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Art - Page 30

  • Bleu divin

    arditi,l'homme qui peignait les âmes,roman,littérature française,iconographie,religion,peinture,sensualité,spiritualité,xie siècle,proche-orient,culture« De toutes les icônes exposées, la sienne était la seule à ne pas être recouverte d’or, à l’exception de l’auréole du Christ, marquée par un fin cercle. Le reste du fond était un bleu ciel exceptionnel d’éclat et de profondeur, qu’il avait obtenu grâce à une pierre trouvée sur les hauteurs de Mar Saba, et qu’il avait appelé Bleu divin.
    Sa découverte était due au hasard. Un jour qu’il remontait en direction de Bethléem, un reflet jaillit d’un rocher, qui le frappa par sa brillance. Il s’approcha de la pierre et constata qu’elle contenait des cristaux bleutés. Il en détacha quelques fragments et, à son retour à l’atelier, pulvérisa l’un d’eux avant de le mélanger à de l’huile de lin. La teinte obtenue sur une couche de levkas l’avait laissé sans voix. »

    Metin Arditi, L’homme qui peignait les âmes

  • Les icônes d'Avner

    Le dernier roman de Metin Arditi, L’homme qui peignait les âmes, conte une histoire née d’un questionnement : qui fut l’auteur véritable de l’icône dite du Christ guerrier, conservée au monastère de Mar Saba, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bethléem ? Une analyse récente a remis en question son attribution.

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    Mar Saba, monastère chrétien orthodoxe oriental surplombant la vallée du Cédron
    à mi-chemin entre la vieille ville de Jérusalem et la mer Morte (Wikimedia)

    L’histoire d’Avner commence à Acre en l’an 1079. Le gamin juif, quatorze ans, livre du poisson au monastère de la Sainte-Trinité et chaque fois, Thomas, qui aime sa compagnie et connaît sa gourmandise, lui prépare alors un en-cas. Cette fois, il l’agrémente de quatre petites figues cueillies sur le figuier sauvage près de l’église : Avner aime s’installer sous cet arbre, il a baptisé cet endroit Le Petit Paradis.

    Son père lui a bien ordonné de rester à distance de l’église, mais le garçon aime se laisser bercer par les chants liturgiques, respirer la brise et les senteurs, observer les papillons… Quand il dessine un jour une esquisse du « Roi des Rois », un grand papillon doré, il est puni par son père qui lui rappelle l’interdit de la représentation, qu’Avner ne comprend pas : célébrer la beauté, n’est-ce pas honorer le Créateur ?

    De même, quand ses parents l’envoient dormir dans la même chambre que sa cousine Myriam qu’ils ont recueillie, il ne peut résister à son invitation de s’étendre sur elle. Myriam, qui garde les moutons, est devenue sa complice en sensualité. Il lui a montré le figuier sauvage, il lui raconte tout, notamment sa rencontre avec le frère Anastase qui portait une icône. Le fond d’or a ébloui Avner, à tel point qu’un jour, le moine le fait entrer dans l’église pour admirer l’iconostase « qui sépare le monde des vivants de celui de l’Esprit ».

    Fasciné, Avner se met à fréquenter l’atelier d’Anastase, avec un grand désir de peindre lui aussi de telles images. « Pas peindre, corrigea Anastase, écrire. J’en commence une. Regarde. » Si le garçon veut devenir iconographe, cela implique un chemin très long, l’apprentissage, l’étude des Textes et une conversion sincère au christianisme. C’est chez Anastase qu’Avner fait la connaissance de Mansour, un marchand ambulant qui voyage avec une chamelle, un mulet et une ânesse et lui fournit des pierres rares pour les couleurs, de la feuille d’or.

    Jour après jour, le garçon apprend les techniques, le traitement du bois, la préparation des pigments, la cuisson de la colle. Un an plus tard, il reçoit le baptême et prend le même prénom qu’Anastase, qui signifie Résurrection. Les textes et l’enseignement reçu l’ont ébloui, il a décidé de passer outre le fait qu’il ne croit pas à la Révélation – sans l’avouer. Quand son père décide de marier Myriam, Avner lui montre la belle icône où il l’a représentée avec un agneau dans les bras : elle est choquée de voir la petite croix peinte sur son front et le trahit. Son père le chasse de la maison.

    Avner a beau se sentir coupable de s’être détaché des siens, de son peuple, il ne peut faire autrement que poursuivre dans la voie qu’il a choisie. Anastase le confie alors à Mansour pour qu’il aille à Mar Saba, là où les moines rivalisent pour créer les plus belles icônes. En voyage, il apprend beaucoup du marchand musulman qui lui raconte ses aventures, sa vie. Il prie avec lui comme un fils.

    Dix ans plus tard, au monastère de Mar Saba, les icônes d’Avner suscitent l’admiration de tous et aussi des jalousies. Les figures du jeune iconographe sont incroyablement vivantes et quand on l’accuse de s’écarter des canons traditionnels, il l’admet volontiers, au risque d’être expulsé : « La seule chose que je souhaite, c’est d’écrire la joie de vivre ».

    Metin Arditi rend hommage à l’art sacré de l’icône à travers ce personnage d’artiste attachant pour qui, qu’on soit juif, chrétien ou musulman, ce qui importe, c’est de célébrer la beauté du monde, comme l’annonçait l’épigraphe du roman : « Les joies du monde sont notre seule nourriture » (Giono). Ce récit, riche en rencontres fortes dans le Proche-Orient du XIe siècle, campe des personnages attachants et complexes. En sortant des conventions de son art, à l’écart des violences de son temps, Avner se donne une mission inédite et pacificatrice : peindre les âmes, révéler ce qu’il y a de meilleur dans l’être humain.

  • Elan profond

    gérard depardieu,ca s'est fait comme ça,récit,autobiographie,littérature française,enfance,apprentissage,famille,théâtre,cinéma,rencontres,russie,france,culturegérard depardieu,ca s'est fait comme ça,récit,autobiographie,littérature française,enfance,apprentissage,famille,théâtre,cinéma,rencontres,russie,france,culture« On ne sait pas si demain on sera encore vivant. La surprise de la vie, de nouveau. Ça, c’est mon élan profond : ne pas savoir ce qui va arriver, ce que je voulais faire ou dire, mais marcher vers l’inconnu avec cet appétit pour la vie qui chaque instant me porte. Alors oui, je peux être Danton. »

     

    Gérard Depardieu, Ça s’est fait comme ça

    L'affiche du film de Wajda (1982) /  Un arbre qui me fait penser à Depardieu (parc Josaphat)

  • Un instinct inouï

    Dans Ça s’est fait comme ça (2014), récit autobiographique écrit avec Lionel Duroy, Gérard Depardieu n’enjolive pas son passé. Impressionnée par son passage à La Grande Librairie, j’avais envie d’en savoir plus sur ce comédien hors norme. « J’ai toujours été libre », répète-t-il, dès la première séquence : à Orly, où sa grand-mère était dame pipi, il aimait l’accompagner et observer les arrivées, les départs, rêver… 

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    « Dire qu’on a failli te tuer ! » Sa mère, la Lilette, lui a raconté avoir recouru aux aiguilles à tricoter pour se débarrasser de lui, troisième enfant qui tombait mal dans cette famille pauvre de Châteauroux. Son père, le Dédé, ne gagnait pas grand-chose et buvait trop. On ne mangeait pas ensemble dans leur deux-pièces, on ne se disait pas bonjour, « pas de mots, jamais ». Ses trois frères et ses deux sœurs sont « restés dans le moule », mais lui, peut-être à cause des aiguilles, était « à l’affût de la vie. »

    Son père, né en 1923 dans le Berry, ne s’exprime que par onomatopées. La Lilette, fille de pilote, d’une famille plus instruite et raffinée, l’épouse en 1944. A l’époque, elle est gracieuse – Gérard Depardieu enfant ne la voit que « grosse, enceinte ». Il a sept ans quand sa sœur Catherine naît chez eux en 1955 : il aide la sage-femme qui lui montre comment faire la prochaine fois ; il aidera sa mère à accoucher des deux suivants, en 1956 et 1957.

    « Sourire ». Son père lui a appris à toujours sourire, pour mettre en confiance. Mais ça se passe mal avec les profs et les curés, qui le poussent hors de l’école. Il se souvient de plus de bienveillance de la part des gendarmes quand il chaparde aux étalages ou qu’on l’accuse de vol. A onze ans, il souffre de son premier amour pour une blonde inaccessible. A treize, il en paraît dix-huit et réussit à se faire engager comme plagiste pour revoir la mer, qui l’a émerveillée à Monaco (quand il s’était glissé dans un car de supporters de foot).

    Puis c’est « l’Eldorado » de la base américaine à Châteauroux où il se fait des amis et entre comme chez lui pour acheter et revendre du « made in USA ». Des trafics en tous genres lui rapportent de quoi vivre. Du même coup, il apprend l’anglais, découvre le cinéma américain. Il fait la connaissance d’un des fils d’une famille cultivée, dont les parents artistes le reçoivent volontiers, avec gentillesse : une vie différente, où on mange et parle ensemble. A seize ans, il finit par se faire prendre et se retrouve en prison. Là, le psy lui voit des mains « de sculpteur » : ces mots le bouleversent, comme une révélation. Il ne sera pas voyou, mais artiste.

    Autre rencontre décisive, à la gare, lieu des « petites combines », celle de Michel Pilorgé. Ce fils de médecin, son premier véritable ami, veut faire du théâtre. Par curiosité, Depardieu se glisse un jour derrière une scène où se joue Dom Juan. « On ne m’avait jamais dit que des mots pouvait jaillir une musique et c’est une découverte qui me plonge dans des abîmes de réflexion. » Quand son ami prend le train pour Paris, à la fin de l’été 1965, il l’invite à venir le rejoindre là-bas, chez son frère.

    A l’école du TNP où Gérard accompagne Michel, le prof le remarque, lui propose d’étudier une fable de La Fontaine. Le lendemain, il ne connaît pas son texte, mais se met à rire si bien qu’il fait rire les autres. On lui trouve « de la présence ». Les étapes de l’apprentissage du jeune comédien, ses fréquentations, ses premiers cachets, c’est une aventure formidable à lire pour se rendre compte du parcours de celui qui est devenu, dixit Busnel, le dernier « monstre sacré » du théâtre et du cinéma.

    Comme son père, il ne sait pas parler au début, il bégaie, il manque d’instruction. Des personnes vont le faire progresser. De Jean-Laurent Cochet, ancien de la Comédie-Française, metteur en scène au théâtre Edouard VII, il écrit : « C’est cet homme qui va me révéler à moi-même et faire de moi un comédien, un artiste. » Il est le premier à déceler sa « part féminine », son « hypersensibilité ».

    Depardieu raconte les rencontres essentielles : Élisabeth Guignot épousée en 1970, Claude Régy qui l’envoie chez Marguerite Duras (pour Nathalie Granger), le succès des Valseuses qui lui permet d’obtenir un crédit pour une maison à Bougival, Handke… Ses enfants, Guillaume et Julie, d'abord, et lui qui ne sait pas être leur père. Ses joies et ses souffrances. Jouer, jouer surtout. Avec « un instinct inouï ».

    Si son amour de la Russie est sincère, il m’est impossible de le suivre dans ses jugements sur la France ou sur Poutine qu’il ne considère pas comme un dictateur le pense-t-il encore depuis l’entrée de l’armée russe en Ukraine ? « La Russie et l’Ukraine ont toujours été des pays frères. Je suis contre cette guerre fratricide. Je dis : Arrêtez les armes et négociez ! », a-t-il déclaré le 1er mars à l’AFP. Bluffant, cru, désarmant parfois, alternant brutalité et finesse, il parle franco, Depardieu. Un texte de Handke offert en héritage donne le mot de la fin : « Dédaigne le malheur, apaise le conflit de ton rire. »

  • Beaux jours

    florence marchal,entrez lentement,l'obsession eileen gray,exofiction,littérature française,florence collard,dessins,architecture,e.1027,jean badovivi,le corbusier,roquebrune-cap martin,design,culture,féminisme« De lui ou de moi, je ne sais lequel elle a le plus aimé. Quoi qu’il en soit, cela ne dura pas. Les beaux jours, je ne désemplissais pas. Je me déroulais autour de corps étrangers qui prenaient possession de moi sans pouvoir y déroger. Le soir, après la dernière baignade, les hôtes se retrouvaient sur la terrasse du couchant et Louise sortait les verres ciselés. L’obscurité grandissante se chargeait d’un brouhaha, surmontant le fracas en contrebas et, au fur et à mesure que montaient les rires enivrés, je la regardais s’éloigner. Lasse de s’exercer à la futilité, elle descendait s’allonger sur le carrelage du solarium et, dans la pénombre, écoutait ce qu’elle nommait la « grandeur spéciale » du ressac, la transe émanant de la répétition du mouvement. »

    Florence Marchal, entrez lentement. L’obsession Eileen Gray

    © Florence Collard, Entrez lentement