Les lumières en ligne d’un boulevard, au loin. Le dôme éclairé de la basilique du Sacré-Cœur (Koekelberg) à l’horizon. Plus près, des fenêtres qui sortent de l’ombre, l’une après l’autre, hublots dispersés d’un paquebot de nuit. Pour la première fois, je pianote sur le clavier dans ma chambre à moi, ma chambre avec vue, à côté d’un mur de livres qui m’a coûté toute une semaine de rangement. Cela valait la peine.
Déménager une bibliothèque, c’est une expérience déjà vécue deux fois, à l’école, avec une sympathique ribambelle d’élèves pour se charger du transport et du classement selon les consignes. Déménager ma bibliothèque, trente-cinq ans de lecture, c’est autre chose. Les livres avaient trouvé leur rayon petit à petit, jusqu’au moment où certains s’étaient garés en double file, faute de place. Mais j’étais loin d’imaginer le volume de caisses que cela représentait, une fois les étagères quittées. J’avais en tête un nouvel agencement : la culture générale, les livres d’art et de voyage dans le séjour ; la littérature, la langue française dans mon bureau. Encore fallait-il ajuster les rangées de livres et les espaces disponibles, concilier l’ordre thématique et les formats divers, caser tout cela au mieux.
Vous comprenez de quoi je parle. Plusieurs l’ont laissé entendre dans leurs commentaires : les livres représentent la plus grosse part d’un déménagement pour celles et ceux que les bibliothèques font saliver, même si l’on ne possède pas, comme Alberto Manguel, une grange de presbytère vouée exclusivement à leur accueil. Les bibliothèques privées, en général, donnent aux amis de papier la compagnie d’objets – photos, cartes reçues d’êtres chers, souvenirs. Ceux-ci ne s’installent pas non plus au hasard, leur place répond à des affinités secrètes. Il y a des choses que l’on veut au plus près du bureau, d’emblée sous le regard, il y a un oiseau près du plafond – voler de ses propres ailes – et ces pantoufles de paille tressée achetées sur le bord de la route à une vieille paysanne russe – garder les pieds sur terre.
Il reste quelques cartons à vider et bien des choses à installer, avant Noël, disons. Mais il est temps de revenir aux textes et aux prétextes, de rouvrir un journal, de revisiter les blogs, de retrouver un rythme de vie plus paisible, ce qui signifie pour moi, en particulier, de vous proposer à nouveau quatre rendez-vous par semaine à partir de lundi prochain. Même si cela ne change rien pour vous, sachez que ces billets coulent à présent d’une source renouvelée, par la grâce d’une chambre à soi où Virginia Woolf, Colette, Anaïs Nin, Elsa Morante, Simone de Beauvoir, Hella H. Haasse, Doris Lessing, Anita Brookner – dans le désordre d’un hommage aux femmes de lettres – jouissent avec moi, en quelque sorte, du bonheur d’une chambre avec vue.
Commentaires
Bravoooo... et quelle vue Tania ! Ce nuage sans ombrage est plus que tonique !
Il promet de très heureux moments de lecture et d'écriture... pour notre plus grande joie à tous !
Ne dirait-on pas qu'on bon génie va surgir de ce superbe nuage? Il t'apportera sûrement calme et plaisirs amie.
Moi aussi je me réjouis pour toi, pour nous!
.. et voir "s´éteindre, de branche en branche,/Les girlandes du soir de fête." (Yves Bonnefoy - Le souvenir in "Ce qui fut sans lumière")
@ MH : Que cette promesse se réalise, merci !
@ Colo : Un bon génie... ou une sorcière bien-aimée.
@ BOL : Il y a des fenêtres qui restent allumées toute la nuit, les villes aussi ont leurs balises.
Ce sera avec grand plaisir que je découvrirai certaines de ces chambres-là! Merci d'avance...
Parfois la vue de ma chambre regarde le petit gars, assis à sa table, le regard dans le loin en train d'admirer cette vue sur le ciel et la montagne et le lac. Il faut se méfier des chambres avec vue, ce sont des sirènes qui happent la rigueur des mots et l'austérité des syntaxes. Bon week-end!
Trente-cinq années de lecture … j’en suis resté longtemps rêveur … j’ai réalisé qu’aujourd’hui, à l’heure du bilan, dans ce magnifique cerveau de Tania non seulement se bousculent une «foule » de livres de tous genres (quand on est «prof » de littérature, on s’intéresse à tout) mais aussi, se rassemblent les trente années sur l’estrade, derrière le bureau du « maître », toujours avide de transmettre un savoir, … de découvrir et d’encourager de jeunes talents, … de promouvoir l’élévation de la pensée …
Enseigner, c’est le plus beau métier de l’homme qui demande courage et abnégation … Bonne route, Tania, dans ta nouvelle orientation, pour la plus grande satisfaction … des amoureux du livre et de l’écriture ….
@ Caroline : Bienvenue ! Guère de temps encore pour visiter la blogosphère, merci pour ton passage, Caroline.
@ Damien : Ton point de vue m'intéresse. Ce dimanche matin, les sirènes schaerbeekoises restent silencieuses sous le givre. Bon week-end, Damien.
@ Doulidelle : Plus de 35 ans de lecture, en réalité, j'ai confondu avec l'âge de ma bibliothèque. Quel bonheur de reprendre tous ses livres en main, les plus chers, les oubliés, les porteurs de souvenirs... Merci pour ton hommage à l'enseignement - tu es un passeur, toi aussi, par d'autres voies.
Et bienvenue dans mon nouvel antre, quand vous voudrez. (Il est encore un peu tôt pour des invitations en règle, mais il est toujours l'heure de prendre une tasse de thé, noir ou vert...)
Je te souhaite plein de bonnes choses dans ton nouveau nid douillet. De mon côté, des champs et prairies à perte de vue lorsque je suis installé à mon bureau. Mais quand on aime lire, on ne s'ennuie jamais. Si cela t'intéresse, j'ai parlé de l'auteur Nicole Verschoore cette semaine sur http://ecrivainsbelges.blogspot.com
@ Un petit Belge : Merci pour ces souhaits. Tout à fait d'accord en ce qui concerne la lecture, certes. Je n'arrive pas encore à visiter les blogs amis, mais peu à peu la vie va reprendre son cours habituel et j'irai à la pêche aux "bloginfos". Je ne connais pas Nicole Verschoore, à découvrir donc.
tu trouveras mes lectures: biographies et lettres ainsi que les journaux, ici:
http://fenetresurlacour.canalblog.com/albums/bouquins/index.html
tu trouveras la liste des biographies, journaux et des lettres concernant les écrivaines... que je possède:
http://fenetresurlacour.canalblog.com/albums/bouquins/index.html
j'aime énormément les coincidences des blogs, j'ai regardé à nouveau cette semaine "chambre avec vue"
Un déménagement, à la fois je frémis car je l'ai vécu de nombreuses fois avec toujours ma bibliothèque derrière moi, et en même temps je vous envie car il y a de la jouissance à prendre pieds dans un lieu nouveau, à y faire place à ses livres préférés, à remettre en cause tout classement, à le faire et le refaire pour aussitôt l'abandonner, jolie idée de faire un coin pour les femmes qui ressemblerait au votre de très près avec peut être en plus Yourcenar et Barbara Pym
Dans les déménagements on retrouve en effet des livres oubliés et que l'on a aussitôt envie de relire
bonne et belle installation Tania
@ Caroline : Merci pour le lien, quelle bonne idée d'afficher ainsi les couvertures. J'en reconnais, j'en découvre.
@ Dominique : Yourcenar et Barbara Pym y sont, Dominique, je vous l'assure. Merci pour les encouragements.
C'est une belle vue sur notre ville Tania, je me réjouis que vous vous sentiez chez vous et que vos livres aient trouvé leur place, eux aussi. Je vous souhaite de beaux rêves éveillés et beaucoup d'inspiration que ce payage urbain ne manquera pas de vous inspirer.
Quelle belle vue et quel plaisir de prendre tes aises dans un nouvel espace. J'attends les futurs billets avec patience.