirmait cela avec humour. Il est présent avec bien d’autres noms célèbres dans ce parcours à travers l’histoire de la photographie au vingtième siècle.

      

    Mais j’avais encore l’odeur des feuilles et de l’humus dans les narines, l’œil imprégné des feuillages et des écorces, des eaux dormantes sous la lune (Abatucci) ou des lumières d’un soir bleuté de Degouve de Nuncques, magique.

     

     
  • C'était dimanche

    Dimanche sans voiture, c’est une tradition à Bruxelles pendant les journées du patrimoine, avec la gratuité des transports en commun. Occupée samedi par le patrimoine familial, j’avais réservé le dimanche pour quelques découvertes, et puis l’imprévu : l’arrivée de deux charmants visiteurs, à vélo, et le plaisir de leur compagnie – cela passe avant tout. C’était l’occasion d’étrenner de jolis bols à thé japonais sur des feuilles en fonte cuivrée, couleur d’automne (nous y sommes). 

    Mésange, dimanche sans voiture.JPG

     

    Pas de circulation ni dans la rue peu passante, ni aux alentours. Les bruits de la ville effacés dès neuf heures et le calme, souverain. De la terrasse, j’entendais soudain parfaitement les cris des mésanges tout près, dans les bouleaux qui perdent leurs feuilles depuis quelque temps déjà, et je les regardais voltiger d’une branche à l’autre. La ville rendue aux oiseaux. Et, bien sûr, aux promeneurs. Le temps radieux de ce dernier week-end de l’été a fait sortir tous les Bruxellois qui aiment et peuvent marcher, rouler à vélo, parcourir la ville débarrassée de la masse automobile. Seuls les avions ont oublié de mettre une sourdine à leurs élans célestes, réveillant le rêve d’une ville qu’ils ne survoleraient pas.

     

    Après le thé et la conversation joyeuse, une balade, tout de même. C’est le jour idéal pour flâner sur les boulevards, que les cyclistes s’amusent à occuper sur toute leur largeur. Beaucoup de couples, de familles, de visages souriants – plus qu’à l’ordinaire. Tiens, une avenue jamais empruntée, des maisons unifamiliales, comme on dit aussi au Québec. Allons-y. Sans le tumulte de la circulation sur les grands axes non loin de là, c’est un coin charmant. Et ce chemin, où mène-t-il ? En haut du talus de la voie ferrée, il circule dans un tunnel végétal à l’arrière de jardins particuliers, protégés par des cloisons en bois ou de hautes haies. Un paradis pour les oiseaux, que les pas des rares promeneurs alertent. Et puis on débouche près d’un pont familier, on prend le chemin du retour.

     

    J’aime tant ces dimanches allègres que je les verrais volontiers se multiplier, un dimanche sans voiture à la fin des quatre saisons par exemple. Sans doute, cela poserait problème à ceux qui doivent travailler le dimanche, se procurer une dérogation pour circuler. J’imagine que certaines personnes seules, ce jour-là, souffrent davantage de ne pas recevoir leurs visiteurs éloignés, mais ce pourrait être l’occasion d’une plus grande sollicitude entre voisins.

     

    Me revient un beau texte de Jean-François Duval, joliment intitulé « Un port à l’aube de chaque lundi » (revue Autrement, 1999) : « La semaine, je sais bien qui je suis : tout le monde me le dit ; ma place dans la société, dans le monde du
    travail me l'indique. Mais dimanche ? Dimanche nous débusque et nous révèle. Alors que la semaine, dans ses discontinuités, nous oblige à des rôles différents, nous divise et nous écartèle, dimanche, qui s'offre dans une durée et une continuité, permet d'effacer ces rôles et de se ressaisir dans son unité et son identité. »

     

    Si j’étais plus douée, je vous mettrais en contrepoint un enregistrement de « Je hais les dimanches », Piaf ou Greco, au choix – en voici les paroles. Certains s’y ennuient, d’autres les redoutent, cela dépend aussi des périodes de la vie. Je suis pour ma part sensible aux charmes du dimanche et de son temps différent. Contre ceux qui voudraient généraliser le travail tous les jours de la semaine et qui prennent hypocritement le parti des consommateurs, ces supposés clients qui deviendraient les travailleurs du dimanche, tôt ou tard, je plaide « la grâce du dimanche »,
    pas forcément chrétienne.

  • Omnivalence

    « De plus, Sobral venait de publier Ce pouvoir qui nous enivre, exercice d’abjection salutaire où un écrivain domestique éprouve, à 55 ans (sic), sous le nom de liberté d’esprit, une sorte de mélancolie à avoir servi avec platitude tant de maîtres. La servilité et la versatilité s’y voyaient ainsi délivrer d’un même mouvement leurs lettres de noblesse.

    Mais enfin, même de mon point de vue, la venue à Bruxelles de Rainier Sobral c’était mieux que rien. Une fois Revel écarté pour crime de libéralisme, il n’y avait pas un choix infini. Debord suicidé, Sollers trop cher, Eco trop compliqué, Levi-Strauss intransportable, Derrida empêtré dans son parapluie : tous genres confondus, l’omnivalence intellectuelle est rare, et on prend ce qui se trouve.
    Du moins Sobral, académicien dans l’âme, ne songerait pas à s’étonner de la naïveté de nos rites. »

    Luc Dellisse, Le Royaume des ombres

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